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Patient-usager

Résistance ?

1940. On entend le canon ... La guerre est là ... Le canon se rapproche. L’ordre est donné d’évacuer la population civile. L’administration fiche le camp. A l’hôpital psychiatrique, on ouvre les portes, ceux qui veulent partir peuvent s’en aller par leurs propres moyens, c’est-à-dire à pied, mais où?
Monsieur Feuerber est seul à la Direction de l’Etablissement.
Des officiers allemands se présentent :
Directeur ?
- C’est moi.
- Effectifs ?
- Tant, et nous manquons totalement de ravitaillement.
- Bon, nous allons nous en occuper.  ” et ils s’en occupèrent ... Des chariots de pommes de terre furent livrés le lendemain matin. Mr. Feuerber possédait à fond la langue de Goethe. Il fut pendant trois semaines le Directeur de l’Etablissement.
Puis, les colonnes motorisées foncèrent rapidement vers le centre de la France, les habitants furent invités à retourner chez eux. A l’hôpital psychiatrique, l’Administration reprend les leviers de commande; le malade Feuerber a été transféré.  ”

Un usager, fugace directeur d’hôpital, qui collabore avec l’occupant pour nourrir les patients d’un hôpital déserté, c’est une bonne entrée en matière. Soignants, usagers, quel type de collaboration 
Poursuivons un texte qui sera une série de flashs tant les modalités de rencontres entre les usagers et le soignant que je suis sont diverses.

Allez au diable 

Cette année un Français sur quatre souffrira d’un trouble mental. Je l’ai lu dans le rapport Piel/Roelandt, c’est dire si c’est vrai. Un Français sur quatre. Lorsque jai écrit cela sur le forum du site serpsy, Sylvie a très mal réagi.
n'est pas parce qu'on va voir un psychiatre qu'on est fou. Vingt cinq pour cent de la population ? Mais il y en a bien plus que cela qui devrait
consulter... Seulement faut avoir un certain courage et ce n'est pas donné à
tout le monde. Et d'ailleurs, c'est quoi un FOU ?! Moi je dis qu'il y a des gens malades c'est tout. Et être NEGRE c'est pire que d'être BLANC. NE ME REPONDEZ PLUS. ALLEZ AU DIABLE!!!!!!!!!!!!!! ”
C’est une collaboration qui commençait mal. Je ne suis pas la thérapeute de Sylvie. Elle est une de ces correspondantes quasi anonyme qui interrogent régulièrement les responsables du site sur la santé mentale, sur les lieux de soin, sur le rôle des soignants. La santé mentale est un concept suffisamment mouvant, imprécis pour que de nombreuses personnes se l’approprient  de l’étudiant coincé au futur retraité qui ne s’imagine pas cessant de travailler, du schizophrène quasi revendiqué au névrosé que sa psychothérapie ne satisfait plus. Nous sommes alors comme des sentinelles qui veillons sur la frontière entre folie et santé mentale. Des oreilles qui lisent et font attention à ne pas passer de l’écoute à la thérapie. Nous ne collaborons pas. Nous accompagnons.
Je n’aime pas collaborer. Je ne suis le collaborateur de personne. Je préfère résister. Il m’est impossible d’oublier que la relation soignant/soigné est aussi une relation de pouvoir. Je n’ai pas plus à collaborer avec les usagers qu’ils n’ont à collaborer avec les soignants. Usagers, c’est un mot qui d’une certaine façon n’existe qu’au pluriel et j’ai affaire au singulier. Est-ce une raison pour être sourd à ce qui émane du collectif 
Voilà, ça commence mal. Avec le rapport Piel et Roelandt, celui que notre ministre va tailler en pièces, j’étais sûr de rester dans le consensus. Et puis, vlan, Sylvie m’écrit et je me prends pour un nègre/blanc.
Avoir du courage pour consulter, il y aurait là une première piste  ne plus considérer la personne qui souffre comme quelqu’un qui se laisse aller, mais comme quelqu’un qui a du courage, qui a des
cojones. Ces combattants envers et contre tout, on ne les rencontre pas que sur Internet, ils sont hospitalisés dans nos unités, ils fréquentent aussi les chambres d’isolement. Je me dis parfois que ce sont parce qu’ils sont couillus que nous les y mettons. Les usagers, on les préfère observants, compliants, passifs plutôt que résistants. Chez nous, il n’y a que les microbes qui soient résistants. Les usagers doivent entrer de gré ou de force dans nos protocoles. On a eu assez de mal à les fabriquer 
Laissons là la polémique et avançons 

La psychothérapie institutionnelle

A Fleury Les Aubrais, à Saint-Alban, ailleurs, en une époque où de nombreux Français cédaient à la panique, des malades mentaux, comme Mr Feuerber montrèrent leur capacité à s’organiser pour survivre. De ce constat allait naître la psychothérapie institutionnelle. Si beaucoup d’équipes se réclamèrent de ce modèle, peu donnèrent un réel pouvoir aux clubs de patients. Dans l’esprit et dans la pratique de ses promoteurs, le “thérapeutique Paul-Balvet  ” était une association autonome de patients qui garantissait leur autonomie politique et idéologique, au sein d’un dispositif de soin inscrit dans le cadre de la loi de 1838. La clinique de La Borde  , avec des hauts et des bas, fonctionne sur ce modèle depuis 1953. Le club gère les ateliers d’expression, le standard, le parc de voitures, etc. Son local, sa commission financière, ses assemblées générales lui assurent une autonomie de décision face à l’administration.
Mais il aura fallu près de cinquante ans pour qu’un secrétaire d’état (Hervé Gaymard) écrive dans un rapport adressé au Président de la République : “ 
Pour tous les acteurs de l’hospitalisation, le malade doit être plus que jamais le cœur de l’action ”. Dans le même esprit Laurence Lefèvre, de la Direction Générale de la Santé proclamait que “  Nous sommes passés du statut de patient à celui de sujet de droit. Il est temps de faire du malade un véritable acteur du système de soins ”.
Tosquelles reviens, les surréalistes ont pris le pouvoir !
Il est vrai que le même slogan apparaissait en même temps dans toutes les administrations. Au cœur du lycée, le lycéen  ; au cœur des transports, l’usager. Il est intéressant d’avoir ainsi privilégié l’organe de l’affectif plutôt que celui de la pensée.

Le passe-Muraille

Un français sur quatre souffrira d’un trouble mental. Serge, ça le laisse froid. Sabri, réagit à peine. Robert, lui, semble caresser l’idée. Les 400 millions de personnes concernées par un trouble mental, vue l’énormité du chiffre, ça parle davantage.
France  demande Sabri.
-        On est 60 millions, réajuste Robert.
-        Ca fait beaucoup quand même.  ”
Il est 18 heures. La nuit est tombée. Nous avons le CATTP pour nous tous seuls. Les soignants sont partis. Les patients aussi. Nous sommes seuls, nous, les associés du Passe-Muraille. C’est le premier Comité de Rédaction du Journal, le fleuron de l’association, sa face visible. Nous nous réunissons sous le prétexte de lire et de commenter le rapport Piel/Roelandt. Nous complotons.
Il faudrait décrire le décor. Lieu d’accueil ou lieu de soin  Lieu d’échanges ou lieu de solitude  à plusieurs ? Les soignants n’ont pas choisi. Dans un coin, une table de ping-pong repliée. Au premier plan, une longue table vaguement sociométrique. Une de ces tables à réunions bien sages. A droite, un bar, quelques tables façon café, des chaises. Au fond des clics-clacs confortables qui invitent à la sieste. Et à l’extrême fond, bouffant le mur, une gigantesque carte d’état-major dessinant les promenades en montagne dans notre département.
Une auberge espagnole.
Nous lisons le rapport d’une façon très minutieuse. En commençant par le début, par les premiers mots. Comme des enfants qui apprennent à lire. En pesant chaque mot. Robert se cherche. Il cherche sa place. Il lit à mi-voix. Autant pour lui, que pour nous. Un mot nous fait réagir. Le secteur. C’est quoi le secteur 
Nous nous levons et nous rendons devant l’immense carte murale. Ailleurs, c’est la France, le monde. L’univers tel qu’il se manifeste dans ce CATTP est singulièrement restreint. Je m’imagine embrassant d’un geste la carte et disant  le secteur c’est ça. Raté. Raté. Nous faisons le constat que c’est à peine un cinquième du secteur qui est représenté là. Le Champsaur. Saint Bonnet est le centre du monde. A chacun son nombril. Robert me regarde d’un air impuissant. Vous ne connaissez pas Saint Bonnet, vous 
Que se passe-t-il autour de ces écrits que je partage avec quelques uns de ces français sur quatre qui souffrent d’un trouble mental  Ce n’est pas parce l’on échange quelques messages virtuels avec un infirmier psy qu’on est fou. Et réciproquement.
Sabri n’a pas bougé. Il en faut plus que cela pour l’effrayer. Lui ne cherche pas à visualiser. Il pense dans sa tête. Il a compris que le secteur, c’est un ensemble de lieux d’accueil dont il connaît certains. Il les décrit et commente.
Je me souviens de nos réunions de cet été autour de l’arbre à palabres à l’hôpital.
L’Association “passe-murailles  ” avait pris ses quartiers d’été, juste à côté de l’unité “Savoie  ” sous un arbre. C’est là que l’on entend le mieux le chant des grillons. Derrière nous, une montagne comme nous les aimons, toute ronde, sans ces pics qui titillent les alpinistes. La nature est en fête. Tout un peuple d’associés pour lutter contre la discrimination liée aux troubles psychiques est réuni pour fabriquer son journal  “passe-murailles  ”. Nous on fait dans la psychothérapie institutionnelle. Alors on a créé  soignants, soignés, non-soignants, non-soignés, médecins une association 1901 où nous nous partageons le pouvoir, pour lequel nous nous opposons parfois et nous faisons régulièrement engueuler par presque tous les autres. La psychothérapie institutionnelle, quoi 
Hélène, notre sociologue animatrice nous a amené la pétition contre le plafond de la C.M.U. La colère gronde. Si ce n’est pas de la discrimination, qu’est-ce qui l’est 
Une colère en entraînant une autre, quelqu’un, qui  Quelqu’un 
il y a les tutelles  Ah ça les tutelles, on pourrait faire un numéro du journal là-dessus.  ”
L’idée est trouvée bonne.
Et aussitôt, on cesse de grillonner et on raconte ses mésaventures avec les tuteurs, curateurs et autres protecteurs du petit peuple erémiste. Le passe-muraille est en ébullition. Céline envisage d’interviewer la gérante de tutelle de l’établissement. Elle demande l’aide de tous pour préparer ses questions. Gérard, notre président, envisage d’écrire un brûlot. C’est le grand remue-méninge.
Raymonde remarque que lorsque l’on est sous curatelle on garde tous ses droits civiques. C’est simplement le curateur qui paye le loyer avec l’argent de la personne. Il reçoit les quittances, et également tout courrier joint par le propriétaire. Lorsque l’Office d’HLM joint à son envoi une information sur les élections des représentants des locataires auprès de l’Office, c’est également lui qui la reçoit. Et s’il ne transmet pas cette information, le locataire est mis dans l’incapacité d’exercer ses droits. Bien souvent, le curateur gère et “
  ” de laisser à la personne une trace des factures payées. On a ainsi toutes les chances de rester sous tutelle ou sous curatelle à vie.
De nombreux dysfonctionnements sont décrits par les uns et les autres que notre journal a repris. Ces dysfonctionnements gâchent la vie quotidienne des protégés, les dépriment. Dès qu’ils veulent demander un peu plus d’autonomie financière, ils se heurtent à un véritable parcours d’obstacles que leurs difficultés psychiques rendent encore plus infranchissable. Ils finissent par laisser tomber et deviennent de plus en plus assistés.
L’un des associés fait remarquer qu’il a cent trente mille francs sur son compte mais qu’il ne peut y toucher, car c’est “é  ”. “organisme mandaté pour gérer la tutelle ne touche-t-il pas un pourcentage sur ce qui est capitalisé    ” Son curateur paye ses achats par correspondance (livres, cd, etc.) mais refuse de le rembourser quand il lui présente des factures du même type. “  Donc si je vois des choses en soldes, je ne peux pas en profiter à moins de me compliquer le vie puisqu’il habite à Gap, et moi à quarante kilomètres à Laragne. Sans compter que ses affaires professionnelles l’amènent à faire de fréquents déplacements.  ”
Un autre associé note que désireux de rendre visite à sa mère dont l’appartement est distant de 200 kilomètres du sien, il demande 1200 F. à son curateur. Lui aussi a des revenus confortables. Celui-ci estime que 1000 F. suffisent pour le week-end. Les conditions météorologiques étant exécrables, ce qui est fréquent dans la région, il se retrouve dans l’impossibilité de dormir à l’hôtel et est obligé de rentrer de nuit sur des routes enneigées. Après une sortie de route, il est dépanné. Mais que se serait-il passé si la sortie de route avait eu lieu dans un col, hors village habité  ?
Tous notent qu’en fait, il n’y a rien de pédagogique dans cette mesure. Sous tutelle ou sous curatelle ils sont, sous tutelle ou sous curatelle ils resteront. Tout est fait pour les maintenir dans un statut d’assistés, de mineurs protégés.
Ni Hélène, ni moi ne collaborons avec des usagers, nous sommes en résistance contre la stigmatisation dont sont victimes les malades mentaux.
Robert au CATTP reprend la lecture 
des personnes souffrant de ces troubles en parleront publiquement. La santé mentale, c’est intime, secret, caché. Cela devient public quand l’expression du trouble et de l’angoisse deviennent trop intenses, quand cela “  ” la famille, le milieu du travail ou la société.
Au début du troisième millénaire, l’image du “
mental  ” dans le grand public reste encore archaïque : “est une personne malade, imprévisible, dangereuse, qui peut commettre des actes illégaux, qu’il faut enfermer à l’hôpital psychiatrique pour la soigner par des médicaments  ”. Le trouble mental est encore, synonyme d’exclusion sociale, et la honte associée redouble l’exclusion. La discrimination, l’ostracisme et la stigmatisation vis à vis des personnes souffrant de maladies mentales sont encore tellement forts dans notre pays, qu’il est très difficile pour le citoyen d’afficher et de vivre avec sa maladie, son trouble, son symptôme. Car l’afficher, en parler, c’est s’exposer, c’est impliquer tout l’entourage et augmenter la souffrance des familles.  ”
C’est contre cela que nous résistons. Tous ensemble.
Robert aujourd’hui est à la retraite. Il a été assistant social. Nul mieux que lui ne peut entendre et comprendre la force de ces paroles du rapport. Un décès, une dépression qui dure. Il est passé de l’autre côté. Au Passe-Muraille, pas besoin de préciser qui il est, ce qu’il vient faire. C’est un associé comme les autres qui vient enrichir la réflexion commune.
Le Passe-Muraille n’est pas une association d’usagers. Nous nous partageons le pouvoir même si cela nous freine parfois. Georges, notre nouveau président, s’interroge. Il a été élu à l’unanimité. Représenter un groupe lui pose problème. Il se sent moins libre. Il y a des choses qu’il ne peut plus dire, plus écrire. La présidence le travaille. Il est possible qu’il démissionne. Nous avançons collectivement, lentement parfois. Mais nous avançons. Peut-être devrons-nous convoquer une Assemblée Générale pour élire un nouveau président. C’est la vie d’une association. Depuis mes vertes années esquiroliennes, je baigne dans l’associatif.
Collaborer avec les usagers, pour moi c’est cela  permettre l’expression du collectif, permettre aux inévitables conflits de s’exprimer et les travailler ensemble pour changer en profondeur les institutions qui privilégient leurs intérêts d’institution.

La fondation d’Esqui

C’est à Charenton, entre 1803 et 1814, avant la rédaction et la promulgation du règlement intérieur de 1814, qu’eut lieu la rencontre de Coulmiers/Sade, improbable entente, improbable collusion entre le directeur de Charenton et son plus célèbre pensionnaire. Le théâtre de Charenton allait naître de cette participation d’un usager à la vie de la Maison Impériale. En ce temps-là, en ce lieu-là, l’asile n’était pas ce lieu à l’écart de tout, situé en zone Sévéso, où nul n’allait sans se signer. C’est contre cet asile, ouvert sur la vie qu’Esquirol, ce grand aliéniste, n’a cessé de se battre, quitte à travestir l’histoire.
Le problème d'une représentation et d'une participation des patients à la vie de l'institution a été soulevée depuis plusieurs années à l'hôpital Esquirol. Cette démarche, ainsi que l'écrit A.Ochonisky
, se situe, au carrefour de deux courants. L'un est apparu dans les années 1960 lorsque les citoyens se sont reconnus consommateurs et ont cherché à se protéger en tant que tels, d'où la naissance de nombreuses associations qui ont finalement obtenu la reconnaissance d'un droit de la consommation. Ces mêmes citoyens également consommateurs ou utilisateurs de services publics se sont définis en tant qu'usagers, en particulier des services de santé. C'est dans ce contexte que sont apparues des associations de malades ou de familles de malades : l'UNAFAM (1963), l'Association des porteurs de valves cardiaques (1974), l'association des stomisés de France (1976), etc. Les associations inscrites dans le champ de la santé mentale se sont créées plus récemment : l'association Revivre en 1981, l'Association pour le Mieux Etre de l'Existence (AME), l'Association des Psychotiques Stabilisés Autonomes (APSA) en 1990. Afin de mieux coordonner leurs efforts, ces associations ont créé en avril 1992 la Fédération Nationale des Associations d'Ex Patients Psy (FNAP-PSY). Ce courant associatif croisait sans s'y confondre la démarche plus ancienne de la psychothérapie institutionnelle.
A Esquirol, sur proposition de M. Martinez, directeur de l'établissement, après avoir été entérinée par la CME, la commission d'évaluation des conditions de vie des patients était créée. Composée de médecins, de soignants, de représentants des services techniques et administratifs, de l’infirmière générale, d’un membre de l’UNAFAM et du directeur de l’établissement, la commission se réunit pour la première fois le 3 novembre 1992.
Dans la continuité, le CH Esquirol a favorisé en novembre 1995 la création d’une association d’anciens patients de l’hôpital : “
  ”. Les terrains d’action de cette commission sont de trois natures :
        - logistiques, avec la recherche de solution pratiques et concertées pour l’amélioration des conditions hôtelières des patients,
        - institutionnels dans le mesure où la présence d’un représentant de l’INAFAM et l’objectif aujourd’hui réalisé d’une participation des patients ont pour but de favoriser l’expression directe de ces derniers au sein de l’établissement,
        - professionnels, enfin, car la commission doit conduire une réflexion sur les comportement et attitudes des hospitaliers à l’occasion de l’accueil et de l’hospitalisation d’un patient.
De nombreux dossiers ont été traités concernant les vêtements des patients impécunieux, les soins esthétiques, l’entretien du linge personnel des hospitalisés, les repas, etc.
Si les associations d’usagers n’existent pas, créons les 

Du pouvoir et de son partage

Le 11 décembre 1996, se tenait au CH Esquirol (Saint-Maurice, Val de Marne) un colloque intitulé “  Droit du patient, pouvoir de l’usager : quel mode de représentation, quel pouvoir ?  ”. En réservant deux sièges dans chaque conseil d’administration aux représentants d’association d’usagers et en créant une commission de conciliation entre patients et administration l’ordonnance du 24 avril 1996 a semblé créer une petite révolution au sein des établissements hospitaliers. Le colloque avait pour but d’en examiner les enjeux.
Selon “
  ”, le journal interne de l’établissement, trois questions majeures ont été soulevées au cours de débats qui réunirent associations d’usagers, directeurs, médecins, assistants sociaux et infirmiers. Qui siégera dans les conseils d’administration ? L’ordonnance du 24 avril 1996 sur la réforme hospitalière permettra-t-elle une amélioration significative de la qualité des soins ? Est-il souhaitable de faire du patient un consommateur en droit de réclamer des comptes au personnel hospitalier ?
“ 
Qui siégera au conseil d’administration  ”, soit une question qui est d’abord une question de pouvoir et ensuite une question de représentation. Comment et sur quels critères, le préfet pourra-t-il nommer ces représentants? Comment pourra-t-il mesurer le degré de représentation des différentes associations ? Chaque établissement devra-t-il favoriser la création d’une association maison - comme il y a des syndicats maisons ? Quelle sera leur légitimité ? Les intérêts de l’UNAFAM sont-ils les mêmes que ceux du GIA, de la FNAP-PSY ou de REHSUS ? S’agira-t-il d’une représentation alibi ? Tiendra-t-elle compte des implantations locales des différentes associations ?
Cinq ans plus tard, la révolution n’a pas eu lieu. La présence des usagers n’a pas radicalement changé la donne.
ordonnance du 24 avril 1996 a-t-elle permis une amélioration significative de la qualité des soins ?  ” Les soins étaient-ils de si mauvaise qualité qu’il faille une ordonnance pour les améliorer ? Quels éléments, quels chiffres autorisent qui que ce soit à remettre en cause la qualité des soins dispensés ? Et pourquoi ne pas s’interroger sur la qualité de la gestion des soins ? Sur la qualité du management hospitalier ? Sur sa capacité à favoriser la prise d’initiative individuelle ? Pourquoi ne pas poser le problème des hospitalisations sous contrainte à Paris ? Pourquoi ne pas se demander pourquoi le délai d’abrogation des H.O. est systématiquement plus long à Paris qu’en province ? De quoi est-il question aujourd’hui, de la qualité des soins ou de leur coût ?
Cinq ans plus tard, on peut faire le constat que la qualité des soins a considérablement baissé. Le nombre d’hospitalisations sous contrainte est en augmentation constante. L’isolement est devenu un mode de gestion des interactions violentes.
souhaitable de faire du patient un consommateur en droit de réclamer des comptes au personnel hospitalier ?  ” De quoi s’agit-il : de militer pour que le patient devienne un acteur des soins, un partenaire ou s’agit-il de le transformer en consommateur ? De tous les modèles d’acteurs celui de consommateur n’est pas le plus convaincant. Pourquoi le patient acteur/consommateur demanderait-il des comptes uniquement au personnel hospitalier ? La qualité des soins est tellement mauvaise qu’il ne pourrait que remettre en cause le personnel ? Plaignons ces Infirmiers généraux, ces directeurs, ces ministres tellement obnubilés par une qualité des soins qui persiste à être piètre alors qu’eux pratiquent le management participatif, reconnaissent la qualité et la compétence des cadres, créent des postes transversaux d’infirmiers, un second et un troisième cycle universitaire en soins pour améliorer la qualité de la réflexion théorique et pratique des soignants. Pourquoi les associations ne demanderaient-elles pas des comptes sur la façon dont sont fixées les priorités budgétaires, pourquoi ne demanderaient-elles pas des comptes aux directions, aux politiques qui diminuent les crédits, le nombre de postes de soignants ?
Il ne s’agirait quand même pas d’opposer soignants et patients/usagers/clients/partenaires/acteurs du système de soins ? Il ne s’agirait quand même pas d’avoir des associations potiches qui soutiendraient les directions contre les mauvais soignants ?
Il est quand même étonnant que ces questions décrites comme majeures renvoient toutes à une même problématique : celle du pouvoir, celle d’une hypothétique alliance entre gestionnaires et usagers pour améliorer la qualité des soins, c’est-à-dire la fonction soignante. Et l’on s’étonne que les soignants soient réticents. Comment ne le seraient-ils pas ? De toutes les approches possibles celle-ci est la pire.
Que les patients/usagers/clients remettent en cause les soignants, c’est normal, inévitable, et nécessaire; qu’ils remettent en cause les gestionnaires est tout aussi normal, inévitable et nécessaire. Nul n’est propriétaire de la parole des “
  ” : ni les directions, ni les médecins, ni les soignants; leur parole n’appartient qu’à eux, et ce sera une exigence constante, un travail quotidien pour nous que de l’entendre.
Cinq ans plus tard, on peut dire que jamais les usagers n’ont été aussi présents dans les lieux de soins et que pourtant leur parole n’est pas entendue. Elle l’est en fait autant que celle des soignants. La prochaine étape consistera à équiper d’un sonotone l’ensemble des décideurs.

Conclusion

Tosquelles et tous ceux qui ont essaimé à partir de Saint-Alban n’ont-ils pas montré qu’en laissant sortir les patients, qu’en ouvrant l’hôpital à la population, toute une série d’échanges culturels, commerciaux et politiques (Saint-Alban accueillait également les résistants) mettaient en échec la sous-alimentation et la passivité chronicisante des patients ? Non seulement, ils ne mouraient plus de faim, mais en prenant collectivement des responsabilités institutionnelles, ils se transformaient profondément.
Comment, pourrions-nous en tant que soignants craindre une participation réelle, c’est-à-dire politique, des patients à la vie de l’institution ? Ainsi que l'écrit P. Rappart : “ 
Le but de l'action des médecins et des infirmiers dans les clubs, c'est avant tout l'émancipation progressive des malades, par rapport à l'hôpital et à son administration d'abord, et ensuite par rapport aux médecins, en vue de la sortie et de l'entraide après la sortie.  ”
Comment pourrions nous favoriser leur retour dans la société avec des possibilités d’insertion et d’autonomie si lors de leur hospitalisation, nous les considérons comme incapables d’exercer une quelconque responsabilité, si nous contribuons à les rendre plus passifs encore en leur interdisant d’exprimer autre chose qu’un délire, si nous estimons que la santé mentale est une chose trop sérieuse pour que ceux qui sont soignés aient leur mot à dire sur la façon dont ils sont soignés ? Ne sont-ils pas la population ? Ne sont-ils pas les citoyens du pays qui nous mandate pour accueillir, écouter, soigner ceux qui en ont besoin ? C’est trop facile de dénoncer l’exclusion tout en contribuant à exclure 1 % de la population. Il sera ensuite toujours temps d’alerter la population pour cause de restrictions budgétaires, pour la non-reconnaissance de notre diplôme.
Ne soyons pas craintifs, réjouissons nous ! L’état se met enfin au diapason de ce que nombre d’entre nous réclamait depuis quarante ans. L’écart entre nos pratiques (je parle des plus avancées) et les textes diminue. Comment, dans nos démarches de soins, pourrions nous conduire le patient à participer à l’établissement des objectifs de soins qui le concernent et lui refuser tout prise de parole, de position, tout engagement sur l’organisation de la vie institutionnelle, sur les priorités de soins, sur les budgets ? Je refuse de considérer celui dont je prend soin comme un sous-individu, comme un sous-citoyen, comme un objet de soin. A bas le despotisme, vive la démocratie ! Nous ne sommes pas des normalisateurs, des réparateurs de psyché. Notre rôle est d’accompagner ceux qui souffrent, de les aider à dépasser ce qui provoque cette souffrance, à tirer parti de l’expérience ineffable qu’ils viennent de vivre, à trouver un nouvel équilibre qui prenne en compte aussi bien leur vécu, les réalités sociales que leur réalité psychique, que ce nouvel équilibre nous convienne ou non. Notre but ne peut être que l’émancipation progressive des malades, par rapports à l’hôpital et à son administration d’abord, et ensuite par rapport aux médecins et aux équipes de soins. C’est une façon possible de comprendre le rapport Piel/Roelandt et de le faire vivre.


Dominique Friard
Communication aux journées de formation ASCISM
Paris Cité des Sciences et de l'Industrie
- La Villette Mercredi 7 Novembre 2001
:"UNE PSYCHIATRIE EN QUESTIONS !"

Bibliographie

1 - BEAUFILS (E), Les portes de la nuit, Villemandeur 1983, pp.55-56.
2 - Nous conseillons au lecteur désireux de mieux connaître La Borde d’aller voir, toutes affaires cessantes, le film “
moindre des choses  ”.
3- OCHONISKY (A),
L'expérience de l'hôpital Esquirol dans la recherche d'un mode de représentation des usagers, Colloque "Droit du patient, pouvoir de l'usager : quel mode de représentation, quel pouvoir ?", CH Esquirol, 11 décembre 1996.
4- Ibid.
5 - RAPPART (P), La folie et l'Etat Aliénation mentale et aliénation sociale, Domaines de la psychiatrie, Privat, Toulouse 1981, p. 59.