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Les valets toucheurs de Mesmer

 

Cet article est extrait d’une recherche menée dans le cadre

du Centre de Recherche des Mouvements Sociaux, EHESS, Paris

 

 

Mesmer et le magnétisme animal

Jusqu’à la fin du dix-huitième siècle, il n’existait pas de métier consacré aux soins des insensés. Les premières images qui identifient des " infirmiers " des asiles remontent à Jean-Baptiste Pussin et à ses contemporains de la place de Paris (1).

On a souvent évoqué le nom et surtout la personne de celui qui est identifié comme le premier infirmier en psychiatrie, c’est pourquoi j’ai voulu donner ici une place dans l’histoire des pratiques soignantes en santé mentale à ceux qui, pour n’avoir que peu duré dans l’exercice, ont été des auxiliaires médicaux, chargés de prendre en charge les patients sur ordre médical.

Le Docteur Franz Anton Mesmer (1734-1815), médecin autrichien, défraya la chronique à de Paris, entre les années 1778 et 1785. Deux raisons à cela, d’une part sa théorie sur l’existence d’un fluide universel pouvant être canalisé et isolé à des fins thérapeutiques, qu’il nomma " magnétisme animal ", et en second le fait qu’il adressa ses soins tout autant à la population bourgeoise de la capitale qu’aux petites gens du peuple.

Ce personnage à la personnalité forte est décrit par Pewner (2) comme étant " changeant, ombrageux, tyrannique, pétri de contradictions ". A cette époque il énumère un nombre important de propositions (3) concernant et prouvant le magnétisme animal en affirmant " l’existence d’une influence mutuelle entre les corps célestes, la terre et les corps animés " (4).

Il est intéressant de noter, par delà les approches théoriques qu’il développa et qui seront reprises, partiellement, par Charcot dans le cadre de l’étude de l’hypnose, la présence à ses côtés d’assistants qui travaillaient avec lui (sous ses ordres) à la prise en charge de ses patients

Ainsi apparaît une catégorie de personnels qui n’auront d’existence dans la durée que pendant le séjour de leur maître à Paris, c’est à dire pas au-delà de 1785, car Mesmer aura alors à subir les enquêtes de deux commissions d’études portant sur sa rigueur scientifique. Les rapports rendus ne démentiront pas les effets thérapeutiques des séances de Mesmérisme, mais viendront critiquer la théorie de la présence du fluide, et par-là atteindre la réputation du praticien lui-même.

Mesmer utilisa pour ses séances thérapeutiques soit sa seule présence charismatique (effet de suggestion - placebo - indéniable), soit des outils telles que des baguettes magnétiques, ou plus connus, les fameux baquets. Le baquet tel qu’il est encore représenté dans les illustrations que nous pouvons trouver à l’heure actuelle était un récipient, plus ou moins large et profond (en fonction du nombre de personnes à traiter en même temps) dans lequel baignaient dans de l’eau de la limaille de fer, du verre pilé et parfois d’autres substances tel que le soufre par exemple.

La thérapie magnétique était censée avoir un pouvoir guérisseur sur un certain nombre de maladies, pas seulement physiques, et dont les manifestations exemplaires dans la cure étaient des crises, qui revêtaient davantage un aspect hystérique que réellement magnétique.

 

Les valets toucheurs

Des valets toucheurs que l’on décrit comme étant " jeunes et beaux " (5) prenaient en charge les patients dès leur arrivée au domicile de Mesmer (il avait ses locaux Place Vendôme à Paris) et les préparaient le plus souvent à l’aide de baguettes (magnétiques), avec lesquelles ils les touchaient (d’où la dénomination de " toucheurs ").

Ainsi les patients étaient pris d’un accès " magnétique " dans une crise qui nécessitait d’être " transporté dans la " chambre de crises " par un " valet toucheur " (6). Les chambres de crises sont décrites, dans les ouvrages sur Mesmer et sa pratique, comme des locaux spécifiques entièrement capitonnés et permettant à la personne en crise d’extérioriser les manifestations magnétiques.

Les valets toucheurs, dont le premier fut le fidèle laquais de Mesmer, Antoine, furent donc des homologues " paramédicaux ", contemporains des gardiens d’asiles de la fin du dix-huitième siècle. Quelques précisions sur le personnage du docteur Mesmer peuvent être encore apportées :

 

On dit souvent que l’hypnose a été découverte par le très controversé médecin viennois Franz Anton Mesmer (1734-1815), qui donna son nom au mesmérisme. Il semble établi que certains des patients de Mesmer ont bien été hypnotisés. Cependant, il faut garder à l’esprit qu’aucun concept formel de l’hypnose n’existait à cette époque. Mesmer attribua ses succès thérapeutiques à un agent physique jusqu’alors inconnu, auquel il donna le nom de magnétisme animal. Très influencé par la physique newtonienne - qu’à l’évidence il interprétait de manière tout à fait erronée - Mesmer envisageait le magnétisme animal comme une force physique ou un fluide, plus ou moins analogue à la gravitation, traversant l’univers, et auquel le système nerveux humain est en quelque sort accordé. (7)

Ainsi Mesmer avait des assistants nommés " valets toucheurs ". Pour le moment nous n’avons pas plus de précision sur ces gens, à savoir s’ils se contentaient d’exécuter les ordres de leur maître ou s’ils partageaient sa théorie en ayant reçu un minimum d’initiation sur le sujet. Selon Evelyne Pewner, Mesmer avait à ses ordres plusieurs valets. Michel Damien (8) précise que :

 

Mesmer, aidé par son laquais Antoine, promu au rang de valet-toucheur, soignait les patients autour de quatre baquets avec leurs bouteilles plongées ou non dans de l’eau magnétisée et dans un mélange de limaille de fer, de verre pilé, de soufre et d’autres substances. Les malades communiquaient avec les baquets par des tiges de fer ou des cordes et formaient des chaînes. La musique violente ou pathétique variait suivant le degré des crises. La pénombre, le silence, l’immobilité étaient de règle. Seul Mesmer allait et venait, vêtu de son bel habit de soie lilas.

 

Ce court extrait vient nous apprendre que le premier valet toucheur fut sans doute le personnage d’Antoine, décrit comme " fidèle " par Dauven (9), à qui Mesmer dut donc déléguer une partie de sa confiance et de ses pouvoirs en lui attribuant, à lui comme aux autres laquais par la suite, un statut d’auxiliaires thérapeutes.

 

Quelle suite à la thérapie magnétique ?

Mesmer eut plusieurs émules. Certains sont connus, d’autres, à parier, n’ont jamais fait parler d’eux. Deslon, après avoir été de ses plus proches amis et collaborateur devint un concurrent féroce. Puységur fut aussi de ceux qui usèrent à des fins thérapeutiques, mais tout autant dans une démarche scientifique empreinte de questionnements, de la théorie du Mesmérisme et de ses formes variables d’applications. Dans sa "Nouvelle histoire de la psychiatrie ", à la page 698, Postel nous précise qui fut Puységur (10) :

 

Trois frères de Puységur se sont intéressés au magnétisme animal :

Le plus jeune, le vicomte Jacques Maxime de Chastenet (1755-1848) se taille une réputation de magnétiseur en guérissant à Bayonne un officier frappé d’apoplexie. (...)

Le second, Antoine Hyacinthe, Comte de Chastenet (1752-1809), officier de marine, introduit le magnétisme à la colonie française de Saint-Domingue. S’il faut en croire son frère A.M.J de Puységur, c’est lui qui découvrit " à travers le chaos des premiers baquets, la cause principe de leurs effets ", le somnambulisme.

Mais c’est l’aîné, l’officier d’artillerie Armand-Marie-Jacques qui est le plus célèbre Initié par Mesmer, il nous a laissés dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du magnétisme animal (1794) la relation de ses premières expériences recensées dans le château familial de Buzancy, près de Soissons (...).

Nous savons qu’à la suite de ces illustres thérapeutes usant du magnétisme, celui-ci ne retomba pas véritablement dans l’oubli. Les conclusions des deux commissions qu’eut à subir Mesmer firent qu’un interdit de la pratique du magnétisme animal fut promulgué.

De manière officielle il ne pouvait donc plus être question de son usage dans aucun cabinet médical. Mais probablement, quelques magnétiseurs aux " dons héréditaires " comme ceux de nos jours, surent conserver la pratique du magnétisme.

 

Frédéric Masseix

Centre de Sociologie Européenne, EHESS, Paris

 

 

 

Frédéric Masseix

fmasseix@aol.com

 

 

N.B : le lecteur intéressé par l’histoire de Franz Anton Mesmer et du magnétisme animal pourra se reporter aux travaux de Jean-Pierre Peter, historien et anthropologue, spécialiste de ces questions à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales (Histoire et anthropologie de la médecine, des thérapeutiques et des savoirs sur le corps).

 

 

Notes et références :

1 Il faut toutefois préciser que c’est la loi du 30 juin 1838 qui institua l’asile en tant qu’établissement public servant à l’accueil des malades mentaux. Dès lors, le personnel affecté à la surveillance comme aux soins de ces malades pouvait se prévaloir d’une fonction hospitalière en lien avec la spécificité du lieu, à savoir les pathologies mentales. A cette époque on ne parlait pourtant pas encore de soins infirmiers.

2 Pewner (E.), Le fou, l’aliéné, le patient, Naissance de la psychopathologie, Dunod, 1995.

3 Il formula 27 propositions relatives à sa théorie du magnétisme animal.

4 Pewner (E), Ibid.

5 Ibid.

6 Ibid.

7 Grégory (R. L.), Le cerveau, dictionnaire encyclopédique, Bouquins, Hachette, 1993.

8 Damien (M.), Hypnose, magnétisme, relaxation, Sand, 1984.

9 Dauven (J.), Les pouvoirs de l’hypnose, textes rassemblés, Sand, 1985.

10 Armand-Marie-Jacques de Chastenet, Marquis de Puységur (1751-1825).