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TRAVAIL SOCIAL ET PSYCHIATRIE






26 octobre 2000
Interview de Jacques HOUVER
Cadre socio-éducatif au C. H. Le Vinatier à BRON (69)
Président du Groupe d’Etudes et de Recherches sur le Service social en Psychiatrie
Membre du Comité Consultatif de Santé Mentale
Membre de la Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale



1)    Quelle analyse faites-vous de l’articulation entre psychiatrie et travail social 

Il est difficile de répondre à cette question, tant les pratiques sont disparates sur le terrain. On peut tout de même affirmer sans se tromper que c’est un domaine dans lequel des efforts mériteraient d’être développés sur de nombreux secteurs de psychiatrie.

L’articulation entre psychiatrie et travail social est un problème qui doit être envisagé sous deux aspects 
·    articulation du dispositif public de psychiatrie avec les travailleurs sociaux des différents autres dispositifs intervenant auprès de la population, Conseil Général, Municipalités, Justice, Education Nationale, CHRS, Sécurité Sociale, etc…
·    articulation de l’action des personnels soignants avec celle des professionnels socio-éducatifs au sein de l’équipe de psychiatrie.

Depuis quarante ans, les directives des pouvoirs publics, confortés plus récemment par les recommandations du Conseil de l’Europe et les orientations de la politique en matière de santé mentale depuis 1985 plaident en faveur d’une approche des problèmes de santé mentale et d’un mode de prise en charge des malades mentaux dans lequel le dispositif public de psychiatrie doit s’articuler, se coordonner avec les différents acteurs du champ social et médico-social, dans le cadre d’un travail en réseau.

Au milieu des années 90, plusieurs rapports publiés par le Ministère, ont abordé la question sous différents angles 
·    «souffrance qu’on ne peut plus cacher » a montré l’ampleur des phénomènes de souffrance psychique générés par la précarité sociale et l’exclusion, les attentes fortes du secteur social en direction de la psychiatrie, accusée de ne pas intervenir à la hauteur des besoins, notamment en matière d’appui des professionnels de «ère ligne » du social.
·    «’évolution des soins en psychiatrie et l’insertion des malades mentaux » a mis l’accent sur l’intérêt et la nécessité d’une prise en charge des malades mentaux articulée quand cela est possible, avec les services sociaux «droit commun ».
·    «et grande exclusion » a insisté sur l’attention particulière à développer en direction des personnes sans domicile, souffrant de graves problèmes de santé mentale.

Or dans le contexte actuel, on peut constater des disparités considérables dans le mode d’intervention des équipes de psychiatrie.

Pour la majorité de la file active de la psychiatrie, la prise en charge ambulatoire est la règle. L’hospitalisation s’est recentrée progressivement sur l’accueil de personnes en situation de crise, un peu trop souvent dans le cadre de soins sous contrainte. Des alternatives à l’hospitalisation ont été développées, malheureusement de manière insuffisante an regard de l’ampleur des besoins

Dans différents départements, ou seulement sur certains secteurs, un travail de réseau intensif a été développé depuis de nombreuses années, associant les acteurs du social et ceux de la psychiatrie. La Psychiatrie Infanto-Juvénile est probablement en avance sur la Psychiatrie Générale dans ce domaine.

Mais si de nombreuses équipes conduisent leurs missions en étroite collaboration avec tous les acteurs concernés dans la communauté, c’est malheureusement loin d’être le cas partout.

Plusieurs facteurs entrent en ligne de compte pour expliquer cette situation 
·    Certains psychiatres manifestent peu d’intérêt pour cette forme de travail. Ils continuent d’exercer leur métier en restant centrés sur la personne, en se souciant peu de son environnement. On trouve parmi eux aussi bien des adeptes de la psychanalyse que des médecins plus favorables à une approche biologique et médicamenteuse.
·    Des équipes de psychiatrie continuent à tourner en circuit fermé au sein de leur dispositif sectoriel, en assurant la prise en charge des patients sans développer beaucoup de liens partenariaux au sein de la communauté.
·    Certains professionnels, semblent ne pas avoir conscience d’appartenir à un service public dont les missions dépassent de loin la dimension du diagnostic et du soin, mais s’étendent aussi à la prévention , la réadaptation et la réinsertion, impliquant obligatoirement une collaboration étroite avec de nombreux acteurs.
·    Enfin, depuis plusieurs années, les établissements hospitaliers subissent des contraintes budgétaires qui finissent par avoir une incidence sur le développement de l’activité. Une équipe de secteur de psychiatrie qui voit ses moyens tout juste reconduits d’une année sur l’autre, voire même en diminution, tout en étant confronté à une augmentation de sa file active de 10% à 20% par an , ne peut pas toujours assurer la pérennisation de certaines activités partenariales, faute de temps suffisant et malgré sa bonne volonté.
·    Il ne faut pas négliger non plus l’impact de l’image négative de la maladie mentale, et de la psychiatrie, toujours présente chez certains professionnels, facteur de stigmatisation et d’exclusion des malades.

Le deuxième aspect de la question est celui de la place qu’occupent les travailleurs sociaux, essentiellement assistants sociaux et éducateurs au sein des équipes de psychiatrie.

Le décret de 1993 a défini sommairement, mais clairement la nature de leurs missions et le cadre dans lequel elles devaient être conduites (mise en place d’un encadrement spécifique, participation à l’élaboration du projet d’établissement ainsi que des projets sociaux et éducatifs, participation à la définition des orientations relatives à la collaboration avec les familles et les institutions).

Force est de constater que beaucoup de directions hospitalières continuent de considérer ces orientations comme lettre morte ! De nombreux secteurs de psychiatrie sont dépourvus de service social. Des postes d’éducateurs disparaissent en pedo-psychiatrie, remplacés par des infirmiers. Rares sont les services adultes qui réfléchissent à l’apport que pourrait constituer l’intégration d’éducateurs ou d’autres professions sociales au sein des équipes de certaines unités de soins, notamment les CATTP.

Dans son rapport de juillet 1997, le Conseil Economique et Social soulignait que «le rôle du personnel socio-éducatif va croissant avec la précarisation toujours plus grande des malades, dans un environnement qui n’est pas favorable à leur insertion ni à leur réinsertion. En effet, la réinsertion sociale et professionnelle impose, dans le contexte économique et social actuel, leur association au suivi des patients. Ce personnel à la charnière entre le sanitaire et le social, joue et jouera plus encore à l’avenir un rôle essentiel. »

On peut déplorer que ces réflexions n’aient guère inspiré les projets d’établissements hospitaliers jusqu’à ce jour 


2)    Les points d’achoppement sont-ils néfastes pour les usagers 

Les associations d’usagers abordent souvent cette question, aussi bien celles qui regroupent des patients psychiatriques réunies au sein de la FNAP-PSY, que celles qui rassemblent les familles telles que les sections de l’UNAFAM.

Les usagers souhaitent, attendent une meilleure prise en compte de leurs besoins, notamment en matière d’accompagnement social et d’aide à l’insertion des personnes souffrant de problèmes de santé mentale.

La profonde transformation du mode de prise en charge des malades mentaux peut créer des difficultés considérables pour ces personnes et leur entourage sans le développement d’un travail social conséquent visant à répondre aux problématiques nouvelles générées par cette évolution.


3)    Dans le cadre de la lutte contre l’exclusion quelles sont les perspectives pour une éventuelle complémentarité 

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions a introduit dans le code de la santé publique un article selon lequel le service public hospitalier concourt « à la lutte contre l’exclusion sociale, en relation avec les autres professions et institutions compétentes en ce domaine, ainsi que les associations qui oeuvrent dans le domaine de l’insertion et de la lutte contre l’exclusion, dans une dynamique de réseaux ». (à ce propos la circulaire du 25 novembre 1999 relative aux réseaux de soins préventifs curatifs, palliatifs ou sociaux, introduit la notion de «social » sans véritablement en donner une définition…)

La vocation sociale de l’hôpital est donc nettement affirmée. Les établissements sont invités à mettre en place des PASS (Permanences d’Accès aux Soins de Santé), et à participer à l’élaboration des PRAPS ( Programmes Régionaux d’Accès à la Prévention et aux Soins) dont les volets départementaux sont censés faciliter la mobilisation et la coordination des différents intervenants et l’identification au niveau local des besoins spécifiques des personnes en situation de précarité.

Il faut bien entendu saluer cette évolution. Mais très franchement trois points me choquent profondément.

En premier lieu je n’ai pas le sentiment que les personnels socio-éducatifs hospitaliers aient été invités à participer aux réflexions qui ont précédé l’élaboration du projet de loi ou la rédaction des textes d’application, et à faire part de leur expérience.

Dans beaucoup d’établissements hospitaliers gérant des dispositifs de psychiatrie, on peut constater un écart important entre les orientations, les grands principes fixés par le législateur et la réalité du terrain. Je ne suis pas sûr que ce volet de la lutte contre les exclusions entraîne des débats passionnés au sein des Commissions Médicales d’Etablissement ou des Conseils de Direction, autour de projets innovants dans ce domaine.

Enfin, hormis l’incitation à la mise en place de PASS, la loi ne donne aucune indication sur l’affirmation ou l’accentuation du rôle que l’on pourrait envisager pour les personnels socio-éducatifs, notamment les assistants sociaux qui n’ont pas attendu le 29 juillet 1998 pour développer des actions pertinentes en direction des populations les plus en difficulté s’adressant à l’hôpital.


4)    Existe-t-il selon-vous des lobbies importants qui résistent à ces reconnaissances mutuelles 

Je ne sais pas si l’on peut parler de lobbies. Mais on peut observer une dérive qui s’est accentuée au cours des dernières années.

Progressivement, un grand nombre de personnels soignants semble avoir acquis miraculeusement des compétences dans tous les domaines et avoir vocation à répondre seul à tous les problèmes  Ce phénomène est particulièrement marqué chez beaucoup d’infirmiers, qui, fraîchement débarqués sur l’extra-hospitalier, développent des interventions multiformes dont certaines devraient requérir clairement des compétences en travail social, compétences qu’ils n’ont pas acquises, à ma connaissance, au cours de leur formation. Des dérives similaires sont parfois observées chez certains médecins. On peut souligner au passage l’inquiétude des assistants sociaux de psychiatrie consécutive à l’annonce récente de la nomination du Dr J. L. ROELANDT comme conseiller auprès de Mme GILLOT, chargé de conduire une réflexion prospective dans le domaine de la santé mentale. Le moins que l’on puisse dire est que ce médecin-chef de secteur n’est vraiment pas favorable au développement du service social en psychiatrie qu’il a totalement éliminé du dispositif qu’il dirige dans le Nord.

Or l’éventail des missions énoncées dans le décret de 1993 montre bien qu’il n’est pas question de cantonner par exemple le service social dans des tâches concernant les démarches administratives visant à l’accès aux droits et le recouvrement des frais de séjour, ou dans un rôle de « »chargé de rechercher ou de mettre en œuvre des solutions imaginées ou «éfabriquées » par les soignants.

Chaque métier est différent  psychiatre, infirmier, professionnels de rééducation, psychologues, assistant de service social, secrétaire, professionnels éducatifs. C’est l’articulation, la conjonction de l’action des uns et des autres qui donne toute sa valeur à une équipe de psychiatrie, dans le respect des compétences propres et de la déontologie de chacun.

Le défaut de reconnaissance réciproque des professionnels entre eux, le cloisonnement des fonctionnements professionnels observés trop souvent, et dénoncés par les usagers lors des récents Etats Généraux de la Santé sont préjudiciables à la qualité de leur prise en charge.

De même, il faut regretter le fait qu’au sein des établissements hospitaliers, le corps médical, le corps de direction et le corps infirmiers ne laissent que peu de place aux personnels socio-éducatifs dans les débats stratégiques orientant la politique du dispositif de psychiatrie.


5)    Quelles sont les perspectives d’avenir en la matière 

Plusieurs facteurs peuvent avoir une incidence sur l’avenir du travail social en psychiatrie.

Les personnels socio-éducatifs sont dans l’attente d’une évolution favorisant une meilleure prise en compte de leur rôle, une clarification de leurs missions au sein du dispositif de psychiatrie. Il semble également indispensable que soit mieux définie la fonction d’encadrement en vue d’une évolution des modes de relations entre cet encadrement socio-éducatif, le corps médical, les cadres soignants et l’administration hospitalière.

Cette évolution passe obligatoirement par un effort de cohésion et de coordination de trois des directions de l’administration centrale du Ministère réorganisées par le décret et les arrêtés du 21 juillet 2000, la Direction Générale de la Santé, la Direction Générale de l’Action Sociale et la Direction de l’Hospitalisation et de l’Organisation des Soins qui ne cessent de préconiser le développement du travail en réseau et devraient bien commencer par donner l’exemple dans ce domaine.

Depuis plusieurs années, les difficultés évoquées précédemment n’ont pas semblé suscité l’intérêt des acteurs concernés. La Sous-Direction de la Santé des Populations à la DGS a même trouvé le moyen, fin 1998, de décider, dans le cadre de sa nouvelle politique, qu’il ne lui appartenait plus de s’occuper de l’information des professionnels…La mise en œuvre de ce principe s’est concrétisée par une première décision  la suppression de l’appui de la DGS pour l’organisation des journées nationales du service social en psychiatrie…

Une réflexion sur la situation de l’encadrement des personnels socio-éducatifs de la fonction publique hospitalière a déjà été conduite par la DAS en 1998. Des propositions ont été formulées concernant notamment le nécessaire renforcement du rôle des cadres des personnels socio-éducatifs, l’utilité de préciser la nature et le positionnement institutionnel actuellement prévu par les textes. Il était également question de la mise en place d’une formation spécifique d’adaptation à l’emploi pour cet encadrement. Actuellement cette formation fait défaut et les formations supérieures existantes ne répondent pas pleinement aux besoins des cadres socio-éducatifs en milieu hospitalier. Ces propositions concrètes n’ont malheureusement pas été validées par la DH. Il faut souligner à ce propos , qu’il est devenu impossible depuis deux ans de trouver au sein de la Sous-Direction des Personnels de la Fonction Publique Hospitalière de la DH, un interlocuteur au courant des problèmes des professionnels socio-éducatifs.

Espérons qu’à l’avenir, la réorganisation de l’administration centrale débloquera enfin cette situation.

Par ailleurs, plusieurs points méritent d’être signalés.

Un projet de circulaire DH/DGS/DAS/DIRMI relative à l’évolution du dispositif de soins en santé mentale a été présenté au Comité Consultatif de Santé Mentale fin décembre 1999. Ce texte dont la publication était annoncée comme imminente, a pour objet de préciser les axes et les leviers d’évolution du dispositif de soins en psychiatrie. Dans cette perspective il s’attache à préciser comment la psychiatrie doit s’inscrire dans une politique de santé impliquant une coordination avec le tissu social et médico-social. Même si ce projet fait l’objet de nombreuses critiques il a le mérite de rappeler aux chefs d’établissements, aux médecins chefs, mais également aux acteurs du champ social et médico-social un certain nombre de missions de service public.

Lors du Comité Consultatif de Santé Mentale réuni le 25 septembre 2000 Mr COUTY directeur de la DHOS et Mr ABENHAIM directeur de la DGS ont annoncé le lancement de trois axes de réflexion en application d’un des volets du protocole signé en mars par Mme AUBRY  sur les thèmes suivants 
·    l’organisation, le fonctionnement, les missions des personnels des structures de soins en psychiatrie.
·    les métiers de la santé mentale.
·    les recommandations en matière architecturale pour les structures de soins en psychiatrie.

La question des missions des personnels des équipes pluridisciplinaires de psychiatrie devait déjà faire l’objet d’un chapitre de la circulaire d’orientation de la politique de santé mentale de 1990 mais cette partie fut finalement abandonnée.

Le service social en psychiatrie est concerné par les trois thèmes cités précédemment et je souhaite que notre point de vue pourra être pris en compte dans ces travaux
Enfin la DHOS vient de confier au cabinet SANESCO, la réalisation d’une enquête relative à l’encadrement hors équipe de direction au sein des établissements publics de santé.

Espérons qu’un décloisonnement et une mise en cohérence pourront s’opérer entre les conclusions de tous ces travaux et qu’il en découlera une amélioration de l’articulation de la psychiatrie et du travail social.

D’autres éléments auront une influence à moyen terme sur cette articulation. On peut citer notamment l’impact progressif que produiront les effets de la récente réforme de la formation de la profession infirmière, les problèmes cruciaux à venir générés par la baisse de la démographie médicale, les choix qui présideront à la réforme de la formation des assistants sociaux, l’émergence de nouveaux métiers inaugurés par les emplois-jeunes, notamment dans le domaine de la médiation et du travail de réseau, la mise en place dans les établissements de santé d’une démarche qualité et leur engagement dans la procédure d’accréditation, la montée en puissance des associations d’usagers de plus en plus déterminées à faire prendre en compte leur point de vue et leurs besoins.

Il ne faudra pas non plus négliger les effets des résultats de la recherche sur l’évolution de la thérapeutique ni les effets des évolutions sociétales à venir, telles que le retour vers le plein emploi, le vieillissement de la population, la mondialisation… mais tout cela nous entraînerait dans un trop long débat… 




Jacques HOUVER cadre socio-éducatif