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THERAPIE FAMILIALE

Réflexions et perspectives

DOCTEUR PATRICK BANTMAN Psychiatre ,Thérapeute Familial

(Hôpital Esquirol -SAINT-MAURICE 94)

La thérapie familiale a vu le jour dans les années 1950, quand des chercheurs du domaine de la schizophrénie ont constaté que le rétablissement d'un patient entraînait souvent l'aggravation de l'état d'un autre membre de sa famille. Les thérapeutes en ont déduit que les changements chez une personne avaient des répercussions sur tout son système familial.

Bien qu'elle soit née des travaux de chercheurs concernant la schizophrénie , la thérapie Familiale systémique ne peut s'appliquer comme telle à l'abord des familles psychotiques .
Actuellement la Thérapie Familiale est interpellée dans des contextes différents , les problèmes d'addiction ( drogues et alcoolisme) , les troubles des conduites alimentaires , les prises en charge de familles de patients psychotiques , dans le cadre des problématiques adolescentes et délictueuses …. A partir des Thérapies Familiales , des applications différentes utilisant les conceptions systémiques en découlent et interviennent dans le cadre des entreprises et des organisations dans le champ social .

De là aussi est née la " thérapie familiale de groupe ", avec des familles de psychotiques , qui applique les concepts de la thérapie de groupe à plusieurs familles à la fois. Lors des séances de " counseling familial ", les conseillers discutaient avec les membres de la famille du meilleur traitement à administrer, sans que le patient soit présent.

Une étude de 1996 indique que les thérapies visant à réduire les remarques désobligeantes et l'hostilité des membres de la famille de personnes schizophrènes diminuaient d'au moins de moitié la durée des réhospitalisations.

Ce changement de perspective nécessite de prendre en compte le fonctionnement familial non pas comme cause /ou conséquence du fonctionnement du malade , mais au contraire de réaliser l'aspect complémentaire de la famille et son malade comme nécessaire à leur équilibre , qui pour un certain nombre de raisons se vit comme fragile et conflictuelle . Comme le disait HEGEL :" l'individu qui ne lutte pas pour être reconnu hors du groupe familial n'atteint jamais à la personnalité avant la mort ".

L' évolution du soin dans le cadre de la Psychiatrie en particulier dans la prise en charge du patient schizophrène , avec ses effets sur la durée de l'hospitalisation , et la mise en place d'interventions au sein de la communauté de vie du patient entrainent dans un grand nombre de cas , la rencontre avec la famille du patient .

Celle-ci est souvent le milieu d'accueil et de vie du patient , souvent par faute d'autre structure d'accueil .C'est sur elle que repose souvent le maximum de contraintes et de difficultés liés à la cohabitation avec un enfant ou un adulte qui présente des troubles psychiatriques.
Dans cette démarche nous devons considérer la famille comme un partenaire à part entière dans le processus thérapeutique , sans renoncer pour autant à notre engagement auprès du patient . Il s'agit de se mettre à l'écoute de la famille , de ses limites , de ses valeurs et de ses enjeux .En contrepartie nous pourrons exiger d'elle qu'elle pose des règles , qu'elle les respecte . Dans ce contexte , tout projet de réhabilitation devrait prioriser la participation de la famille au même titre que le patient , même quand les liens avec le malade sont minces .
A la différence du psychanalyste, le thérapeute familial soulignera les propres compétences de la famille afin de redonner au maximum la main à la famille .Ce travail de restauration est probablement essentiel pour le thérapeute familial au même titre que penser comment la famille et les groupes sociaux s'organisent autour de la maladie . Nous pourrions nous demander si le fait de pouvoir replacer le trouble de l'adolescence dans une signification familiale , ne donne pas l'occasion de restituer une partie de la fonction d'étayage parents -enfants qui à pû se révéler déficiente?

Il conviendrait de se mettre d'accord selon nous sur la définition que l'on peut proposer du cadre de la thérapie familiale. La Thérapie Familiale selon nous , ne se limite pas aux thérapies Familiales engagées dans le seul cadre temporel réservé à cette activité , il est nécessaire d'y intégrer les entretiens à partir du moment ou se définit entre la famille et le(s) thérapeutes des objectifs thérapeutiques , qui concernent les membres de la famille et pas seulement le patient à l'origine de la demande . Ce qui nous semble essentiel en Thérapie Familiale, surtout dans le cas des psychoses schizophréniques , c'est la volonté du thérapeute de jeter un pont, une passerelle qui lui permette de toucher la rive de la famille

Depuis l'apparition de nombreuses approches de thérapie familiale, les frontières entre les diverses écoles de pensée ne sont plus très claires aujourd'hui. De nos jours, la thérapie familiale se distingue par la variété de ses applications vis à vis des problèmes qui se posent à l'adolescence , dans le cadre des problèmes d'addiction ou de toxicomanie , l'anorexie mentale où les problématiques psychotiques .

La deuxième cybernétique constitue le point d'avancé le plus important et le point de recherche le plus intéressant dans le champ de la Thérapie Familiale .Elargie aux domaines de la Thérapie Familiale , la notion d'autoréférence signifie qu'il devient impossible de décrire une situation thérapeutique quelconque sans accepter qu'on y soit inclus .Avec ces notions d'autoréférence , le clivage avec la théorie analytique s'estompe , cette perspective impose au thérapeute une implication affective et un travail sur cette implication .La Thérapie Familiale est pensée comme une "construction " avec la famille .Mony Elkaim parle "d'assemblage autoréférencié" qui apparaissent lors de la séance et qui appartiennent non seulement à la famille , mais aussi au système thérapeutique .Le thérapeute y est toujours inclus

Un autre aspect nous semble essentiel c'est le processus d'affiliation avec la famille, ce que Minuchin appelle le joining. Ce processus ne peut jamais être une technique car nous ne le percevons pas toujours clairement . Minuchin le compare à Zelig en référence avec le personnage de Woody Allen qui a l'étrange propriété de changer en fonction du contexte. Il n'est pas à l'origine des modifications. Elles ne font que lui arriver.

De nombreux thérapeutes familiaux perpétuent la tradition qui associe " famille " et " système " comme une manière de marquer la distinction entre la thérapie familiale et d'autre forme de thérapie. La famille est ainsi assimilée à un système, elle est le patient et est donc la cible de l'intervention thérapeutique. Le concept de "jeux pervers" de Palazzoli démembre le système interactif (la situation thérapeutique dans son ensemble), et les différences imaginaires qui en résultent mènent à une relation axée sur le pouvoir, impliquant un certain type de violence. Ceci transforme la thérapie en une relation dans laquelle le thérapeute est considéré comme agissant sur la famille/système) en se conduisant "comme un chasseur " dont l'intervention n'est pas sans rappeler " celle d'un harpon ". (Palazzoli et al. p. 243).

Si l'on en croie Einstein selon lequel votre théorie détermine ce que vous voyez, le fait de considérée que les clients " dissimulent adroitement " leurs jeux pervers amènent les thérapeutes à devoir traquer ces jeux pervers à l'aide de harpons métaphoriques ou d'autres moyens violents afin d'y mettre fin. Dans cette optique la famille est substituée au patient et le système au psychisme (ceci revient à dire qu'en " séance de thérapie familiale le " patient " c'est la famille, et non un quelconque individu ". La question des limites du système se pose : de quel système parle-t-on ? On parle de système familial mais on devrait aussi intégrer le système institutionnel et au-delà le système social (plus vaste). Cette sorte de confusion est le résultat de la tendance qui consiste à maintenir le thérapeute comme observateur indépendant de ce qu'il est en train d'observer. En thérapie familiale c'est seulement en interaction avec le thérapeute qu'il est possible de décrire la famille ou la famille considérée comme système. Le thérapeute comme observateur fait toujours partie dès le départ du contexte thérapeutique et il est ainsi un membre du système en interaction.

Il est parfois difficile pour un thérapeute familial de reconnaître " La thérapie familiale " dans un seul cadre incluant la supervision vidéoscopique et excluant toutes les autres approches. La distinction longtemps pour moi opérante entre " thérapie " et " entretiens familiaux "peut-elle se comparer à celle entre cure type et Psychothérapie en Psychanalyse ?

. L'approche systémique offre aussi la particularité de pouvoir s'intégrer au sein d'une pratique en réseau . Cette approche popularisée aux USA par ROSS V.SPECK, intègre le réseau social de la famille . En France plusieurs équipes ont été influencés par cette approche . Pour notre part nous avons utilisé cette approche lors d'interventions de crise familiales dans des populations africaines , dans une banlieue parisienne ; en recevant les familles, ainsi que tous les intervenants sociaux . Le but de ces rencontres était de favoriser le maintien d'un réseau , et de contribuer à réaliser l'entraide et le soutien de tous les membres de la famille .L'élargissement du cadre d'intervention permet d'intégrer tous les multiples éléments apparemment non directement lié à l'aspect personnel ou familial . En effet la thérapie familiale dans un contexte transculturel ne peut ignorer ces différents niveaux d'interventions qui sont présents et interalliés à tout moment . .

Pour terminer ce tour d'horizon nous voudrions évoquer un dernier point important dans notre pratique : Quel sens va prendre l'évaluation et l'appréciation Du diagnostic psychiatrique en Thérapie Familiale ?

Cette question difficile est posée chaque fois qu'il nous est demandé de poser un diagnostic vis à vis des familles vues en Thérapies Familiales .
La spécificité du mode d'approche en Thérapie Familiale s'accommode mal de la tradition médicale classique selon laquelle la conduite du traitement devrait différer en fonction du diagnostic posé .L'approche systémique peut-elle permettre de mettre en évidence une structure et une dynamique propre à chaque structure nosographique ? .
Pour Didier Destal , nous citons " Un thérapeute familial systémique ne devrait pas différencier sur le plan théorique tel ou tel symptôme et ne devrait surtout pas en inférer des stratégies thérapeutiques spécifiques " .

Selon les auteurs on évoque des familles à transaction psychotique, anorexique, dépressive, psychosomatique, avec chacune leurs particularités .La dynamique de ces Thérapies est-elle pour autant différentes, et est-il possible de les distinguer ? Il semble que non . Il semble si l'on se rapporte à la littérature systémique que les concepts et notions utilisés par les Thérapeutes Familiaux ont une tendance plutôt extensive , et que leur pertinence soit plutôt transnosographique (J.M .Havet Génération No10) La question du diagnostic en matière de psychose nous semble cependant incontournable. La famille qui vient consulter en éprouve le besoin, et espère de cette façon donner un sens à ce qu'elle ne comprend pas, à ce qui l'effraie. Le thérapeute familial se doit donc de l'accepter, surtout quand il s'agit d'un diagnostic de psychose souvent établi par un autre spécialiste, afin d'établir avec la famille un rapport de confiance, un rapport positif qui lèvera les réticences de la famille à s'engager dans le travail thérapeutique qu'il lui proposera .Même s'il ne s'agit pas de quelque chose auquel il doit croire absolument il est important d'accepter ce que lui propose la famille, comme digne d'intérêt . L'essentiel pour le thérapeute sera de percevoir quel type de message représente la maladie, et de voir comment la famille réagit. Il pourra même demander au patient et à sa famille ce qu'ils pensent du diagnostic posé et comment ils ont réagi sur le plan émotionnel. L'intérêt est de convertir la problématique de la maladie en une problématique relationnel et en processus interactif.

Pour conclure avec vous ce parcours que nous avons emprunté autour de la question de l'évolution des Thérapies Familiales aujourd'hui , nous voudrons insister sur 2 points :
- Les Thérapies Familiales , apparues dans les années 70 en France ont acquises une place dans le champ des pratiques psychothérapiques dans des domaines variées. Elles sont pratiquées dans des contextes différents .L'ouverture du champ de la Thérapie Familiale se fait vis à vis de la Psychanalyse, de l'anthropologie , de la cybernétique et de l'éthologie .

- Pour appréhender ce qui se passe entre lui et la famille, le thérapeute Familial "se forge une théorie" , surtout afin de se donner les instruments dont il a besoin. Il doit demeurer ouvert à l'imprévu, toujours prêt à renoncer et à défaire ce qu'il a pu avancer comme certitude. Nous citerons Geberowicz et Attia pour qui chaque thérapie, chaque famille doit être source d'étonnement à condition de sortir des grilles de lecture trop rigides, de se laisser errer dans le système thérapeutique , le regard et l'oreille attentifs à tout ce qui se présente , l'esprit prêt à suivre les pistes les plus saugrenues , les plus incongrues, les plus inattendues. Freud en 1938 avouait son désarroi , à propos d'une étude sur le clivage du moi :" Je me trouve aujourd'hui dans l'intéressante situation de ne pas savoir si ce que j'ai à dire doit être considéré comme allant de soi, et familier depuis longtemps, ou si au contraire, ce n'est pas quelque chose d'intéressant, neuf et embarrassant". Il ne faut jamais oublier que toute conceptualisation, dans le domaine de la clinique, s'origine de l'expérience elle-même. C'est cette expérience dans son originalité propre qui est à retrouver ( même et surtout si elle devait mettre la théorie en défaut ) ....

Bibliographie

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Bouana E., Desmarquet J., Destal D., Disciplines et frontières: vers une écologie de notre pratique systémique. Génération, n° 16, p. 15-19.

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Calvino I., Paloma. Ed. du Seuil, 1985.

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Freud S., La naissance de la psychanalyse, Lettre à W. Fliess. P.U.F., 1956.

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Sokal A., Brickmont J., Les impostures intellectuelles. Odile JACOB, Paris, 1997.


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