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Docteur Guy Baillon

Psychiatre des hôpitaux

(fin)     SOFOR  BORDEAUX                      4 ET 5 DECEMBRE 2006

 

DECLOISONNER LE SANITAIRE ET LE SOCIAL ? MAIS POURQUOI ?

 

Cette interrogation constitue une chance dans le contexte fort éprouvant que traverse la psychiatrie. Ainsi avons nous l’opportunité d’en finir avec un vrai ‘drame’ survenu il y a 35 ans dans la société française, face à la maladie mentale et à la folie.

 Je n’en ai découvert l’existence qu’après ma retraite en 2002. Et il a joué un tel rôle dans ma pratique en psychiatrie que j’affirme que si j’avais à recommencer ma carrière, je m’y prendrais d’une toute autre façon qu’en 1970, et pendant les 30 ans où j’ai été responsable du même secteur dans le 9-3 rattaché à l’ancien asile de Ville-Evrard. A l’origine de cette découverte, deux lectures : le livre de JF Bauduret et M Jaeger, et ceux de Gladys Swain et Marcel Gauchet, et trois rencontres l’UNAFAM, la FNAPpsy et l’Action Sociale.

 

I – Définitions autour de la psychiatrie de secteur

J’ai commencé à travailler dans le cadre de la politique de secteur en psychiatrie :

En 1970, la psychiatrie était dans un état d’abandon, de misère et d’exclusion qui ne pouvait provoquer que la révolte et incitait chaque acteur à se battre contre cette réalité. Heureusement

le service public de psychiatrie venait de bénéficier de la révolution apportée par la « politique de secteur » née en 1960, qui commence à s’appliquer en 1972 : « une équipe pluridisciplinaire est définie pour faire face à la totalité des pathologies des habitants d’un secteur de population d’environ 70.000 personnes » ; leur création commencée en 1972 va couvrir la totalité du territoire avec 830 secteurs et leurs équipes ‘générales’, auxquelles se sont ajoutées 320 équipes infanto-juvéniles, et 20 équipes pénitentiaires ; la Sécurité Sociale a accepté d’en financer la totalité en 1984 ; cette politique, d’abord timide, soutenue par de simples circulaires, a été ‘officialisée’ par une loi en 1985 ; le décret de mars 1986 diversifiant les structures de soin a tenu compte de l’inventivité des soignants de cette époque ; le nombre des psychiatres dans le service public va être multiplié par dix, passant là de 400 à 4000 ; les professions de la psychiatrie vont être complétées ; ces professionnels vont développer leur activité dans tout le tissu social du pays ; au lieu de rester confinés dans l’exclusion des grands ‘renfermements’ ils créent les structures alternatives à l’hospitalisation ; leurs compétences s’enrichissent ; les modalités de soin et leur théorisation, en particulier en psychiatrie infanto-juvénile, vont considérablement se diversifier ; le nombre de patients suivis par an par équipe de secteur va tripler, passant de 400 à 1200  (1.200.000 par an dans toute la France) ; le partenariat avec les institutions sanitaires, et les institutions sociales et médico-sociales, et là aussi en particulier pour les enfants et les adolescents avec la PMI, l’Education Nationale et la Justice, se développe très fortement, et va être source de demandes multipliées…(montrant ainsi que la psychiatrie sortait peu à peu de son ghetto, notre souhait).

 

Rappelons le principe majeur de cette ‘politique’ la continuité des soins tout au long du déroulement des troubles psychiques d’une personne, sachant que l’intensité de ces troubles est variable et peu prévisible et qu’ils peuvent se prolonger toute la vie ; la révolution apportée étant dans le fait que les soins, au lieu d’être relégués dans des espaces à part, devaient être élaborés dans le tissu social, et s’appuyer sur l’entourage relationnel du patient, entourage dont les ressources sont variées et inépuisables.

 

Alors le drame ?

 

Un mot en préalable sur la nature des troubles psychiques : ils ont ceci de particulier qu’ils s’inscrivent dans la personnalité d’une personne et ne peuvent en être séparés et donc écartés comme un corps étranger ; ils sont en lien avec l’ensemble de la personne, avec son fonctionnement biologique comme avec son mode de relation avec les autres, le psychisme ne pouvant être séparé du reste de la personne ; de ce fait si l’origine de certains troubles semble en rapport plus étroit avec le corps, ou avec le contexte relationnel, ils concernent toujours la totalité de la personne dans son unité ; ils sont de formes très variées ; ils évoluent de façon peu prévisible passant par des périodes aigues, de stabilité, et d’absence qui ont fait parler d’acuité et de chronicité comme étant des catégories distinctes, alors que ce sont en fait deux pôles se succédant de façon variable chez la même personne ; leur expression s’accompagne de souffrances et de conséquences psychiques qui ne sont pas toujours visibles, et dont un certain nombre n’entrave pas la vie en société alors que d’autres ne la permettent pas et sont même facteurs d’exclusion ; tout ceci explique la complexité de toute tentative de classification des troubles ; une dernière et forte particularité, ayant des conséquences sociales complexes, est que ces troubles sont assez souvent méconnus par la personne qui en souffre ; la notion d’hospitalisation sans consentement a trouvé là son origine ; cette spécificité de la psychiatrie justifie qu’existe un service public qui soit garant de la protection de la personne et qui ait la confiance à la fois de la personne, de son entourage et de la société ; c’est ainsi qu’est née la loi de 1838, permettant d’hospitaliser une personne contre son gré, loi ‘toilettée’, mais non modifiée dans son esprit, par la loi de 1990, seule loi portant atteinte à la liberté d’un citoyen pour motif de troubles de santé, au nom du Préfet, commis de l’Etat. Au total la description des troubles psychiques aboutit à la certitude que la psychiatrie est « complexe », cela nous incite à nous méfier de toute représentation étiologique ou thérapeutique ‘simpliste’.

Les personnes qui ont des troubles psychiques ont donc besoin de façon variable à la fois de soins et d’aide sociale pour faire face aux entraves qu’elles rencontrent dans leur vie: l’objectif est de faire disparaître leurs souffrances et de créer des réponses leur permettant de se construire une continuité de pensée et d’action leur donnant accès à une vie sociale satisfaisante. Pour les professionnels de la psychiatrie les réponses avaient, du début à la fin, à être faites par un même corps d’acteurs. C’était la logique de la psychiatrie aliéniste depuis sa création en 1800, c’était aussi la logique de la politique de secteur à sa fondation en 1960.

 

II – Le drame

C’est autour de cette question qu’est survenu un drame dans notre société (précisons que beaucoup d’autres pays n’ont pas suivi la même voie).

« Le drame » Je ne l’ai moi-même compris qu’à la lecture du livre de Bauduret et Jaeger en 2003 « Rénover l’action sociale et médico-sociale. Histoire d’une refondation ».

Ils racontent que l’Etat dans sa loi du 31-12-1970 a ‘mis en examen’ l’hôpital ; il a critiqué vivement son activité à l’égard des enfants de l’aide sociale, des personnes âgées et des handicapés. Pour cette raison il demande à l’hôpital de se ‘recentrer sur les soins’ et il affirme qu’il confiera ces trois populations au ‘champ social’ dans les deux ans et par décret.

Il faudra attendre 1975, et ce sera une loi. Cette loi définit l’autonomie du champ social, elle l’unifie alors qu’il n’était jusqu’alors qu’un vaste puzzle, tout en le laissant se développer sur un mode très souple dans le cadre associatif. Ceci est une avancée considérable pour la France, car cela permet aux acteurs dispersés de l’action sociale, militants depuis la résistance, de constituer un corps institutionnel fort, dont le rôle est enfin reconnu par l’Etat.

 

Pour la psychiatrie, par contre, la loi de 1970, qui ne mentionne pas la politique de secteur, est passée totalement inaperçue, et si la loi de 1975 (en fait deux lois, l’une pour les personnes, l’autre pour les institutions) est jugée comme un empiètement grave, elle parait secondaire, car partielle, menaçant seulement le contrôle de l’enfance et la post cure de très grands malades. En fait ces deux lois, 70 et 75, ont été élaborées sans aucune implication des professionnels de la psychiatrie. La loi de 1970 est restée méconnue de la psychiatrie tellement elle est contraire à sa pensée : en effet l’Etat y a divisé l’ensemble de la médecine (et non la psychiatrie seule) en deux domaines, celui de ‘l’aigu’ qu’elle laisse l’hôpital gérer, et celui du ‘chronique’ qu’elle confie au champ social. C’est là que se situe notre drame. Si cette division peut se concevoir pour la médecine, elle est impensable pour la psychiatrie (l’aigu à l’hôpital, le chronique au social), laquelle n’en a jamais envisagé l’éventualité.

 

Et, ajoute Bauduret, l’Etat lui-même, tout en consolidant le regroupement du champ social comme un objectif majeur, a aussitôt compris que séparer le soin du soutien social pour chaque personne était une erreur considérable, et il n’a pas cessé depuis de tenter de la réparer :

-en effet au lieu de constituer un champ social isolé, il ajoute dès 1975 du médical au social avec le champ ‘médico-social’,

-ensuite dans la loi de 1996 il donne le droit aux hôpitaux de gérer des établissements sociaux et médico-sociaux (droit retiré en 1970),

-enfin la loi du 2 janvier 2002 rénove de fond en comble l’action sociale en donnant une place toute nouvelle à l’usager, une place d’acteur, et en imposant une clarté de fonctionnement aux établissements, et une coordination nationale, tout en exigeant une obligation de liens avec le champ sanitaire.

 

III - Quelles ont été les histoires respectives  de la psychiatrie et du champ social ?

1 - La psychiatrie est née en 1800. ‘LA’ grande découverte qui a été faite, selon Gladys Swain, (autre lecture essentielle) comprend deux temps contradictoires : le premier, fondamental, est la découverte faite par deux hommes associés dans un même effort de reconnaissance de la valeur de l’homme, le gardien-infirmier Pussin et le psychiatre Pinel : ils constatent que si l’on fait disparaître la contrainte infligée aux grands fous on peut les guérir. Et ils affirment que chez tout homme malade sur le plan de son psychisme « persiste toujours une part saine » car « la folie complète n’existe pas » ; tout le travail du soin en psychiatrie à partir de là, sera donc de travailler ce clivage entre ces deux aspects de la personne, pour établir des passages de l’un à l’autre, et permettre à l’homme de retrouver sa cohérence et sa continuité psychique. Hélas, dans un second temps le psychiatre Pinel constatant qu’éliminer la contention ne guérissait pas tous les malades, se sépare de l’infirmier Pussin, et se met à classer les malades en ‘curables’ et ‘incurables’ ; il a commencé à établir une ‘classification’ des maladies mentales ; la ‘fièvre classificatrice des psychiatres’ n’a pas cessé jusqu’à ce jour, soutenue par les différentes découvertes ; certes celles ci ont accompagné des améliorations considérables des troubles et des souffrances, mais toujours au prix de la mise à l’écart de personnes que l’on ne soigne pas, ainsi on oublie ‘l’homme’ ; c'est-à-dire que, depuis, les progrès techniques sont constamment en train de prendre le pas sur l’humain. Ajoutons que cette bataille est toujours présente dans l’histoire de la psychiatrie et se continue aujourd'hui. La découverte initiale a été poursuivie par l’œuvre de Freud, par la psychiatrie de secteur, mais aussi par les actes modestes et quotidiens de nombreux soignants obscurs, et d’un certain nombre de psychiatres.

 

Avatars de la psychiatrie de secteur

Rappelons que la psychiatrie de secteur a mis en application les découvertes faites par la Psychothérapie Institutionnelle (1942-1952) : les notions de groupe, de travail d’équipe, d’analyse institutionnelle permanente, et a ajouté le lent et complexe travail de connaissance de l’entourage relationnel du patient, de sa famille et des proches, puis des différents partenaires sanitaires, éducatifs et sociaux de la ville, sur lesquels le soin doit s’appuyer.

Un point essentiel n’a pas été pris en compte par l’Etat, c’est qu’une telle révolution dans les théories et les pratiques n’est possible que si un profond travail de formation initiale et permanente l’accompagne sur ces thèmes. Les pionniers s’y sont appliqué grâce à des Associations, importantes comme les CEMEA dès 1950, infirmières comme l’INFIP, ou régionales et beaucoup plus modestes comme la SOFOR créée en 1970. Par contre l’Université, à de trop rares exceptions près, n’a pas du tout assumé ses responsabilités. Elle n’a formé les psychiatres qu’aux données biologiques et comportementales, sans s’intéresser ni au travail de groupe, ni au travail de secteur sur le terrain du tissu social, d’où aujourd'hui un déficit majeur dans la mobilisation des acteurs professionnels en l’absence de formation adaptée, et la grande difficulté de lecture de la complexité de la situation actuelle, exposée ici.

Je n’insiste pas sur les évènements qui ont entraînés une dégradation de la psychiatrie de secteur (-développement anarchique par absence de suivi par l’Etat de l’application de la politique après 1990, date de fermeture du bureau de la psychiatrie, -hémorragie des psychiatres du public vers le privé, -disparition de cadre des infirmiers psychiatriques, -écrasement des équipes par des mesures de contrôle inadaptées, le pire étant là à venir…)

Au cours de cette évolution deux faits supplémentaires sont venus troubler l’ensemble de la situation des patients :

--une donnée propre à la psychiatrie : - l’amélioration considérable des soins a donné à un nombre croissant de patients la possibilité de vivre dans la société, de ce fait ils vivent de plus en plus dans leur famille ou à leur domicile, -mais ils sont là affrontés à la déconvenue que la société en général reste intolérante à toute expression de déviance et de marginalité ; elle n’est pas accueillante pour les personnes qui ont diverses difficultés à vivre en société du fait des séquelles de leurs troubles ou de leur traitement, en particulier lorsque ces difficultés sont psychiques ; enfin elle pense que les malades mentaux ne sont pas soignés puisqu’on les voit dans la rue (elle voit leurs stigmates, mais ne sait pas que nombre d’entre eux reçoivent les soins suffisants pour calmer leurs souffrances),

--et une donnée économique et sociale générale : -la difficulté croissante à trouver un emploi pour tous les français, -et parallèlement la difficulté à trouver un logement (cette difficulté étant dans un nombre très important de cas le prétexte d’hospitalisations injustifiées),

-ces deux difficultés générales étant particulièrement aggravées pour les personnes ayant eu des troubles psychiques, -en même temps une augmentation constante de la pauvreté, une précarisation grave d’une partie de la population française, une augmentation des personnes emprisonnées avec une dégradation des prisons surchargées, ces deux données (précarisation et prison) entraînant eux mêmes des troubles psychiques nouveaux.

 

L’actualité politique force le trait : je vous laisse la travailler…

 

2 - Le champ de l’action sociale est né officiellement en 1975 ; les structures sociales en direction de l’enfance, des personnes âgées et des handicapés étaient déjà en nombre considérable auparavant, mais le fouillis institutionnel était extrême. Cette loi y a mis de l’ordre et proposé des réponses spécifiques aux personnes venant de la psychiatrie. C’est sur ce point que vont intervenir plus tard, après 1995, les grandes Associations d’usagers, l’UNAFAM, née en 1962, et la FNAPpsy née en 1992. Elles font le constat évoqué plus haut, (désarroi des patients dans leur vie quotidienne) tout en mettant en évidence que la loi de 1975 a prévu des structures (MAS et CAT) qui sont adaptées pour les patients présentant un déficit intellectuel, mais pas pour les autres ; en effet les usagers de la psychiatrie qui ont des troubles psychiques graves ne présentant pas ce déficit, refusent d’entrer dans ces structures fermées, d’autant qu’ils ont les capacités leur permettant de vivre dans la société. Ces deux grandes Associations vont rédiger le Livre Blanc de la Santé Mentale en 2001 qui sera co-signé par la FASM des Croix Marine et le représentant des psychiatres des hôpitaux. Elles vont se rencontrer lors de l’élaboration du rapport Charzat en 2003 demandé par Ségolène Royal. Elles affirmeront la nécessité de reconnaître les « situations de handicap psychique » à côté des handicaps moteurs, sensoriels et mentaux. Ce qu’acceptera Jacques Chirac, qui entraînera le Parlement à promulguer en 2005 une loi refondant la loi de 1975 sur les personnes présentant un handicap, et intégrant le handicap psychique.

 

UNAFAM et FNAPpsy

Les deux premières rencontres qui m’ont profondément marqué ont été avec ces deux associations : les familles de patients : pendant trois ans de compagnonnage à l’UNAFAM, j’ai pesé à quel point leur trajectoire humaine de vie est durable, douloureuse, méconnue et rejetée (parent, fratrie, enfants de patient, si souvent éconduits par les psychiatres, pire encore, souvent accusés, suspectés d’être à l’origine des troubles psychiques du membre de cette famille qui est malade), alors qu’en raison de la vie partagée pendant si longtemps avec les patients, elles ont acquis une grande expérience dans le respect de l’autre ; elles sont donc tout à fait en situation de travailler en alliance avec les soignants. Les patients eux-mêmes se rassemblant en association ‘d’usagers’, dans la FNAPpsy, font preuve eux aussi, de compétences dans la distance qu’ils prennent ainsi avec leurs troubles, leurs souffrances ; ne sont ils pas en situation, eux, d’être les premiers ‘alliés’ dans la démarche thérapeutique !

 

Action sociale

Ma troisième rencontre a été avec « l’action sociale » : mon étonnement à me rendre compte que son étendue est considérable ; plus de 32.000 établissements et services en direction de l’enfance, des personnes âgées, des différentes invalidités et handicaps ; plusieurs centaines de milliers d’acteurs ; leur connaissance des besoins et des difficultés des usagers dans leur vie quotidienne est remarquable, en particulier toute la variété des accompagnements à domicile ; leur dynamisme et leur militance, nés dans l’après guerre comme la psychiatrie de secteur, peuvent rendre jaloux les professionnels de la psychiatrie. C’est dans le champ de l’action sociale que le rôle de l’usager a commencé à être reconnu, proposant qu’il soit acteur, plutôt que client.

 

Si nous pouvons dire qu’aujourd'hui le bateau de la psychiatrie est ‘en panne’, il est par contre possible d’affirmer que celui du champ social a le vent en ‘poupe’.

L’aggravation de notre drame serait que ces deux bateaux poursuivent deux caps divergents, alors qu’ils ont les mêmes passagers, contrairement à ce que l’Etat pensait en 1970.

 

Nous ne décrirons pas les savs et samsah, mais nous insisterons un instant sur une autre création très précieuse, celle des GEM, groupes d’entraide mutuelle, (frères cadets des clubs créés par la Psychothérapie Institutionnelle pendant la guerre). Leur but est la mise à la disposition des usagers de la psychiatrie et du champ du handicap d’un espace où les personnes qui souffrent sur le plan psychique ont la possibilité de mettre en commun leurs souffrances et leur inventivité pour réagir et initier des activités diverses, utilisant comme outil essentiel leur solidarité mutuelle. Pour y entrer il n’est pas besoin de passer devant la commission qui évalue le handicap. Chaque GEM reçoit une subvention permettant de recruter deux animateurs qui vont soutenir les décisions prises par les usagers et en faire un espace stimulant et attractif pour chacun grâce à la dynamique associative. Le financement de 300 GEM a été décidé en 2005 ; chacun doit être parrainé par l’une des trois associations initiatrices de cette mobilisation : la FNAPpsy, l’UNAFAM et la FASM des Croix Marine.

 

Si nous prenons comme point de départ le point de vue des personnes et non celui des institutions, il est apparent que la politique de secteur et les lois 2002 et 2005 se montrent convergentes, au service des mêmes personnes. Mais comment élaborer ce qui chez chaque professionnel va permettre de reconnaître le besoin de la complémentarité de l’autre ?

C’est loin d’être évident.

D’un côté la psychiatrie est en grand danger d’étouffement, pas seulement pour les raisons externes évoquées, mais aussi pour des querelles internes : une foi insuffisante dans le bien fondé du service public ; une absence de volonté de rendre cohérents entre eux et complémentaires les divers courants théoriques et pratiques qui font que la psychiatrie française est si riche et si efficace, mais qui la rendent si incompréhensible au public ; la forte tendance des psychiatres à vouloir se protéger en se spécialisant (se limitant à un ‘intersecteur’ de réhabilitation, de la dépression, du sommeil, des troubles de l’alimentation, des urgences, des personnes âgées, etc.) et laissent sur la touche la psychiatrie générale, base de la politique de secteur ; une incapacité à mettre de l’ordre dans les classifications des troubles psychiques et des maladies mentales, aucune n’étant actuellement satisfaisante, si ce n’est la classification française des maladies de l’enfant et de l’adolescent... ; l’insuffisance de cohésion de ces professionnels les empêchant de valider les expériences concluantes comme le fait que la disponibilité permanente de soignants (en équipe dite d’accueil) en centre ville permet de diminuer les urgences et les retards mis à repérer les premières expressions des troubles psychiques, ainsi que le fait que les besoins d’hospitalisation sont considérablement diminués lorsque les lits, encadrés par ce travail d’accueil permanent, sont situés hors hôpital dans le tissu urbain, car là ils bénéficient des liens avec le tissu relationnel proche de chaque patient ; un troisième espace avec des soins ambulatoires variés complète ce dispositif devenu bien plus simple et utilisable, l’ensemble étant enfin lisible et accessible facilement. Le recours aux hospitalisations sous contrainte diminue alors considérablement.

De l’autre côté le champ de l’action sociale avec les lois de 2002 et 2005 est en pleine extension, mais en proie à des difficultés internes dans l’application de la loi de 2002 parfois vécue comme persécutrice pour certains établissements qui se contentaient d’un fonctionnement approximatif. Pour la partie concernant la santé mentale, il doit faire face non seulement à la création de structures nouvelles comme les SAVS, les SAMSAH, les ESAT, les GEM, provoquer pour cela des promoteurs, préparer de nouvelles professions, mais aussi à une remise en cause complexe et profonde en raison de la définition du ‘handicap psychique’ qui oblige à tout revoir ; de plus les lois insistent sur les liens à établir entre le soin et le travail social, ceci justifie un renouvellement de formation de tous les acteurs sociaux, afin qu’ils s’adaptent mieux aux besoins variés des usagers…

 

Gravité du drame

Le drame que nous avons dévoilé ici est donc la division du champ de la santé mentale en champ sanitaire et en champ social, alors que l’unité de l’homme est l’objectif final et l’objectif commun. La question posée est la recherche, la reconnaissance d’un but commun aux deux champs, ne serait ce pas la continuité psychique de la personne ?

En réalité il y a derrière tout ceci un obstacle plus profond et difficile à démasquer : c’est la peur de la folie ; elle entraîne une stigmatisation qui va d’abord toucher toute la psychiatrie, puis le champ du handicap. Il est essentiel de s’y attaquer.

En même temps chacun se défend d’être sensible à cette peur.

Rappelons que la pratique de la psychiatrie pendant 150 ans, depuis son origine jusqu’à la psychiatrie de secteur, est restée dominée par un dogme inacceptable, conséquence de cette peur, le dogme de la séparation du patient de sa famille et de la société qui reste, aujourd’hui encore, très prégnant dans l’opinion.

Du point de vue de l’homme malade-usager la coupure entre les deux champs sanitaire et social est injustifiable.

 

IV – L’avenir ? Ce drame peut il être dépassé par un travail sur le cloisonnement ?

Chaque professionnel dans son propre champ est amené à reconnaître la compétence des acteurs de l’autre champ.

Mais le dépassement du cloisonnement ne sera possible que si chacun trouve des avantages dans la construction de liens entre les deux champs.

 

Pour la psychiatrie : il serait juste que ses acteurs conviennent que la notion de handicap psychique et le champ de sa compensation sont une opportunité pour la psychiatrie, une chance à saisir, passionnante :

-car la rénovation du champ du handicap apporte une référence ‘collective’, dynamique, apte à l’aider à sortir de son ghetto ; en effet le handicap est une appréciation ‘relative’, comparant entre elles des personnes ayant des capacités différentes devant un même obstacle ; de plus les services proposés par les lois de 2002-2005 ont en général une dimension ‘collective’, les SAVS, les SAMSAH, et en particulier les GEM sont des espaces où le ‘collectif’ joue un rôle majeur ; ceci est une chance pour la psychiatrie qui, influencée par la raison médicale et l’asepsie, se place uniquement sur le plan du développement individuel sans prendre en compte la dimension relationnelle, et donc sans s’intéresser à son implication dans une dimension collective ; à l’inverse la Psychothérapie Institutionnelle nous a appris que toute personne fait partie d’un groupe, et voit ses capacités renouvelées en raison de son appartenance à ce groupe ; à partir de là il aide le patient à découvrir de nouvelles possibilités de réalisation de soi en lien avec les autres,

- la perspective de la citoyenneté comme réalisation de soi aboutie, reste éloignée du soin, alors qu’elle est proche de la vie associative, grande école de la démocratie, qui est le cadre dans lequel se construit l’expérience du champ du handicap…

 

Pour le champ du handicap : je vous le laisse explorer avec les autres intervenants …

 

V – Conclusion : Des convergences sont elles possibles entre ces deux champs ? si oui lesquelles ?

 

C’est à votre tour de travailler :

Je vous laisse seulement quelques interrogations en désordre :

-peut on reconnaître des compétences respectives dans chaque champ du soin et de l’action sociale ? quelles seraient leurs convergences ?

-le travail autour de la notion de ‘manque’ de chacun des acteurs est-il pertinent ? si oui, qu’en faire ?

-les formations sont elles une ressource ? si oui, lesquelles et sous quelle forme ?

-trouve-t-on des analogies entre les deux champs dans les obstacles que sont les notions figées autour de la dangerosité comme autour du handicap ? et donc des pistes vers la variabilité, et avec la notion de processus ?

Quels points forts peut-on encore trouver du côté de :

-la créativité ?

-les propos de Lucien Bonnafé ?

-la recherche d’alliances ? lesquelles ?

-le rôle ‘clé’ des élus ? lesquels ? comment ?

 

Donc au total pessimisme ou optimisme ?

 

« bon courage »…

Fin.

Annexe.

Un début de travail sur les pistes évoquées :

Autour d’abord, de la mise en évidence de convergences possibles, puis de propositions pour des actions concrètes :

 

Entre les deux champs il semble possible de mettre en évidence un certain nombre de   convergences,  d’objectifs communs… :

-la base serait le souci d’avoir la reconnaissance des compétences des acteurs de l’autre champ, avoir et gagner l’estime et la confiance de ces acteurs, ce qui ne peut que nourrir les relations et inviter aux échanges,

-l’impératif restant l’unité de l’homme, donc la certitude que s’il a plusieurs besoins il est essentiel de veiller à ce que les réponses soient complémentaires entre elles,

-en fait la nécessité de justifier la complémentarité entre les deux champs n’apparaît que lorsque chaque acteur perçoit à la fois les limites de sa propre action et le besoin qu’a le patient d’apports complémentaires, encore faut il qu’ils soient ‘ouverts’ l’un et l’autre à cette prise de conscience.

Ainsi la qualité d’un acteur de chaque champ sera sa capacité de percevoir que son action est opportune mais insuffisante pour le patient, qu’il est indispensable qu’elle soit complétée par des actions d’acteurs de l’autre champ, et ceci non pas en pensant que ce sont des apports qui n’ont rien à voir entre eux, mais au contraire, suivant le fonctionnement de la personne, en sachant que ses besoins sont intriqués, et qu’une étape complexe là est de construire un ‘accompagnement’ qui aille d’un champ à l’autre ; mais tout ceci en tenant compte d’abord et toujours de la personne qui souffre, de ses désirs, de ses besoins, de sa façon de vouloir les satisfaire. Ce dernier point est fondamental, car il dresse la limite de ce qu’il est possible de faire : il oppose une barrière à tout désir de ‘protocole’ (comme sont tentées de le demander les familles et les tutelles) dans la mise en place de cette ‘continuité’ entre ces deux champs ; par contre elle ne s’oppose pas à une tentative d’évaluation (ce que demandent par ailleurs de façon pertinente, il faut bien le reconnaître, les usagers, ainsi que… les tutelles).

 

En conclusion un besoin général se dessine autour d’une nécessité de formations complémentaires (permanente). Ce serait très opportun pour les acteurs de la psychiatrie, car ils souffrent d’un déficit de formation en ‘psychiatrie de secteur’. Ce serait très opportun pour le champ social, car la notion de handicap psychique est nouvelle et la nécessité de construire une continuité entre soin et social est complexe ; par exemple quand on veut tenir compte de l’obstacle opposé si souvent, celui du secret professionnel, celui ci peut être travaillé entre professionnels avec la présence du patient-usager ; l’actualité ministérielle nous a montré à l’inverse que ce secret doit constituer une limite indépassable lorsqu’une ‘autorité’ sociale croit pouvoir s’en saisir au bénéfice de la société, comme le montrent les projets de loi actuels sur la délinquance et les hospitalisations d’office où tous les secrets seraient levés à la demande du maire, lui-même ainsi mis en otage.

 

Des bénéfices considérables se feraient jour alors pour les acteurs de chaque champ dans la découverte de différences constructives et d’analogies entre les fonctionnements de chacun :

-parmi les différences, le cadre général de l’exercice peut être enrichissant si l’on apprécie les différences entre le fonctionnement du service public (pour la psychiatrie) où la notion de ‘service’ et celle ‘d’égalité’ sont fortes, et celui de l’associatif (pour le handicap) où la solidarité est prégnante,

-mais aussi on peut noter une forte analogie entre soin et social, lorsque nous considérons la notion de dangerosité si souvent invoquée dans le champ du soin, et la notion de handicap ; ces deux notions ont ceci d’inquiétant qu’elles ‘figent’ l’homme dans un état d’immobilité dramatique et inhumaine ; pourtant ceci peut être dépassé si dans les deux cas nous parlons de « situation », « situations de danger » et « situations de handicap » ; cela montre enfin que ce n’est pas la personne qui a en elle-même toutes les explications sur ce qui se passe, mais que c’est le rapport entre sa vulnérabilité partielle ou transitoire et l’ensemble des paramètres du contexte où elle se trouve à ce moment là ; cela apporte la notion essentielle de « pluralité » des facteurs en cause ; -ainsi la dimension constamment « évolutive » de la situation devient centrale ; donc sa « variabilité » ; la notion de « processus » est alors très utile pour résumer l’ensemble ; processus thérapeutique et processus de production du handicap (le PPH de l’auteur canadien Fougeyrollas).

 

Ainsi la notion de handicap ne pourra plus être représentée comme une notion fixe, figée, ni définitive ; elle sera toujours un ‘rapport’ entre plusieurs paramètres évoluant constamment dans le temps (la notion de contexte est là à déployer : conditions de vie, famille, relations, amis, emploi, logement, ressources, qualité des liens, ambiance des lieux investis par la personne, et l’évolution dans le temps de tous ces facteurs…). On découvre alors que dans chaque cas il y a toujours un potentiel évolutif favorable possible, mais dans la mesure où l’attention et l’intérêt portés à un contexte viennent enrichir une situation donnée. Nous aboutirons donc aussi dans le champ du soin à un « processus thérapeutique », le diagnostic lui-même étant une étape thérapeutique forcément évolutive ; la réponse sociale dans le champ social devant être aussi évolutive et reprise en terme de « processus ».

Nous rejoignons ici une donnée fondamentale qui est la certitude que tout comme le jeune enfant, puis l’adolescent, toute personne continue à « se construire tout au long de sa vie » dans une interaction constante entre ce qu’elle est à chaque moment de son histoire et le contexte de ce moment.

 

La notion de la souffrance psychique gagne ensuite de compréhension à être rapprochée de la notion de handicap ; elle permet de mettre en évidence le fait qu’un trouble psychique non seulement provoque une souffrance qui pèse sur la vie psychique de la personne et provoque une douleur interne, mais aussi que cela entraîne des modifications de ses rapports aux autres, modifications qui vont dans le sens d’une altération de la qualité de ses liens, et ceci à la fois de son propre fait et du fait des réactions des autres, il s’ensuit donc une interaction négative mutuelle. Nous saisissons alors la qualité de l’intuition de Wood qui avait démontré pour convaincre de sa classification des handicaps, qu’une action positive portant sur le domaine interactif émanent de l’environnement relationnel, peut avoir des effets favorables sur… l’évolution du trouble lui même.

 

Cette remarque invite à prendre en considération de façon générale l’importance des phénomènes psychiques dans tous les domaines de la vie, comme dans tous les domaines de la médecine et dans tous les domaines de l’action sociale. Certes la psychiatrie, les handicaps psychique et mental réunis dans le champ de la santé mentale sont rassemblés dans un champ bien délimité, mais les problèmes psychiques sont présents et retrouvés dans tout espace du reste de la société, et justifient de ne plus être stigmatisés ; l’idée d’une action concertée peut paraître une évidence ; mais cette action ne doit plus être un renvoi systématique vers le champ de la santé mentale, elle doit consister le plus souvent en une réponse adaptée et suffisante ‘sur place’ (pour, entre autre, ne pas se transformer en vrais troubles psychiques), concertations et formations mutuelles.

 

Ces réflexions nous paraissent ouvrir à l’émergence d’une dynamique soutenant la volonté de décloisonnement. En particulier autour de ce point central qu’est la formation : cela nous invite à envisager des possibilités de « formations croisées », cad avec la participation des différents acteurs des deux champs et même celle des usagers (eux-mêmes en quête de formations) : une fois affirmée la nécessité d’une formation de base pour chaque champ déployant la capacité à acquérir des compétences spécifiques, par exemple :

-la reconnaissance de la spécificité des autres champs de compétences,

-la capacité de découverte dans chaque champ des ‘manques’, permettant à chacun de s’habituer à mettre en évidence ces manques qui permettent à la personne de faire, elle même, un chemin pour répondre à ces manques,

-la découverte des mises en place des divers ‘accompagnements’ à imaginer pour que l’usager-patient ait l’idée, le désir d’aller de l’un à l’autre sans deuil, ni blessure,

-l’attention à porter au patient-usager pour que s’expriment et soit entendus son besoin, son désir, sa capacité à être ‘acteur’ de sa vie, de ses soins, de ses actions sociales.

 

L’ensemble de cette démarche est donc une invitation à la créativité chez tous les acteurs professionnels, soutenue par l’attention à l’imprévisible, à l’inattendu, qui soutient en miroir la créativité chez le patient-usager aussi.

 

Au total nous percevons que ce qui se dégage de cette démarche de décloisonnement est la représentation d’une réalité ouverte, et une invitation de chacun à l’ouverture, avec un sentiment d’humilité associé à la certitude de l’utilité de chacun. Chacun se sent ouvert à profiter de la compétence de l’autre.

 

 

Ainsi il faut bien se rendre à l’évidence que tout est à construire dans le champ de la « continuité psychique de la personne », mais avec prudence. En effet il est essentiel d’avoir simultanément le souci de ne pas empiéter sur ce qui lui revient en propre, et donc la nécessité forte de la respecter, -respect de la personne, et -perception de ce dont elle a besoin sans pouvoir l’exprimer : voilà une ‘quadrature du cercle’ qui ne peut se chercher que dans un mouvement sans fin au départ, constitué par une interaction triangulaire, où la famille peut jouer un rôle intermédiaire fort, et qui va se continuer pour la personne elle-même par la prise en main de son destin, non dans la seule réalisation d’une autonomie isolée, mais dans sa capacité retrouvée à nouer des liens elle-même et à y trouver son épanouissement.

 

Pour terminer, il ne faut pas se cacher la difficulté de l’entreprise, et donc réfléchir à qui pourraient être nos alliés ?

La référence à Lucien Bonnafé, l’un des fondateurs de l’idée de la psychiatrie de secteur, est peut être là très utile. Sa phrase emblématique ouvre à une réflexion fondamentale pour mettre en liens psychiatrie et société. Le rôle du psychiatre selon lui (et il sous entendait tous les membres de l’équipe), c’est d’aller avec modestie mais assurance sur l’agora, la place publique, et de dire aux citoyens présents « Qu’y a-t-il à votre service ? ». C’était magistralement initier une démarche d’abord simplement humaine, citoyenne, pour ensuite selon les besoins exprimés, lui associer d’autres ingrédients : déployer la compétence et l’habileté de l’artisan, et les mettre au service des personnes qui montrent ou expriment leur souffrance. Il faut affirmer que tenir ainsi cette question est un geste à la fois politique et thérapeutique, permettant à la psychiatrie de sortir de ses espaces rétrécis, alors que la méconnaissance du trouble et la peur de la folie sont capables de troubler l’ordre de la cité et de provoquer l’exclusion de celui qui perturbe les citoyens par l’explosion de sa souffrance. Nous sommes bien dans le registre politique, et l’on voit avec le débat actuel sur la délinquance que certains politiques veulent profiter de l’amalgame possible entre délinquance et folie, d’un côté trouble volontaire envers la cité d’un côté, de l’autre trouble non conscient et donc sans adresse de l’autre, pour utiliser le réflexe de peur à l’égard de la folie ; un tel réflexe permet de mettre à l’écart d’emblée (dans un pseudo acte de prévention), délinquants et malades ensemble, tout en laissant entendre que l’acte d’un malade est un acte de délinquance possible, et donc passible des mêmes condamnations. Voilà brusquement l’élu transformé en acteur de psychiatrie, à la place du psychiatre… ! Confusion des rôles et des compétences.

 

Mais quel peut être le moteur de toute cette démarche en réalité ?

La disponibilité du psychiatre en ville sur la place publique permet d’installer la prévention des troubles psychiques comme un acte à la fois politique et thérapeutique, mais comme le psychiatre dépend de l’organisation de la santé, ses liens avec les hommes politiques ne paraissent pas être en première ligne, bien que la prévention les intéresse fortement, et ils restent trop souvent en retrait.

Par contre toute l’organisation de l’action sociale implique les élus, conseillers généraux et autres élus, d’abord au titre de l’autorité qu’ils représentent, et ensuite en raison de leurs responsabilités financières en matière d’action sociale ; de plus ces actions sociales font partie du fonctionnement de la Cité ; enfin le statut associatif des services et établissements sociaux les mettent au cœur de la Cité. Conseillers généraux et maires sont donc les interlocuteurs privilégiés.

Nous avons vu que l’Etat se montre très lointain et indifférent de la vie des structures de soin. Nous avons vu au contraire que la mise en place d’un service public de psychiatrie se centre sur la « proximité » avec l’usager. La santé mentale avec sa dimension partagée de prévention et avec l’implication des élus dans le financement et la vie associative de l’action sociale met en évidence le rôle de médiation fondamental des maires.

 

Au total l’évolution de la santé mentale sera en lien avec la capacité des acteurs des deux champs sanitaire et social à établir une démarche décloisonnée s’appuyant sur les alliances avec les associations de familles et d’usagers, et sur l’engagement politique des conseillers généraux et des maires.

La folie, sans être pour autant sacralisée, reprendrait son droit de Cité, elle viendrait, modestement (car elle ne doit pas oublier qu’elle est capable de faire peur), nourrir la vie quotidienne aux côtés de la raison.

 

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PS : L’actualité politique force le trait :

-quand un organisme de recherche national, en 2005, se laisse entraîner à lire la presse étrangère, et en déduire que la psychiatrie devrait s’occuper de tous les enfants ayant ‘un trouble des conduites’ dès l’âge de trois ans, sans tenir compte du travail de prévention prudent et considérable réalisé par la psychiatrie de secteur (qui n’existe pas dans les autres pays interrogés par la littérature étudiée par les experts),

-quand un ministre de l’intérieur, en 2006, en quête de notoriété nationale, veut prévenir toute délinquance et dans le même texte de loi (ce qui montre l’amalgame qu’il fait entre troubles psychiques et délinquance) veut ‘faciliter’ les hospitalisations sous contrainte et maintenir les patients concernés sous surveillance par la création d’une liste nationale, en demandant pour les deux cas l’implication des maires, invités à s’appuyer sur l’appel à la délation de leurs services et des institutions. Ainsi est créé un amalgame inacceptable entre délinquance et troubles psychiques, et le premier magistrat de la Cité est détourné de son rôle de médiateur pour être au centre de tout un train de délations. Et nous trouvons là, l’inverse de notre propos : dans le but de mettre une étiquette stigmatisante mise sur un groupe humain pour mieux l’écarter, elle associe registre sanitaire et registre social (cela invite à ne jamais oublier les excès que peut commettre tout Etat en mettant la psychiatrie ‘à sa botte’).


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