ETHNOPSYCHANALYSE
Dr Serge HEFEZ
Psychiatre. ESPAS
Qu'est-ce que c'est ?
Si l'on peut considérer, comme le faisait Georges Devereux, le précurseur de l'ethnopsychanalyse, que les maladies mentales et le fonctionnement du psychisme et de l'inconscient sont universels, c'est toutefois dans un code culturel spécifique que s'expriment les maladies et que se déroulent les psychothérapies. Les migrants de première génération sont par conséquent des personnes dont les problèmes ne peuvent éventuellement pas se comprendre par les voies habituelles de la médecine et de la psychiatrie.
Pour aider ces patients, l'ethnopsychanalyse prendra en compte aussi bien leur histoire individuelle que l'ensemble des représentations culturelles associées à leur problème.
Dans leur vie ou celle de leur entourage familial, la migration a été un énorme bouleversement, un traumatisme fragilisant ayant parfois des conséquences sur leur santé physique ou mentale.
Et une interrogation se pose tout particulièrement pour eux : " comment rester le même quand tout change autour de soi ? "
Certains enfants d'immigrés, et ce quel que soit le pays d'origine, se sont trouvés victimes d'un écartèlement entre leur culture et celle de leur pays d'accueil, écartèlement qui peut expliquer en partie certaines de leurs perturbations..
Il ne s'agit pas d'opposer l'approche classique et l'approche transculturelle mais au contraire de les envisager dans une complémentarité ; toutes les manifestations de la souffrance psychique des plus bénignes aux plus graves ne sont certes pas à imputer au traumatisme de la migration. Elles ne s'expliquent pas forcément avec des données culturelles. Mais lorsque la psychiatrie et la psychothérapie classiques butent sur la compréhension d'une maladie mentale, d'une dépression ou de passages à l'acte, l'apport de l'ethnopsychanalyse peut se révéler d'une grande richesse.
C'est d'ailleurs à l'hôpital que ces patients et leurs familles viennent s'adresser et non à un guérisseur traditionnel de leur pays d'origine : il s'agit donc de situer la thérapie dans cette appartenance à plusieurs cultures à la fois.
Le principe de la méthode
L'ethnopsychanalyse est une méthode qui va chercher à coordonner des principes issus de la psychanalyse et de l'anthropologie, mais aussi d'autres disciplines comme les thérapies familiales ou les théories de la communication.
Les équipes soignantes comprennent des membres de la même origine que le patient, ce qui leur permet de se placer dans son contexte culturel et de travailler dans sa langue d'origine.
Le patient et sa famille peuvent être reçus en grand groupe (un thérapeute principal, un traducteur et une dizaine de cothérapeutes) ou en petits groupes (un thérapeute principal, un traducteur et un ou deux cothérapeutes).
Si la famille est reçue une première fois dans son ensemble avec parfois des voisins ou des amis, toutes les combinaisons peuvent se réaliser par la suite : patient seul, parents seuls, frères et sœurs ensemble etc..
Le groupe thérapeutique métissé, pluriculturel, matérialise l'altérité.
L'interprète qui est présent ne se contente pas de traduire, il est aussi un médiateur de la culture d'origine.
Tout le monde s'assoit en cercle, comme on le ferait pour palabrer ou négocier des affaires de famille
Le thérapeute principal, entouré de cothérapeutes, tente de retrouver les rites, les mythes, les contes qui se transmettent et se transforment de génération en génération et qui façonnent le psychisme des individus.
Il fait une proposition thérapeutique en fin de séance qui fait un lien entre les différentes propositions des cothérapeutes ; il peut ainsi proposer au patient et à son entourage une tâche ou un rituel à accomplir d'ici à la prochaine séance
Prenons un exemple extrait de la consultation d'ethnopsychanalyse de l'équipe du Pr Marie Rose Moro.
Fatoumata est une petite fille de 13 mois qui ne dort pas, semble inquiète et présente des angoisses de séparation massives d'avec sa mère.
Sa mère est épuisée, de plus en plus agressive et violente avec sa fille ; elle la touche peu et parle même de l'abandonner. L'équipe de la crèche est très inquiète quant au devenir de cette enfant.
Comment utiliser des éléments culturels relatifs à leurs origines dioula de Côte d'Ivoire pour étayer une relation thérapeutique avec cette enfant et sa maman ?
Le premier élément qui apparaît est que cette enfant porte le prénom d'une tante maternelle décédée ; dans de nombreuses ethnies d'Afrique noire, le prénom de l'enfant contient une partie de son histoire et il faut toujours s'interroger sur cette nomination.
La maman a une relation ambivalente avec cette tante qui a élevé son mari et elle craint de cette dernière une attaque de sorcellerie, crainte qu'elle projette sur son bébé. C'est l'importance de l'identification tante/fille ;
Fatoumata est vécue par sa mère comme une enfant-sorcière dont elle a peur.
Le retour des ancêtres par l'intermédiaire des nouveau-nés s'inscrit dans une représentation cyclique de la vie et de la mort très répandue.
Il en découle une logique thérapeutique traditionnelle : aider la maman à identifier et reconnaître le désir de la tante décédée, et à différencier cette ancêtre de sa propre enfant avec qui les relations vont pouvoir redevenir harmonieuses.
Certaines pathologies apparaissent comme directement liées à un clivage entre deux mondes d'appartenance : c'est par exemple le cas du mutisme des enfants de migrants qui suspendent leur parole dès qu'ils quittent la maison familiale ; d'autres pathologies peuvent être culturellement codées pour la famille qui va ainsi s'expliquer un délire ou des hallucinations chez un des leurs ; c'est le cas de l'enfant-sorcier, vecteur de la sorcellerie dans la famille ou de l'enfant-ancêtre retour d'un aïeul parmi les vivants.
Ces personnes sont alors souvent ballottées entre deux systèmes de soins, de Marrakech à Paris, d'Afrique en France, d'un guérisseur à un psychanalyste ce qui met leur santé en danger.
Seule l'ethnopsychanalyse pourra prendre en compte les interactions complexes entre le niveau culturel et le niveau psychique
Quel type de praticien pour cette méthode ?
Les consultations d'ethnopsychiatrie se sont beaucoup développées en France ces dernières années à la suite des travaux théoriques et méthodologiques de Georges Devereux, des études cliniques et des propositions techniques de Toby Nathan et des apports de l'équipe d'ethnopsychiatrie de Bobigny.
De nombreuses consultations s'inspirant de ces travaux se sont ouvertes un peu partout en France, le plus souvent au sein de cadres institutionnels ou hospitaliers.
les points forts et les points faibles de la méthode
L'ethnopsychiatrie est une science en construction qui rejoint les débats passionnés de la société française face aux migrations et à l'échec partiel de sa politique d'intégration individuelle. Les enjeux sociaux et politiques de cette clinique qui touche au multiculturalisme sont donc importants.
Il ne s'agit en aucun cas de marginaliser davantage des populations déjà touchées par le racisme et les difficultés sociales ; ce dispositif qui prend en compte les particularités culturelles des familles qu'il cherche à soigner ne doit pas se retourner contre elles en accentuent ces particularismes. Il se doit d'être un dispositif ouvert dans la cité, inscrit en complémentarité et en interaction avec le système général de soins.
Si ces précautions sont prises, elle s'avère être un remarquable outil de soin et
de compréhension des troubles mentaux.
Bien plus, l'ethnopsychiatrie peut être pour nous l'occasion de relativiser nos propres références ethniques, notre ethnocentrisme intellectuel, de ne plus ériger en classification universelle des formulations et des méthodes thérapeutiques liées à un époque et à un milieu donné.
Cette approche ne se limite pas à la redécouverte de la médecine populaire ou de la pharmacopée folklorique : elle interroge à la fois la dimension ethnique de la folie et la dimension psychiatrique de la culture ; elle nous sensibilise à l'importance de la dynamique du groupe et de ses relations pour comprendre le malade et sa maladie.
Document écrit tiré de l'émission de télévision PSYCHE