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Marcel Jaeger
Directeur de Buc Ressources
Auteur de L'articulation du sanitaire et du social,
Dunod, 2000

Psychiatrie et travail social : encore un effort...

A première vue, les relations entre le travail social et la psychiatrie de service public sont de nature très diverse selon les endroits et selon les personnalités des interlocuteurs : indifférence mutuelle dans certains cas, mépris, voire agressivité réciproque dans d'autres, mais de plus en plus recherche de synergies et efforts pour travailler ensemble. En fait, derrière cette diversité d'attitudes, deux niveaux d'analyse doivent être distingués, selon que l'on parte d'une logique d'institution ou de préoccupations plus proches des personnes qu'il s'agit d'aider.

Le chien et chat institutionnel

L'actualité de la psychiatrie publique est faite d'une baisse spectaculaire du nombre de lits d'hospitalisation et du basculement d'un nombre croissant de "patients" vers des structures sociales et médico-sociales, que ce soit pour des projets d'insertion ou pour des prises en charge plus adaptées et souvent moins coûteuses que l'hôpital (maisons d'accueil spécialisées, foyers...). On peut comprendre que les professionnels de la psychiatrie y voient une dissolution administrative de la maladie mentale dans le handicap, qu'ils vivent ce changement sur le mode de la perte, et même qu'ils perçoivent dans les institutions médico-sociales, sous une forme quasi hallucinatoire, le fantôme de l'asile d'autrefois. A l'inverse et de manière symétrique, du côté du secteur médico-social, on a vu se développer la crainte des effets non maîtrisables d'une immigration institutionnelle de malades mentaux, des intrusions du monde hospitalier (devoir passer sous les fourches caudines de l'Agence Régionale de l'Hospitalisation), et ceci d'autant que la psychiatrie a une très mauvaise image de marque. Rappelons-nous la campagne de publicité haineuse de Michel Creton pour qui l'hôpital psychiatrique n'avait rien à envier aux camps de concentration, ou le fantasme d'un contrôle social généralisé de la société par la psychiatrie.

Cette double inquiétude en miroir est fondée sur une méconnaissance réciproque très grave et tout à fait dommageable aux enfants, adolescents et adultes qui ont à la fois besoin de soins et d'un accompagnement social et éducatif. Car la réalité de chacun de ces deux mondes a heureusement beaucoup évolué. Encore faut-il que chaque camp l'admette, accepte de découvrir l'autre, ce qui est la moindre des choses quand on s'occupe de personnes en difficulté... C'est d'ailleurs grâce à ces dernières que les rencontres se développent, rappelant ainsi dans le quotidien qu'il vaut mieux penser les modalités d'une prise en charge à partir du sujet dans sa globalité, plutôt que de procéder à l'inverse, en partant des clivages institutionnels.

La rencontre obligée de deux mondes

Pour la plupart, les travailleurs sociaux comme les soignants sont de plus en plus confrontés à des personnes aux besoins complexes et fluctuants. De fait, ces professionnels ne peuvent, seuls, gérer des situations qui relèvent, dans de nombreux cas d'une pluralité d'actions. Contrairement à l'idée qui fonde l'ensemble de notre dispositif de protection sociale, il faut faire le deuil des supposées populations-cibles. D'abord parce que les mouvements des personnes en difficulté s'accélèrent entre les institutions, voire dans leurs marges. Ensuite, parce que les profils " cliniques " sont polymorphes : des intrications et des balancements entre des difficultés familiales, sociales et économiques, des perturbations psychologiques qui relèvent parfois de la psychiatrie, des déficiences diverses aussi bien physiques que mentales.

Les leçons commencent a en être tirées par la Protection judiciaire de la jeunesse et par les instituts de rééducation, en première ligne avec des populations " impossibles ". Le Samu social et le Réseau national souffrance psychique et précarité (RNSPP) aussi. Mais le phénomène le plus intéressant est le mouvement de fond qui traverse toutes les structures, à savoir la recherche de partenariats formalisés par des conventions, de mises en réseau entre des équipes de secteur psychiatrique et des institutions sociales (CHRS notamment) et médico-sociales (IME, CAT, foyers, MAS...). Certes, l'évolution des pratiques ne se résume pas à la signature de conventions. Le travail en réseau suppose que les différents professionnels de chacune des filières (infirmiers, médecins, psychologues, éducateurs spécialisés, assistants de service social, enseignants...) se connaissent, apprennent à travailler ensemble, coordonnent leur action autour de projets communs. S'il faut un cadre réglementaire pour pérenniser les collaborations et dépasser les seules empathies entre différents intervenants, il importe surtout que soit pensée la question de la coordination des actions (création de référents coordonnateurs ou appropriation de cette fonction par le professionnel qui a le premier contact ?), que les niveaux de travail en commun soient parlés et sans cesse interrogés, que la rencontre soit aussi celle de cultures différentes, donc que des formations transversales soient mises en place : soit des collaborations pour les formations initiales entre les instituts de formation en soins infirmiers et d'aide soignantes d'une part, les centres de formations sociales et éducatives d'autre part, soit des actions de formation continue pluriprofessionnelles, comme cela se fait dans certaines régions pour l'application de la loi de lutte contre les exclusions. Cela va bien sûr de pair avec la nécessité de former des professionnels aptes à saisir les mutations en cours, à intervenir dans des dispositifs sociaux nouveaux, à faire évoluer les pratiques. En clair, sortir du corporatisme sans perdre son âme... Pari difficile, mais tenable et tenu aussi bien par des infirmiers que par des éducateurs spécialisés, même s'il faut bien un minimum de traîtrise à son camp.

Reste l'essentiel : favoriser pour chaque personne en difficulté un projet individualisé, fondé sur son adhésion, pour l'aider à s'approprier son parcours de vie, mais sans attendre la sacro-sainte " demande " dont l'absence justifie trop souvent un attentisme irresponsable. Certes, l'affaire n'est pas simple et tout cela ne peut se faire sans une éthique personnelle et professionnelle forte des intervenants, quelle que soit leur planète.


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