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     Lucien Bonnafé 2001


A propos du rapport Piel Roelandt : Des " USAGERS "

Suite de réflexions d’avant 68 (fragments) 

De janvier 67 - «USAGERS »
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    «Pour qui est-il nécessaire que la société ait mis au service du public un "service public" aisément accessible, apte à donner une réponse à toute question, apte à organiser la solution du problème ?... Qui est responsable des qualités, dont l'accessibilité, de ce service, fait pour celui qui est si malade et pour si longtemps qu'il en fait un usage habituel, et pour son entourage, et pour ceux qui peuvent contribuer à lui rendre un service meilleur... pour celui qui sera peut-être un jour plus ou moins malade, ou plus ou moins engagé par un problème concernant l'un de ses proches, y compris, s'il est, par exemple, docteur ou maître d'école, quelqu'un qui ne tourne pas rond et vis-à-vis duquel il éprouve quelque sentiment de responsabilité...
    Qui donc est "l'usager" ? Qui peut parler en son nom, à qui et en quels termes, pour fonder un
service cohérent ? »

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De novembre 1966 - Discours de Genève - MEDIATIONS
Pour l’organisation de solidarité juive «Joint Distribution … », et l’O.S.E., l’organisation non gouvernementale avec laquelle on travaillait les rapports avec les usagers, en psychiatres du ghetto de Paris 
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    «Le patient dit... son père, sa mère, son fils disent... ses voisins disent... Le délégué du syndicat dit... Le maire dit... L'administrateur de la sécurité sociale dit... Le maître d'école dit... Le docteur dit, le journal dit... le préfet dit... la police dit... etc...
    Toutes ces paroles n'entrent dans le champ de la psychiatrie que parce qu'il s'agit d'une demande de santé, d'une demande de santé qui n'est pas comme une autre, qui est profondément originale, parce qu'elle a son originalité dans le passage par un discours massivement médiatisé, où les autres parlent, ou les uns et les autres parlent implicitement d'appropriation et de rejet, de dépendance et d'autonomie.
    Ainsi le psychiatre ne peut-il plus ajuster sa réponse, sans contrevenir gravement à ses devoirs, que s'il a liquidé ses tendances technocratiques, ses tendances à l'abus de pouvoir, que s'il devient, comme sa conception de la relation thérapeutique le lui a appris, un homme qui écoute, qui connaît et pratique l'économie des interventions, et dit d'autant plus à l'autre "aide-toi toi-même", "mûris toi-même ton problème", que l'autre est moins malade ou plus responsable.
    Ainsi donc, il sera, devant la parole du médiateur, aussi réservé que possible, aussi résolument que possible basé sur une attitude d'écoute telle qu'elle conduit l'autre à assumer le problème dont il voudrait bien se déposséder pour le remettre à la toute puissance magique du technicien tutélaire déresponsabilisant.
    Voici donc le moment de faire resurgir le thème de la psychiatrie de secteur comme constituant du nouveau personnage du psychiatre, traçant sa place avec plus de rigueur dans le champ médico-social.
    L'aliéniste en effet était donné à la société comme le porte-parole d'un pouvoir. Le désaliéniste arrive disant : "Qu'y a-t-il pour votre service !". Le médiateur porte-parole des besoins apparents ou latents dit alors un discours passé par la médiation d'une culture, il attend du psychiatre le pouvoir souverain et la science souveraine qui régleront les problèmes.
    Effectivement l'aliéniste s'était mis et laissé mettre dans la position la plus défavorable pour dialoguer avec le porte-parole de la demande, le représentant des usagers. Le désaliéniste nourrit d'autres ambitions, il se veut membre d'un collectif qui assume la pleine responsabilité des problèmes de santé mentale d'une base démographique donnée, par définition perméable à la communication car d'une dimension donnée à l'échelle humaine.
    Ce collectif assume par définition la relation avec tout porte-parole de toute demande, ne peut rien rejeter, il s'organise pour devenir proximal dans un double sens, travaillant près de l'usager dans un champ volontairement restreint pour que "ça communique", tournant le dos à son personnage féodal, traditionnel, barricadé dans la forteresse des institutions et derrière les écrans qu'interpose sa science, il cherche au contraire par principe le dialogue avec les représentants les plus directs et les plus responsables des usagers, alors il peut multiplier son efficacité.    En effet, dans cette situation, son interlocuteur, porte-parole, intermédiaire ou médiateur, se trouve en situation la meilleure pour assumer, en homme majeur et responsable, la maturation des problèmes dans lesquels il est impliqué ».
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De Septembre 1966 Psychiatrie dans la communauté
Et il est significatif que précédait, au Congrès Mondial de Madrid 
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« Cette technique là est bien dérisoire, vue du niveau de notre culture contemporaine, pour laquelle on se demande ce que serait une technique qui ne serait d’écoute et de dialogue.
    Je suis de plus en plus convaincu qu’on ne sortira pas de cet archaïsme, qu’on ne formulera pas les règles pratiques du service de santé mentale situé au mieux par rapport aux besoins, implanté de la façon la plus efficace dans la communauté, sans aller au plus profond des questions les plus fondamentales.
    Et d’abord celle qui centre toutes les autres et qui surgit dès que la parole du psychiatre évoque l’objet de la psychiatrie 
    Il demande ce qui est ou n’est pas objet de psychiatrie, parlant à l’intérieur du monde aliéné que son histoire lui a légué.
    Il accède mal à une réflexion sur la demande de santé, sur ce qui ne cesse pourtant pas de le préoccuper, en quoi la demande de santé mentale est commune avec la demande de santé en général, en quoi elle est originale.
    Il sait théoriquement que la demande de santé mentale est par sa nature même aberrante ou exorbitante, donc que s’il y a un besoin de santé mentale il ne se livre comme objet de psychiatrie que dans l’ordre d’une relation de l’expression de ce besoin à un savoir. Il sait que le besoin de santé mentale est à la fois comme le «
faut faire quelque chose » de l’accident de la route ou de l’état fébrile et à la fois différent. Mais il ne sait pas s’engager dans un discours et une pratique qui répondent à la demande de santé mentale comme à une demande de soins et il s’aliène dans cette attitude différente. Il ne sait pas concevoir que si différence il y a et s’il est bien vrai que cette différence fonde l’objet de la psychiatrie, l’instauration de la psychiatrie comme acte lui impose de se situer devant le besoin et la demande comme homme de service à rendre bien plus encore que son confrère à qui cette demande de service à rendre est donnée de façon non détournée.
    La manipulation de la notion d’objet de la psychiatrie est là pour lui servir d’écran et pour entrer en parfaite concordance avec son désir de puissance. Il dit d’autorité  celui-ci est à moi, celui-là n’est pas à moi ; ce domaine m’appartient, ce domaine ne m’appartient pas… Son appareil conceptuel mythique lui sert donc à ne pas voir que le besoin auquel il doit répondre n’a aucune réalité universelle dans le temps et dans l’espace.
    Dans le jeu complexe de la demande directe et de la demande médiatisée, si la position de psychiatre a une originalité, c’est bien du fait de l’énorme médiation de la demande. Directe ou médiatisée elle est constamment dans l’ordre du couple appropriation-rejet, sa médiation massive exalte la demande de mise en dépendance ou en tutelle que l’aliéniste n’est que trop prédisposé à assumer.
    Ainsi le désaliéniste a pour fonction d’aider le malade à assumer le maximum d’autonomie, d’empêcher l’institution hospitalière d’organiser l’existence dépendante des exclus, d’aider la société à tolérer dans ses rouages normaux les mauvais objets qu’elle contient (l’exemple le plus typique étant celui de l’école).
    Il faut donc qu’il échappe à la position aliénée qu’il appuyait sur la recherche d’un objet mythique de la psychiatrie (en vérité de domaines où il puisse être le maître) et qu’il cherche sa voie dans l’accomplissement d’une
fonction. Celle-ci s’exerçant à partir d’une position d’écoute ouverte. Il peut être ainsi prêt à entendre l’exorbitance, l’aberrance, la distorsion, le camouflage, les formes paradoxales, etc… de la demande et surtout à répondre au fait de l’énorme médiation.
    Il ne sait pas encore dialoguer avec le médiateur. Toute son histoire le fait sourd à la parole de celui-ci. Il en demeure inapte à saisir le sens de la demande, donc à formuler une réponse qui soit déjà corrective du trouble qu’elle implique.
    Pour animer le passage à la pratique de cette psychiatrie désaliéniste qui se cherche, seule une réflexion allant au fond du problème tel qu’il se pose effectivement dans la communauté peut déchirer les écrans qu’interposent les désirs d’un objet de la psychiatrie bien clos, bien fermé sur lui-même, bien aliéné hors de la réalité qu’est le drame de l’expression du besoin auquel notre fonction est de répondre.
    C’est seulement à la lumière de cette réflexion basale que peut être compris le grand thème du type correct
d’implantation du service de santé mentale 
    Non plus l’appareil imposant, en conséquence, d’un dialogue avec le pouvoir, la science venue d’en haut, qui dit ce qu’il faut faire, à la lumière d’un savoir établi dans les arcanes.
    Mais l’appareil mis à la disposition la plus proximale des représentants les plus directs et les plus responsables des usagers, pour entendre l’expression des besoins, grâce à une technique d’écoute affinée, et dialoguer comme l’imposent la nature même du problème de santé mentale, et le savoir de ceux qui le connaissent assez pour considérer les aberrations de la demande comme l’objet même de leur compétence et de leur fonction ».
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En 2001, il me plaît de compléter avec 
    

La fin de la note de 67 sur «les usagers » était     «j'ai eu besoin, une fois dans ma vie, du service du cadastre, j'ai cherché l'arpenteur, ou ses aides, cela se passait dans un château aux couloirs indicibles, aux portes indéchiffrables, dans lequel un homme nommé K., qui semblait bien avoir été nommé arpenteur, cherchait désespérément, paraît-il, qui lui dirait où était sa place...
    Je n'ai pas encore eu besoin du service de santé mentale, en tant "qu'usager", sinon en me servant de lui pour apprendre mon métier ; en tant "qu'utilisateur", j'ai beaucoup erré dans les couloirs du château, j'ai consacré beaucoup de temps à m'interroger et à interroger les autres sur les moyens de faire en sorte qu'usagers et utilisateurs soient satisfaits au mieux en résistant à un massacre du service public qui frappe les uns et les autres, avec l'arme la plus efficace, la moins secrète et pourtant la moins vue ("diviser pour régner"), l'art de dresser les uns contre les autres... Je continue ».
Et je continue encore avec les leçons du K du «château » qui nous dit 
    «Du côté du Château, là-haut, nous devons nous estimer heureux d'obtenir ce qu'on veut bien nous donner, mais ici, au village, en bas, nous pourrions peut être aussi faire quelque chose nous-mêmes ».


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