Du rapport Piel-Roelandt à la réalité
DESTINATAIRE :
EXPÉDITEUR : Guy Baillon
OBJET : le rapport " Piel-Roelandt "
DATE : 27/08/01
Cc : faisant suite au n° 59 de la revue santé mentale – à la rencontre d’autres textes
grâce à ce rapport il y a un avenir pour le secteur.
Plusieurs collègues m’ont demandé quelle était ma réaction face au rapport de nos amis Piel et Roelandt ; je vais répondre ici avec plaisir, prolongeant ma réflexion sur la psychiatrie de secteur parue dans le n° 59 de la revue Santé Mentale.
Je précise d’emblée en effet qu’il y a une simultanéité d’écriture, et que cet article paru en juin 2001 dans cette revue représente une " somme " personnelle de réflexions après 30 ans de carrière. Je ne peux m’empêcher d’y renvoyer le lecteur du texte qui suit, tout en essayant de ne pas me répéter, mais nous sommes tout le temps sur le même terrain. Le rapport P-R s’élaborait à la même époque, sur une année, auprès de deux ministres. Restons modestes ! Il y a tout de même un décalage entre un texte personnel et un rapport pour le Ministre !
Faire un rapport à la demande d’un ministre est certainement un exercice de haute voltige. Nos amis ont accepté ce défi et ont atteint l’objectif essentiel : ce rapport a été entendu, diffusé, il existe. Ainsi il nous permet d’établir un front de dialogue avec le ministère et l’opinion publique, puisque la presse ici et là s’en est fait l’écho. Bravo donc ! Je ne pense pas qu’il soit utile de paraître ni frileux ni grognon devant ce texte… ou alors ce serait parce que, par exemple, tel ou tel d’entre nous n’aurait pas été associé par le ministre à ce ‘travail de romain’… ce serait mesquin ! En effet, on peut considérer ce rapport comme une solide ouverture au dialogue, et non comme une affirmation partiale et péremptoire, ni un ‘oukase’.
Certes il n’est guère possible dans pareil rapport d’être irréprochable, ni d’être exhaustif, l’essentiel est d’être " moteur " d’un travail de fond sur le domaine visé. C’est le cas
I -- Pour éclairer notre réflexion sur les difficultés de ce défi, permettons-nous quelques réflexions sur deux rapports précédents :
Comme exemple des difficultés rencontrées par les rapports ministériels sur la psychiatrie je voudrais évoquer deux d’entre eux (il y en a une demi-douzaine dans ce dernier quart de siècle), et mettre en évidence quelques fils qui permettent de comprendre l’attitude de l’Etat face à l’évolution de la psychiatrie. Il s’agit du rapport Demay et du rapport Massé.
A – Le rapport Demay
Le rapport Demay a porté sur deux ans de travail d’une commission que notre collègue Demay avait constituée après avoir été interpellé par Jacques Ralitte, le ministre de la santé du premier cabinet de gauche en 1981. Demay avait rassemblé, non pas quelques spécialistes du discours mais une trentaine de professionnels de terrain très divers. A la fin, il s’est donné la peine de faire un seul texte, court, mais dense, soutenu par son propre souffle et son style personnels, ce qui lui donne une force et une unité assez rare pour un rapport. Il a été reproché aussitôt à ce rapport d’être très incomplet et surtout de ne pas donner de directives concrètes pour modifier immédiatement la réalité, …en fait le ministre, communiste, qui l’avait expressément demandé a été remplacé par un autre ministre, socialiste, qui lui ne s’intéressait pas à la psychiatrie. La crise politique qui était à l’origine de ce changement, comme me le rappelait Pierre Noël à la lecture de mon texte de Santé Mentale, survenait avec la volonté de F Mitterand de retrouver une orthodoxie financière pour mettre fin au vertige qui avait succédé à la prise de pouvoir par la gauche. Je crois que nous pouvons ajouter, en ce qui concerne la psychiatrie, un argument supplémentaire plus interne : ce rapport (en plus de la dépense budgétaire que son application pouvait entraîner) malmenait la carrière des Directeurs d’hôpitaux (je pense en effet que la réflexion autour des Directeurs est assez centrale pour comprendre ce qui s’est passé en psychiatrie publique) ; comme je l’ai écrit dans l’article paru dans Santé Mentale, la Direction des Hôpitaux du Ministère de la Santé n’a pas accepté cette mise à l’écart des Directeurs d’hôpitaux proposée par le rapport Demay. Bien plus, piqué au vif ce pouvoir fort qu’est cette Direction du Ministère a favorisé la constitution de la Commission des Maladies Mentales (la CMM) avec comme mission d’élaborer une phase d’application rapide de la politique de secteur sans tenir compte du rapport Demay. La première session de 3 ans de la CMM (de 1983 à 1985) a abouti à la loi de 1985 et à l’arrêté et au décret de 1986…(Comme Pierre Noël, je ne pense pas que la Commission des Maladies Mentales soit une réalité négative pour la psychiatrie, au contraire. Fort de cette expérience aujourd’hui nous ne pouvons que ‘militer’ pour obtenir la remise sur pied de cette commission en 2001 ou 2002 ; cela pourrait être ajouté au rapport P-R, car son fonctionnement permet une discussion plus large et plus féconde que la nomination de quelques conseillers…)
Pour cette raison le rapport Demay n’a pas fait l’occasion d’une publication officielle ; il a été " oublié " ; il a seulement été publié par la revue VST (Vie Sociale et Traitement) des CEMEA, fin 1983.
A la lumière de ce qui s’est passé les 20 années suivantes en psychiatrie, nous savons que si ce rapport Demay avait été mis en application dans sa grande simplicité et sa sobriété, nous aurions vu, dans toute la France, chaque équipe de secteur se développer sous la houlette d’une cellule administrative intégrée et à sa propre mesure : " l’Etablissement public de secteur. Il semble assez évident que cette cellule administrative aurait permis à chacune des 1100 équipes de secteur et d’intersecteur de concentrer son imagination autour de sa propre analyse de terrain, avec ses propres forces, et que son évolution aurait été originale, adaptée, rapide…car non freinée par les lourdes administrations du moment qui étaient figés dans le fonctionnement de chacun des 80 à 100 asiles français aux dimensions colossales et inhumaines. Les équipes se seraient immédiatement appuyées sur la vraie richesse que constitue la connaissance des besoins et des possibilités locales des villes ou des communes ; à partir de là elles auraient su imaginer ce qu’il fallait pour poursuivre leur développement (certes, c’est facile de changer le passé ! Pourtant je pense qu’à l’appui de cette thèse il suffit d’étudier l’évolution des rares équipes qui ont eu la chance d’avoir une continuité de responsables médicaux et d’avoir suffisamment longtemps un directeur éclairé et généreux soutenant un projet médical cohérent et dynamique ; nous y constatons que l’imagination et l’énergie libérées aboutissent à des résultats concrets innovants et efficaces). Mais dans la plupart des cas en France dans ces 80 établissements, colosses rassemblant de 5 à 20 équipes de secteur, les Directeurs, qui n’avaient jamais été formés sérieusement à la Psychiatrie de secteur, ne s’y sont jamais vraiment intéressés, et se sont sentis plus sensibles à chercher comment " gérer " ces énormes machines anonymes, ces 80 hôpitaux où la gestion passe largement avant l’humain : leur Tutelle ministérielle de la Direction des Hôpitaux a su le leur rappeler régulièrement et avec force.
B - Que s’est-il passé dix ans plus tard avec le rapport Massé ?
Un nouveau rapport a été commandé à notre collègue par un autre ministre de la santé quelques années plus tard, à l’instigation de la Direction des Hôpitaux ; cette demande était basée sur un constat exact : la lenteur avec laquelle la psychiatrie de secteur évoluait était inacceptable.
Mais cette commande était un véritable oukase du ministère avec obligation de résultat : " comment fallait il s’y prendre pour amener toute la psychiatrie de service public dans l’hôpital général ? " ; la difficulté que notre collègue n’a pas mesurée a été son impossibilité de provoquer un vrai débat, en particulier il n’a pu constituer une large commission autour de lui. Le ministère n’était près à aucune remise en question de cet objectif. Pour cette raison, une telle obligation de résultat confiée à un seul homme ne pouvait aboutir qu’à ce que voulait le Ministère. Il en est sorti une vision uniforme et limitée : " il suffisait de décider la fermeture des hôpitaux psychiatriques et de transférer toutes les équipes de secteur dans les hôpitaux généraux ! "…en se bornant à montrer que chacun avait une large marge de manœuvre puisqu’il y avait la possibilité de choisir entre trois cas de figure de démarches administratives pour le réaliser ! C’est ainsi que peut se résumer ce rapport qui ne s’appuyait sur aucune réflexion clinique, ni sur la nature des liens cliniques qui pouvaient exister entre psychiatrie et médecine, alors que c’est la question centrale : qu’est ce qui rapproche et qu’est ce qui différencie l’une et l’autre ? Heureusement pour nous, on ne fait pas faire ce qu’on veut aux Directeurs : Ceux ci n’ont pas suivi les conclusions de ce rapport, aucun hôpital psychiatrique n’a été fermé, aucun n’a vu son contenu transféré en totalité à l’hôpital général proche ; ce rapport a donné naissance à une " mission " au long cours (elle dure toujours et sillonne la France) car le ministère n’a toujours pas enterré sa hache de guerre sur cette position, il est utile de le rappeler. (Il faut d’ailleurs savoir que dès les premiers rapports du Ministère de la Santé avant 1960, avant la première circulaire sur le secteur – qui n’était qu’une incitation aux Préfets – il a toujours été pensé que les hôpitaux généraux devaient accueillir la psychiatrie). C’est pourquoi l’existence du rapport P-R constitue une victoire car il ne reprend pas à son compte cette orientation très négative. Si les Directeurs avaient accepté d’appliquer le rapport Massé, cela aurait entraîné la disparition radicale de la plupart des administratifs des hôpitaux psychiatriques ! Alors que l’application du rapport Demay aurait seulement diminué leur grade, (les ramenant à la dimension d’un seul secteur) mais les aurait multipliés (1100 secteurs au lieu de 100 hôpitaux).
Heureusement les Directeurs ont résisté à ce rapport, s’ils l’avaient appliqué la psychiatrie de secteur aurait disparu dans ce nouveau renfermement qu’est pour la vraie psychiatrie de secteur l’hôpital général. Certes ce terme va paraître inexact ; il est même inacceptable pour les militants de la psychiatrie de secteur qui travaillent dans ces hôpitaux ; certains me l’ont déjà dit, mais je persiste ; ce qui fait la force des militants, c’est de trouver partout des ressources pour dépasser les contraintes locales et faire un travail de grande qualité. Seulement ce que ces militants ne voient pas tous c’est que, si leur dynamisme n’est pas nié, leur action par contre reste souvent très limitée par ce cadre hospitalier ‘général’ conçu pour la médecine, alors que la proposition clinique fondamentale du travail de secteur est l’échange relationnel s’appuyant sur la proximité " immédiate " des liens (si cette proximité existe pour un ou deux secteurs entourant l’hôpital, elle disparaît progressivement pour les autres plus distants et la facilité relationnelle avec les acteurs sanitaires et sociaux du tissu social de chaque secteur diminue d’autant). Cette affirmation n’a pas pour objectif de critiquer le dynamisme actuel de ces équipes, mais de souligner que le ‘climat’ propre à la médecine n’est pas celui dont la psychiatrie a besoin pour se développer et s’épanouir (je l’ai développé dans l’article de Santé Mentale) ; de plus les équipes de secteur perdent systématiquement avec la gestion de l’hôpital général le tiers de leurs moyens humains (même quand leurs collègues médecins, rusés, leur font la fleur d’élire un psychiatre comme président de CME de l’hôpital général !). Cette affirmation est surtout utile pour nous faire réfléchir à l’appauvrissement considérable, en moyens et en développement de la réflexion clinique, qu’entraînerait le rassemblement de toutes les équipes de secteur de France dans les seuls hôpitaux généraux, ce que voulait le rapport Massé (et la Direction des Hôpitaux). La conséquence de ce transfert massif serait un retour en force de l’hospitalocentrisme pour la psychiatrie, car le cœur de l’exercice de la psychiatrie de secteur, ce n’est pas le lit, ni le service hospitalier, mais le CMP, ou le CATTP, ou le centre d’Accueil, et les espaces de rencontres variés dans le tissu social du secteur, mais…PAS LE LIT !!! Que l’on nous comprenne bien, vouloir travailler en dehors de l’espace et la contrainte de l’hôpital ne veut pas dire que notre option serait " le traitement social de la folie ", cette réaction se veut assassine à l’égard de mon propos. Non, il s’agit bien de garder une démarche thérapeutique, mais de la développer hors d’un espace qui isole et qui est un artifice de la vie normale, de développer notre démarche dans le lieu où vit chaque patient et en s’appuyant sur ses ressources (cela ne veut pas dire que la société " soigne ", mais que l’isolement aggrave).
C – Face à la Psychiatrie de secteur, il y a bien une Bastille, et elle bloque son évolution.
A la lumière de ces deux exemples nous pouvons nous interroger sur l’avenir du Rapport Piel-Roelandt et en même temps nous pouvons trouver dans ce rapprochement des pistes nous permettant de comprendre pourquoi les rapports se succèdent et se répètent ?
A une première lecture, le rapport P-R nous paraît un peu disparate, nous y reviendrons. Mais si nous le comparons avec ses aînés, nous constatons que ce rapport a voulu être concret et pratique, et il l’est ; qu’il a voulu faire face à la plupart des questions posées actuellement, ceci dans le but de ne pas être écarté sous prétexte qu’il ne répondait pas à la majorité des questions, et il y arrive. Pour cette même raison, nous ne sentons pas un fil conducteur clinique animé d’un souffle unique, ni l’expression d’un oukase.
Pour exister ce rapport devait d’abord accepter de se mesurer aux " lobbies " qui se mobilisent autour de la psychiatrie pour décider de son avenir, ces lobbies ce sont essentiellement les Directeurs d’Hôpitaux en corps constitué et les Commissions ministérielles :
Il faut l’affirmer clairement : la Bastille qui empêche l’évolution de la psychiatrie de service public, c’est la Direction des Hôpitaux. L’habileté du rapport P-R, c’est d’oser le désigner, mais avec prudence, diplomatie oblige. Il est évident que le Ministère de la Santé (pas plus que le corps médical dans son ensemble) n’a toujours pas compris que la dimension de base dont la psychiatrie avait besoin pour se développer, c’était la dimension humaine de son inspiration et de son exercice, non seulement la dimension humaine présente en chaque homme, mais aussi la nécessaire prise en considération des relations humaines de cet homme, chaque homme et son entourage relationnel. La médecine moderne se sent de plus en plus auréolée de ses victoires scientifiques acquises, c’est vrai, grâce aux efforts remarquables des chercheurs s’appuyant d’abord sur les technologies nouvelles ; mais cette véritable fascination l’écarte chaque jour un peu plus de la faillibilité propre à toute relation humaine ; plus encore, cette faillibilité paraît aux médecins et surtout à l’opinion inacceptable (cf l’augmentation des procès) ; pourtant, c’est cette relation humaine " faillible " qui reste le terrain ‘de départ’ de tout soin psychiatrique. Nous observons qu’il ‘faut’ que la médecine française, ‘dirigée’ par ses grands Directeurs d’Hôpitaux, fasse des actions d’éclat (le Centre Pompidou), produise des réalisations prodigieuses se voyant de très loin. Mais, si cette démarche d’action d’éclats correspond à certains projets de la médecine moderne, elle est totalement inadéquate pour la psychiatrie, elle va à contre sens, puisqu’il s’agit ici d’abord d’installer une dimension humaine des soins. La psychiatrie est une médecine de proximité, un travail sur l’humain, s’appuyant sur la connaissance des liens de chaque homme. La psychiatrie refuse donc la concentration, l’éloignement, la sur-dimension des grands hôpitaux…la médecine moderne va en sens inverse, la Direction des Hôpitaux est solidement accrochée à cette médecine moderne et ne laisse donc pas de place aux exigences de la psychiatrie. Il est essentiel de peser la violence discrète mais ferme de cette contradiction. On comprend dès lors que cela ne peut changer tout seul. Pour que cela change il et évident qu’il faudra se battre contre cette Bastille. Comment ?
La position choisie par le rapport P-R est la diplomatie, donc il ne cherche pas à s’opposer de front à cette conception générale, et il préfère choisir des propositions très pragmatiques.
Le second lobby ministériel est constitué par les diverses ‘Commissions’ qui ont été constituées au fil de ces dix années passées, et qui ont tenté, en s’appuyant sur le même état d’esprit " médical " de découper la psychiatrie en tranches de " spécialisation ". Cette proposition est, nous le savons, une proposition qui tourne le dos à la psychiatrie de secteur ; elle donne la place prédominante à des stratégies et des attitudes thérapeutiques isolées, qui mettent au second plan le lien du sujet avec son environnement relationnel personnel et la proximité de celui ci. Après la toxicomanie, l’alcool, ce sont l’urgence, la violence, la délinquance, la psychiatrie à l’hôpital général (dite de liaison), le VIH, la contraception, les personnes âgées, divers aspects de la psychiatrie de l’enfance et de l’adolescence, les prisons, la délinquance sexuelle, l’internement moderne…la liste des spécialisations à promouvoir s’allonge régulièrement sous la pression de la mode et des média. Cette tendance est le résultat de la réapparition de l’inquiétude que fait constamment naître la peur de la folie. Cette peur ne saurait cesser, je dirai même qu’elle est saine ; Dire que la folie existe est une chose, accepter qu’elle domine l’homme est autre chose ; la folie n’est pas sacrée ; mais les réactions de défense contre les excès de la folie devraient ne pas se limiter à des réponses dites techniques, comme le laisse entendre chaque " spécialité " ; Ces techniques ont comme vertu de prétendre que chacun de ces aspects échappe en fait à la folie, qu’il n’est qu’un ‘pas de côté’ de notre fonctionnement psychique et justifie qu’on le traite à part… de la folie !. Il serait plus judicieux de donner la priorité au développement de la psychiatrie de secteur proposant une ouverture commune à toutes les souffrances, en les prenant à la base et avec l’appui de l’entourage ; il serait urgent que la décision soit prise de privilégier l’abord de la psychiatrie générale avec des moyens suffisants dans l’ensemble de la France : c’est à dire confirmer qu’il faut privilégier d’abord l’attention à l’humain, l’attention au résultat précis qu’apporte le soin de proximité s’appuyant sur les ressources relationnelles de chaque patient. Mais toutes les questions précédentes ont été sous l’impulsion de la mode ou de quelques chercheurs, étudiées séparément au ministère, et dans une commission limitée à cette question ; elles viennent donc systématiquement butter contre l’existence de la psychiatrie de secteur, car leurs conclusions cherchent, le plus souvent, à promouvoir des centres spécialisés, et des développements spécifiques pour chaque spécialité. Pourtant la plupart du temps ce sont seulement des attitudes thérapeutiques qu’il faut promouvoir ; ceci est possible grâce à des sessions de formation s’appuyant sur le terrain du secteur, la base étant le travail de secteur. Le pouvoir de ces Commissions Ministérielles est tel (d’autant qu’y participent toujours un certain nombre de professionnels de nos équipes qui ont acquis une certaine notoriété et qui veulent s’y fixer) que la plupart du temps elles tirent à boulet rouge sur les rapports qui cherchent à promouvoir la psychiatrie générale, comme le rapport P-R.
Là encore le rapport P-R se montre habile, car il a cherché à intégrer un certain nombre de leurs travaux, par exemple avec le travail autour de " la loi de 1838-1990 ", aussi autour de la psychiatrie de liaison et autour de la psychiatrie des prisons ; il fait des propositions qui tiennent compte de leurs travaux, ainsi il évite une rupture, mais certes elles ne vont pas satisfaire les esprits intransigeants. Le contre-coup de cette attitude pour les militants de la psychiatrie de service public, c’est qu’ils ne vont pas trouver dans ce rapport un ‘souffle’ comme Demay avait pu le faire dans son rapport, car c’était là l’écriture d’un seul, et il ne cherchait pas à négocier.
II - Notre soutien au Rapport Piel-Roelandt. La lutte contre la Bastille. Les contre pouvoirs
En réalité nous ne pouvons pas dire que ce rapport manque de souffle : il insiste bien sur l’humain, sur la notion de médecine de proximité, sur le lien à maintenir et créer avec l’environnement, avec le politique local, avec le social local, avec l’artisanat, avec le culturel, avec la diversité des liens que nouent les hommes…
Ce rapport situe bien la démarche de la psychiatrie de secteur dans une lutte pour la liberté qui est invoquée pour venir combattre à la fois les restrictions de liberté dans le soin, et la " pathologie de la liberté " que constituent les avatars de la souffrance psychique dont souffrent les patients.
Notre première conclusion est de dire que nous devons tous au maximum soutenir ce rapport.
Dans un second temps nous pourrons le ‘nourrir’ de nos remarques pour lui permettre de s’infléchir dans une promotion plus solide encore de la psychiatrie de secteur.
En effet mon sentiment personnel est que le ‘Ministère’ reste profondément hostile à la psychiatrie de secteur (dans le flou que représente cette énorme machine ministérielle anonyme ; je ne parle pas ici des deux ou trois personnes qui sont impliquées depuis des années, et encore moins des dix personnes du tout nouveau et très ouvert Bureau de la Santé Mentale), hostile, parce que l’esprit de la médecine y a toujours été dominant, et qu’il n’y a aucun groupe, aucun bureau ayant un vrai pouvoir, aucun haut fonctionnaire ministériel (et l’on sait qu’un seul serait tout à fait insuffisant), comme aucun groupe politique, qui soient convaincus du bien fondé de l’humain comme principe de base pour l’exercice de la psychiatrie quotidienne ! Mais vouloir dans un rapport officiel se battre de front contre pareil pouvoir aurait été dénué de sens réel. Je vais d’ailleurs encore en rajouter au constat de ce pouvoir secret :
D’abord, constatons que les corps professionnels de la psychiatrie, au lieu de se mobiliser comme un seul homme autour d’objectifs clairs et solides pour soutenir le secteur, se dispersent en luttes catégorielles et corporatistes ; la mobilisation massive aujourd’hui ne paraît pas pouvoir venir d’eux ! Hélas ! Par contre la proposition faite par le rapport P-R est sacrément audacieuse et nouvelle : celle de faire venir en première ligne les patients, leurs familles et leurs Associations mutuelles ! Le vrai contre-pouvoir du Ministère de la Santé et de sa bastille se trouve là.
D’autre part il est nécessaire de préciser que la psychiatrie dans ses relations avec le Ministère de la Santé a à faire face à une donnée structurelle qui joue manifestement contre la psychiatrie de secteur : en effet ce ministère n’est pas fait d’un seul bloc, il est fait de deux parties très inégales, la Direction des Hôpitaux (DH) et la Direction Générale de la Santé (DGS). De ces deux Directions c’est celle qui a l’intitulé le plus court qui a le plus gros pouvoir, et de beaucoup : la Direction des Hôpitaux thésaurise plus des trois quarts du budget de la Santé ; la DGS n’est que marginale. Il faut se rappeler que les bureaux qui ont un peu et beaucoup travaillé sur la psychiatrie ont toujours dépendu de la DGS, mais …c’est la DH qui a le budget et tient les cordons de la bourse ! En effet les budgets psychiatriques sont des budgets ‘hospitaliers’, et sont dirigés par …des Directeurs. Ainsi la notion même de psychiatrie généraliste que nous défendons, associant soins et prévention, au lieu d’être plus forte grâce à cette union, se trouve en réalité démantelée, divisée entre deux Directions (quelles que soient la générosité et la lucidité des membres du nouveau Bureau de la Santé Mentale), et en fait c’est la DH qui a son mot à dire, et le dernier toujours. Nous pouvons ainsi affirmer que tant que ce Ministère sera ainsi divisé et que la Psychiatrie dépendra de deux Directions, tant que, simultanément des administratifs, hauts fonctionnaires de la Direction des Hôpitaux, ne seront pas acquis (par des convictions intimes, personnelles, plus que par un discours politique) à l’intérêt, contradictoire avec l’esprit médical actuel, du bien fondé de la psychiatrie de secteur, nos batailles d’idées ne seront que des gouttes d’eau dans la mer, face à cette Bastille qu’est la DH.
Soyons précis ! Mes remarques précédentes à l’égard des Directeurs d’Hôpitaux pourraient laisser croire que je les critique. Il n’en est rien ; je souligne seulement qu’ils n’ont pas été formés à la Psychiatrie de secteur, que leur Direction ne les a jamais invités à promouvoir une psychiatrie qui pour l’essentiel devrait selon la psychiatrie de secteur se développer " hors hôpital ", au contraire la DH a toujours renforcé l’hospitalocentrisme. Cependant, pour la première fois, en décembre dernier, une instance de l’Etat, la Cour des Comptes, a soulevé cette contradiction ; (elle a critiqué l’Etat qui d’un côté décide en 1986 d’officialiser la psychiatrie de secteur, et qui, de l’autre, pendant 15 ans ensuite…évite de l’appliquer : au lieu de diminuer le rôle de l’hôpital, l’Etat n’a cessé de le renforcer et a favorisé l’hospitalocentrisme). Nous devons profiter aujourd’hui de cette critique officielle et provoquer un débat avec nos hommes politiques autour de cette contradiction, pour montrer la révolution nécessaire qui doit naître dans les esprits si l’on veut que cette psychiatrie se développe. Mais il n’est pas question de se mettre en lutte armée contre les Directeurs d’hôpitaux. Il suffit, comme dit Pierre Noël, de nous former pour apprendre à leur ‘tenir tête’ en comprenant sur quoi s’organise leur démarche, et tout faire pour aider les Directeurs à comprendre la finalité de la psychiatrie de secteur. Déjà nous pouvons mettre en exergue ces Directeurs qui dans leurs actes ont montré dans un certain nombre de cas précis, par leur action déterminée, que le développement de la psychiatrie de secteur était possible jusqu’à son étape ultime qui est l’ouverture de services hospitaliers hors hôpital général et psychiatrique, en pleine ville dans des espaces neutres et modestes, pour deux ou trois équipes de secteur à la fois. Nous savons aussi que dans chacune de ces situations positives le levier le plus puissant a été la mobilisation convergente de toutes les catégories d’acteurs : sanitaires, administratifs, sociaux, politiques, autour d’une même réalité locale.
Il faut donc convaincre les Directeurs d’Hôpitaux et la DH du bien fondé de la psychiatrie de secteur. Ce rapport va dans ce sens.
Donc, sur le plan " politique ", le rapport Piel-Roelandt est une victoire, une étape essentielle dans cette lente transformation de l’état d’esprit des responsables ministériels. Notre soutien doit lui être global, sans faille.
III Quelle suite doit être donnée à ce rapport ?
Ce rapport étant acquis, quelles seraient les réflexions complémentaires que nous pourrions ajouter pour lui permettre de continuer à faire évoluer l’application de la psychiatrie de secteur ?
Dans une seconde lecture nous devons faire une analyse précise de ce rapport, en saisir les nuances, comprendre à quel point il constitue une avancée dans l’application de la politique de secteur, et alors seulement travailler à la façon dont nous allons pouvoir continuer dans les années qui viennent à en infléchir les applications dans un sens qui le rapproche de la réalisation terminale de la psychiatrie de secteur…car notre analyse de la situation actuelle en France nous oblige à dire que nous sommes encore loin de cette réalisation.
Dans les lignes qui suivent je me permets de faire un certain nombre de propositions qui pourraient être présentées comme complémentaires, une fois que ce rapport aura commencé à être appliqué.
Nous devons comprendre qu’il appartient à chacun d’entre nous de participer à une telle élaboration, sinon ce rapport s’essoufflera très vite.
A – Le ‘souffle’ !
Un rapport ministériel ne peut être rédigé comme un texte de professionnels, militants. Par contre nous avons, nous-mêmes à participer à l’écriture de ce genre de texte, des textes ayant du " souffle ", animés d’utopie, ensuite les faire circuler et partager nos réactions.
Il est utile d’affirmer que la psychiatrie de secteur, là où elle commence à être appliquée dans sa totalité, constitue une véritable révolution de notre culture psychiatrique si nous voulons mesurer l’importance du changement réalisé. Par rapport à la situation ‘molle’ actuelle, il est utile d’affirmer que nous avons à tenir là un discours plus ‘radical’ pour nous inviter à nous mobiliser. La folie et la psychiatrie ne correspondent plus à ce que l’on a dit d’elles jusqu’à aujourd’hui. Elles ne sont pas ce que des siècles d’ignorance et de pensée imprégnée d’une représentation mythique et négative de la folie ont transmis à l’opinion publique tout autant qu’à la pensée scientifique. Nous savons, en particulier grâce à Freud que la folie fait partie du fonctionnement psychique de tout homme ; la psychiatrie se doit dès lors, non pas de chercher à l’extraire, ni à l’écarter de l’humain, mais de travailler avec cet homme pour que sa folie garde sa place, sans l’envahir. De ce fait la psychiatrie travaille dans le champ de la vie, sur l’homme dans son fonctionnement, le fonctionnement d’un être en lien avec les autres.
B – Comment décrire la folie et la psychiatrie ?
Certainement d’une façon volontairement renouvelée par rapport à ce qui nous a été enseigné, dans la mesure où les observations à l’origine de cet enseignement ont été faites dans un tout autre contexte, celui de l’enfermement et de la mise à distance ; ensuite parce que des éléments thérapeutiques nouveaux ont transformé la réalité, en particulier avec ce qu’apporte de nouveau le cadre du secteur : proximité, disponibilité, continuité, prospective nouvelle (nous pouvons dire à l’avance comment et par qui d’éventuels nouveaux malades ou les anciens malades vont être suivis : par leur équipe de secteur, leurs moyens et leurs méthodes ; avant, on se contentait de dire qu’ils seraient soignés avec les thérapies à venir, sans savoir lesquelles)
D’emblée il est donc indispensable de commencer par une description clinique de la façon dont se déroulent soins et prévention en choisissant la situation d’une équipe de secteur qui a pu aller jusqu’au bout de son évolution souhaitée (la totalité des soins étant déployés hors hôpital classique) : préciser dans ce cadre ce que sont les objectifs de la continuité des soins et de l’implication de l’environnement humain dans le soin d’un patient donné. Là il serait utile de compléter le rapport P-R.
D’abord il est nécessaire d’établir un bilan historique du travail réalisé de façon si diverse par les équipes de secteur en France. C’est aussi ce que Yves Buin ne cesse de demander en commentant son livre pugnace (La psychiatrie de secteur, l’utopie, le déclin) Mais alors, parallèlement, nous devrions affirmer que nous devons en finir avec les tentatives d’analyse de résultat officiel de la psychiatrie de secteur quand elles sont réalisées avec les mêmes outils statistiques que ceux qui sont utilisés pour le reste de la médecine : toute analyse statistique aboutissant à des moyennes " tue " la psychiatrie de secteur. En effet ces statistiques mélangent des activités qui n’ont rien en commun, elles font des additions qui n’aboutissent à aucun résultat utile : par exemple l’activité d’un hôpital de jour d’une équipe de secteur qui a plusieurs structures de soin dans le reste de son dispositif n’a pas grand chose à voir avec l’activité d’un autre hôpital de jour qui est à peu près la seule structure d’un autre secteur, alors pourquoi les additionner ? il en est de même de l’activité d’un service hospitalier, de celle d’un CMP, ou de celle d’un centre d’Accueil… Toute tentative voulant montrer les résultats de diverses pratiques de secteur doit donc tenir compte d’abord de plusieurs données : les moyens de cette équipe, ses étapes évolutives, l’orientation qu’elle s’est donnée, les outils théoriques sur lesquels elle s’appuie ; faire l’économie d’une telle démarche ne peut que falsifier la réalité du travail réalisé et reste sans aucune valeur évaluative ni comparative. En particulier l’analyse de l’activité en psychiatrie de secteur ne peut se faire que de façon d’abord globale, cad en prenant en compte la totalité de l’activité de l’ensemble de l’équipe, puis le travail réalisé pour chaque patient et son évolution. Ensuite il est indispensable de mener de front une analyse mettant en évidence de façon simultanée les dimensions de soin et les dimensions de prévention de chaque démarche thérapeutique, car ces dimensions sont constamment intriquées et du coup les descriptions habituelles font comme si, soit l’une, soit l’autre, n’était pas prise en compte par les équipes étudiées. Enfin il est nécessaire de décrire les articulations de cette équipe avec son environnement sanitaire, social et politique. Mais vouloir s’en tenir à des ‘moyennes’, c’est comme si, voulant se faire une idée du sous-sol d’un espace, au lieu d’en faire une étude " géologique ", nous décidions de tirer des ‘carottes’ (faire des sondages géologiques) et si ensuite nous les mélangions pour en tirer une ’moyenne’. Cela n’a aucun sens. La nature du travail de secteur justifierait que pour faire son analyse on utilise des méthodes analogues à celles qui permettent de décrire la géologie d’un terrain.
Nous savons que deux équipes ayant des moyens identiques à un moment donné de leur évolution vont avoir des résultats d’activité différents, et vont très vite évoluer différemment ; c’est cela qu’il faut analyser aujourd’hui, le décrire, constater les différences entre équipes et tenter de comprendre les raisons de ces différences avant d’aller plus loin.
De toute façon, il faut déjà, comme le dit très bien ce rapport, en finir avec toutes les modalités d’analyse actuelles et pire encore avec celles qui nous sont promises : PMSI, Accréditation et autres ! (la fiche par patient proposée par l’équipe de JF Bauduret dès 1986 avait l’intérêt de ‘commencer’ un travail descriptif, en particulier elle pouvait permettre de mettre en évidence les " trajectoires de soin annuelles " des patients dans un secteur précis, ce qui était une base pour la réflexion clinique de cette équipe qui pouvait s’interroger ainsi sur l’évolution d’un patient. Car, contrairement à la médecine, une fois encore, ce qui est important en psychiatrie, ce n’est pas un symptôme donné, c’est l’évolution de la vie psychique d’un patient sur un certain nombre d’années.)
Nous avons à nous prononcer sur les descriptions claires que nous avons à donner de notre activité de secteur. Je renvoie à l’article de Santé Mentale. Résumons nous :
Nous constatons des différences ; faut il parler aussitôt inégalités avant de connaître quelle a été l’évolution respective des équipes que nous voulons comparer ?
Ensuite, quand nous parlons ‘inégalités’, nous avons à préciser ce que nous entendons par une efficacité qui serait le produit d’un " militantisme ". Ce militantisme, est ce seulement la défense d’idées ? et si le militantisme à l’œuvre dans les équipes de secteur c’est une foi en l’homme et dans la cité, ne pouvons nous penser qu’il constitue le ‘capital de base’ avec lequel chacun choisit la profession d’acteur en psychiatrie ? et alors, en suivant la discussion que nous avions avec Pierre Noël, cela ne peut il faire partie d’un ‘enseignement’ ? Ne serait il à promouvoir ?
Ce n’est qu’à la suite de ces interrogations que nous pourrons enfin parler de la façon dont nous pourrions mettre fin aux ‘inégalités’ des soins. Cela est urgent, car ces inégalités qui existent d’un bout de la France à l’autre nous dévalorisent profondément devant l’opinion publique.
De même il n’est pas possible de penser que le champ de la psychiatrie pourra se soustraire à une description sur la façon dont y sont dépensés les deniers de l’Etat, donc les nôtres ! nous avons à rendre compte de notre activité clairement et pour les différents niveaux de nos dialogues ; les partenaires de notre secteur, notre administration directe et la Sécurité Sociale.
Il est tout aussi nécessaire, comme l’a fait la Cour des Comptes cette année, de mettre en évidence les freins éventuels qui s’opposent à l’évolution de la psychiatrie de secteur.
Notre conclusion sur cette première question concernant la tentative de description de la psychiatrie de secteur, donc pour chaque équipe sa diversité, ses origines différentes, ses évolutions différentes, ses moyens différents, ses inégalités, l’effet du militantisme, serait d’affirmer que si la solution choisie pour en faire l’analyse n’est pas basée sur la réflexion clinique, cela aura comme résultat ceci : pour chacun des acteurs de la psychiatrie la préoccupation dominante sera de tout régler en se basant d’abord, surtout et peut être exclusivement sur les diverses questions administratives ; la logique gestionnaire va à nouveau dévorer toutes les énergies, elle sera à chaque fois la première servie, sans aucun élan politique, sans aucune conviction clinique : les notions de territoires administratifs, de coûts, de moyens, de moyennes…règneront sans limite.
C - Des réformes sont elles à faire sur les limites des secteurs ?
C’est en effet une critique justifiée et fréquente que reprend à son compte le rapport P-R.
Il faut peut être intervenir mais avec prudence, c’est à dire en reprenant le chemin de leurs origines.
-Il est certainement utile de rappeler les objectifs de la sectorisation pour aider chaque département à améliorer progressivement son découpage sectoriel. Mais se lancer dans de trop grandes modifications de ce découpage actuellement aurait pour conséquence de démobiliser les équipes, il faut y prendre garde ; cela ne peut donc se faire qu’au terme d’une concertation locale attentive. Le souci premier doit être (selon l’idée princeps du secteur) de délimiter des populations ayant des intérêts communs et une histoire convergente ; à l’inverse par exemple le découpage de petites villes en quartiers, (camemberts) comme cela a été fait parfois dans le seul but " d’égaliser " entre elles les équipes voisines, est une stupidité qui n’a de sens que sur le plan graphique, certainement pas sur le plan humain ; elle se base sur une idée de confort administratif des équipes, et ne prend pas en compte les liens humains de base, et d’abord ceux des patients et de leur famille, ce lien de base est la citoyenneté, ici totalement oublié ! ici on fait passer en premier une fausse idée de ’justice’ et ‘d’égalité’ et elle vient détruire l’idée première du secteur : la cohérence interne de la population considérée ; cette idée n’a rien à voir avec l’égalité républicaine (laquelle par contre peut s’appliquer pertinemment à une répartition des moyens, modulée en fonction des réalités de population, et non en fonction du nombre de secteurs).
-On voit que dans ce contexte l’idée de regroupement de plusieurs secteurs en " territoire " que propose le rapport P-R est une idée administrative à manier avec prudence si on veut qu’elle ne vienne pas amoindrir la dynamique essentielle qui est celle du soin de proximité, donc le cadre de chaque secteur. Ce regroupement est une très une belle idée sur le papier, mais il peut accoucher de l’effet inverse de celui qui est recherché à l’égard du dynamisme des soignants. Tout effort de planification doit d’abord avoir comme objectif de faire renaître ou émerger la dynamique sectorielle de proximité et de continuité : donc elle doit d’abord susciter et animer dans chaque équipe le désir " d’évoluer " ; à l’inverse, trop souvent, on voit des équipes se figer et ne plus chercher à s’adapter aux modifications constantes de leur population ; il est essentiel que chaque équipe ait le désir de se créer des formes de soin originales et adaptées à son secteur précis, ensuite qu’elle ait le désir de se modifier au fur et à mesure que les besoins évoluent et que l’expérience des soignants s’enrichit. Ce que nous avons découvert en psychiatrie c’est l’importance des changements successifs, comme promoteurs de motivation dans les équipes ; car ils permettent d’avoir accès à cette exigence si difficile à entendre : celle de la remise en question de l’engagement thérapeutique de chaque soignant tout au long de son activité.
De ce fait et paradoxalement par rapport aux idées reçues, il est à souhaiter que le souci de planification vienne non pas du ‘haut’, cad de l’administration centrale et ministérielle, mais du bas, cad de chaque équipe et de groupement d’équipes ; sinon, au lieu de faciliter l’éveil des motivations de chaque équipe, ces ‘oukases’ les désamorcent.
Il serait utile dans ce sens de moderniser en le simplifiant le décret de 1986 qui a commencé à établir la ‘nomenclature’ des structures de soin diverses. Il était prévu, comme le rappelait Noël qui a participé à sa rédaction, que ce n’était qu’une première ‘proposition’ de structures de soin, et pas une obligation de réalisation, ni une exclusive, et que cette liste de structures devrait être complétée par d’autres. Cette simplification aurait comme but de faciliter dans chaque équipe l’audace du recours à l’imagination, et la simplification de l’encadrement des structures.
Ce n’est qu’après cela qu’une redistribution éventuelle de moyens pourrait s’engager, en invitant à une meilleure circulation des professionnels en France et en facilitant les échanges entre équipes (des réciprocités, et, non des ‘rapts’).
-Si la notion de ‘territoire’ proposée par ce rapport persiste, elle faut qu’elle laisse la place principale à tout ce qui consolide l’échelle du secteur, c’est à dire sa dimension ‘humaine’. En particulier, il serait essentiel que renaisse, à cette occasion, sinon de toute façon, le " conseil de secteur " à l’échelle du secteur, en retrouvant à cette occasion une responsabilisation des élus et acteurs sociaux locaux (comme de 1972 à 1984). Car dès que cette confrontation de responsables et d’élus se fait à une plus grande échelle, celle d’un département ou de plusieurs secteurs, les arguments ne sont plus que purement administratifs et d’influence politique ‘déléguée’, jamais directe. Est ainsi désamorcée la dynamique locale, qui pourtant constitue le nerf du secteur, comme elle est au point de départ de la démocratie.
D - La question des urgences et la question d’une éventuelle obligation de soin doivent être distinguées l’une de l’autre. Ainsi la notion de centre d’accueil intersectoriel (CAI) est fort imprudente dans l’amalgame proposé dans le rapport P-R.
Il est urgent de réfléchir à la proposition du Rapport P-R sur les urgences, car elle laisserait penser dans sa version actuelle qu’elle part d’une connaissance insuffisante de la clinique psychiatrique. Il est utile de ne pas agir trop vite en ce domaine et de désamorcer les pièges que nous posent les utilisations contradictoires de certains mots, pour éviter les contre sens.
L’urgence psychiatrique n’est pas du même niveau que l’urgence médico-chirurgicale. Retenons seulement que tout patient non connu adressé aux urgences d’un hôpital doit d’abord être examiné par le médecin avant d’être vu par un psychiatre, mais il en est de même du patient dont on sait qu’il est connu en psychiatrie.
Ceci posé la démarche de soin primordiale de l’urgence psychiatrique réside dans tous les cas dans l’installation d’une relation de confiance, celle ci étant le terrain basal du soin psychiatrique. Nous ne sommes donc absolument pas dans le climat de l’urgence médico-chirurgicale à la recherche d’un geste qui sauve immédiatement. Nous n’avons besoin d’aucun " plateau technique ", par contre la compétence essentielle aux urgences c’est avec l’expérience clinique la connaissance du milieu social et sanitaire où vit le patient et qui nous permet sans délai d’impliquer des personnes précises de son environnement, famille, généraliste, acteurs sociaux divers ; cette compétence est une compétence " de proximité ". Ce qui démontre que les lieux de soin les plus mal placés pour faire face à l’urgence psychiatrique sont… les urgences des grands hôpitaux généraux. Nous ne devons pas cesser de marteler cette affirmation.
Il y a plus, nous devons insister sur un point fondamental : toutes les demandes de soin qui arrivent aux urgences de ces hôpitaux généraux, qu’elles soient manifestes ou masquées et alors dévoilées par un bon examen médical, sont des demandes qui, a priori, dénient la réalité psychique de cette souffrance.
Cette affirmation permet de poser deux démarches :
D’une part il est évident que la présence de membres des équipes psychiatriques est indispensable aux urgences dans les hôpitaux généraux (mais pas nécessairement en permanence) : leur rôle est simplement, après avoir confirmé l’existence d’une souffrance psychique, de les adresser à leurs équipes de secteur respectives, le travail psychiatrique aux urgences ne peut être que ponctuel, et il ne résume pas la totalité de la réponse à donner, sa fonction (voir nos articles et notre livre) est simplement d’amorcer un lien thérapeutique à chaque fois que nécessaire, et se borner à cela.
D’autre part les urgences psychiatriques se présentent aussi dans les lieux de soin qui constituent le dispositif de soin de chaque secteur ; et avec le flux précédent cela constitue au total un flux permanent considérable auquel aucune équipe de secteur ne saurait se soustraire. (les équipes installées essentiellement dans les hôpitaux psychiatriques pensaient autrefois ne pas être concernées par l’urgence, erreur considérable). Cela a comme première conséquence la nécessité d’affirmer que les équipes de secteur ne doivent attribuer aux urgences des hôpitaux qu’une partie modeste de leurs moyens car elles doivent s’organiser pour faire face dans leur secteur à ces autres urgences, et organiser le temps de réponse essentiel qui succède au premier contact.
L’outil de traitement essentiel de l’urgence dans le secteur en effet c’est une dépense de temps, temps de rencontre avec le patient et son entourage.
Il est capital ici de rendre compte de ce que la psychiatrie de secteur nous a enseigné : plus nous prenons du temps en multipliant les rencontres et les interactions avec un même patient avant de décider du soin réel ( avec ‘soin réel’ je veux dire le soin qui va plus loin que la réponse à un symptôme actuel, le soin qui se préoccupe de la nature et des origines de la souffrance psychique, le soin qui veut engager la démarche profonde du sujet et qui le reconnaît comme sujet), plus ce soin sera adéquat, efficace, évitant au maximum la répétition des symptômes.
La particularité de la psychiatrie par rapport à la médecine est l’importance et la fréquence du déni de la réalité psychique des troubles, et l’on peut dire que près d’un tiers de l’activité et de l’énergie d’une équipe soignante doit être consacrée à faire face à cette particularité propre à la psychiatrie. Une telle attitude thérapeutique, inacceptable en médecine moderne, est fondamentale en psychiatrie.
Le rapport P-R n’insiste pas assez, (je pense pour ne pas s’opposer trop frontalement à la DH et au rapport Massé), sur cette différence entre psychiatrie et médecine, et sur les conséquences quant aux places respectives des deux disciplines aux urgences des hôpitaux généraux. Ensuite la dépense de temps qu’ont à déployer les équipes de secteur face à l’urgence (donc le besoin de moyens humains) est beaucoup plus importante en dehors des hôpitaux généraux que dans ceux ci.
Un certain nombre d’équipes de secteur ont rassemblé les réponses à ces besoins (temps de l’urgence et temps de travail d’accueil et de crise portant sur le déni de la nature psychique du trouble) dans un centre d’Accueil ou un centre de Crise (dont la meilleure modalité est un centre ouvert 24/24 et sans lit). La durée de ce soin préalable dans un tel centre va de quelques jours à quelques mois. Ce travail transforme fondamentalement le fonctionnement de toute une équipe de secteur, car le soin psychiatrique va s’appuyer dès le départ et très largement sur les ressources de l’environnement ; celui ci devient plus tolérant, plus coopérant. Cela donne en définitive un tout autre ‘climat’ à la pratique psychiatrique dans son ensemble.
L’autre problème, à travailler dans un second temps, est celui du refus de soin : on peut comprendre que nous l’avons déjà abordé dans l’évocation clinique rapide que nous venons de faire. Nous venons de mettre en évidence le déni présent dans un grand nombre de cas : soit nous refusons d’en tenir compte dès le début du soin et nous allons comme autrefois nous borner à le dépister, le dénoncer, et sans coup férir nous allons décider de soigner des patients contre leur gré … nous entrons alors dans un cercle de violences accomplies au nom d’une ‘science’, et ainsi compromettre pour longtemps la possibilité pour le sujet de ‘composer avec sa folie’ et de demander à être aidé dans sa souffrance (nous avons de nombreuses histoires cliniques qui démontrent ces processus). Soit nous en tenons compte. Ainsi plus nous proposons des lieux de rencontre anonymes et inhumains comme les grands centres d’urgence des hôpitaux généraux, plus les liens humains se dissolvent, plus cet état de fait " produit " de l’angoisse et de la folie surajoutée, et moins le patient savamment étiqueté de symptômes ‘d’appellation contrôlée’ acceptera de se faire soigner, donc plus on se croira fondé de le soigner sous contrainte. A l’inverse plus les espaces de soin sont nombreux et faciles d’accès dans un secteur, plus les moments d’angoisse les plus douloureux de chaque patient trouvent sans délai des personnes soignantes, plus celles ci constituent un relais immédiat qui permet de diminuer la gravité du sentiment de terreur du sujet devant son angoisse, plus ce sujet acceptera facilement le soin et le demandera.
Ce sont donc deux spirales de démarches de soin opposées point par point. L’une s’appuie sur une attitude qui se voudrait " sérieuse ", voire ‘scientifique’, distante, sous prétexte de vouloir écarter l’erreur humaine ; l’autre acceptant d’être faillible, et désignant l’engagement humain relationnel comme l’outil fondamental du soin, et en le basant sur la proximité, la connaissance, la continuité.
Il est essentiel d’approfondir ce rapport pour reprendre la proposition qu’il fait sur ce point et entamer un mouvement qui soit conforme à la clinique psychiatrique sans nous laisser entraîner par la clinique médicale.
Nous devrions obtenir que si de façon transitoire de tels centres de soins dits de 72 h, sous contrainte, existent, ce soit dans des lieux démunis (seule éventualité envisageable, car les créer dans les départements où existent déjà des Centres d’Accueil et des Centres de Crise aurait comme conséquence la démotivation complète des équipes et la dégradation rapide des équipes concernées). De plus l’appellation de CAI ne se justifie pas du tout. Il serait plus pertinent de les appeler COO (Centres d’Observation Obligatoire), et il ne devrait donc pas être question d’en étendre la création à toute la France. Ce débat serait plutôt l’occasion de prendre conscience que l’égalité des soins en psychiatrie ne peut être quelque chose qui se décline comme l’Ecole Laïque, c’est à dire de la même façon dans toute la France : par rapport à l’idée de psychiatrie de secteur et la nécessité d’adapter les moyens aux besoins ( et non l’inverse) il serait enfin pertinent de préciser qu’il y a trois grandes catégories de groupes de population en France :, - les grandes villes (plus de 100 000 hab.), - les banlieues et les petites villes, - les communes rurales ; on pourrait alors se rendre compte clairement que c’est une ineptie que de vouloir dupliquer le même moule ‘laïque’ de psychiatrie dans l’ensemble de la France. Tirer les conclusions de cette observation devrait pouvoir s’ajouter au rapport.
-Quant à la loi 1838-1990, il est nécessaire, pour qu’elle dépérisse toute seule, que les équipes de secteur développent tous leurs moyens non pas majoritairement dans les services hospitaliers, mais répartissent leur travail de présence et de disponibilité " dans " les espaces du secteur. De là, la nécessité d’obtenir une distribution de moyens humains suffisants dans toutes les équipes de secteur. Le rapport est très soucieux de cette réalité. La première affirmation est la nécessité de moyens suffisants, d’où les solutions impératives à obtenir pour s’opposer à la diminution du nombre des psychiatres et à la disparition de la profession infirmière en psychiatrie . A l’obligation de soin, dont nous avons vu qu’elle s’enracine sur la perte des liens humains, sur la distance établie et sur l’anonymat scientifique, nous devons montrer que nous préférons que soit proposée une offre de soin suffisante ; celle ci, une fois déployée, permet l’accès aux soins du fait de la proximité et de la banalisation des structures de soin, mais surtout grâce au travail sur le déni que permet le travail d’accueil en particulier. C’est l’offre de soin suffisante et connue dans la proximité qui désamorce le recours à la loi. Faire passer l’offre de soin avant la réflexion sur une éventuelle contrainte, c’est ce que les promoteurs du secteur ont affirmé dès l’origine, Bonnafé persiste.
-E Les autres questions
-On retrouve là dans le rapport la notion de " pivot " du travail de secteur. Il faut bien constater, non sans irritation, que le pivot reste pour beaucoup encore le service hospitalier. Ce pivot doit définitivement être situé dans un espace de soin léger et neutre comme un CMP ou un centre d’Accueil ou de Crise. Sur le plan clinique cela renvoie aussi à une réflexion en image : pour chaque patient, on peut penser que son groupe relationnel (certains disent sa constellation) constitue le ‘pivot’ du travail à engager. Le rapport l’évoque. Cette discussion permet de se dire qu’une idée encore plus souple de cette notion pourrait se répandre : le pivot n’est-il pas à la périphérie des soins, c’est à dire non pas dans les centres de soin, mais au plus près du patient, là où il vit ?
-Définitivement faire pour chaque équipe le plan de la répartition de ses moyens de soin en dehors des hôpitaux psychiatriques, avec la création d’un petit service hospitalier dans le secteur, ce qui entraîne la fermeture simultanée de tous les hôpitaux psychiatriques. Cela peut se faire partout en même temps aisément, puisque les hôpitaux sont dans des départements différents et sont indépendants les uns des autres, et cette simultanéité aurait un effet profond sur l’opinion publique, qui comprendra alors l’importance du changement entrepris depuis 30 ans…ce qu’elle n’a pas encore perçu. C’est une simple nuance à apporter au rapport P-R qui est sur cette question très déterminé.
-Il est essentiel que le travail sur la continuité des soins devienne pour chaque équipe de secteur une préoccupation clinique centrale. Cela veut dire à ‘élaborer’ constamment. Chaque équipe doit se construire sur ce point la forme de travail qui lui convient, mais en s’inspirant de bases communes à l’ensemble de la profession. Il ne suffit pas de s’affirmer soignant de secteur pour l’être. Il ne suffit pas d’affirmer que l’équipe ‘suit’ la politique de secteur pour réellement l’appliquer. Il est faux de dire que puisque tous les soignants d’une équipe travaillent dans la même équipe, le résultat de ce travail sera " comme par enchantement " du ‘travail de secteur et qu’il s’en suivra la continuité des soins ! Non ! La réalité quotidienne de notre activité est une " discontinuité " de liens thérapeutiques avec un patient ; pour qu’il y ait " continuité des soins ", il faut que l’équipe instaure une élaboration constante, fine et nuancée. Mais comment ?
Il y aurait aussi ici, au passage, une indication très importante à reprendre pour être utilisée comme indicateur de notre activité :
1 - l’équipe de secteur X ou Y est elle engagée dans ce travail d’élaboration de la continuité ? et combien de temps y consacre t elle concrètement par semaine ? (ce temps ne saurait être assimilé aux fameuses synthèses, dont on comprend rarement la pertinence)
2 – chaque équipe pourrait se proposer de définir dans la file active (à ce propos, on comprend qu’il serait nécessaire de préciser deux files actives : l’une annuelle, comme maintenant, l’autre pluriannuelle, sur dix ans ?), et définir deux groupes de patients : ceux qui sont pris dans un ‘travail de continuité’, et ceux qui sont suivis peu de temps (moins de un mois dans l’année), ou de temps en temps, et ainsi ne justifient pas d’être pris dans une ‘continuité’. Ces deux groupes de patients sont très différents et nous entraînent dans des réflexions cliniques très différentes.
Mais il faudrait travailler plus profondément la notion de " continuité des soins ", et ceci appartient à chaque équipe. L’absence de cette élaboration permanente entraîne une ‘mécanisation’ de la pratique qui ne devient que plus que ‘comptabilité’ d’actes et gestion administrative d’une pseudo ‘santé publique’, alors qu’elle est le point de réflexion clinique central de la psychiatrie de secteur.
-Une autre réflexion devrait se mener sur le développement par secteur des activités dites de prévention. Chaque équipe de secteur, dés qu’elle se situe dans la perspective du travail de secteur, dépense sur cette question une énergie considérable, mais n’en a pas suffisamment conscience et de ce fait n’en récolte pas assez les fruits (cela va des rencontres avec les élus et avec les responsables sociaux aux entretiens menés dans divers espaces sociaux d’un secteur) ; cela a comme résultat une meilleure connaissance de la réalité des souffrances psychiques, une meilleure tolérance par le groupe social, un effet de dépistage plus précoce, une meilleure information sur les situations pathogènes à l’origine de certaines souffrances psychiques, une action pédagogique bilatérale vers la psychiatrie et vers les liens sociaux. Plus ce travail est concerté avec le tissu social et sanitaire du secteur plus les résultats en terme de santé mentale sont importants.
-Une dimension très nouvelle de la folie et des soins psychiatriques est la notion de souffrances psychiques collectives. La souffrance psychique manifeste d’une personne est toujours une souffrance en lien avec des personnes. Si bien que soins et santé mentale ne s’appliquent pas à des individus isolés, mais à des personnes en liens avec d’autres, donc avec des " groupes ". Le travail sur les groupes doit faire l’objet de travaux de recherche, doit faire partie des formations de tous les acteurs de santé, et doit être intégré dans le soin, dans la prévention, dans l’évaluation.
Sur ces trois points précédents (continuité des soins, prévention, groupes) la réflexion menée par le rapport y est déjà présente, il suffit de la renforcer.
-La réflexion sur la psychiatrie dans les prisons est très bien argumentée dans le rapport P-R. Il est exact qu’un certain nombre de collègues voudraient entraîner la psychiatrie dans une voie qui mettrait en miettes la psychiatre de secteur en renvoyant hors de la prison toutes les personnes présentant des troubles psychiques dans les secteurs sous prétexte par exemple que l’on ne peut mettre les patients en situation de double contrainte : on ne pourrait, d’après eux, les soigner en prison contre leur gré alors qu’ils sont déjà privés de liberté. Leur affirmation est une méconnaissance de la réalité de la folie, ‘pathologie de la liberté’, et cela aboutit à mettre la folie au-dessus de la loi, raisonnement inacceptable. Cependant cette situation particulière justifie pleinement de ne pas stigmatiser plus les souffrances psychiques en créant dans les prisons des espaces de soin à part ; par contre leur intégration au service de médecine de la prison, proposée par le rapport, se justifie pleinement. Le reste des propositions du rapport faites sur cette question est élaboré et solide.
-La question des articulations entre le soin et la vie sociale dépend tellement des dispositions qui vont être prises dans les lois concernant la reprise de la loi sur le handicap qu’un travail très solide, avec le concours d’une Commission des Maladies Mentales redéfinie, se justifie pleinement, en continuité avec les avancées de ce rapport.
-Le chapitre concernant les personnels est solide. Soutenons-le vigoureusement en commençant par l’amélioration claire de la démographie médicale et du statut de l’infirmier psychiatrique
La question de l’articulation du soin avec ‘la vie’ est fondamentale ; sur ce point une mobilisation très forte devrait se faire autour des Associations 1901 qui doivent exister auprès de chaque équipe de secteur, pour établir un lien fort entre soin et tissu social. Elles sont aujourd’hui l’objet d’attaques diverses et graves des Directeurs sur ordre des ARH et dans le lointain de la Cour des Comptes (qui en fait ne s’est jamais intéressée à ces petites associations). Là encore quelle incompréhension de la part de ces administratifs ! Ces Associations rassemblent de façon forte et concentrée les liens humains à développer pour beaucoup de patients très vulnérables. Leur activité est essentielle pour soutenir les patients, non pas comme avant dans la vie intra-asilaire, mais dans la vie quotidienne du patient dans le secteur. Il ne s’agit pas d’en faire des " institutions " lourdes, mais de seulement les promouvoir en y associant des bénévoles (encore faudrait il que les soignants du service public les accepte sans être ‘jaloux’ d’eux), puis de préserver leur survie par des aides diverses et par une estime profonde, ce qu’elles méritent, mais qu’elles ne reçoivent pas, en particulier des Directeurs. Une des découvertes les plus fortes de la Psychothérapie Institutionnelle a été de fomenter, dans l’asile le pire, la création de " club ". Ces clubs, il est essentiel d’en favoriser la création dans le tissu social des secteurs. Le club lieu d’utopie ? pourquoi pas ! il y en a si peu, d’utopie !. Il est essentiel de soutenir le Rapport P-R sur ce point.
Au total enfin il n’est pas évident qu’une nouvelle ‘loi’ soit nécessaire, il y a déjà beaucoup trop de textes officiels sur la Psychiatrie de Secteur, sur une réalité qui est d’abord et seulement une activité thérapeutique. Ce ne sont certainement pas les lois qui vont apporter à la psychiatrie plus d’humain, mais c’est d’humain que la psychiatrie a besoin aujourd’hui.
-F. Mais quelle partie de la population utilise la psychiatrie de secteur ?
Il est rare qu’un rapport sur la psychiatrie ose poser une telle question. Ce rapport le fait au début. Il est nécessaire de continuer à travailler cette question qui ouvre sur d’autres interrogations et qui apporte quelques éclaircissements, par exemple nous allons comprendre pourquoi le terme de réseau fait florès dans la haute administration ministérielle.
Il est difficile de ne pas constater que les soins en psychiatrie sont distribués de façon très inégale, non pas parce que les équipes sont inégales, mais parce qu’en fonction du milieu auquel quelqu’un appartient il sera soigné en milieu libéral s’il fait partie d’un milieu aisé, et dans le service public dans les autres cas.
Ce qu’il est pertinent de constater, c’est la stratégie de soin utilisée par la classe aisée : d’une part elle s’adresse d’abord à un psychiatre privé, ce qui est actuellement très facile en France étant donné leur grand nombre et leur compétence (l’essentiel des psychanalystes de toutes les écoles sont dans le libéral), ensuite on peut noter que ce sont les consultations qui sont utilisées préférentiellement et bien sûr avec les psychiatres libéraux, que les hospitalisations sont utilisées au minimum d’abord dans le privé et en cas d’urgence, avec intelligence, on utilise le public, mais alors en limitant leur durée, enfin et surtout ce que l’on peut noter de bout en bout c’est que le milieu aisé réalise ses soins en utilisant un " réseau " relationnel très riche ; et c’est bien ce système de réseau qui est l’arme sociale la plus forte du milieu aisé ; il est formidable, il utilise toutes les relations, les liens sociaux les plus divers, les ressources financières, les connaissances les plus pointues dans tous les domaines… Ainsi on peut constater que la population aisée sait se constituer une psychiatrie de qualité, fait d’un réseau très solide, traditionnel, ouvert sur la modernité, et solidement installé. Elle fait " à bas bruit " une excellente psychiatrie de secteur, à sa façon ! C’est certainement elle qui en retour a donné l’idée de dire qu’il suffisait que dans la psychiatrie ‘pauvre’ tout serait résolu si ‘l’on’ mettait en place un réseau. Seulement cette description montre bien qu’un réseau est ‘inventé’ par un groupe, pour les ‘siens’, mais ne s’impose pas de l’extérieur à un autre groupe. On ne saurait imposer un réseau aux pauvres. La discussion autour de ce terme de réseau n’a pas à aller plus loin que ce constat qui le démystifie.
La conclusion est une singulière inégalité, une de plus et dont le ministère et la Cour des Comptes ne parlent pas. La classe aisée se sert de son ‘réseau’ très performant, (rappelons que les psychiatres libéraux sont deux fois plus nombreux dans le libéral qui rassemble aussi une efflorescence de techniques psychothérapiques très intéressantes et plus des trois quart de la psychanalyse), et,‘en plus’, se sert du réseau public pour combler les failles du libéral et faire face aux moments vraiment compliqués qui nécessitent un travail d’équipe solide.
Il faut ajouter à ce constat l’attitude des généralistes, enclins par choix professionnel à s’orienter vers le libéral, et très ‘critiques’ à l’égard de la psychiatrie publique qui lui paraît rassembler tous les maux : s’occupant de la folie dont leur enseignement leur a appris le mépris, l’absence de liberté du choix médical, les soins sous contrainte, l’anonymat administratif (critique justifiée d’un fonctionnement inacceptable du service public), pauvreté des espaces souvent, travail d’équipe (alors qu’eux-mêmes sont toujours seuls). Leur attitude est rarement en faveur du public au total, ce qui complique les suivis au long cours de patients qui ont été soignés dans le service public. Des efforts se déploient actuellement pour tenter de combler ce fossé entre généralistes et psychiatrie publique, mais c’est rare, alors que les conséquences de cette hostilité larvée sont graves et lourdes s’opposant en particulier à la continuité des soins. (soulignons l’intérêt de l’initiative de l’Information Psychiatrique avec Pierre Noël et les Laboratoires Lundbeck depuis 4 ans sur l’ensemble de la France avec la notion de co-thérapie entre psychiatres et généralistes).
Au passage on peut comprendre aisément que les critiques de la psychiatrie de secteur par les psychiatres libéraux, qui ont été formés à la psychiatrie par le service public et qui l’ont abandonné, est difficile à saisir ; car ce ne sont pas eux qui acceptent des rémunérations modestes pour soigner les patients des classes pauvres, ce qui aggrave l’écart entre classe aisée et les pauvres. Ainsi l’existence d’une psychiatrie à deux vitesses, comme le déclare clairement le Rapport Piel-Roelandt est une réalité " forte ". Il n’est pas question ici de polémiquer, mais d’affirmer qu’il est temps de parler franc, et que tout le monde s’associe pour redonner à chacun toutes ses chances. C’est une des audaces de ce rapport que d’avoir osé s’attaquer à cette remise en question du partage privé-public qui est manifestement tabou dans notre pays, et on comprend qui cela sert. Là on a beaucoup de mal à comprendre pourquoi les hommes politiques de gauche qui sont au gouvernement ne s’attaquent pas de front à cette injustice.
Il est hors de question de regretter que la classe aisée puisse avoir accès au service public, mais cela permet de souligner que le pays est en dettes à l’égard des classes pauvres, car l’inégalité est flagrante.
Il est donc indispensable de se demander comment le milieu qui n’est pas aisé peut faire face, seul ou non, à ses besoins en matière de psychiatrie : la solidarité ? l’assistance ?
Nous devons continuer ces interrogations :
On comprend par exemple simplement que la Loi de 1838, comme celle de 1990, vient palier l’absence de ‘réseau’ dans les milieux non aisés ; l’aide sociale c’était l’idée de départ de la loi de 1838 : elle obligeait l’Etat et la commune à payer les frais des soins (réduits à l’hospitalisation) ; par la suite la gratuité continue de tous les soins en psychiatrie publique (et pas seulement l’hospitalisation) est venue continuer ce soutien ; (cependant on sait que les psychothérapies dans le libéral ne sont que partiellement ou pas remboursées) ; mais très vite cette philanthropie s’est transformée en protection de la tranquillité publique pour mettre à part les personnes qui, en l’absence de " réseau ", viennent gêner la société. Et l’on a substitué une obligation de soin à une offre de soin qui rétablisse les chances de tous. On comprend que les administratifs, aisés, qui font les circulaires et écrivent les textes officiels, aient eu envie de s’appuyer sur l’idée de réseau, elle n’est pas mauvaise, elle est simplement ‘creuse’ pour les classes pauvres qui n’ont pas ces liens donnant la liberté de se créer un réseau. Le problème reste posé : comment répondre aux besoins de cette partie de la population qui est pauvre, désaffiliée (R Castel), en situation de précarité ( voir les initiatives et propos d’Emmanuelli, Minard, Piel, Jeanson). C’est une problématique sociale large qui doit être approfondie parallèlement à la question de l’évolution du service public de psychiatrie ; l’école de Lyon (avec Furtos, Gillet, ), la revue Rhizome s’y emploient…
Ce débat serait peut-être à mettre en liens avec d’autres constats comme celui ci : la pratique du travail de secteur a permis de saisir la notion de " vulnérabilité " d’un certain nombre de patients ; je n’emploie pas ce terme dans le sens d’une fragilité psychique ( comme les américains l’ont proposé pour parler de la schizophrénie, mais attention aux pièges des traductions, et… de toute façon la barrière entre le psychique et le social n’existe pas ! Francis Jeanson a fort clairement insisté sur ce point) ; je propose ce terme pour désigner pour ces personnes leur difficulté à trouver des modalités d’adaptation stables devant les obstacles à résoudre pour vivre dans un milieu donné, …qui n’est pas le leur ; la difficulté est double, ils doivent faire face d’un côté à la complexité des règles de, ce milieu, et de l’autre aux agressions des délinquants et personnalités perverses qui sont en quêtes de personnes fragiles qu’ils peuvent utiliser pour leur propre plaisir.
C’est la perception de cette vulnérabilité qui incite encore aujourd’hui un trop grand nombre de soignants (nostalgie, fausse, de l’asile) à demander des soins sous forme d’hospitalisations prolongées et plus nombreuses, et de ce fait à renforcer l’hôpital au lieu de renforcer le travail relationnel dans les espaces propres aux patients dans le secteur ; cependant la difficulté est double encore : les hospitalisations n’ont pas de prise sur cette vulnérabilité relationnelle, et il y a pire, elles l’aggravent dans un certain nombre de cas, car ces personnes dans les services d’hospitalisation trop importants se trouvent le plus souvent confrontées à quelques psychopathes qui, si les soignants ne sont pas suffisamment attentifs ou pas assez nombreux, abusent d’eux de diverses façons de jour ou de nuit. (cette cécité invite certains d’entre nous à oser employer le terme fort de ‘négationnisme doux’ : il réside dans cette absence de lecture de ce qui se passe réellement dans un certain nombre d’hospitalisations, absence qui s’appuie sur un oubli des critiques faites avec raison sur la vie quotidienne dans les hôpitaux psychiatriques dans les décennies précédentes)
C’est donc bien cette vulnérabilité qu’il faut travailler ; elle est, me semble t il, différente de la précarité de certaines personnes qui les font se soustraire à tout échange thérapeutique comme à de nombreux échanges sociaux. La réponse en termes de structures de soin ou d’asile social est inadéquate. Ce qui semble nécessaire, selon l’école lyonnaise, c’est une réflexion conjointe des soignants et des acteurs sociaux débouchant sur des attitudes de soin et sociales adaptées.
Au total, cette remarque constitue l’un des résultats de la psychiatrie de secteur qui a rendu apparents des faits jusqu’alors masqués par les concentrations ‘asilaires’ ; elle oblige à une réflexion clinique et sociale et à la concertation. Le rapport P-R l’évoque ; il faut prolonger sa réflexion de façon très large et déterminée.
Au total l’inégalité des chances devant le soin en fonction de la classe à laquelle on appartient est beaucoup plus vive que l’inégalité des équipes entre elles, elle doit elle aussi être modifiée.
- G . La question de la Formation et de la Recherche (qu’il soit dit une bonne fois qu’en psychiatrie la formation ne peut se penser hors de la recherche, ce qui veut dire que la recherche fait partie de la pratique de base de l’exercice de la psychiatrie de secteur. La différence entre les deux est que la Formation explore tous les aspects du soin et de la prévention, alors que la Recherche doit se limiter à un point précis de la pratique que l’équipe décide d’approfondir pendant un certain temps).
Le chapitre concernant les formations est très important dans le rapport. Nous devons le renforcer par deux types de propositions au moins : une générale concernant tous les acteurs à des titres divers selon leur profession de départ, et une particulière concernant les Directeurs
-Sur un plan général il est justifié de faire une analyse fondamentale de l’apport considérable de la Psychiatrie de Secteur à la psychiatrie, il est nécessaire alors de s’interroger de façon plus radicale sur l’enseignement nouveau que ce constat doit entraîner. L’absence de cette réflexion, les dix années passées surtout, a entraîné une désaffection des jeunes générations à l’égard de la psychiatrie de secteur. Comment tenir compte de ce constat : la psychiatrie de secteur représente dans son accomplissement une véritable révolution culturelle. Il est essentiel d’en préciser les points forts et de les enseigner :
commencer par refuser de partir exclusivement d’un enseignement exclusif de la symptomatologie psychiatrique (il faut dénoncer comme un scandale d’une exceptionnelle gravité l’enseignement exclusif de la psychiatrie par les universitaires ; ceux ci n’ont aucune pratique du travail de secteur, et cependant ils en enseignent le mépris, pour ne donner de place qu’aux symptômes et aux ‘molécules’ des laboratoires qui le leur rendent bien : cela devrait justifier une véritable révolte chez les soignants et une mise à sac de facultés qui restent aussi ignares et cloisonnées. Certes comme toujours il y a de rares exceptions, ils doivent se faire connaître, ils sont rares) mais, ce sont d’abord plusieurs autres points devraient ensemble être enseignés en premier (les ‘molécules’ pourraient être enseignées de façon plus pertinente après ) :
d’abord :
-considérer l’homme dans sa globalité et donc constamment être attentif simultanément à son corps et à sa place sociale, dès la première rencontre avec un patient vu pour une question d’ordre psychique,
-prendre en compte à chaque fois son groupe relationnel,
-travailler constamment la place de la famille, comme racine et aussi ressource de départ pour chaque patient, puis comme alliance à chercher,
-prendre en considération la formation nécessaire pour faire avec chaque patient, à l’occasion de chaque début de soin, un travail d’accueil ou de crise permettant de lever le déni de la réalité psychique de sa souffrance, qui établit une barrière au traitement, si souvent et si longtemps,
-travailler d’un côté la psychothérapie individuelle, ses degrés, ses acteurs (et il est essentiel d’affirmer qu’elle ne saurait continuer à être définie comme chasse gardée de deux catégories professionnelles, psychiatres et psychologues) et de l’autre le soin ‘de groupe’, qui est une réalité de travail sur le terrain depuis que la psychiatrie existe ; elle continue à être exercée quotidiennement sans être enseignée. Les notions de transfert et de contre -transfert doivent pouvoir être enseignées comme apport fondamental dans la compréhension de toute relation thérapeutique en psychiatrie. La notion d’engagement personnel dans la relation de soin, notion qui est centrale dans la pratique psychiatrique, ne peut être vécue qu’avec l’éclairage de ce travail personnel, avec le souci d’en reconnaître les limites ; cette démarche est essentielle pour approfondir la nécessité de lacomplémentarité des soignants dans une équipe,
-travailler les doses de savoir et d’ignorance qui accompagnent aussi les prescriptions de médicaments, savoir se limiter à ce que l’on sait
-travailler la notion de continuité des soins, sa réflexion, les techniques qui l’approfondissent comme celle des " passages " (passage d’une unité de soin à une autre, mais aussi du soin à l’implication sociale du patient, du généraliste au psychiatre et l’inverse) ; notre activité n’est qu’une succession de soins " discontinus ", nous pouvons imaginer qu’existe la continuité psychique du patient ; mais comment faire une articulation entre les deux, en une articulation qui soit soucieuse de la liberté du patient et du respect de son élaboration psychique tout au long des soins ?
-travailler la notion de co-thérapie autour d’un même patient : qu’est ce vraiment que la co-thérapie ? comment la faire vivre avec un psychotique (avec un schizophrène, un paranoïaque, un psychopathe, un délirant, une personnalité anaclitique, un alcoolique, un toxicomane ? comment élaborer nos stratégies thérapeutiques en fonction des structures de personnalité sans oublier pour autant la force de la personnalité humaine de chacun ?
-travailler la notion d’accompagnement social pour un certain nombre de patients très ‘handicapés’ par leurs troubles et par les soins, en particulier en concertation avec les Associations de patients et de familles (l’UNAFAM),
-travailler la concertation dans les conseils de secteur en particulier avec les ‘politiques’,
-travailler le rôle d’acteur de santé public et ici de santé mentale,
-travailler les capacités à assumer le rôle de responsable collectif),
Ces deux dernières notions sont fortement utilisées dans notre pratique, mais ne sont pas enseignées (il y eu un essai avec ce bref ‘chou-blanc’ autour de la notion américaine mal adaptée de ‘management’, comme si nous ne pouvions pas nous appuyer sur les expériences françaises, par exemple celles de la Psychothérapie Institutionnelle et associatives qui en connaissent un morceau, mais des universitaires ont dû s’y opposer !)
-La formation des Directeurs doit être particulièrement approfondie. Ils jouent un rôle déterminant, mais actuellement ils n’y sont pas préparés parce que…la psychiatrie de secteur est encore enfermée dans le giron de l’hôpital. Nous devons faire de la question de l’avenir de l’hôpital et (le rapport P-R n’insiste pas assez sur ce point ) son corollaire, la formation des Directeurs une question de fond. Sinon…les Rapports sur la Psychiatrie vont continuer à se multiplier …sur son berceau, sans effet, et la psychiatrie de secteur disparaîtrait, ce que nous ne voulons pas. Le Rapport Piel-Roelandt ne le veut pas non plus, il l’affirme clairement et à de nombreuses reprises en rappelant que les deux logiques, celle de l’hôpital et celle du secteur sont opposées. Il faut modifier le choix des directeurs, car actuellement l’hôpital l’emporte.
CONCLUSION
Notre conclusion est donc très claire : le Rapport Piel-Roelandt, par sa forme, sa ténacité, sa diplomatie, son ouverture, constitue une opportunité que tous ceux qui ont investi cette révolution que constitue la Psychiatrie de Secteur ne peuvent laisser passer. Il est donc essentiel d’en soutenir la reconnaissance. Sans tarder les mêmes acteurs doivent se mettre au travail pour en envisager l’application en l’approfondissant et en le complétant.
Cette réaction personnelle au Rapport Piel-Roelandt est diffluente, même si je dis que j’ai tenté de suivre son plan. De toute façon devant l’ensemble de la question de la psychiatrie de secteur il y a une cohérence à trouver. Le fil conducteur n’est-il pas clairement du côté de la clinique ? Totalement ! A chaque étape d’une discussion d’ensemble sur la psychiatrie de secteur la logique clinique s’impose d’abord, en la rappelant ou en l’approfondissant. Toujours. Une clinique prenant en compte, non pas le symptôme ou l’individu isolé, mais une clinique prenant en compte l’homme dans sa globalité et dans son environnement.
Pour que ce rapport ne soit pas limité à un texte, mais résonne avec l’actualité concrète du terrain et sa réponse spécifique, chaque équipe de secteur devrait se livrer a des travaux pratiques en faisant le point sur elle-même.
Ainsi à ma modeste place d’un praticien qui termine sa carrière, je me suis permis de faire ici quelques remarques, qui s’appuient sur mon dernier mois de pratique de secteur. J’ai eu la chance en effet de remplacer pendant ce dernier mois d’août 2001 plusieurs collègues sur plusieurs activités, simultanément sur les points précis suivants : d’abord ceux de l’urgence à l’hôpital général, des urgences dans notre centre d’Accueil, des soins dans notre équipe de Crise (l’un et l’autre associés et distincts et sans lit ; il s’agit donc une même équipe d’une quinzaine de personnes faisant face à ces trois activités qu’elle distingue par des stratégies différentes sur plusieurs espaces et sans lit) ; j’ai eu aussi partiellement à intervenir dans notre nouveau service d’hospitalisation situé depuis un an hors hôpital. Et j’ai eu la joie, de façon précise, d’apprécier le bien fondé du dispositif que nous avons mis en place, de constater que sur le plan clinique notre pratique est vraiment passionnante, nouvelle. Cette pratique actuelle n’a plus rien à voir avec ce que nous faisions auparavant : nous sommes de plus en plus engagés dans la relation thérapeutique, nous arrivons enfin à établir des liens de co-thérapie entre plusieurs soignants, au lieu de fonctionner dans ‘l’imperméabilité’ (c’était sous les faux prétextes de l’asepsie et du secret), nous arrivons à comprendre un tout petit peu ce que nous faisons et comment cela s’intègre autour d’un même patient. Nous élaborons des conduites thérapeutiques de plus en plus affinées envers diverses catégories de patients sans nous torturer sur leur diagnostic, (diagnostic dont l’essentiel est toujours facilement accessible), le plus important étant notre capacité d’engagement devant les différents moments de leurs souffrances. Et au total nous commençons à entrevoir ce que peut être l’élaboration à faire autour de la continuité des soins qui associe au service d’un patient successivement plusieurs soignants autour d’un médecin de secteur. Nos indications de soin sont de plus en plus pertinentes, en particulier grâce à toute l’attention que nous portons à cette période préalable au soin qui est ce travail sur le déni que nous approfondissons dans notre équipe d’urgence, d’accueil et de crise.
Pour être honnête, je dois ajouter aussi que j’ai pu encore constater que même dans notre équipe il y a des psychiatres qui sont incapables de changer d’attitude depuis des dizaines d’années et qui de ce fait n’apprécient pas ce que je décris ici ; ceux que cela intéresse peuvent venir le constater. J’ai pu apprécier en même temps la fragilité de notre avancée sur l’urgence, l’accueil et la crise dans notre équipe, car au fil des années un seul psychiatre à mi-temps de notre équipe (depuis 1982) s’est engagé régulièrement dans ce travail, et il encadre (avec ma participation régulière) les deux médecins qui font concrètement tout le travail …bien entendu le travail de cette unité a été confié par l’équipe, à qui ? non pas aux seniors, mais aux plus jeunes, les moins expérimentés, les deux médecins assistants (dont la durée de travail est courte, un à trois ans). Qu’est ce que cela veut dire ? que ce travail dans notre équipe est mis en doute, donc très fragile, surtout face à l’immobilisme d’une grande partie de ses acteurs qui font passer d’abord leur confort intellectuel, refusant de modifier leurs habitudes de pensée et refusant de prendre de nouveaux risques. Comment se fait-il que la plupart des médecins de l’équipe ne donnent pas à leur tour une partie de leur énergie et de leur intelligence à cette " expérimentation " (qui dure depuis 20 ans) ; il suffirait de le faire en s’y consacrant à temps complet pendant un mois par an, comme je viens de le faire. Si j’ose parler de cela ici dans l’oreille du lecteur, c’est que je sais que tout n’est pas perdu ; Patrick Chaltiel, qui a pris la succession de la responsabilité de ce secteur officiellement depuis juillet, était en vacances en Août ; il s’est déjà montré un farouche défenseur, avec sa personnalité, de ce travail d’urgence, d’accueil et de crise ; nous savons qu’il va lui apporter sa dose de ténacité et aussi de renouvellement, en particulier en faisant partager une dimension que nous n’avions pas encore assez développée (et là encore quelle résistance contre cela chez plusieurs de mes collègues !) le travail quasi systématique avec les familles dès que les pathologies ne sont pas sur le versant névrotique. Mais il va avoir à se battre à son tour contre cet immobilisme-inhibition de quelques collègues, trait de caractère si fréquent dans notre profession. Le simple retrait de quelques psychiatres dans une équipe devant une telle activité constitue un frein singulier pour l’ensemble de l’équipe, car il bloque souvent l’énergie sur de petites polémiques vaines, au lieu de faire converger la réflexion sur la question de fond : élucider comment ce nouveau travail modifie le cours des choses, et de ce fait découvrir de nouvelles stratégies thérapeutiques : -sur les groupes, -sur les familles, -sur les liens avec le tissu social. Outre bien sûr l’engagement total de plusieurs médecins( sinon rien n’aurait été possible), le dynamisme dans notre équipe pendant trente ans est venu majoritairement des infirmiers qui se sont saisis de la chance qui leur était donnée de se trouver souvent en première ligne ; cependant la difficulté est là aussi de faire passer auprès d’eux la formation continue comme une dimension de la pratique quotidienne, donc nécessaire, la réticence est forte au début, et dure. Les psychologues ensuite se sont souvent montrés fort inventifs ; les assistantes sociales aussi quand elles sont suffisamment nombreuses ; les secrétaires aussi qui sont des pivots irremplaçables dans le fonctionnement de l’équipe ; celles ci avec les psychologues partagent la vindicte des directeurs ? nous n’avons pas compris pourquoi.
Précisons que notre dispositif de soin, depuis cette année, se répartit entre trois pôles géographiques seulement : -- un pôle intensif comprenant notre équipe d’Urgence–Accueil, et le Service d’hospitalisation de 19 lits, -- un pôle au long cours que sont les 18 places d’hôpital de jour, la plus ancienne des structures dans le secteur, -- et un pôle intermédiaire ,regroupant le CMP, l’équipe de Crise, et trois CATTP pour les ado, les personnes âgées, et les familles. Les liens sont donc plus faciles qu’avant entre ces trois pôles, moins dispersés
Le point de " vérité " à venir sera, à mon avis, la capacité, et le plaisir (ou non) qu’aura l’équipe dans son ensemble à approfondir la pratique et l’élaboration des " passages ", ces articulations entre plusieurs soins successifs pour un même patient, et les articulations entre le soin et la vie des patients (leur corps et leur place sociale). Ceci pour travailler solidement la question de la continuité des soins, pièce centrale de la psychiatrie de secteur. Mais comme c’est le travail d’accueil et de crise qui le montre le mieux…le risque est que l’équipe, s’en protégeant, n’y accède pas.
Ce post-scriptum voulait témoigner de la modestie nécessaire de notre travail et de notre propos : la communauté de pensée (le bien commun d’Hélène Chaigneau en partie) n’est-elle pas une bonne utopie, de celles qui font se remuer ; une utopie, donc de l’irréalisable, et du passionnant. La vérité ne saurait régner d’un seul côté, et même, pas toujours du côté du…pouvoir. Il est possible d’aller la chercher dans une discussion dialectique autour d’une réalité qui, à ce que l’on nous dit, est en perpétuel mouvement…la vie.
Au total, sur le plan local aussi, le Rapport Piel-Roelandt est une opportunité que nous devons saisir pour articuler notre travail avec ceux des autres équipes de secteur, pour nous d’un côté celles fraternelles de Ville-Evrard, et de l’autre celles de France avec lesquelles on a envie de travailler : Laragne, Dax, Angers et de nombreuses autres.
Ce dont la psychiatrie de secteur a besoin en priorité, c’est d’un discours commun qui anime les équipes et le débat sur la folie. Nous en avons avec ce rapport Piel-Roelandt un point de départ majeur. Nous ne devons pas hésiter à nous emparer tous de ce rapport, et à le travailler ensemble pour en obtenir l’officialisation et une évolution favorable.
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