Retour à l'accueil

Retour à détour


 

 

FORUM SANTE MENTALE

A.N.F.H. Aquitaine

 

 

 

« La prise en charge en institution de la maladie mentale :

vers un décloisonnement des structures sanitaires, sociales et médicosociales »

 

4 et 5 décembre 2006 Hôpital Xavier Arnozan, Pessac.

 

 

***

 

« Sanitaire, social et médico-social : histoire et représentations»

 

Philippe CHAVAROCHE

Directeur Adjoint du Centre de Formation au Travail Sanitaire et Social

Fondation John Bost

Bergerac

 

 

 

 

Classer :

 

Pourquoi cette tentation toujours renouvelée de classer ainsi des personnes en grande difficulté de vie et, en conséquence, les établissements ou services qui vont les prendre en charge?

 

Je ne parle pas bien sûr des nécessaires diagnostics, encore que l’on pourrait s’interroger sur les dernières évolutions des outils classificatoires sensés éclairer la science nosographique.

 

Classer n’est pas un acte neutre, il suppose de tracer une frontière entre ce qui est inclus et ce qui ne l’est pas, entre ce qui sera nommé comme tel et ce qui sera nommé autrement. On sait, et les travaux de l’anthropologue anglaise Mary Douglas[1] le montrent bien, que la classification et la nomination ordonnent le monde, rendent possible une pensée sur ce monde et permettent aux hommes de se comprendre quand ils se parlent du monde... enfin ils essayent...

 

Mais Mary Douglas nous dit aussi que l’acte de classer n’est pas une activité pure, dénuée de toute idéologie comme on voudrait nous le faire croire. Tout classement est le produit d’une société, de son histoire et des enjeux qui la traversent.

 

Il n’est donc pas étonnant que ceux qui s’occupent de ces autres qui ne sont pas pareils, qui sont bizarres, qui ne leur ressemblent pas... produisent du savoir, et donc de la classification, pour donner un sens à cette étrangeté. Et cela dure maintenant depuis longtemps...je ne reprendrais pas ici l’histoire de l’infirmité très bien décrite par HJ Stiker, l’histoire de la psychiatrie expliquée de manière limpide par J Hochmann...

 

            - de l’enfant malformé “exposé” à Sparte pour le remettre aux dieux et ainsi s’en débarrasser … à l’infirme image divine permettant de gagner à bon compte son paradis par quelques aumônes...

            - du “dégénéré” incurable … au fou à la raison égarée mais pas toujours perdue...

            - de l’autiste … au TED (trouble envahissant du développement)...

 

l’activité classificatoire n’a jamais cessé et l’on peut douter qu’elle ne cesse un jour.

 

Mais il en est des classifications comme des frontières, elles séparent, distinguent, matérialisent la différence, permettent le passage... mais souvent sont aussi des murs infranchissables, hérissées de défenses pour se protéger de celui qui est de l’autre côté, celui qui n’est pas pareil, de celui qui n’est pas du “bon côté”

 

Les classifications que nous venons interroger aujourd’hui sont celles qui nomment

 

            - d’un côté la maladie mentale et de l’autre côté le handicap mental,

            - d’un côté le secteur sanitaire et de l’autre le secteur social et médico-social.

 

Ce sont aussi celles qui déclarent :

           

            - qu’un trouble est dit “stabilisé” et qu’un autre ne l’est pas,

            - qu’un tel relève d’une prise en charge soignante et qu’un autre relève d’une prise en charge éducative ou sociale...

 

Ce sont aussi celles qui disent :

 

            - que telle structure est adaptée et que telle autre ne l’est pas,

            - que telle personne est “adéquate” et que telle autre ne l’est pas,

            - qu’ici on les appellera “patients” et là “résident”...

 

Qu’en est-il de ces frontière qui s’imposent tellement à nous qu’il paraît incongru de les questionner, voire de les mettre en doute?

 

Le cloisonnement : produit d’une histoire ?

 

 

Pour tenter de “décloisonner”, comme l’annonce le titre de ces journées, les secteurs sanitaires, médico-sociaux et sociaux, peut-être faut-il d’abord interroger la pertinence, la validité de cette cloison.

 

J’ai le souvenir que lorsque je travaillais dans un établissement, nous franchissions cette frontière plusieurs fois par jour, sans même nous en rendre compte, simplement en changeant de couloir... En effet dans le même bâtiment cohabitait quatre unités agrées en sanitaire et quatre unités agrées en médico-social, Maison d’Accueil Spécialisée. Les patients/résidents nous semblaient, dans notre grande naïveté, les mêmes, nous faisions le même travail de soin et de stimulations éducatives...

 

Il faut se rendre à l’évidence que ce que nous nommons “sanitaire”, “médico-social”, “social” sont des artéfacts, des constructions socio-cognitives destinées à classer les personnes selon un ordre qui leur est extérieur. Au nom de quel ordre classificatoire désignons-nous une personne comme “malade mentale” ou “handicapée mentale” si ce n’est un ordre qui, en France, sépare administrativement ces personnes et que l’on s’obstine à vouloir légitimer sur un plan clinique. Il ne s’agit pas ici de contester cette organisation, qui a peut-être ses mérites et qui a, en tout cas son histoire.

 

Sans reprendre ici l’histoire de la psychiatrie, on voit bien que cette question remonte à quelques lustres, peut-être dès qu’il s’est agit de nommer cette humanité “pas pareille”,

           

            - du côté de la dégénérescence, organique, fixée et seulement rééducable...

            - ou du côté de la “folie”, égarement de la raison aux causes souvent mystérieuses et   amendable par un “traitement moral”.

 

On voit bien que cette question reste actuelle si l’on observe ce qui se joue autour de l’autisme, étiologie organique pour certains et donc handicap, étiologie relationnelle et donc maladie pour d’autres...

Autre point d’histoire, le secteur médico-social dont l’existence est récente, s’est en grande partie construit contre l’asile, qu’ils soit hôpital psychiatrique public ou hospice privé, souvent d’origine religieuse. A cette époque, la notion de sanitaire n’existait pas, ou du moins n’était pas nommée ainsi. Pour les familles qui commençaient à s’organiser à cette époque, il s’agissait moins de créer un secteur médico-social que de créer des lieux possibles pour leurs enfants, des lieux où ils seraient soignés et où ils seraient aussi éduqués. Ces familles à qui l’on avait trop souvent dit auparavant que leurs enfants étaient inéducables et qu’il feraient mieux de les placer, voire de les oublier.

Ce n’est que par la suite que des lois sont venus légitimer un secteur que l’on appelé “médico-social”: loi de 75; annexes 24 et toutes les lois suivantes.

 

Ce que l’on va nommer ensuite le “sanitaire” en psychiatrie, résultera de la lente transformation

 

            - de l’ancien asile psychiatrique en un hôpital comme les autres,

            - de la psychiatrie comme une discipline médicale comme les autres,

            - des infirmiers psychiatriques en infirmiers comme les autres...

 

Au delà des jugements que l’on peut porter sur ces transformations, on voit que ce que l’on présente aujourd’hui comme deux entités “naturelles” ne sont en fait que le produit d’une histoire, histoire qui va constituer le socle identitaire de ces deux secteurs :

           

            - de lieu pour la maladie ou l’on soigne les personnes pour le sanitaire,

            - de lieu du handicap où l’on éduque et où l’on réinsère socialement pour le social et médico-social

 

 Il a bien fallu que des populations viennent donner légitimité à ces identités, d’un côté des malades pour le sanitaire, de l’autre des handicapés pour le médico-social.

Et s’est donc construit tout un arsenal juridico-clinique pour asseoir ces dispositifs et leur assurer des financements, plutôt l’état pour le sanitaire, plutôt les collectivités territoriales pour le handicap.

 

Il ne s’agit pas ici de vouloir mettre à bas ces constructions mais d’en mesurer le caractère souvent artificiel, souvent faussement scientifique et parfois purement administratif voire bureaucratique.

Il faut peut-être alors simplement apprendre à travailler avec, l’accepter comme partie intégrante de notre histoire mais, comme pour nos histoires personnelles, ne pas en être trop prisonnier.

 

Du côté des personnes : quelle pertinence ?

 

Si l’on se place du côté de la personne en grande difficulté de vie, on constate que cette distinction est parfois pertinente.

 

            En effet on conçoit aisément qu’une personne atteinte de trisomie bénéficie d’un milieu éducatif qui l’aide à réaliser les apprentissages nécessaires pour qu’il prenne sa place dans notre société.

            On conçoit tout aussi bien qu’une personne souffrant de troubles psychiques graves, qui altèrent son comportement, soit accueillie dans un milieu soignant, protecteur.

 

            Mais on constate aussi que bien souvent, les personnes atteintes de troubles mentaux ne peuvent être aussi facilement classées, que pour beaucoup, elles présentent à la fois des souffrances psychiques, plus ou moins graves, qui demandent des soins, plus ou moins intenses, et elles présentent aussi des limitations dans leur possibilités de vivre dans notre monde, d’y être acteur à leur manière.

Maladie et handicap se conjuguent fréquemment chez nombre d’usagers des établissements, qu’ils soient classés comme “sanitaire” ou “médico-social”.

 

Bien sûr on va essayer de construire des classifications, se demander si, en sanitaire, les patients sont “adéquats”, en médico-social si leurs troubles sont “stabilisés”...

La question de la stabilisation paraît maintenant au coeur de cette problématique d’orientation en sanitaire ou médico-social, une nouvelle frontière est en train de se construire mais quelle définition pouvons-nous donner à la notion de “stabilisation”?

 

S’agit-il seulement de définir la notion de stabilisation par l’absence, la régression ou la disparition des “troubles du comportement”?

On retrouve, un peu décalée, les anciennes distinctions entre les “chroniques” et les “aigus” qui ont longtemps fait les beaux jours de la psychiatrie.

Il ne faut peut-être pas oublier qu’un trouble du comportement est toujours nommé comme tel par quelqu’un, un médecin, une équipe, des voisins... et que bien sûr celui qui désigne le trouble n’est pas neutre, qu’il a toujours une grille de lecture de ce trouble: ce qu’il considère comme la normalité, une théorie, son propre seuil de tolérance, une référence légale...

 

On mesure bien la fragilité de ces constructions, de ces frontières que les professionnels du sanitaire et du médico-social tentent de tracer de manière incessante pour séparer, pour délimiter, pour que chacun soit “à sa place”.

 

 

Les représentations :

 

Cette séparation en deux secteur distincts alimente tout une production de représentations croisées, le sanitaire a une représentation du médico-social et inversement.

 

Du côté du médico-social envers le sanitaire, on observe que dominent deux types de représentations:

 

            Du côté du médico-social vers le sanitaire une représentation très négative, certainement alimentée par l”histoire asilaire des hôpitaux psychiatriques. A titre d’exemple, chaque fois que se crée un établissement médico-social qui va accueillir des personnes handicapées mentales, les médias affirment très haut que, sans cet établissement, ces personnes seraient “condamnées” à aller, ou à rester, à l’hôpital psychiatrique. Le médico-social y trouve certainement matière à alimenter son narcissisme, à se ranger du côté des “bons”, et l’hôpital traîne inlassablement cette image de prison... ce qui n’est pas très bon pour le narcissisme des soignants qui y travaillent...

 

            L’autre représentation qu’a le médico-social du sanitaire, c’est le lieu où l’on envoie ceux qui, justement, ont de trop graves troubles du comportement... pour qu’on les soigne... pour qu’on les soigne où qu’on les garde?

L’hôpital est investi du pouvoir de soigner, avec peut-être de manière sous jacente la demande de rétablir un usager dans un comportement acceptable. Fonctionne ici peut-être l’image que justement veut se donner la psychiatrie actuelle, celle du “plateau technique médical”, comme un service de cardiologie ou de chirurgie: on y entre parce que ça va pas bien, on y est soigné et on en ressort sinon guéri mais du moins amélioré. Or, et le sait-on, le soin en psychiatrie ne fonctionne pas comme ça, à part peut-être pour des actes un peu techniques, des mise en place ou des réajustements de traitements médicamenteux qui ne peuvent se faire qu’en milieu hospitalier.

 

L’hôpital peut aussi être investi de la mission de garder “ceux qui ne sont pas, ou plus, pour nous”. Combien de fois entendons-nous cette phrase dans les institutions médico-sociales? S’agit-il de prendre conscience de ses limites et de passer, pour un temps, le relais, ou d’exclure celui qui ne s’inscrit plus dans une norme éducative que l’établissement entend promouvoir?

 

Du côté du sanitaire, la représentation que l’on du médico-social véhicule bien souvent des images contrastées, soit dans la fascination pour la liberté supposée que l’on pourrait y trouver, faire des activités, des sorties, échapper au poids de la hiérarchie médicale... soit, au contraire, dans une disqualification de ce qui n’est pas du soin, rétablissant ainsi l’hôpital dans son activité noble, faite par des professionnels du soin, jaloux de leur prérogatives.

 

Et l’on aussi la tentation de “placer” les malades dans ces établissements médico-sociaux, peut-être moins par choix que par nécessité, il faut fermer des lits.

 

Se dégagent des représentations clivées, le médico-social éduque et socialise, le sanitaire soigne...

 

Pourtant, lorsqu’on connaît un peu l’histoire, on sait bien que ces représentations ne tiennent pas. Du côté de la psychiatrie, on a depuis longtemps associé le soin et les démarches de réinsertion sociale. Faut-il ici rappeler que Tosquelles, (qui a travaillé dans le médico-social au Clos du Nid notamment) disait que l’homme marche sur deux jambes, que la mise en oeuvre du secteur, dont Guy Baillon parlerait bien mieux que moi, a justement développé le soin au coeur même de la vie sociale.

De même, du côté du médico-social, et le nom même l’atteste, on fait du soin à côté des démarches éducatives et pédagogiques. En témoigne le nombre de psychiatres qui y travaillent.

 

Mais on peut bien sûr se demander si la dimension soignante est toujours présente dans le médico-social, si elle n’est pas en ce moment évincée au profit de la rhétorique du “projet”, du “contrat”, instaurée par la loi du 2 janvier 2002. Quelques psychiatres qui ont largement participé à la mise en oeuvre de ce secteur médico-social, je pense au Docteur Salbreux avec les polyhandicapés, s’expriment en ce sens et craignent que le soin ne soit le grand absent de ces évolutions.

Certains établissements médico-sociaux se sont également enfermés dans des pratiques éducatives exclusives, voire sectaires, au prétexte que ceux qu’ils accueillaient n’étaient pas des malades (sous entendu des “fous”).

 

Bien sûr, tous les hôpitaux ne se sont pas inscrits dans ces dynamiques qui ont transformé la psychiatrie au sortir de la seconde guerre mondiale et ont maintenu des pratiques de soin archaïques, où l’enfermement, même s’il ne dit plus son nom, reste d’actualité. Le manque de psychiatres dans le service public de la psychiatrie assombri encore un peu plus le tableau.

 

Le clivage

 

Le clivage que nous pouvons observer entre le sanitaire et le médico-social a certainement une fonction: celle de désigner un “mauvais objet” comme dirait Mélanie Klein, et donc de se rassurer en s’attribuant la place du “bon objet”.

Peut-être parce que les soins et l’accompagnement des personnes malades et handicapées mentales nous mettent en position narcissique fragile, (’est souvent épuisant, on y comprend pas grand chose, on n’est jamais sûr que ce l’on fait est bien, on a peu de retour gratifiant...) alors il faudrait le désigner comme le mauvais pour conforter une bonne image de son secteur et affirmer sa propre identité. Nous l’avons vu à propos des autistes où l’hôpital psychiatrique est systématiquement désigné comme le “mauvais”.

 

 

Le clivage a certes une fonction, mais sa persistance peut être pathologique, empêcher d’accéder à une vision plus nuancée de la réalité, à reconnaître l’autre et à se reconnaître soi-même comme porteur à la fois de bonne choses et de choses moins bonnes...

 

Pourquoi est-il parfois si difficile de reconnaître qu’il existe des services hospitaliers “suffisamment bons” sans pour autant être parfaits, et qu’il existe des établissement médico-sociaux où il se fait du bon travail, mais là aussi sans les porter au pinacle.

 

Les différences entre ce deux secteur existent, et il n’est pas de mon propos de les confondre ou les assimiler. On voit toutefois cette peur, pour le médico-social d’être assimilé au sanitaire, régulièrement ressurgir quand il est plus ou moins question qu’il passe sous la tutelle des Agence Régionale d’Hospitalisation.

 

Toutefois, au delà des différences d’ordre administratif et financier, au delà de l’histoire propre à chacun qui a forgé son identité et sa culture, il me semble que ces deux secteurs se doivent de construire des partenariats pour accompagner, chacun avec sa spécificité, les personnes en grande difficulté de vie.

 

Un partenariat possible ?

 

Partenariat, le mot est à la mode, mais encore faut-il peut-être un peu mieux définir ce qui fonde un vrai partenariat.

 

Etre partenaire, cela signifie tout d’abord qu’il faut que chacun se définisse par rapport à l’autre pour construire une complémentarité.

 

Ce premier travail est difficile car cela suppose de poser son identité non par rapport à une définition générique: “je suis sanitaire”, “je suis médico-social”, qui, nous l’avons vu, ne dit pas grand chose d’une réalité soignante ou éducative singulière.

 

Se définir demande à essayer de mieux savoir ce que l’on fait, ce que l’on sait faire... au delà de l’étiquette que l’on porte. Dans un secteur que je connais un peu, celui des adultes lourdement handicapés, je connais des établissements médico-sociaux, des MAS, qui sont nettement plus à même de conduire des soins adaptés pour ces personnes que bien des services hospitaliers. Je connais aussi des services sanitaires qui, en s’appuyant sur une pratique de secteur vivante et bien étayée, mènent des actions de réadaptation psycho-sociale bien plus dynamiques que certains établissements médico-sociaux où domine trop souvent une logique du placement sinon à vie, du moins au long cours.

Ce travail d’inventaire des ressources qu’offrent les établissements sanitaire et médico-sociaux doit se faire à un échelon relativement local pour mettre en oeuvre des synergies soignantes, éducatives et sociales, pour accompagner un sujet dans un parcours de vie ou chacun, à un moment de ce parcours ou de manière conjointe et articulée, joue sa partition.

 

Pour cela, il faudrait toutefois que les logiques de placement, un cas = une place, perdent un peu de leur importance, qu’elles laissent des espaces propices à d’autres formes d’accompagnement plus ouvertes où s’inventent des possibles. Hélas, ces formes ne figurent toujours pas dans les nomenclatures sanitaires ou médico-sociales. Pour certaines personnes récalcitrantes aux formes trop organisées de prise en charge ou dont les problématiques sont très complexes, c’est souvent sur les marges que, peuvent se mettre au travail des pratiques d’accompagnement, certes atypiques, mais potentiellement plus aidantes. A l’heure où les normes sont de plus en plus prégnantes, où chacun ouvre le parapluie pour se couvrir, est-il encore possible de travailler dans des espaces non calibrés?

 

Trop souvent, j’ai l’impression que c’est la logique de la place qui prime,

 

            soit celle qu’il faut supprimer,

            soit celle sur laquelle il faut faire tourner le plus vite possible les usagers,

            soit celle qu’il faut remplir,

            soit celle qui fait défaut et que l’on attend souvent plusieurs années.

 

Il est bien évident que ce jeu autour des places fausse un peu le partenariat, le risque étant que, parfois dans un jeu un peu pervers dont l’usager fait les frais, chacun cherche à instrumentaliser l’autre au profit de sa logique de placement.

On pense à ces hospitalisations qui sont toujours trop longues pour l’hôpital (file active oblige) et toujours trop courtes pour le médico-social. Ce dernier voit parfois le retour d’un usager, un vendredi soir par exemple, alors que l’équipe n’a pas préparé ce retour, qu’elle reste trop marquée par l’angoisse d’une crise de violence ou un autre problème sur lequel elle n’a pas fait le travail de distanciation nécessaire pour ré aborder cette personne dans une perspective nouvelle.

Il est aussi vrai que le recours à l’hôpital peut aussi cacher le souhait qu’un usager difficile ne revienne pas et que sa place soit vite occupée par un autre usager dont on pense qu’il posera moins de problèmes.

 

Un partenariat ne peut fonctionner que si les protagonistes sont en position de rigoureuse égalité, que les jeux de pouvoir, que la supériorité supposée de l’un ou de l’autre, sont mis de côté.

 

Le fil conducteur qui doit guider ce travail en partenariat des établissements sanitaire et médico-sociaux, c’est bien la RELATION que l’on est à même de construire et surtout de tenir vis à vis de ces personnes qui, pour diverses raisons, ont rompu le fil qui les reliaient aux autres hommes. Ils sont alors en danger, comme ce cosmonaute qui part à la dérive dans le vide infini à la fin du film “2001, Odyssée de l’espace”, de se perdre hors de notre “humanitude” au sens que lui donne Albert Jacquard.

 

Peu importe qui tient le fil, que ce fil soit médical, psychothérapeutique, éducatif, social, l’important est de le tenir. Souvent il faut le tenir à plusieurs, ou se passer le relais.

 

 

 

 

 



[1] DOUGLAS M, (2004) Comment pensent les institutions ? Paris, La Découverte.


nous contacter: serpsy@serpsy.org