Intervention faite au nom du C.T.E. (comité technique d’établissement) lors du débat avec le Dr Roelland sur le rapport «
la psychiatrie à la santé mentale » le 15 Octobre 2001 au Centre Hospitalier du Rouvray (Sotteville lès Rouen)
J.C. Laumonier
Je voudrais tout d’abord excuser Christine Poilasne, secrétaire du CTE, actuellement en congés. Le C.T.E. m’a chargé de la remplacer.
Cette intervention sera pour une part l’expression du point de vue de l’ensemble du C.T.E., pour une part, celle de sa majorité et du syndicat CGT que je représente. Chacune des autres composantes CFDT SUD et SNP préciseront leur point de vue dans le cours du débat.
Les organisations syndicales du personnel du Centre Hospitalier du Rouvray sont depuis maintenant de nombreuses années à l’initiative d’une réflexion, dans l’établissement, sur la psychiatrie et la santé mentale. L’activité syndicale en psychiatrie ne saurait en effet, pour nous, être séparée d’un projet de transformation de l’institution.
La tradition dont nous nous réclamons est celle de la psychiatrie «désaliéniste », celle de Lucien Bonnafé qui exerça ici pendant 11 ans, celle du «discoursde Sotteville », prononcé ici même en 1982 par le Ministre de la Santé de l’époque, annonçant le «rapport Demay ». Ce sont toujours pour nous des références.
Nous réclamer de cette tradition, c’est dire d’emblée, que les principes posés dans votre rapport, loin d’avoir provoqué chez nous une brusque poussée d’urticaire ou une montée d’adrénaline, sont dans l’ensemble des principes que nous partageons. Nous avons tenté de les défendre, ici depuis une vingtaine d’années.
· Nous réaffirmons, comme vous la pertinence de la politique de secteur ( soins de proximité, garantie de continuité, non stigmatisation et reconnaissance de la citoyenneté du patient)
· Nous désirons mettre, comme vous l’écrivez «la psychiatrie dans la ville, dans la communauté » et réciproquement «la ville et la communauté, dans la psychiatrie ;»
Rappelons par exemple que la majorité du CTE n’a pas voté les deux projets d’établissements, en 1993 et 1998.
Nous considérions en effet, ces projets, comme beaucoup trop hospitalo-centriques; trop exclusivement tournés vers le réaménagement des locaux intra hospitaliers (que nous jugeons par ailleurs nécessaire).
Nous affirmions que, le secteur psychiatrique était avant tout, travail avec les autres, sur le terrain, et ne se réduisait pas à l’extension de l’Hôpital, fut il hors les murs dans des structures dites «extérieures ».
Nous proposions d’autres priorités, comme l’obtention de moyens (principalement du personnel) permettant aux CMP d’être dans la réalité le pivot du dispositif sectoriel, de développer un véritable travail en réseau, (avec les familles, les travailleurs sociaux, les enseignants…) de rester ouverts plus tard le soir et les week-end. Nous tracions la perspective de lieux d’accueils, sur le secteur, ouverts 24h sur 24
Nous avons en particulier proposé, sans succès, pour le dernier projet d’établissement, l’ouverture d’un centre d’Accueil et de Crise, dans la ville de Rouen , au lieu du service dit «d'accueil et d'urgence ;» intra-hospitalier, retenu par le projet médical.
Tant que l’hôpital sera le seul lieu où l’on accueillera les usagers 24h/24, on ne sortira pas, quelques soient les discours, de l’hospitalo-centrisme.
Nous sommes également de ceux qui ont soutenu la création de l’association des patients, le «Nouveau Monde », adhérente à la FNAP Psy. pour nous, le droit des patients à être reconnus comme sujets et citoyens à part entière, passe par leur capacité à s’organiser, pour faire respecter ce droit, à être représentés et entendus, à tous les niveaux de l’institution.
Dire cela, c’est dire, que nous ne nous joignons pas à ceux qui critiquent votre rapport au nom de la défense de la psychiatrie telle qu’elle est et de l’hôpital psychiatrique tel qu’il est.
Mais c’est justement parce que nous nous voulons porteurs de projets ambitieux de transformation de l’institution que votre rapport nous a fortement déçus.
Vous parlez de vos propositions, comme d’une «utopie concrète ». Encore faudrait il, pour cela tracer la voie et les moyens qui permettront de passer de la situation actuelle dans laquelle se trouve la psychiatrie à l’utopie que vous voulez réaliser dans les 15 années à venir et bien situer les obstacles à surmonter.
C’est sur ce point que porte notre première critique.
Vous dites qu’il n’y a pas eu de véritable politique de santé mentale depuis des années, et nous partageons ce point de vue.
Mais il y a eu et il y a une politique qui s’impose à la psychiatrie, comme à tout le système de santé. Elle détermine l’ensemble des choix ministériels bien davantage que les effets de manche et de tribune de Mr Kouchner, ou les discours de Mme Guigou.
Elle a pour noms maîtrise comptable des dépenses de santé, restructurations, budgets insuffisants, manque de personnel ….
La pénurie organisée de médecins et de personnels a en effet pour conséquence la précarisation et la mise en danger de tout le travail de secteur.
· Elle contraint en à ramener vers l’hospitalisation temps plein des personnels théoriquement affectés au travail dans la cité et donc inévitablement à dégarnir le dispositif de secteur.
· Elle renforce toutes les résistances (réelles) à la poursuite de la sectorisation (risque de perdre des effectifs, dès qu’on s’engage dans un projet nouveau ; habillage, des projets de restructurations, sous l’apparence de propositions novatrices…) . Dans ces conditions, la défense de l’existant, tel qu’il est, peut apparaître, comme la meilleure manière de défendre les moyens dont on dispose.
· Pour développer, comme vous le souhaitez, et comme nous le souhaitons, les effectifs présents sur le territoire, et atteindre le chiffre que vous indiquez de 60% de l’effectif soignant pour les soins ambulatoires et d’insertion, un effort considérable devrait être fait. Il est en contradiction avec la politique de restrictions, préconisée par les ministres mêmes qui vous ont commandé le rapport.
· Dans les conditions actuelles, le mot «redéploiement » est totalement dépourvu de sens. Il n'aurait pas d'autre signfication que tri entre les patients, suppression de certains soins, ce que nous rejetons catégoriquement.
· Pour situer l’ampleur du problème, indiquons que le budget prévisionnel qui vient d’être adopté unanimement par le Conseil d’Administration du C.H. du Rouvray, pour la remise à niveau des effectifs, la mise en place des 35 heures, et la réalisation des nouveaux projets est en augmentation de +32%, tant le retard accumulé est dramatique….Comparons ce chiffre, au chiffre global d’augmentation de l’enveloppe hospitalière retenue pour la loi de financement de la sécurité sociale 4,8%.
Si vous aviez voulu donner crédibilité à vos propositions, vous auriez dû prendre position explicitement sur cette question dans votre rapport, ce que vous ne faites pas.
Vous vous limitez au contraire à évoquer une mauvaise «planification » et une mauvaise répartition des moyens, ce qui sans être faux, n’aborde pas l’essentiel.
En prenant l’exemple concret de la ville de Fécamp à 80 Km d’ici, encore rattachée au secteur 10 de cet établissement, je voudrais montrer, comment la logique de rationalisation comptable, l’emporte sur toute décision dictée par une véritable politique de santé.
Les organisations syndicales du C.H.du Rouvray, ( et les unions santé départementales) ont proposé, lors de l’élaboration du dernier SROSS la création d’un nouveau secteur de psychiatrie, situé autour de la ville de Fécamp.
Nous proposions que les hospitalisations se fassent au plus près, au CHG de Fécamp.
Cette proposition de créer un nouveau secteur, correspond à l’évolution démographique du département.
Elle se situe à notre avis pleinement dans la perspective de ce que vous appelez «service Territorial de Santé Mentale »
Nous avons toutefois posé comme condition aux tutelles, si ce projet était retenu, de créer et de pourvoir l’ensemble des postes médicaux et non médicaux indispensables à l’existence d’un véritable secteur de psychiatrie.
Cette perspective a été totalement rejetée, non seulement par les tutelles, mais aussi par la Mission Nationale d’Appui en Santé Mentale, dirigée par le Dr Kanas, cité à de nombreuses reprises dans votre rapport.
Cette mission n’a envisagé pour seule perspective (compte tenu de la pénurie existante) que le rattachement du «bassin de santé » de Fécamp à l’un des deux grands pôles hospitaliers du département (Le Havre ou Rouen) !
Comme vous le voyez, les tenants des grands pôles hospitaliers, éloignés de la population, ne se trouvent pas toujours où vous les situez, et la logique comptable l’emporte sur la logique de soins.
On ne peut non davantage taire, la responsabilité des gouvernements successifs, dans l’insuffisance du nombre de professionnels médicaux et paramédicaux formés, ( en particulier, la réduction délibérée pendant des années des promotions infirmières). Il faut également rappeler la responsabilité toute particulière du Dr Kouchner, dans la disparition d’une véritable formation infirmière en psychiatrie, et dans la relégation des actuels infirmiers de secteur psychiatrique dans un cadre d’extinction.
La prédominance de l’économique et de la gestion, a également pour conséquence de vider de leur sens et de dévoyer, des concepts essentiels à notre travail
Il en va ainsi du «travail en réseau », qui pour nous signifie, mobilisation de toutes les énergies, de toutes les compétences autour de la personne, (famille, travailleurs sociaux, équipe de psychiatrie…). Le réseau devient dans le discours gestionnaire une simple méthode de rationalisation coûts.
Nous craignons fort, dans ces conditions, que si votre projet de service territorial devait voir le jour dans le contexte de pénurie actuelle, il n’aboutisse à la mise en place de montages «a minima », avec des moyens dérisoires. C’est ce que laisse entrevoir l’installation de lits dits de «santé mentale », au Havre et à Fécamp , installés dans des lits de médecine, sans présence d’une réelle équipe psychiatrique.
La véritable question posée n’est pas à notre avis de savoir s’il faut choisir, entre une psychiatrie «dans les murs », éloignée du milieu de vie de l’usager, ou une psychiatrie «dans la cité ». Ce débat là est, au moins pour nous, réglé depuis longtemps.
Le véritable débat consiste, à savoir si une psychiatrie «la ville » nécessite ou non une équipe pluridisciplinaire complète, composée de professionnels formés à la psychiatrie, à laquelle on ne saurait substituer, sous couvert de «santé mentale », des bricolages locaux. Par défaut, des médecins généralistes remplaceraient les psychiatres, et l’équipe pluridisciplinaire de psychiatrie, serait réduite à sa plus simple expression.
Le travail en réseau qui est pour nous au cœur du travail de secteur, a pour condition indispensable l’existence d’une équipe de psychiatrie publique de secteur à part entière.
Le «réseau » ne peut se substituer à l’insuffisance d’une telle équipe.
Ceci nous amène à aborder plus précisément vos propositions de STSM ( service territorial de santé mentale) et de RTSM (réseau territorial de santé mentale)
Votre rapport se concentre, sur les différentes possibilités d’alternatives à l’hospitalisation temps plein, sous forme d’hospitalisation à domicile, de familles d’accueil, d’appartements associatifs et thérapeutiques.
Ces solutions, déjà largement appliquées, peuvent effectivement permettre d’éviter certaines hospitalisations, et surtout de prolonger des hospitalisations au long cours en psychiatrie.
Elles évitent également la relégation de patients dans le médico-social, pour des raisons d’économie, que vous dénoncez à juste titre.
Mais ces «alternatives » nécessitent l’existence d’une forte équipe de psychiatrie, capable d’assurer le suivi régulier, à domicile, de l’ensemble des patients ce qui nous soulève une nouvelle fois à la question des moyens
Il nous semble par contre que vous restez extrêmement discrets sur tout le travail qui s’effectue «en amont » de l’entrée éventuelles dans les soins.
Vous évoquez seulement des «consultations » de psychiatres et de psychologues, dans différents lieux, sans aborder, le travail d’accueil, de «dédramatisation de l’urgence », telle que le pratiquent déjà de nombreuses équipes de CMP ou de Centres d’Accueil, ouverts en permanence sur le secteur.
C’est pourtant, pour nous l’un des aspects essentiels du travail de l’équipe de secteur sur le terrain, notamment de l’équipe infirmière.
Votre proposition de Centre d’Accueil et de Crise, près des urgence de l’Hôpital Général nous semble ambiguë, a mi chemin , entre un lieu de «traitement de l’urgence » sur un mode traditionnel, et un lieu de «dédramatisation de l’urgence », de prise de connaissance de la personne, et d’élaboration, en prenant le temps nécessaire, d’un éventuel projet de soin, avec l’usager.
Quant au statut du service «territorial », il nécessite d’être bien précisé.
Vous parlez d’un « établissement public de santé, communal ou intercommunal ».
Il est indispensable d’ajouter qu’il s’agit d’un établissement public de santé, (au même titre qu’un centre hospitalier), financé par l’assurance maladie, et dont les personnels ont le statut de personnels hospitaliers publics. C’est pourquoi nous préférons le terme employé par le rapport Demay, «d’établissement Public de Psychiatrie de Secteur ».
Ces précisions sont d’autant plus nécessaires, que vous proposez, parallèlement, la mise en place d’un RTSM (Réseau Territorial de Santé Mentale) sous forme de GIP (groupement d’intérêt public) dont le financement serait assuré par l’ARH, le Conseil Général, les CPAM, les municipalités, et toutes les structures et associations adhérentes.
Les missions de ce réseau sont, entre autres «l’accès aux soins de santé mentale », « la recherche en santé mentale », « la prévention ».
Ceci voudrait il dire par exemple que le financement de l’équipe de secteur (prévention, accès aux soins) , ne dépendraient plus (totalement ) de l’établissement public de santé mentale mais des financements multiples et aléatoires du «réseau » Quel serait dès lors le statut des personnels travaillant à ces missions sur le secteur serait il toujours des personnels hospitaliers
Vous comprendrez que nous soyons extrêmement vigilants sur ces points.
Nous nous interrogeons, également sur le statut que vous donnez au «réseau », qui devient dans votre projet une institution administrative (GIP) quelque peu bureaucratique.
Nous l’avons déjà dit, ce n’est pas là l’idée que nous nous faisons du réseau, qui est selon nous, quelque chose de beaucoup plus informel, tissé au fil du temps par un travail commun autour de l’usager , par l’établissement de liens de confiance, entre équipes sanitaires et sociales, familles, professionnels de terrain de différents champs-généralistes… élus.
Venons en pour terminer à celle de vos propositions qui ont fait couler le plus d’encre et soulevé le plus de polémiques l’arrêt programmé des admissions sur le site des anciens CHS, et le «moratoire » sur les projets d’investissements lourds dans ces établissements.
Répétons le, ce n’est pas le projet de rapprochement de hospitalisation de la population, dans des unités plus petites et plus proches qui nous pose probléme.
Mais nous trouvions beaucoup plus pertinente la formulation du rapport Demay qui parlait de «dépérissement » de l’Hôpital Psychiatrique.
Cette notion de dépérissement, signifiait que la fermeture des grandes concentrations psychiatriques était la conséquence et l’aboutissement de la mise en place d’un véritable travail dans la communauté.
Aborder la question telle que vous les faites, présente un grand inconvénient, dans le contexte actuel.
C’est que la proposition de fermeture des CHS, ne soit reprise, comme une réponse «soi », devant s’appliquer de manière autoritaire, sans que les conditions effectives de cette fermeture ne soient réunies.( que ce soit du point de vue des réponses apportées aux patients, ou du maintien de l’emploi sur place des personnels)
De même exiger un moratoire sur les travaux dans ces établissements, avant même que n’existe une alternative satisfaisante pour les hospitalisations temps plein risque d’avoir pour conséquence, la poursuite de l’accueil des patients dans des conditions non dignes.
La reconnaissance du patient hospitalisé en psychiatrie, comme citoyen à part entière, passe par le droit, quand cela est nécessaire, d’être hospitalisé dans des conditions humaines et décentes, au même titre que n’importe quel patient admis à l’hôpital, pour une autre pathologie.
La manière extrêmement bruyante dont le Ministre s’est emparé et en rendu public ces deux propositions, avant même que vous n’ayez fini de rédiger votre rapport, doit à notre avis nous alerter.
Nous connaissons votre engagement personnel dans des pratiques novatrices de psychiatrie de secteur, il serait dommage que l’utopie d’une autre politique de santé mentale, serve en fin de compte de faire valoir et d’habillage présentable à des objectifs politiques beaucoup moins avouables de réduction des coûts de santé. La psychiatrie dans la cité mérite mieux que d’être le paravent de la restructuration des CHS, toujours considérés au Ministère, peu ou prou, comme de simples «gisements de personnels ».
J.C. laumonier
Nota bene Cette version écrite correspond aux notes rédigées en vue du débat. La présentation orale fut beaucoup plus courte, mais plusieurs points purent être développés lors de la discussion
Sous cette forme rédigée, l’intervention constitue une synthèse du point de vue développé lors de la réunion. Elle a délibérément éludé d’autres aspects du rapport ( place de l’usager et des associations, traitements sous contrainte, soins psychiatriques aux détenus…) qui auraient nécessité d’autres développements.