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DE LA PSYCHIATRIE A LA SANTE MENTALE 
Le rapport PIEL et ROELANDT, et après 

Michel EYNAUD


Psychiatre, médecin DIM et président de la CME du Centre Hospitalier Montéran à St Claude (Guadeloupe)

La publication du rapport Piel et Roelandt, attendue et redoutée, ne semble pas déclencher les débats qu’il mérite. Les certitudes (les préjugés ) semblent déjà «armées » à l’avance pour le rejeter ou le dénoncer globalement (et facilement), ancrées dans des craintes irrépressibles.
Ce rapport mérite mieux  Et la profession est capable de mieux… J’ai pour ma part envie d’en parler librement, de l’utiliser, voire le détourner s’il le faut, et même si c’est au grand dam de ses auteurs, ou de mes amis du syndicat ou de la conférence des présidents de CME…

D’où vient donc cette peur de dissolution de la psychiatrie dans la santé mentale, de l’hôpital dans le social
semble saisir nombre d’entre nous? L’identité du secteur serait-elle donc si fragile que la construction de réseaux territoriaux la menacerait irrémédiablement  La santé mentale n’est-elle pourtant pas déjà inscrite comme un objectif du secteur depuis son origine (le triptyque prévention, soins et insertion porté par une équipe pluri-professionnelle, y compris sociale, en relation avec des partenaires de la cité, et intégré dans une dynamique de population) 

Le secteur a toujours essayé d’être modèle de réseau. Et que son organe de gestion soit localisé dans un CHS, un CHG ou un réseau territorial délocalisé ne change pas grand chose à sa finalité sur le terrain. En réalité, ce qui menacerait le plus le secteur serait son utilisation comme étouffeur de «souffrance
psychique » dans un champ sans autre limite que l’épuisement des ressources et des acteurs. Encore qu’une plus grande menace, car plus sournoise, serait peut-être la capacité de projection de la profession. Une profession qui redouterait tellement sa «mise à à mort » par de fantasmatiques économistes castrateurs qu’elle en oublierait d’inventer les perpétuels renouvellements nécessaires à la vie du secteur pour le figer dans la «sistance », je veux dire la répétition mortifère sous-tendue par la nostalgie de mythiques paradis perdus…

Alors relisons sans a priori ce rapport. Et approprions-nous les questionnements et les pistes qu’il ouvre. Car
non seulement Piel et Roelandt ne remettent pas en cause le secteur, mais ils viennent au contraire le confirmer, le pérenniser. Loin d’en être le fossoyeur ce rapport procède à son triomphe  Appelant à une loi-cadre dont les contenus sont à préciser, à négocier il représente une grande ouverture pour un secteur qui ne serait plus cantonné dans le ghetto des spécialistes ou des militants, pour que son objet ultime qui est bien la santé mentale- devienne l’affaire de tous, c’est-à-dire une dynamique citoyenne qui l’intègre sans le remplacer.

Il est vrai que ce rapport est critiquable.
Sur sa forme, il porte les traces de sa
méthode. Ceux qui ont suivi son élaboration savent qu’il s’est construit à travers de nombreuses rencontres, et plusieurs versions successives. Il est donc fait de nombreux matériaux, hétérogènes diront certains, d’abord sédimentés avant de s’élaborer et de se structurer dans la version publiée. Mais qu’aurait dit la profession d’une théorie monolithique issue du rêve d’un idéologue solitaire (ou d’un exécutant des basses-œuvres ministérielles)  Il présente donc des points forts de cohérence, ainsi que des zones d’hétérogénéité, des parties abouties et d’autres ébauchées. Mais ne pouvons-nous défendre les premières et exploiter les secondes 

Sur le contenu, il traverse tellement de sujets, ouvre tellement de pistes, reprend tellement de sujets, voire de revendication de l’histoire du secteur qu’il est difficile de ne pas y déceler une multitude de thèmes POUR lesquels combattre. N’y retrouve-t-on pas la nécessité fondamentale de renforcer l’extrahospitalier, dans la concertation de réseaux solides car formalisés, tout en donnant des pouvoirs de décision médicale de proximité où les uns pourront redécouvrir «l'établissement public de secteur », et les autres «l'hôpital dans l’espace »  Et puis il positionne fortement la fin de la ségrégation de tous les malades. Il revient sur le grand enfermement des fous non seulement en proposant la fin des «asiles d’aliénés », mais aussi sans les remplacer par des «asiles de vieux », de «handicapés » ou «d'exclus ». Ne pouvons-nous penser tous avec Piel et Roelandt que la société a d’autres moyens pour soigner, protéger, soutenir ou contenir que d’enfermer 

Ces principes sont suffisamment forts pour qu’ils nous permettent de négocier les «tails » qui, s’ils étaient isolés du contexte, pourraient être dangereux dans des mains inamicales.

Ainsi en serait-il de la fermeture des hôpitaux psychiatriques, si elle n’était pas articulée avec un vrai développement préalable de l’extrahospitalier et du médico-social, qui la conditionne. A nous de lutter pour la définition des moyens nécessaires au fonctionnement de qualité du service public, dans ses structures de proximité, dans ses secteurs, ses réseaux ou ses établissements 

Ainsi en serait-il d’unités d’hospitalisation qui seraient condamnées à l’isolement dans leur bassin de population, ne pouvant assurer ni une logistique hôtelière de qualité, ni une permanence médicale spécialisée (donc leur sécurité). A nous de définir les seuils critiques de viabilité de ces structures d’hospitalisation, la taille et le nombre de ces unités et de défendre la nécessaire liberté d’organisation régionale en fonction des réalités locales, géographiques et socio-démographiques 

Ainsi en serait-il de
réseaux qui seraient soumis à un partenaire hégémonique ou prédominant, ou privés de système d’information (ou de confidentialité pas garantie). Là encore, à nous de négocier les principes de chartes constitutives, les organisations de l’information, les garanties de sécurité et de qualité, ou de démocratie 

Même si cette liste non exhaustive de points «forts » ou «faibles » peut sans dommage s’allonger, les CHOIX qui nous incombent peuvent facilement se résumer 
-    allons-nous laisser les «planificateurs » et les «cideurs » utiliser des fragments de ce rapport à leur guise, probablement ceux qui auraient pour conséquence des fermetures et des restrictionsle champ psychiatrique?
-    ou bien les équipes de terrain vont-elles utiliser la globalité de ce rapport (ou ses éléments les plus forts à notre sens) à leur façon, c’est-à-dire pour le développement des organisations et des moyens d’une santé mentale incluant la psychiatrie 

Fondamentalement, le rapport Piel et Roelandt s’appuie sur le secteur et lui proclame un avenir. Cela devrait nous rassurer, même si cet avenir est celui de l’intégration du secteur dans la santé mentale qui est aussi la préoccupation originelle du secteur… En fait le seul véritable problème de ce rapport c’est celui de son après. DE SON UTILISATION ET PAR QUI. C’est-à-dire un problème de TACTIQUE pour les différents acteurs concernés. En effet, ce rapport est là, et il faut EN FAIRE QUELQUE CHOSE.

Les plus frileux espèrent déjà qu’il finira dans un tiroir, dans le grand cimetière des rapports de circonstance. La facilité et la démagogie en poussent d’autres à résister globalement, sans proposition alternative autre que s’arque bouter sur la nostalgie, donc à laisser les planificateurs trancher à leur façon. Je soutiens quant à moi que nous devons choisir la difficulté constructive en nous l’appropriant pour l’utiliser nous-mêmes à nos fins, même s’il nous faut encore parfois l’amender, le négocier, voire le détourner.

Une autre façon de formuler ce choix tactique serait l’alternative 
-    BOUGONNER contre une réalité A SUBIR… en se voilant la face
-    COMBATTRE pour un avenir A CONSTRUIRE…en se lançant dans une négociation offensive

LE SEUL DANGER DE CE RAPPORT EST DE NE RIEN EN FAIRE. Nous devrions nous concentrer sur les modalités de réussite des mutations que nous souhaitons, en nous appuyant sur ses points forts. En proposant nous-mêmes les mécanismes de sécurité, les indicateurs, voire les normes qui permettraient de garantir la qualité que nous entendons soutenir. Quels que soient les détails à négocier sur la base de ce rapport, on peut essayer d’un résumer les enjeux.

Il me semble en effet que l’essentiel est de trouver l’équilibre entre d’un côté souplesse et organisation de proximité, et de l’autre formalisation suffisante. D’une certaine façon de réussir une nouvelle forme de régionalisation à travers les Réseaux Territoriaux de Santé Mentale. Une part de la réussite dépend en effet de la liberté d’auto-organisation des individus, des équipes, des institutions, tandis que rien ne peut perdurer au delà des convergences conjoncturelles ou individuelles sans un minimum de formalisation administratives. Trop d’individuel et l’arbitraire ou l’aléatoire guettesemer l’incertain et la rupture; trop de formalisation et la rigidité technocratique s’éveille pour contrôler et stériliser. Peu importe les prétextes, idéologiques, économiques ou psychopathologique, d’un côté c’est l’instabilité, de l’autre la stagnation. Dans tous les cas on aboutit à une forme d’échec.

Car qu’est-ce que l’essentiel du secteur  Est-ce seulement «trier » (les malades des sains, les pathologies, les filières institutionnelles, etc)  Ets-ce seulement «soigner » des «symptômes » ou des «structures »  Ou bien serait-ce appliquer des «protocoles », qu’il soient thérapeutiques ou sociaux  Est-ce assurer «l’hygiène » (mentale la plupart du temps…) d’un territoire géographique aux frontières à défendre contre de toujours nouvelles hordes de «hors secteurs » ou «d’administratifs » 

Je soutiendrais volontiers pour ma part que L’ESSENTIEL DU SECTEUR EST DANS LE MOUVEMENT. Il est dans le mouvement des organisations qui s’acharnent à créer la relation quels que soient les territoires des uns et des autres. Il est dans le mouvement des équipes créant, tissant, entretenant un réseau entre d’innombrables ailleurs. Il est dans le mouvement des usagers, tissant aussi leurs trajectoires personnelles, tour à tour trajectoire de soins, quête mystique, rencontre sociale, recherche sans fin d’un équilibre impossible, quelle que soit la pathologie (et même en son absence !). Il est dans le mouvement des théories, qui contribuent à construire des histoires, des repères (ou des chapelles en guerre…).

L’essentiel du secteur est surtout ce tour de force du mouvement de l’accompagnement d’un sujet dans un chemin dont aucun des partenaires ne possède vraiment la carte. Ce mouvement permanent est fait d’élaboration toujours partielle, toujours renouvelée. Elaboration psychopathologique, élaboration du contrat de soins, élaboration du projet de vie… Il s’agit toujours d’y construire de la continuité relationnelle en dépit des ruptures incessantes induites autant par «la maladie » que par les nécessaires facettes multiples de l’institution ou des équipes. Il s’agit du MOUVEMENT DE LA CONSTRUCTION INCERTAINE DE LA RELATION, DE LA CONTINUITE, DU SENS…

Il n’y a donc pas d’autre enjeu pour tous les partenaires que de réussir un pari  NEGOCIER DES ORGANISATIONS SUFFISAMMENT STRUCTUREES, mais aussi SUFFISAMMENT LIBRES. Elles seront donc alors forcément suffisamment bonnes…