Retour à l'accueil

Retour à Socio


LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES

IV LES REPRÉSENTATIONS SOCIALES DE LA FOLIE

"C'est une méchante manière de raisonner que de rejeter ce qu'on ne peut comprendre"

Chateaubriand

Nous commencerons ce chapitre en évoquant le concept d'aliénation tel que décrit par Marx.
Pour Marx le processus d'aliénation affecte tous les individus mais le processus aliénant est vécu de façon différente selon la classe à laquelle appartient l'individu. Ainsi "l'ouvrier devient étranger au monde physique dans lequel il vit, au monde social. Il devient étranger à l'espèce humaine elle même, dans ses rapports sociaux".(1) L'auteur rattache ce concept d'aliénation aux théories qui traitent de la nature de la société.

Ces théories diffèrent en ce qui concerne le rôle du consensus et du conflit, le besoin ou non d'intégration, le souhait de la conformité ou au contraire la fonction innovatrice de la déviance. Mais elle font certaines hypothèses sur la nature humaine. Marx développe ainsi deux théories de l'aliénation. L'une anthropologico-philosophique, l'autre portant sur les rapports entre l'individu et la société. Mais contrairement à d'autres travaux concernant les représentations sociales, Marx pose comme point de départ l'incompatibilité (et non les interactions) des exigences individuelles et sociales. Dans ce cas de figure il convient donc de s'attacher à la transformation de la société si celle-ci empêche l'individu de satisfaire ses désirs. Mais si l'accent est mis sur les exigences sociales qui n'aboutissent pas, par suite de comportements déviants, il conviendra alors de porter les efforts sur l'adaptation de l'individu à la société.

Dans la première théorie ce sont les processus sociaux qui traduisent l'aliénation. Dans la seconde l'aliénation est engendrée par le comportement humain confronté à un problème d'intégration ou plus exactement de non intégration.
Ces deux approches conceptuelles mettent ainsi l'accent sur les problèmes du processus de socialisation et sur le comportement conforme aux normes, puisqu'il s'agit de produire un consensus autour de valeurs et d'objectifs sociaux.

-1) Des malades

"Si le fou porte en lui l'humaine condition, l'homme porte en lui le terreau où la folie s'enracine."

R. Bastide 1965.

Si comme l'affirme Foucault (2) la folie n'est pas pensable avant le 17ème Siècle(car intégrée à l'existence des hommes), elle est néanmoins conçue au Moyen âge comme un "surcroît démoniaque" à l'oeuvre de Dieu. on notera que cela lui confère un savoir de l'au delà divin. Cette image persistera jusqu'à la renaissance où la folie sera peu à peu mise à distance de la raison, raison prise au sens large de pensée scientifique ou philosophique.(Foucault, 1972)

Les conceptions primitives de la folie attribuent donc celle-ci au sacré, religieux ou démoniaque.
La révolution française, consacrant la liberté de la personne humaine consacre par voie de conséquence le malade mental comme ayant perdu sa liberté. Être à part, il est expulsé par cette nouvelle société basée sur la responsabilité individuelle. Il est souvent regardé avec peur ou dégoût, comme un être dangereux ou menteur. La folie (comme plus tard le cancer et maintenant le sida) fait partie des maux que l'on cache.
Mais bien que marginalisé le fou n'est jamais seul. Il vit en relation dialectique avec sa famille, ses voisins, agit sur eux comme ils agissent sur lui. Exerçant ainsi une pression sur son environnement il "cherche" à le faire entrer dans son monde à part, à lui faire partager son mystère, à lui faire intégrer ses propres valeurs, à lui faire un peu de place à ses cotés.

Nous considérons le fou comme un hors la loi, comme un extérieur de nous mêmes, comme peut être notre mauvaise conscience.
À ce titre, le jugement que nous portons sur lui n'est que le reflet de la projection du jugement que nous portons sur nous. (3)
De même que Durkheim considère que le crime à une fonction sociale, la folie à donc elle aussi une fonction sociale. Elle nous délivre des terreurs qui nous menacent.
La folie est ainsi perçue comme cristallisation de toute les transgressions, bousculant l'ordre établi par la société et incontrôlable par elle. La révolution et l'avènement officiel de la liberté de l'individu n'empêchent en rien la loi de Juillet 1791 qui rend passible de peines correctionnelles "ceux qui laisseraient divaguer des insensés ou des furieux..."(4)

La déviance ainsi traitée par l'exclusion ou la sanction conduit à des comportements discriminatoires. Mais Jaeger (5) cite à ce propos des auteurs comme F. Basaglia et F. Basaglia-Ongaro qui considèrent que les données sont désormais différentes:

"La production capitaliste, en se développant, provoque d'une part la multiplication des comportements déviants et tend d'autre part à imposer ses normes à tous les niveaux de la vie sociale. On a ainsi à la fois une majorité déviante et une tendance à un contrôle social total. Les mesures de ségrégation et de répression traditionnelles ne suffisent plus car la déviance est partout. Le contrôle ne peut donc s'exercer que par la recherche de l'intégration (du Noir, du malade mental, du pauvre...), par le développement de ce qui ce veut une assistance sociale; la société est donnée pour malade et c'est elle toute entière qui devient objet de traitement."

Ainsi comme nous l'avons pu constater précédemment si l'individu peut agir sur le milieu, son environnement agit profondément sur lui, définissant les règles et les normes auxquelles il doit se conformer.
Pour certains la folie sera générée par le groupe social, la folie étant alors à considérer comme n'étant pas une partie intrinsèque de l'individu mais comme un processus extérieur, propre au groupe qui utilise ainsi le fou pour se protéger. (6)
Mais les interactions de la société peuvent-elles à elles seules engendrer la folie? Les rapports de l'individu au groupe et du groupe vers l'individu constituent-ils LA condition de mise en route de la folle mécanique?
Car si tout le monde s'accorde sur le constat que toute société cherche à se protéger de la folie, les débats idéologiques sont encore riches pour déterminer la capacité de cette même société à élaborer la folie.

"J'ai assez vécu pour voir que différence engendre haine".

Stendhal, Le Rouge et le Noir

Beaucoup s'accordent pour dire que la structure sociale, telle un rouleau compresseur, pèse de tout son poids sur la forme et le contenu des divagations.
Les thèmes des délires sont souvent fournis par l'actualité, exploités par elle au point que l'opinion ne peut que méconnaître la valeur pathologique du trouble ainsi véhiculé.
Que l'on mette les malades dans la rue et la quiétude sociale s'affole.
Les malades mentaux, individus encombrants sont toujours objet de honte. Annonce-t-on de la même manière l'hospitalisation d'un proche en chirurgie ou en psychiatrie?
20% des personnes interrogées dans l'enquête du professeur Pichot (7) sont favorables à la suppression de la charge financière imposée à la collectivité par des éléments improductifs.
Entre 1940 et 1941 l'euthanasie pratiquée par les chefs nazis entraîne la suppression de 70273 malades mentaux permettant ainsi une économie de 88 543 980 Marks par an! (8)

Cette attitude de la société est remarquablement abordée dans l'étude de Denise Jodelet conduite à la colonie familiale d'Ainay Le Château où 1000 malades mentaux sont confiés à 500 familles nourricières de la ville et de ses environs. (9)
Au terme de sa recherche elle considère que, connaître l'autre, c'est le savoir semblable, ce qui est difficile voire considéré comme impossible. Cela conduit donc à éviter le contact et dans ce but à établir un ordre social qui protégera le groupe.
Cet écart se manifestera entre autres par une séparation des ustensiles de cuisine utilisés par les malades et des eaux de lavage de leur linge, renvoyant ainsi aux significations de l'impur, du mauvais, du méchant. L'agi de la pensée sur la folie s'articule alors autour du pouvoir magique et de la pollution, (10) le corps social évitant d'être contaminé.

Ainsi une séparation mise en oeuvre au nom de l'hygiène mais qui désigne: "ce qui pour le groupe est la vraie menace, et contre quoi il n'y a de défense qu'individuelle: la pollution sexuelle...Il fallait pour en arriver à la dire, faire le détour par le plus secret de la pensée qui donne la folie magique et maligne, le fou altérité. Détour par la pratique signifiante qui permet d'exprimer le vécu réel ou imaginaire, de ce sur quoi porte la pratique institutionnelle. Détour par lequel, tout étant livré de la maladie, le malade prend un nouveau visage, celui de l'objet refusé."

Jodelet précise que la régulation sociale du "commerce avec les pensionnaires" dépasse le cadre du simple évitement. Si la communauté supporte, même difficilement, qu'un de ces membres puisse avoir une relation amoureuse avec un pensionnaire, il y a un tabou que l'on ne transige pas: l'instauration ouverte et légale d'une vie commune, c'est à dire le mariage. Toutes les femmes ayant enfreint cette loi ont été exclues du groupe et ont quitté la ville. Le mariage interdit préserve ainsi la hiérarchie sociale mais surtout évite le risque majeur menaçant l'identité collective: l'assimilation et donc l'indifférenciation "bredin-civil."

L'intégrité collective ne sera donc maintenue qu'à la condition de pratiquer une exclusion sans réserve de toute tentative d'assimilation. Le travail de Jodelet montre l'importance des pratiques de séparation et leur valeur vitale pour le groupe, souvent manifestée par un tabou de contact, tabou à associer au mode de penser.

Ce lien est d'ailleurs évoqué par Durkheim et par Freud. Le premier précise que l'exclusion des idées, "l'incompatibilité psychique", entraîne la dissociation des actes: "pour que les idées ne coexistent pas, il faut que les choses ne se touchent pas, ne soient en aucune manière en rapport"(1968). Freud, quant à lui indique que c'est parce qu'il y a interdit de toucher que les idées sont séparées (1936). Cette dernière perspective semble, pour l'auteur, plus appropriée à l'approche des conflits et interdits liés à une relation entre groupes, Durkheim traitant le groupe social comme fermé sur lui-même. Ce qui amène l'auteur à préciser que:

"Les manières de traiter, prendre et éduquer les malades instaurent, par la formulation explicite de règles et d'interdits comme par la création de situations signes, des barrières intransgressibles. Ces pratiques établissent sciemment et en toute clarté un ordre que l'on impose avec autorité à des partenaires sociaux".

Ces pratiques signifiantes assurent la survie du corps social, précisant à chacun l'altérité dont il faut se défendre et la pureté (biologique) qu'il faut préserver (en tant que non contamination), l'intégrité du corps privé étant la condition de celle du corps social.
Mais comment ces croyances empreintes de magie, d'animisme et de sorcellerie peuvent persister à l'heure d'une société qui se modernise et s'abreuve de télévision, si ce n'est en s'inscrivant profondément dans les codes du langage et les actes de la vie quotidienne issus de la tradition. Alors, comme le dit Jodelet, ne faut-il pas, quand une société s'ouvre à l'altérité et que surgissent les fantômes de la fusion, que persistent dans nos têtes et dans l'air de notre temps "des images non domptées".

-2) Des institutions

Toute institution est organisée et produit des normes pour définir ce qui est légitime et ce qui ne l'est pas. Elle code, impose, ordonne et chaque sujet contribue à cette dynamique car il véhicule les normes définies. De plus sa réalité se révèle par la mise en actes de ses représentations imaginaires.(Foucault)

Mais la notoriété des institutions dépend beaucoup de la reconnaissance de leur utilité par le public. Ainsi dans une étude à Saint-Jean-de Braye (11) (proche d'Orléans) la même institution psychiatrique sera reconnue lorsqu'il s'agira de crise de démence aigüe et rejetée, en terme de méfiance, pour une dépression.

Les auteurs constatent l'importance des notions de défiance et de confiance qui influencent le processus de reconnaissance. L'opinion générale concernant folie et psychiatrie oscille entre deux courants, l'un consacré aux traitements doux pour éviter d'enfermer, l'autre pour protéger et éloigner.

On note également une très forte demande d'information de la population à propos des structures psychiatriques et de leurs acteurs. E. Goffman a également réalisé une étude importante sur les institutions psychiatriques (12). Il considère l'organisation de la vie hospitalière en psychiatrie comme une coupure avec le monde extérieur, présentant ainsi la vie institutionnelle comme envers de la vie normale, créant une rupture historique dans la vie de l'individu.
La hiérarchie sociale interne représentera également une autre coupure, les soignants symbolisant la norme, les règles en vigueur, en opposition à l'anormal, à la déviance.

R.Castel indique à ce propos dans la préface d' "Asiles" que l'on se trouve en présence d'une lutte de classes classique où "d'un coté se trouvent monopolisés le savoir, le pouvoir et la liberté et de l'autre, l'ignorance, la dépossession de soi et la dépendance..., dans un espace social dont toutes les caractéristiques imposent les déterminations majeures de la servitude...qui devenue nature est la conséquence paradoxale de la socialisation institutionnelle lorsqu'elle est menée à son terme".

Nous indiquerons enfin que les thèses concernant le rôle historique de l'institution sont sujettes à controverses. Pour Foucault le processus d'enfermement correspond à une volonté d'exclusion au nom de la raison triomphante. Mais Marcel Gauchet et Gladys Swain (13) affirment quant à eux que l'essor de l'asile est parallèle à l'essor de l'Etat-Protecteur et vise à intégrer l'Autre, le déviant, à prendre en charge les faibles et les démunis, lié en cela à l'avènement d'une société démocratique. Le traitement "moral" de la maladie instauré par l'aliéniste Philippe Pinel et particulièrement son surveillant Jean Baptiste Pussin accorde au fou le statut de malade (et non d'insensé). Le fou est d'abord un homme et doit donc être traité comme tel.

-3 ) Des professionnels

Cette approche générale et succinte doit également évoquer les représentations concernant les professionnels et plus particulièrement les infirmiers. Dans une étude historique M.Jaeger (14) nous rappelle qu'à l'origine le personnel "infirmier" se confond avec les servants, les domestiques. L'image du gardien de fous dont la charge essentielle est de contenir les furieux et la divagation des infirmes est celle d'un individu dangereux, ignare, sans foi ni loi, dépravé et violent, le plus souvent alcoolique. Néanmoins les infirmiers remplirent une fonction que ni les médecins ni les religieuse ne pouvaient assumer et qui les rendaient indispensables: la maitrise physique des symptomes physiques de la folie. A la violence de la folie correspond à cette époque la violence des soignants.

Compte tenu de l'inscription profonde des représentations dans le langage et dans la tradition, abordé plus haut, il n'est pas étonnant que cette image quoique considérablement modifiée perdure tout de même dans des aspects tels l'absence de savoir, une apparence physique de nature marginale, voire les rapports de force physique avec les malades.

Et cette image du gardien de fou pèse encore lourdement dans la perception négative que beaucoup ont de la psychiatrie. (Jaeger, 1989) Ces représentations et la perception de l'hôpital comme institution totalitaire amèneront Goffman à préciser que "chaque groupe tend à se faire de l'autre une image étroite stéréotypée et hostile, le personnel se représentant le plus souvent les reclus (les malades) comme des êtres repliés sur eux-mêmes,revendicatifs et déloyaux, tandis que le personnel paraît aux reclus condescendant, tyrannique et mesquin. Alors que le personnel à tendance à se croire supérieur et à ne jamais douter de son bon droit, les reclus ont tendance à se sentir inférieurs, faibles, déchus et coupables."

-4 ) De l'image, des médias, de l'opinion publique

Tout ce qui touche à la folie renvoie à des données trop profondes pour que l'on s'illusionne sur l'efficacité de la simple information.

M. Jaeger 1989

Gérard Massé (15) dans son rapport souligne que l'image de la psychiatrie est un enjeu considérable pour donner un nouveau souffle à cette discipline qui souffre d'une image négative dans les représentations sociales à plusieurs niveaux: la maladie mentale, les lieux de soins, la psychiatrie et les patients eux-mêmes. Il indique également que certes, l'asile dérange mais il protège et rassure, bien que la psychiatrie soit considérée par l'opinion publique soit comme trop répressive, soit comme trop laxiste.
L'enquête réalisée pour le SICOM (16) montre que l'opinion publique associe (à 70%) la maladie mentale à la folie. Elle associe également les débiles mentaux, les dépressifs, les mongoliens ainsi que les "meurtriers" dans la catégorie des malades mentaux. Elle ne considère la dangerosité et l'enfermement nécessaire que dans 25% des cas.
Public et professionnels s'accordent pour souligner la fréquence des maladies mentales, leur innacceptation par la société, l'insuffisance d'information et de médiatisation dûe à la concurrence d'autres causes plus porteuses d'espoirs.
On note également une attitude de méfiance et de septicisme de la part des médecins généralistes, qui ne connaissant pas les institutions psychiatriques, craignent de ne plus pouvoir suivre un malade hospitalisé (comme si celui-ci disparaissait), et attendant que ces institutions fassent la preuve de leur efficacité.

Les représentations sociales sont de nos jours principalement véhiculées par les médias. La folie est ainsi régulièrement "traitée" par la télévision. Partant de l'hypothèse qu'à la fin des années 70 la folie avait dépassé le cadre des faits divers pour obtenir des plages de programmation importantes à des heures de grande écoute, G. Azémard (17) montre que l'on peut distinguer trois périodes de traitement de la folie par la télévision:
La période 77-79 où une mobilisation politique et théorique prône la désinstitutionnalisation, particulièrement avec les émissions de D. Karlin. Puis 1982 qui voit apparaître une embellie dans la programmation "psy" à la télévision, les deux dernières années référencées dans l'étude correspondant à une période d'essoufflement. D'après l'auteur, l'évolution significatives des représentations se fait dans le mouvement de fond des grandes émissions qui s'astreignent à la vulgarisation scientifique.
Un film vidéo relatif aux "psychiatres et la télévision" (18) nous montre que les reproches du public s'articulent autour de deux axes principaux: d'une part la psychiatrie fait plus de mal que de bien et l'hospitalisation a des effets désastreux, d'autre part la psychiatrie est incompréhensible et les psychiatres s'expriment dans un langage nébuleux. Les psychiatres indiquent quant à eux qu'il ne faut pas se montrer plus savant qu'on est.

Un autre document vidéo, "Le psychiatre, la folie et le cinéma" (19) nous montre que les images le plus souvent présentées concerne quatre domaines: le premier évoque une représentation très forte de l'enfermement (murs, trousseaux de clés, grilles, évasions). Le second aborde le comportement des professionnels perçus comme des gardiens intolérants et brutaux. Le troisième situe la perception des thérapeutiques comme systématiquement contraignantes, voire agessives (injections effectuées de force, camisole, baignoires fermées, jets d'eau, électochocs, lobotomie). Le dernier présente les malades comme des individus au regard fixe et perdu, tricheurs, délirants, agités et bruyants.

Dans un dernier document (20) les médecins généralistes indiquent qu'ils perçoivent la psychiatrie comme trop carcérale, les efforts à faire nombreux et leurs rapports avec les psychiatres souvent étranges.

Dans la presse écrite, trois versants sont régulièrement développés: (21) L'image du malade mental, classiquement identifié à un homme, célibataire, âgé d'environ quarante ans, perçu dans les années 70 comme un déséquilibré, forcené, assassin. Le psychiatre: comme expert il est considéré compétent, comme thérapeute il est considéré comme incompétent, irresponsable voire pervers et "fou comme ses malades". L'institution caractérisée par l'asile qui fait peur.

Deux quotidiens acceptent d'aborder régulièrement le problème de la souffrance psychique, Le Monde et Libération.

Enfin, les conclusions récentes d'un rapport remis au ministre de la santé (22) indiquent:

"S'il est éminemment difficile d'agir sur les représentations sociales de la psychiatrie, celles-ci sont largement entretenues par les relais d'opinion. En effet le caractère péjoratif de l'image de la psychiatrie est renforcé par une action médiatique orientée vers le spectaculaire et non vers la sensibilisation voire de simple information sur la santé et/ou les maladies mentales. Dans cette mécanique négative, l'institution et les acteurs de la santé mentale eux-mêmes contribuent parfois à entretenir cette situation".


"Les troubles psychiques pâtissent d'une image extrêmement négative dans l'esprit du grand public. En fait ce sont les gens souffrant de troubles psychiques qui sont gravement pénalisés.(...) La souffrance psychique dérange, fait peur, ou pire, n'est pas crédible.(...) Les représentations des "maladies mentales" engendrent la peur, donc l'intolérance et l'exclusion. La rançon pour les patients, c'est la honte, le retard dans les soins, les difficultés de réinsertion.(...)
Les représentations fausses sont bien évidemment le résultat d'une absence d'information ou d'une information erronée. Le "malade mental", comme on dit de manière globale, mélangeant dans une fraternelle confusion toutes les formes de souffrance psychique, est dangereux et incurable. Il est interné dans des asiles où il est soigné (sans que l'on sache bien de quels soins il s'agit) par des gens que l'on appelle les "psy" et qui sont en général aussi fous que leurs malades. Les mots "maladies mentales" pèsent d'un poids très lourd. Le public ne sait pas que 800 000 personnes sont suivies en France dans le seul secteur public pour troubles psychiques dont 73 000 sont hospitalisées tous les ans. Le public ne sait pas que personne n'est à l'abri et qu'aujourd'hui 25% des français connaissent dans leur entourage quelqu'un qui est en difficulté. Le public ne sait pas que la souffrance psychique va du chagrin d'amour à la schizophrénie en passant par toutes les conséquences traumatisantes des accidents de parcours de l'existence..."

E. Zarifian
Des paradis plein la tête, 1994,
p179-180

Marc Livet (à suivre)


Bibliographie :

(1) Israël J., L'aliénation de Marx à la société contemporaine, Ed Anthropos, Paris, 1972

(2) Foucault M., Histoire de la folie à l'âge classique, Plon, Paris, 1961.

(3) Bastide R., sociologie des maladies mentales, Flammarion, Paris 1965

(4) Jaeger M., La psychiatrie en France, Syros/Alternatives, Paris, 1989

(5) Jaeger M., Le désordre psychiatrique, Payot, Paris, 1981

(6) Zarifian E., Les jardiniers de la folie, Odile Jacob, Paris, 1988

(7) Enquête sur l'opinion publique à l'égard du malade mental, sous la direction du Pr Pichot

(8) H. Baruk, Psychiatrie sociale, PUF

(9) Jodelet D.,Folies et représentations sociales, PUF, Paris, 1989

(10) Ibid

(11) Cette é tude a été réalisée par JL. Chiffe, Ph. Verdier et M. Garnier à propos des représentations sociales des institutions de soins en santé mentale auprès d'une population de 16000 habitants. Étude réalisée en collaboration avec le Centre Communal de Promotion de la Santé (CCPS).

(12) Goffman E., Asiles,Ed de Minuit, Paris, 1968

(13) Gauchet M., et Swain G., La pratique de l'esprit humain; L'institution asilaire et la révolution démocratique, Gallimard, 1980

(14) Jaeger M.,Garder,surveiller,soigner,Essais d'histoire de la profession d'infirmier psychiatrique, Cahiers VST n° 3, 1990

(15) Massé G., La psychiatrie ouverte, Rapport au ministre de la santé, ENSP Editeur, 1992

(16) Enquête GMV Conseil pour le SICOM (syndicat interhospitaler de communication externe des hôpitaux spécialisés de Paris), Avril 1993

(17) Azémard G., Les traitements télévisés de la folie et l'avenir de la vidéocommunication locale, in Regards sur la folie, L'harmattan, Paris, 1993

(18) Les psychiatres et la télévision, Film présenté par le PSYCOM 75, réalisé par JC Pénochet

(19) Le psychiatre, la folie et le cinéma, Via Storia Production

(20) La psychiatrie vue par les médecins généralistes, réalisé par PSYCOM 75

(21) Les cahiers de la Verrière, Institut National Marcel Rivière, Journées d'études du DPRP, "Identité professionnelle et psychiatrie

(22) Rapport à madame le ministre des affaires sociales, de la santé et de la ville. Comité de pilotage "image et communication en santé mentale", Avril 1995


nous contacter:serpsy@serpsy.org