DEBRIEFING
Dr Serge HEFEZ
Psychiatre. ESPAS
Qu'est-ce que c'est ?
A la suite d'un terrible attentat, d'un accident de train meurtrier, d'un hold-up sanglant, d'une prise d'otages, nous entendons souvent dire que les victimes et leurs proches ont été prise en charge psychologiquement par des équipes spécialisées.
Ceux qui interviennent pratiquent le plus souvent ce que l'on appelle " débriefing ". C'est une technique de psychothérapie brève visant à prévenir et à soigner les différentes formes de stress qui surgissent à la suite d'un événement grave, violent ou brutal, au cours duquel la vie des victimes a souvent été mise en danger.
Cette technique a été au départ mise au point par des médecins militaires, puis a été perfectionnée et modifiée pour être étendue à d'autres instances d'intervention : policiers, pompiers, sauveteurs, équipes médico-psychologiques spécialisées.
Les réactions à un incident traumatique sont normales, et non la marque d'une faiblesse de caractère ; les victimes, même si elles ont des réactions émotionnelles fortes ne sont absolument pas considérées comme des cas psychiatriques ; mais il faut intervenir rapidement pour éviter qu'un événement terrible dont nous ne sommes en rien responsable ne conduise à un véritable état de stress permanent qui risque de nous envahir pendant des années, voire tout au long de notre vie.
Lors d'un événement catastrophique dont on a été le témoin ou la victime, il est parfaitement normal de se sentir envahi par la tension émotionnelle, les crises de larmes, l'angoisse, l'agitation ou la sidération.
Alors que l'on a spontanément tendance à tenter de " faire oublier "à l'autre ce qui vient de se produire, les personnes concernées éprouvent un tout autre besoin : celui de raconter inlassablement, seconde par seconde, l'expérience qu'ils ont traversé ; de revenir le plus précisément possible sur les faits (ce qui a été vu, entendu, senti), sur les émotions (peur, désespoir, colère, abandon) et sur les pensées qui ont traversé le psychisme.
Les gens revoient la scène comme s'ils y étaient et le souvenir des cris, des odeurs, des images semblent plus vrais que la mémoire ordinaire.
Face à cela, le débriefing doit être proposé dans les 72 premières heures qui suivent l'événement traumatisant ; en fait, plus l'intervention est précoce, meilleures sont les chances de prévenir l'apparition d'un stress post traumatique ou de l'atténuer. La prise en charge a souvent lieu sur les lieux mêmes de la catastrophe, dans un endroit comme une école ou un bâtiment administratif, que l'on peut aménager le plus confortablement possible ;
En effet, si les victimes se replongent trop vite dans leur milieu familial ou amical, ils risquent de dissimuler leur désarroi et leur débordement émotionnel pour ménager leur entourage, ce qui augmente le risque d'apparition de troubles ultérieurs.
Pour ce qui concerne les professions à risque (intervenants humanitaires, pompiers, militaires) dont le quotidien est marqué par la violence et le traumatisme, la mise en place de débriefings réguliers est de plus en plus fréquente.
Le principe de la méthode
Le débriefing se pratique individuellement ou en groupe avec les personnes concernées par la catastrophe, les personnes étrangères à l'événement étant exclues. Le principe est de permettre à chacun de se remémorer le plus précisément possible le traumatisme pénible qu'ils viennent de traverser.
C'est l'événement lui-même qui est au centre de l'entretien ; il sera minutieusement reparcouru au niveau des faits, des émotions et des pensées. Les préoccupations du sujet, au moment où le traumatisme l'a surpris, doivent être retrouvées. Les heures qui ont suivi feront l'objet d'une investigation précise , tant dans les faits que dans les pensées qui les ont accompagné.
Ce travail thérapeutique permet ce que l'on appelle abréaction, c'est-à-dire une décharge des émotions , puis la verbalisation de ces émotions, ce qui permet de se libérer de l'événement responsable.
La technique du débriefing s'appuie sur la connaissance des mécanismes du traumatisme psychique.
Le traumatisme est une effraction, une pénétration à l'intérieur de l'appareil psychique d'une image qui ne devrait pas s'y trouver : l'image de soi comme mort.
Cette effraction provoque un état d'hébétude et de sidération, et surtout une dissociation de la pensée : une partie des pensées continue de circuler librement permettant en apparence de s'adapter à la réalité présente ; il se produit une hypervigilence qui permet de rester en alerte, un émoussement des émotions et une amnésie partielle qui permettent de gérer le stress.
Mais une autre partie se fige autour de cette image traumatique entraînant des perturbations connues sous la dénomination de syndrome de répétition traumatique : le sujet revit la scène indéfiniment comme un film qui serait monté en boucle.
L'angoisse n'apparaît ainsi que dans l'après-coup, elle accompagne le syndrome de répétition ou la menace de l'apparition de ces images.
C'est cette angoisse qui est responsable de l'état de stress aigu qui peut s'installer qui suivent le trauma. Elle peut s'accompagner du sentiment de culpabilité d'avoir survécu ou de ne pas avoir assez aidé les autres, d'un sentiment de révolte ou de vengeance, d'un sentiment d'incommunicabilité avec ceux qui n'ont pas vécu la même expérience que soi.
Mais le mécanisme de dissociation fait que ce syndrome de répétition peut survenir des années plus tard avec la même intensité ; le sentiment de revivre le traumatisme ancien est responsable de ce que l'on appelle syndrome de stress post-traumatique.
Le débriefing vise donc à détruire cette image qui a fait effraction le plus rapidement possible mais aussi par la suite si elle réapparaît.
Quel type de praticien pour cette méthode ?
Les animateurs sont au moins deux, un jouant le rôle de meneur, l'autre d'observateur. La pratique impose qu'il y ait du temps devant soi et que la parole circule librement. Les sentiments de culpabilité doivent pouvoir s'exprimer.
Les animateurs soutiennent la parole et les reviviscences émotionnelles ; ils ne jugent pas et ne cherchent pas à dédramatiser ; ils demandent des précisions chaque fois que cela est possible et offrent une compréhension, une empathie, un soutien émotionnel.
Le groupe offre un soutien mutuel et permet à chacun de se différencier par rapport au traumatisme : la façon dont chaque participant a été affecté n'appartient qu'à lui.
De plus en plus fréquemment, les équipes de secouristes, de CRS, de pompiers qui interviennent sur les lieux des catastrophes sont formés au débriefing.
Des équipes médico-psychologiques sont diligentées sur les lieux du drame et organisent la prise en charge immédiate des victimes.
Si l'événement traumatique consiste une atteinte plus personnelle comme un viol, une agression, un accident de la circulation, il faudra souvent effectuer soi-même la démarche de soin. A cet égard, n'hésitez pas à conseiller à un proche qui se trouve dans cette situation de se faire aider car il n'y pensera en général pas spontanément.
Il existe des consultations de débriefing assurées par des psychiatres et des psychologues dans certains sites hospitaliers, ainsi que des lieux de consultations spécialisées en victimologie dans certaines grandes villes.
Les points forts et les points faibles de la méthode
Le trauma est toujours, au moins dans les premiers temps, une souffrance insupportable, et le traumatisé pressent qu'il risque d'être toujours là, présent, surgissant de manière imprévisible.
Le débriefing consiste à parler l'événement, à parler de soi dans l'événement ; il permet ainsi à l'image traumatique de se fragmenter et de tisser des liens morceau par morceau avec le reste des représentations psychiques.
Son effet immédiat est souvent spectaculaire : retour du sommeil, atténuation des phobies, reprise du dialogue avec l'entourage. Dans la plupart des cas, il évitera l'apparition du stress post-traumatique. Parfois cependant, il y aura réapparition de la souffrance et nécessité d'entreprendre une psychothérapie à plus long terme. Car un traumatisme présent peut aussi en réveiller d'autres plus anciens, enfouis profondément au creux de notre mémoire
Document écrit tiré de l'émission de télévision PSYCHE