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JAUREGG Jules Wagner



Médecin neurologue et psychiatre allemand, ami de Freud, qu'il connut étudiant et avec lequel il entretint une correspondance tout au long de sa vie, bien qu'opposé à la psychanalyse, Wagner-Jauregg (1857-1940) laisse un souvenir controversé.

Autour du traitement électrique des névrosés de guerre

Prix Nobel de médecine en 1927, il fut également en 1920, l'objet d'un procès suite aux plaintes des soldats autrichiens victimes de pratiques barbares qui eurent lieu dans sa clinique pendant la guerre 14-18. Freud fut appelé comme expert à ce procès. Il l'évoque dans " Résultats, idées, problèmes ", tome I sous le titre : " Rapport d'expert sur le traitement électrique des névrosés de guerre ". Ce texte, peu connu, fut tardivement découvert dans les Archives militaires de Vienne.

Afin de combattre les névroses de guerre, que l'on nommerait aujourd'hui " traumatismes psychiques " ou " Etat de stress post-traumatique " selon le côté de l'Atlantique où l'on pense " Il sembla opportun de traiter le névrosé comme un simulateur et de ne pas tenir compte de la différence psychologique entre desseins conscient et inconscient, bien que l'on sût qu'il n'était pas un simulateur. Si sa maladie servait le dessein de se soustraire à une situation insupportable, on en arrachait manifestement les racines en lui rendant la condition de malade encore plus insupportable que le service. ... A cette fin, on se servait d'un traitement électrique douloureux, et à vrai dire avec succès. C'est un embellissement après coup de la part des médecins d'affirmer que la force des courants électriques était la même que celle qui était utilisée de tout temps en cas de troubles fonctionnels. Ceci n'aurait pu agir que dans les cas les plus légers, et ne correspondait évidemment pas non plus au raisonnement de base, selon lequel le névrosé de guerre devait être dégoûté de la condition de malade, si bien que ses motivations devaient basculer en faveur de la guérison.

Ce traitement, conçu dans l'armée allemande, et conformément au dessein thérapeutique, douloureux, pouvait bien sûr être pratiqué de façon mesurée. Lorsqu'il fut appliqué dans les cliniques viennoises, je suis personnellement convaincu que ce ne fut jamais à l'initiative du Pr Wagner-Jauregg qu'il atteignit à la cruauté. Des autres médecins que je ne connais pas, je me garderai bien de me porter garant.
" Le mieux obtenu ne durait pas. Le front et la guerre étaient plus atroces que les courants électriques. " La force des courants utilisés, tout comme la dureté des du traitement appliqué par ailleurs, furent portées à un degré insupportable, afin de soustraire les névrosés de guerre le bénéfice qu'ils retiraient de leur condition de malade. On n'a jamais contesté qu'il survint alors, dans les hôpitaux allemands, des cas de mort pendant le traitement et des cas de suicides consécutifs à celui-ci. Mais je ne suis absolument pas en état d'indiquer si les Cliniques viennoises ont connu aussi cette phase de la thérapie. "
Wagner-Jauregg fut disculpé. Un médecin lampiste fut condamné pour ces pratiques.
Les spécialistes s'accordent à penser que Freud se fit avoir en cette circonstance. Il attendait le triomphe de la psychanalyse, on utilisa son amitié pour Wagner-Jauregg. (1)

Le copain de Freud, on le voit, n'était pas un rigolo. C'était un tenant des méthodes de choc qui correspondent " à une attitude drastique et exorciste qui visait dans une optique très somatomorphe à avoir un rôle incisif sur la maladie mentale. Ces méthodes de choc semblent être le paradigme dominant d'une époque qu'on peut grosso modo classer comme celle de l'entre-deux-guerres. " (2)

La malariathérapie

Wagner-Jauregg est surtout connu pour avoir mis au point un traitement pour une réduction des troubles psychiatriques à partir de l'inoculation du paludisme. Il injectait aux paralytiques généraux du sang paludéen pour susciter une réaction de l'organisme des patients.

Les connaissances nouvelles concernant les microbes en tant qu'agresseurs majeurs des tissus se sont rapidement étendues aux maladies mentales. Le vaccin contre la rage est découvert en 1885, l'Institut Pasteur est créé en 1888. Il n'est pas inintéressant de noter que c'est autour du traitement de la syphilis que naissent les thérapeutiques biologiques.

Les médecins français Bayle et Calmeil avaient découvert des lésions du cerveau chez des individus psychotiques présentant une paralysie générale, démontrant ainsi que certains troubles mentaux pouvaient avoir des causes organiques. Leur description clinique de la paralysie générale leur permit de la définir comme une maladie spécifique, même s'ils furent dans l'incapacité d'en préciser l'étiologie Baillarger, Romberg et Westphal établissent la différence clinique entre une infection syphilitique de la moelle épinière et une infection du cerveau. En 1905, Schaudinn découvre l'agent infectieux, le spirochète, dans les lésions génitales primaires. August von Wasserman met au point, en 1906 un test sanguin spécifique (réaction Bordet-Wassermann). Les travaux de Noguchi et Moore (1913) prouvent l'existence du treponema pallidum dans le cerveau des malades atteints de paralysie générale.(3)

La plupart des auteurs font remonter l'ère moderne des thérapeutiques biologiques à la découverte de la malariathérapie par Wagner-Jauregg en 1917. On connaissait depuis longtemps l'effet bénéfique des maladies hyperthermiantes sur certaines pathologies psychiatriques, Jauregg va restreindre dès 1900 cette utilisation à la paralysie générale. De 1900 à 1917, il va chercher quelle maladie infectieuse pourrait être la plus efficace. C'est ainsi qu'il va inoculer le germe pathogène du paludisme prélevé à partir du sang de malade impaludé, la quinine permettant de contrôler les accès. Dix à douze accès palustres, hyperthermiques suffisent pour guérir un certain nombre de paralysies générales à la phase précoce lorsque les atteintes lésionnelles sont encore limitées. L'introduction de la pénicilline en 1942, traitement étiogénique de la maladie infectieuse qu'est la syphilis permet de faire disparaître la paralysie générale avant qu'elle ne puisse se développer. La malariathérapie s'avérant inefficace dans le traitement des psychoses sera alors abandonnée. Ce traitement n'en est pas moins devenu un modèle exemplaire de maladie mentale et de traitement, l'un et l'autre de nature organique. On était en fin de compte arrivé à comprendre en terme de pathologie organique une psychose qu'il était possible d'étudier cliniquement, et de traiter par un médicament efficace. La maladie étant due à un agent extérieur, on injectait une maladie hyperthermiante, l'élévation de température tuait l'agent extérieur, d'où guérison.
Si la malariathérapie ne provoquait pas de coma, les accès sont caractérisés par un malaise général, des frissons, de l'anorexie, des céphalées, des sueurs abondantes qui vont se reproduire à intervalles réguliers toutes les quatre heures. La température peut atteindre 41°.
On signale des incidents tels que rétention d'urine, anorexie intense, congestion des poumons, hématurie légère, et des accidents beaucoup plus graves, parfois mêmes mortels : ictère (insuffisance hépatique aiguë), insuffisance cardiaque (avec pouls alarmant et effondrement de la tension artérielle), hématurie abondante et persistante accompagnée d'autres hémorragies, pneumonie, états de grande excitation, escarres et cachexie, fièvre continue sans rémission entre les accès. Il s'agit vraiment d'un traitement de " choc ". Cette découverte est " la conséquence logique d'une recherche clinique systématique " (4) qui doit beaucoup à la méthode pasteurienne.
Elle est le prototype de toutes celles qui seront effectuées postérieurement (insulinothérapie, convulsivothérapie, acétylcholinothérapie, électrochocs, etc.) et présidera à la découverte des neuroleptiques. Elle n'en renvoie pas moins à une conception " exorciste " du soin.
Son retentissement fut considérable, Wagner-Jauregg en obtint le prix Nobel.


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1- Pour ceux que l'anecdote intéresse, il est possible de lire " La mégalomanie de Freud ", un roman d'Israël Rosenfield qui nous donne à lire un inédit de Freud. " Entre neurosciences et psychanalyse, ce roman met en scène une maîtresse de Freud ignorée, un prix Nobel sadique, des soldats paralysés, un violeur autrichien, la machine " Marylin ", le père de la théorie des jeux, le véritable créateur de la Tour Eiffel et un Freud ravageur affirmant que l'auto-tromperie et la mégalomanie sont à la racine de notre psyché et de la civilisation. Un joke, d'un auteur qui connaît remarquablement l'œuvre de Freud.

2- ALEXANDER (F.G.), SELESNICK (S.T.), Histoire de la psychiatrie, trad. ALLERS G., CARRE J., RAULT A., Armand Colin, Paris 1972, 480 pages, pp.289-315.

3- POSTEL (J), QUETEL (C), Nouvelle histoire de la psychiatrie, Dunod, Paris 1994, p.411.

4- BARBIER (D), La cure de Sakel, in Soins Psychiatrie, n°144, Octobre 1992, pp.37-41, p.37.