Lucien Bonnafé - Cédérom réalisé par les Ceméa
Janvier 2007
Il se définit comme ancien combattant ; pourtant de lui je dirai qu’il a
été un combattant de toutes les heures. Combattant pour des idées, un
« acharné de l’oubli », un homme qu’il faut garder en mémoire pour
s’aider à devenir soi-même un peu meilleur.
Ce cédérom lui rend hommage en compilant textes, vidéos et images. Nous
allons, avec les piliers santé mentale des ceméa, suivre les pas et les
idées de ce militant « contre le courant » de longue durée. Les
faiblesses des novateurs, disait-il, sont toujours imputables à
l’efficacité des « diviser pour régner » qui sont les armes ordinaires
des abuseurs de pouvoir. Bel exemple de ce que nous vivons
actuellement. Après la première page remplie d’écrits des militants des
ceméa, le cédérom s’ouvre sur le monde « Bonnafé », fait de textes
poétiques, pratiques, politiques, psychiatriques… Qu’est-ce que les
soins en psychiatrie ? Jolie question, question brûlante en 1962, qui
décline les compétences de l’infirmier de secteur psychiatrique. La
plus spécifique serait d’ajuster et de maintenir une relation
« tolérable » avec le malade à travers les mille faits de la vie
quotidienne. Cette relation positive, l’infirmier de secteur a appris à
la reconnaître, à savoir utiliser toutes les occasions les plus
secrètes, les plus fines de contact thérapeutique. Il trouve ces
occasions dans les problèmes les plus humbles de la vie matérielle. Il
ne faut pas, disait alors Bonnafé, que les infirmiers de secteur
laissent dévaloriser la part la plus noble et la plus spécialisée de
leur rôle. Reconnaître et valoriser le travail infirmier est une des
constantes des textes proposés. « L’idée maîtresse est que, dans le
savoir et savoir-faire infirmiers, sont contenus des potentiels
d’enrichissement de tout, de la relation soignant/soigné à la
problématique d’exaltation et de décompensation du malaise à vivre, que
tout ce qui tend à nous dominer tend à barrer. »
Praticiens de vivre, n’est-ce pas là un terme intéressant pour définir
l’infirmier de secteur ?
Suivez-moi, qu’il nous dit ! Alors il faut écouter l’invitation et
continuer notre balade sur ce cédérom, qui est très facile pour un
promeneur néophyte mais très agréable pour un randonneur expérimenté.
Photos, vidéos et enregistrement audio suivent et s’enchaînent. Nous
pouvons puiser en fonction de nos envies du moment et de façon
aléatoire à l’écoute des vidéos ou au plaisir des photos jaunies.
Moments d’émotion à l’écoute de sa voix proposant des poèmes de Desnos,
Apollinaire, Rimbaud ou Eluard. Ce dernier, qu’il avait rencontré
pendant la guerre, à l’hôpital de Saint-Alban dont il était le
directeur.
vst, la revue des ceméa, a été fondée en 1954 par G. Daumézon et G. Le
Guillant. Elle était destinée à accompagner la formation des infirmiers
des hôpitaux psychiatriques dans les stages ceméa et à soutenir le
débat désaliéniste. Bonnafé fera partie des collaborateurs réguliers de
vst-ceméa jusqu’à la fin. Avec Gentis, Daumézon, Le Guillant, il
participe aux travaux des ceméa régulièrement. De nombreux textes de
Bonnafé publiés dans vst sont rassemblés dans ce cédérom. La plupart de
ces textes sont tout à fait d’actualité, comme si le temps n’avait pas
eu d’emprise sur les pensées soignantes de Bonnafé.
« Je n’ai cessé, tout au long de ma carrière, de contribuer à la
formation “officielle” des élèves infirmiers sur ce thème des
“Techniques d’observation”. Or, d’une façon dominante, le “parti des
rapporteurs” a toujours manifesté une gigantesque force d’inertie ;
dans le vocabulaire et dans l’esprit, le “rapport de service” est à
inscrire dans l’histoire de l’aliénisme comme un bastion solidement
bétonné de la mentalité asilaire. Preuve éclatante de la validité des
options prises jadis. II est bon de commencer par là, par
l’entraînement à la critique du regard sur la folie, si l’on veut
vraiment détruire le système aliéniste et bâtir son contraire sur ses
ruines. »
Classés en diverses catégories, les textes de Bonnafé ouvrent des
pistes autour de la clinique mais aussi autour de réflexions
politiques. « Manifester pour une psychiatrie réalisant un autre
accueil aux souffrances devant lesquelles nous ne pouvons récuser nos
capacités d’aider tout un chacun à développer ses capacités latentes
d’agir autrement, c’est d’abord dépister et traiter chez nous les vices
institutionnels qui oblitèrent nos propres capacités de s’entendre avec
les gens, ou de travailler avec l’environnement. Il est vrai qu’“il est
aisé de prescrire des ordonnances, mais c’est un travail difficile que
de s’entendre avec les gens” (Kafka). »
Rappelons-nous que la psychiatrie pour avancer vers plus d’humanité a
été parfois « hors la loi » et que ses expériences ont permis de
grandes avancées ! « Ceux qui ne sauraient avancer sans suivre ce que
la Loi leur ordonne feraient bien d’en prendre de la graine. »
Dix textes sont rangés dans la rubrique « biographie ». Écrits par
Bonnafé, elle nous présente des hommes et des femmes qui ont compté
pour lui et pour la psychiatrie.
En les lisant, parfois on se demande pourquoi nous avons mis si
longtemps à mettre en pratique ce qu’il disait il y a dix, vingt,
trente, voire cinquante ans ! Nous découvrons à l’heure actuelle des
méthodes de travail passionnantes, nous nous lançons, nous innovons !
Enfin, du moins, nous le croyons, et puis à lire un texte d’il y a
quarante ans, nous pouvons nous apercevoir… penauds qu’il conseillait
déjà ce que nous essayons de mettre en pratique !
Après tout, nous pouvons toujours nous dire que nous sommes un peu ses
enfants !
@Marie Leyreloup
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