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François Tosquelles

François Tosquelles est né à Reus en Catalogne le 22 Août 1912, dans une famille de la petite bourgeoisie marchande à prétentions culturelles. Ayant fréquenté dès son enfance, par le réseau d’alliances familiales, une institution psychiatrique locale inscrite dans le contexte culturel et politique de la « Renaissance Catalane », très tôt il s’engagea dans le paysage psychiatrique et dans le combat politique. Devenu médecin de cette Institution Psychiatrique, il fut l’un des élèves de Mira i Lopez, dont la tâche informative fleurit sur le terrain parcouru avant lui par les anciens psychiatres du mouvement philanthropique du siècle dernier.

Ceux-là même qui ont été à la source de l’Institut Pere Mata, dont Mira finit par être conseiller auprès de la direction, avant même qu’avec l’organisation de l’ Université Autonome de Barcelone, il n’occupe la chaire de psychiatrie. Mira donc, maître et ami, devint le lieu porte-parole de la continuité, ainsi que le tournant significatif, pour ne pas dire la coupure, dans la psychiatrie vécue comme pratique concrète, où le jeune Tosquelles s’engagea : Psychiatrie infantile, Psychologie du travail, Psychologie juridique, et Pédagogie, constituent pour ainsi dire les divers centres d’intérêt que Mira développa dans ses approches de la folie classique et de la psychothérapie, où s’ouvrait le champ théorique de la psychanalyse et des effets des groupes sociaux, dans la progressive et variable singularisation d’un chacun. C’est à l’occasion des faits politiques d’Autriche et d’Allemagne, qu’un certain nombre de Juifs se sont réfugiés à Barcelone, accueillis par Mira. L’un d’eux fut l’analyste de Tosquelles, de la fin 1931 à 1935. Tosquelles, dès 1934, avait tiré les conséquences des difficultés structurelles rencontrées par l’introduction de la psychanalyse classique du divan, d’une part, dans les institutions ; et d’autre part, il va sans dire, en ce qui concerne les enfants et les psychotiques, voire les psychopathes. Ce fut grâce à Werner Wolf, un autre « réfugié », qui travaillait au même Institut Pere Mata, mythologue fort entiché de la psychologie de la forme, que s’ouvrit une incidence dans l’avenir professionnel de Tosquelles...Cette malade, à propos de laquelle Tosquelles avait publié l’observation en 1935, tout-à-coup, ne dit plus rien sur le divan...Tosquelles demanda l’aide du groupe de contrôle, où alors Wolf dévoila ce que tous les infirmiers savaient, qu’elle avait choisi de parler à une malade du service, sourde et aveugle. C’est à cette occasion que Wolf dit : « Es ist eine gestalt », un ensemble d’éléments, d’espaces articulés, dont on ne peut isoler sans leurres les parties, voire les individus en co-action dans ces espaces. C’est le point de départ de la Psychothérapie Institutionnelle. Tosquelles a été dans sa jeunesse un lecteur attentif de Marx, voire un militant, ayant de ce fait une certaine pratique des groupes d’avant-garde. Quoi qu’il en soit, la guerre d’Espagne arrêta l’essor de la « psychiaitrie civile-civilisée » de Catalogne. Ce fut pour lui l’occasion d’engager une intense activité psychiatrique au front d’Aragon, qui ne trouvera cependant paradoxalement l’occasion de son épanouissement majeur qu’après les journées sanglantes de mai, dont Tosquelles survécut par miracle, et aux fronts du sud de l’Espagne, où il fut le chef des services psychiatriques de l’Armée de la République, depuis le début de 1938 jusqu’au 1er Avril 1939. C’est là que des services mobiles de secteur, ainsi que la communauté thérapeutique d’Almovar des Campo, s’articulaient avec ce qu’on peut appeler l’hygiène mentale aux armées, avec des tâches de sélection professionnelle de diverses armes, sans pour autant cesser de rendre service à la population civile, en cas d’urgence ou d’impasses psychiatriques. Lorsqu’il put échapper au piège franquiste, il gagna la France le 1er Septembre 1939. Il était convaincu que l’expérience psychiatrique qui était déjà la sienne pourrait être utile à la lutte antifasciste dans laquelle la guerre de 1939 s’inscrivait. Ce fut pour lui l’occasion d’instaurer un service psychiatrique dans le camp de concentration de Sept Fonds. Le 6 Janvier 1940, il fut invité, trouva accueil et champ opératoire à Saint-Alban, en Lozère. La débandade de 1940 amena à Saint-Alban, hasard et nécessité, refuge et combat, un certain nombre d’intellectuels, médecins et hommes de lettres. Il s’agit donc d’évènements et de conditions qu’on peut considérer en effet comme exceptionnels, grâce auxquels il fut possible de mettre en place un dispositif psychiatrique où les perspectives du passé de Tosquelles pouvaient se montrer opératoires. La projection et la diffusion de cette expérience se répandit après la guerre. Devenu médecin puis psychiatre de l’Université française après avoir franchi tous les échelons de la hiérarchie hospitalière, il sera nommé médecin-directeur en 1953. Durant ces années de guerre et d’après guerre se retrouvent A. Chaurand, L. Bonnafé, P. Balvet puis M. Despinoy, R. Millon, F. Fanon, J. Oury, et plus tard R. Gentis et Y. Racine, et H. Torrubia qui venait, chaque semaine, d’Aurillac à Saint-Alban. Il prend la responsabilité médicale de l’institution pour enfants « L clos du nid » à Marvejols. Tosquelles va accueillir à Saint-Alban les premières journées du G.T.Psy en 1960, puis lors de sa disparition en 1965, il deviendra le premier président de la Société de Psychothérapie Institutionnelle.

En 1970, après une tentative à Marseille, il est nommé à la Nouvelle Forge, dans l’Oise, dans un secteur de psychiatrie infanto-juvénile. Puis, en 1975, nommé à Agen, il se rapproche du Sud, après avoir renoué depuis quelques années avec la mouvance renaissante de l’Instituto Pere Mata. Après avoir pris sa retraite en 1979, il continua à animer de très nombreux groupes de praticiens « pour divers types d’entretiens visant à la formation professionnelle du personnel « psychiste », et au dévoilement de l’objet même de la psychopathologie qui s’impose à ces professionnels. »

Son influence sur la psychiatrie française a été considérable et nous n’avons pas fini d’en découvrir tous les prolongements aujourd’hui. Tosquelles est mort en Septembre 1994, à Granges-sur-Lot ; il avait participé juste avant sa disparition à l’ouvrage collectif sur la Psychothérapie Institutionnelle et conclu sa contribution ainsi : « En tout cas, malgré la confusion et le pessimisme où se trouve engagé l’ensemble des hommes en 1994, malgré mon état physique actuel qui justifient ensemble le pessimisme égocentrique le plus radical, je dois dire ici que je reste convaincu que tant qu’il y a des hommes à la surface du monde, quelque chose de leur démarche reste acquis, se transmet, disparaît parfois, mais aussi resurgit quoi qu’il en soit de catastrophes mortifères qui nous assaillent souvent. Comme on le sait, cette résurgence prend le plus souvent des formes nouvelles qui s’actualisent entre nous dans les enjeux du transfert » .

Thérapeutiques institutionnelles
Pierre Delion
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