Un groupe d’ « usagers »
à
de santé mentale Européens
RADIOGRAPHIE
D’U N MICRO-PROJET FSE
De l’été 2005 au mois de
septembre 2006, dix sept adhérents de l’association d’usagers en santé mentale,
« En
entreprenant ces voyages, en affrontant
le plaisir et la difficulté des rencontres, de l’immersion dans un autre pays,
dans une autre manière de penser, nous voulons renforcer notre identité
personnelle et sociale, prendre confiance dans notre valeur et dans nos
capacités de participation au monde qui nous entoure. Nous voulons prendre la
responsabilité de nos vies et nous sentir concernés par celles des autres.
Par l’échange d’expériences vécues, par la création d’un site et la
mise en ligne de notre journal, nous voulons servir de vecteur d’information et
de sensibilisation aux problèmes que rencontrent les usagers en santé mentale
et participer ainsi à leur intégration sociale et à la reconnaissance de leur
pleine citoyenneté ».
Ce texte écrit collectivement par
le groupe des adhérents en direction du FSE, donne le ton des attentes et de la
visée du projet. Nous avons souhaité
témoigner des différentes étapes de sa réalisation, montrer quel a été son
impact sur la mobilisation des usagers au sein même de l’association, et plus
largement, s’interroger sur les effets de ce type d’expérience en termes de participation des
usagers au débat social sur la santé mentale.
I - LE CADRE DU PROJET
I – LES PORTEURS
DU PROJET, SES CONDITIONS D’EMERGENCE
a - l’association
Créée en 1987 à l’initiative de
deux salariées de l’association ESPERANCE PARIS (service d’hébergement en
relation avec des équipes de soin), l’association
Elle se définit comme une association d’usagers en ce que les adhérents de l’association, sont à plus de 80 % des « usagers de la santé mentale », ces derniers sont également majoritaires au conseil d’administration. Elle comporte environ 120 adhérents ou sympathisants.
Les adhérents présentent un
certain nombre de points communs en même temps qu’une réelle diversité.
Les points communs recouvrent :
- un parcours
de soins en psychiatrie,
- un logement
autonome dans le parc social ordinaire,
- des petits revenus liés à la situation de handicap (Allocation Adulte Handicapé, Pension d’Invalidité, Revenu Minimum d’Insertion) ou à un travail salarié en milieu protégé ou ordinaire.
La diversité tient
aux modes de participation à la vie de la cité et à la situation de famille.
Certains adhérents, peu nombreux, travaillent en milieu ordinaire, d’autres en milieu protégé, d’autres encore font du bénévolat ou fréquentent des lieux d’accueil de jour.
La plus large majorité est constituée de personnes isolées mais certains vivent en couple et ont des enfants. C’est cette diversité qui fait la richesse d’un groupe qui s’est agrandi et diversifié au fil du temps.
Malgré des difficultés spécifiques et une insertion rendue difficile par un passé de soins et un statut souvent référé au handicap, les adhérents de l’association ont toujours voulu se positionner comme des « gens ordinaires » qui exercent pleinement leur responsabilités civiles et sociales (ils consomment, déclarent leurs revenus, paient leurs loyers, votent…).
Ils regrettent
pourtant de se trouver exclus des échanges intellectuels ou
sociaux sur les problèmes qui les concernent ou de l’accès aux biens culturels
(voyages, rencontres, séminaires, surtout hors des frontières).
b – les conditions d’émergence du
projet fse
Depuis sa création,
Avec la reconnaissance législative des droits des usagers
en 2002, les adhérents bénéficiaires des activités de l’association, encouragés
par les professionnels qui les accompagnent, commencent à rêver de moyens
financiers leur permettant de se positionner comme véritables
« gestionnaires » du projet associatif.
C’est dans ce
contexte qu’émerge l’idée d’une demande de subvention au Fonds Social Européen,
permettant à l’association qui n’a jamais eu de budget de fonctionnement et ne
comporte aucun salarié, de gérer collectivement un projet. L’idée de voyage dans
des villes européennes apparaît facilement cependant qu’au-delà du tourisme, un
désir s’exprime, celui de rencontrer des personnes qui sont confrontées aux
mêmes difficultés …
Par ailleurs il
apparaît que le journal « L’écrit de
Au-delà de son objectif immédiat, les enjeux du microprojet sont
aussi de mobiliser l’ensemble des adhérents, de faire appel à leurs désirs et à
leurs compétences et de donner une plus grande lisibilité aux activités de
l’association, au moment même où il est question de favoriser la création de « clubs »
d’usagers en santé mentale.
c - le contenu du microprojet
a) Les objectifs à réaliser
L’énoncé général du projet : « Voyages d’étude et de rencontres avec des usagers européens de la santé mentale et création d’un site internet interactif pour maintenir et élargir ces échanges », recouvrent des objectifs formalisés :
* organiser et réaliser 3 voyages de 4 jours, en Belgique, Italie et Grande
Bretagne. A travers ces
voyages, le groupe des adhérents souhaite pouvoir rencontrer d’autres usagers
de la santé mentale pour :
- échanger sur la façon
d’améliorer les moyens d’intégration sociale dans des contextes
différents ;
- comparer les modes de vie au quotidien et
établir des liens par le
biais du journal « L’ECRIT DE
* créer un site internet
- pour maintenir et élargir ces échanges par la mise en ligne du
journal,
- et donner une plus grande lisibilité aux actions de l’association (alors qu’elle souhaite se transformer en « club » ou Groupe d’Entraide Mutuelle).
b) Les bénéfices attendus
Ces voyages ont pour but de permettre des « déplacements » exceptionnels à des personnes qui pour des raisons sociales (minima sociaux) ou/et personnelles (difficultés psychologiques) n’ont ni les moyens, ni l’idée, ni l’envie de voyager seules, et encore moins à l’étranger où le barrage de la langue constitue un obstacle supplémentaire.
Le deuxième axe de travail vise à
positionner les voyageurs en véritables «acteurs», dans l’organisation des
voyages comme dans la rencontre avec des personnes concernées comme elles, par
des problèmes de santé mentale.
L’objectif est enfin de faire de
ces voyages, impensables sans l’aide d’une subvention :
-
une aventure personnelle à chacun des
voyageurs,
-
mais aussi un exemple pour tous
les autres membres de l’association
Les bénéfices projetés se déclinent donc dans différentes dimensions :
- apprentissage de la mobilité
- ouverture et accès à des biens culturels
inhabituels (tourisme, musées, monuments)
- expérience
de groupe et prise de responsabilité personnelle au sein d’un environnement inhabituel (hôtel,
transports en commun, langue)
- compréhension
des évolutions de la psychiatrie vers la notion moins spécifique et plus partagée de santé mentale
- mise en mots et en perspective de sa propre
expérience, en tant que citoyen ordinaire et personne concernée par les
problèmes de santé mentale.
c) L’accompagnement général du projet
L’écriture comme la mise en
oeuvre du projet sont le résultat d’un travail collectif des adhérents de
l’association, réunis très régulièrement. Les réunions ont été animées par un
éducateur et une psychologue engagés dans l’association à titre volontaire
depuis plusieurs années, également membres du conseil d’administration.
II -
le deroulement du projet dans le temps
La mise en forme collective du
projet, sa présentation à
Le programme d’une durée de 18 mois à compter du 1er Mai
2005, s’est échelonné comme suit :
- premier voyage inaugural de 4
jours à Bruxelles, en juin 2005,
- deuxième voyage de 4 jours à
Florence, en juin 2006,
- dernier voyage de 4 jours à
Londres en septembre 2006.
La réalisation du site internet « lavagalam.com », avec le concours d’une société extérieure « Les Artisans Numériques », a pu se concrétiser à partir de janvier 2006, permettant de mettre le bulletin de liaison en ligne à compter de son numéro 66.
Aujourd’hui, 11 numéros de ce journal
sont maintenant visibles sur internet.
A
- TRAVAIL PREALABLE ET MISE EN FORME DU PROJET
a) Penser
un projet et le formuler en vue d’une demande de subvention
Habitués à se retrouver pour partager des loisirs ou échanger articles et dessins pour le journal, les adhérents n’étaient pas préparés à se positionner comme promoteurs d’un projet. La possibilité d’une demande de subvention dans le cadre de l’Europe leur paraissait très lointaine, voire irréaliste, il fallait qu’ils disposent d’abord d’informations suffisamment argumentées pour trouver en eux des désirs à réaliser. L’idée de voyage s’est vite imposée et les noms de villes ont fusé Berlin, Florence, Londres, Amsterdam, Bruxelles …
Restait à trouver des raisons de
voyager autres que purement touristiques, sérieux oblige ! L’idée de pouvoir rencontrer des
habitants concernés par la santé mentale et de discuter avec eux sur la manière
d’aborder les « problèmes psy » dans leur pays, de questionner la
notion de handicap, de comparer les
structures de soin à partir d’un questionnaire s’est imposée. L’axe retenu est
celui d’une recherche « profane » menée par des non spécialistes…
b) Après l’acceptation du projet par le Fonds
Social Européen
Avec la validation du projet par
le FSE, une nouvelle étape commence : l’organisation effective des voyages
programmés ainsi qu’une réflexion sur le site à construire avec l’aide des
« Artisans Numériques ».
Les réunions consacrées à la formulation d’un « questionnaire » comme support des rencontres à venir, permet d’inventorier les différents points qui intéressent le groupe (montant des minima sociaux, système des hospitalisations, solutions de logement, mesures de protection, statut des psychothérapies et de la psychanalyse…).
L’idée sous-jacente est de faire
passer ce questionnaire aux futurs interlocuteurs mais aussi de l’utiliser
comme aide-mémoire dans les rencontres, de préparer également les membres du
groupe à répondre eux-mêmes, de leur propre place, aux possibles questions sur
ce qui se fait en France.
Le journal L’ECRIT DE
Cet appel mobilise fortement les énergies : « on » commence à y croire.
La « méthode » retenue
pour les 3 voyages à Bruxelles, Florence et Londres est la même : les
adhérents intéressés se font connaître et leur demande est acceptée par ordre
d’arrivée.
Il est prévu que chaque groupe de
voyageurs comportera six « usagers » auxquels s’adjoindront les deux « professionnels » au départ du
projet. Deux traducteurs se joindront au groupe pour l’Italie et l’Angleterre. Le voyage pour les
« usagers » est gratuit. Les adhérents qui le souhaitent pourront
participer à deux voyages
L’évaluation prévue dans le
projet sera confiée à une psychosociologue extérieure au groupe.
Parallèlement s’engage un travail
soutenu de réflexion sur le site, son utilité pour l’association, son intérêt aussi
pour les adhérents qui écrivent et dessinent pour le journal L’ECRIT DE
De fait les discussions engagées autour de ce projet vont infiltrer toutes
les activités de l’association pendant les 18 mois de sa réalisation, mais bien
au-delà, car cet « exploit » ou « défi » fait déjà trace
dans l’histoire de l’association.
B -
1 - le site
a) Sa création
Nous y avons travaillé dès le deuxième semestre 2005 en même temps que nous préparions notre premier voyage en Belgique.
Au-delà de la rédaction des textes à fournir au concepteur du site, de la recherche de visuels (photos à sélectionner dans les nombreux albums de l’association), la perspective d’une mise en ligne du journal et d’un archivage à compter de juillet 2005, nous a amenés à revoir entièrement la présentation du journal (rubriques et logo).
En ligne dès janvier 2006, le
site constitue certainement la réalisation la plus tangible du projet. Il donne
une certaine « publicité » à l’histoire et aux activités de
l’association
b) Sa place dans le projet
Par son caractère pérenne et
évolutif, le site donne une visibilité à
des activités réservées jusqu’alors aux seuls membres de l’association et
permet de « communiquer » au moment même où
La création du site marque un tournant important dans l’ouverture virtuelle sur d’autres sites et associations d’usagers et de professionnels engagés dans la promotion de la santé mentale.
Avec une année de recul, il est
cependant difficile d’évaluer l’impact du site : les visites et les
demandes d’information ne sont pas très nombreuses (beaucoup moins que les
spams !).
Les visiteurs sont surtout des familles ou des professionnels, plus rarement des usagers d’associations qui se constituent en GEM.
En ce qui concerne les adhérents
du groupe, certains se disent flattés d’être visibles sur le net, d’autres se
disent un peu « paranos » refusant par exemple d’apparaître en photo.
Pour le moment peu d’adhérents
possèdent un ordinateur chez eux et encore moins internet, si bien qu’ils ne
visitent pas régulièrement « leur » site.
2 – les voyages d’etude et de
rencontres
a) La préparation des voyages
Une fois chacun des groupes constitués (deux mois environ avant chaque voyage), un travail de préparation s’est construit autour des envies de chacun. Quels monuments ou musées visiter, quel type d’association rencontrer. Plusieurs réunions permettent alors de faire le point sur la documentation rassemblée : système politique, histoire, richesses culturelles, mais aussi cuisine, langue et système de santé.
Un repas au restaurant réunissant
les futurs voyageurs, vise à consolider les liens avant le départ et à atténuer
certaines appréhensions (partage des chambres, prise de tous les repas en
commun, problème d’affinités entre les personnes…). Pour les voyages impliquant
un traducteur, ce dernier est convié à rencontrer l’ensemble du groupe avant le
départ lors d’une réunion, suivie d’un repas.
c) La dimension « voyage d’étude »
Ce qui avait valeur de prétexte
pour « habiller » la demande de subvention auprès du FSE, a pris une
importance grandissante prenant parfois le pas sur la dimension touristique. La rencontre avec des personnes du pays
extérieures au groupe partageant des intérêts proches, aptes à répondre aux
questions et à évoquer leur vécu, a
constitué un formidable moteur.
Le premier voyage en Belgique a été tellement riche d’enseignement et de rencontres avec des usagers et des professionnels très motivés que nous attendions également beaucoup des voyages à Florence et à Londres.
En Italie, nous avons eu un merveilleux
guide, un usager, président de l’association AISME, qui nous a fait visiter
l’atelier de
A Londres où compte tenu de
l’importance et de l’ancienneté du mouvement des usagers, nous pensions trouver
des réponses à nos questions, nous avons eu beaucoup de mal à appréhender le
système public de santé. Pour les thérapeutes rencontrés, la réelle possibilité
qu’ont les usagers de se faire entendre et gagner des procès (advocacy),
n’implique pas qu’ils soient mieux soignés. Ils déplorent un recul massif de la
psychanalyse et préfèrent pour leur part ne pas travailler avec le service
public !
III- Bilan et evaluation du projet
A - Les obstacles rencontrés dans l’organisation des « voyages
d’étude »
La recherche de contacts avec des
associations susceptibles de nous recevoir et de répondre à notre questionnaire
s’est révélée plus difficile que prévue.
Nous avions envie de rencontrer
des institutions alternatives, mais sans contacts privilégiés préalables, nos
recherches sur le net furent très aléatoires.
Si nous avons pu établir d’emblée des contacts aisés en Belgique, avec l’association « L’autre lieu » et « Le Gué », la recherche d’interlocuteurs en Italie et en Grande Bretagne s’est révélée laborieuse.
La langue a sûrement contribué à ces difficultés de communication, difficultés à présenter le projet qui suscitait beaucoup d’étonnement, difficultés à trouver les personnes ressources.
Les deux réseaux européens contactés ne se sont pas montrés très réactifs … et nous pensons que sans le site (déjà en ligne lors des 2 derniers voyages), nous n’aurions eu aucune chance d’être entendus et reçus.
Si au départ, nous avions le désir de rencontrer des associations qui comme nous éditaient un journal, nous avons dû y renoncer devant la difficulté à « cibler » les associations. Deux des associations rencontrées en Belgique et en Italie éditent cependant un journal que nous recevons maintenant régulièrement.
Enfin, nous avons rencontré plus
de « professionnels » que d’usagers de la santé mentale. De fait,
nous n’avons pas pu contacter directement les usagers au sein de leurs
associations.
Pour ce qui est de l’Angleterre
où nous avions choisi de rendre visite à
Difficile donc de se faire une
idée comparative des systèmes de santé tels qu’ils nous ont été
présentés ! La diversité des associations rencontrées, de même que
l’hétérogénéité des contextes historiques et politiques, ne permettent pas un
travail de synthèse.
Pour ce qui est de notre « questionnaire » pourtant traduit en italien et en anglais, il ne nous permet pas de nous forger une opinion. A lire les réponses « renseignées », à part les hôpitaux psychiatriques totalement disparus en Italie, les mêmes institutions existeraient en France, en Belgique et en Italie ! Ce qui n’est pas notre perception… Il n’est certainement pas possible de s’improviser « chercheur » dans un domaine où l’on est de plus, juge et partie.
Néanmoins les questions restent
ouvertes… Et l’expérience vécue d’une posture distanciée vis-à-vis des
problèmes de santé mentale, quand l’on se sent soi-même concerné, contribue à l’empowerment dont parlent justement
les anglo-saxons.
Cette notion que l’on peut
définir comme un processus actif centré
sur les forces, les droits et les compétences des individus et des groupes
plutôt que sur les déficits et les besoins, se situe au centre du projet. C’est donc sur sa mise en œuvre que
nous avons souhaité faire porter plus particulièrement l’évaluation.
B - La mobilisation des usagers dans le projet
La description et l’analyse des
différentes phases du projet, de sa conception à sa réalisation, soulignent ci-dessus à la fois l’importance
de la dynamique engagée et les difficultés rencontrées.
Les adhérents
« usagers » ont en effet fortement contribué à l’élaboration et à la mise en œuvre du
contenu du projet : objectif général de rencontre avec des usagers dans
les pays visités, choix des interlocuteurs associatifs, inventaire des
questions intéressant le groupe sur les systèmes de soins et de protection
sociale, choix des destinations et du programme « touristique »…
Certains voyageurs ont au retour rédigé des textes pour le journal L’ECRIT DE
Ce projet a ainsi demandé aux adhérents
« usagers » de passer d’une implication dans les activités
« ordinaires » de l’association à la mobilisation dans un projet
« extraordinaire » que leur financerait une entité abstraite et
lointaine, l’Europe.
Ainsi la plus grosse difficulté
fût dans un premier temps de « penser » le projet comme réalisable et
de se l’approprier. Les usagers doutaient de sa faisabilité, pourquoi leur
donnerait-on de l’argent et à quel titre ? Ils ne se sentaient pas
capables de porter un tel projet, même s’ils en comprenaient l’intérêt pour eux
en tant que bénéficiaires.
De plus, les problèmes dans
l’élaboration pratique du dossier n’ont pas manqué : compréhension et
« traduction » du langage administratif, mise en forme d’un budget
prévisionnel de 23000 euros. Il a alors été décidé que si le travail de
réflexion et d’écriture était collectif, la rédaction finale et
le budget seraient élaborés par les adhérents « professionnels » avec
l’aide technique de l’association ESPERANCE PARIS.
Malgré le désir de tout partager entre adhérents, « professionnels » et « usagers », force est de constater que les usagers ont du mal à entrer dans le langage administratif et que la mise en place d’un budget leur paraît impossible. Ces dernières tâches en effet nécessitent des compétences et une formation qu’ils n’ont pas.
Cette question de la formation constitue certainement l’un des points les plus délicats pour que les usagers puissent un jour prendre réellement en charge leurs intérêts et mener à bien leurs propres projets
De manière générale, trois dimensions problématiques ressortent de
l’analyse du déroulement du projet :
* Avoir les compétences nécessaires à
la mise en forme technique du projet et à sa réalisation matérielle (budget,
dossier administratif, réservations…).
* Se sentir en capacité d’être acteur du
projet, et non pas seulement bénéficiaire accompagné par des
professionnels.
* Avoir à se désigner soi-même dans le
projet comme «usager en santé mentale», constitue l’une des difficultés, mais sûrement aussi l’un des aspects les plus stimulants des
réflexions engagées.
« Usager
en santé mentale » est l’expression utilisée dans le projet en
référence aux récentes lois sur le droit des usagers et à la création
de clubs d’usagers. La reconnaissance de ce droit constitue un premier pas vers
l’« empowerment » anglo-saxon. Si l’expression
« usager en santé mentale» marque la volonté de reconnaître aux
personnes une place d’acteur social au-delà du seul statut de
« soigné », il les désigne toutefois à travers leur parcours de soin,
le risque étant de réduire leur identité sociale à ce parcours. De plus ces
notions sont trop récentes en France pour s’être inscrites dans les pratiques
et les mentalités. Il peut donc s’avérer encore difficile de revendiquer une
identité d’usager en santé mentale, sans que celle-ci soit ressentie comme
stigmatisante et donc peu compatible avec la position d’acteur
Ces trois dimensions s’avèrent
bien entendu liées : comment se sentir
capable d’être acteur d’un tel projet quand on ne dispose pas des compétences
techniques nécessaires, comment assumer une position d’acteur tout en
revendiquant une identité qui reste socialement stigmatisée ? Au cœur
des visées du projet, il apparaît naturel que ces questions apparaissent comme
autant de difficultés rencontrées. Reste à voir comment et dans quelle mesure
la réalisation du projet a permis de les travailler et quel bilan les
« usagers » eux-mêmes tirent de cette expérience.
C - Une évaluation participative
En raison du caractère exceptionnel des voyages effectués et de leur place centrale dans le projet, l’évaluation a été centrée sur ces voyages.
Dans le prolongement du travail réalisé à travers la conception et la mise en œuvre du projet et en cohérence avec les objectifs poursuivis, cette évaluation se devait d’impliquer les participants. L’entretien collectif est apparu la méthode la plus appropriée pour permettre l’expression de chacun sur la double dimension de ces voyages, aventures personnelles et expériences de vie en groupe. L’objectif était également que puisse se construire une évaluation collective, non pas consensuelle, mais faite de la diversité des points de vue et des places. Cet objectif a été explicité aux participants : réaliser ensemble l’évaluation du projet motivant ces voyages ; le rôle de la psychosociologue, chargée de cette évaluation et extérieure au groupe, étant de favoriser la mise en mots de cette expérience, de réaliser ensuite la synthèse des deux premières rencontres (l’une réunissant les participants au voyage en Italie et la seconde les voyageurs en Angleterre et en Belgique) et de la soumettre en retour au groupe lors d’une troisième réunion.
Dans ce cadre, quelques questions générales étaient proposées (les motivations à s’impliquer dans le projet, ce qu’ils en attendaient et ce qu’ils en ont retiré, le choix de la destination, les regrets et bons souvenirs…) afin de susciter les échanges et l’expression de chacun sans induire de thématiques a priori. La prise de parole était libre.
Les « usagers » ont été
nombreux à participer à ces réunions (quinze personnes) et se sont exprimés spontanément pour la quasi-totalité
d’entre eux. Cette forte participation
ainsi que la qualité et la quantité des échanges entre les membres du groupe, témoignent
de l’importance des émotions et réflexions suscitées par ces expériences et de
leur implication dans le projet. Les « professionnels » et
« traducteurs » présents étaient en revanche davantage en retrait, dans
leur rôle d’accompagnants du groupe, laissant les usagers s’exprimer. Tous
adhérents de
a) Du rapport professionnel/usager à l’accompagnement d’une expérience collective
Les deux « professionnels »
de l’association Espérance Paris (psychologue et éducateur), très impliqués dans les activités
de
Les usagers, quant à eux, n’abordent pas la question de leur relation aux accompagnants dans ces termes. Les accompagnants, (psychologue, éducateur, traducteurs) apparaissent certes comme des personnes ressources à qui l’on a recours pour déverrouiller une porte, traduire le menu, etc…, ou comme des référents à qui l’on vient faire le récit d’une aventure personnelle. Mais en dehors de ces situations spécifiques, les « usagers » font davantage référence au cadre associatif, que les professionnels incarnent sans doute, ou au groupe dans son ensemble, que ceux-ci contribuent à constituer et à porter de par leur implication dans les activités de l’association.
L’organisation et le déroulement de celles-ci, jugées positives, créditent l’association d’un capital confiance qui permet de « relever un défi »[1]. Il s‘agit en effet de partir dans un lieu inconnu où l’on parle de plus, une autre langue. L’organisation du voyage par l’association leur permet alors de se sentir déchargés de certaines difficultés pour pouvoir se centrer sur celles liées au fait de partir et à la participation au séjour : « l’association étant sérieuse pour nous mettre en sécurité, ça permet un équilibre pour être présent sur le moment ». Le cadre associatif permet d’initier le projet, d’organiser les voyages et de rendre le départ pensable et possible : «y’en a qui y vont, je me suis dis pourquoi pas moi ».
Mais dans le récit du séjour, c’est le groupe dans son ensemble qui est mis en avant :
« - A : c’est impressionnant de sortir de notre
pays, de nos habitudes, on s’est
débrouillés comme des chefs pour nous nourrir et nous loger. -
Psychosociologue : Qui ça, on ?
- A : Tous, on était unis,
voyez, on en rit encore… - Psychosociologue : Ah bon ?
- Traductrice : 20 mn avant
le départ, on s’est rendu compte qu’on s’était trompé de gare tout le monde a
surmonté son angoisse on a eu le train à quelques minutes - B : à
quelques secondes. » La différence des places s’efface de manière
exemplaire dans un moment où l’organisation
se montre défaillante. Cet événement, vécu comme particulièrement
stressant, aurait pu devenir une « catastrophe » selon les termes de
certains participants, mais il se transforme en exploit collectif.
b) De l’aventure collective aux échappées individuelles
De manière générale, quatre aspects se dégagent de la perception du rôle du groupe dans ces voyages.
Celui-ci offre d’abord un cadre « rassurant », « dynamisant », on apprécie d’être « entouré », « protégé». D’autre part, les relations nouées au cours du séjour sont valorisées et se poursuivent pour certains, après le retour, autour de la réalisation du journal, à travers ces réunions de bilan mais également de manière informelle autour de l’échange de musique par exemple. Cette convivialité, relevée par tous, « usagers » et « accompagnants », constituait d’ailleurs une des motivations à partir dans ce cadre. Pourtant, la vie collective représentait pour beaucoup un défi en soi au regard de difficultés relationnelles qu’ils soulignent eux-mêmes. Cette expérience (repas, visites et même chambres partagées) constitue alors un apprentissage qu’ils jugent réussi : «ça m’a appris à m’intégrer dans un groupe».
Enfin, ce collectif qui peut
sembler contraignant pour quelques uns, n’a pas empêché les expériences
individuelles et les échappées en solitaire, à deux ou trois. Il apparaît
plutôt comme un tremplin permettant de se lancer dans des
« aventures » personnelles : « - J’ai tendance à rester au sein du groupe, j’avais des courses à faire à
un moment donné, je savais que je pouvais rentrer à l’hôtel, quel était mon
chemin de retour, j’avais pas peur de
faire
Si la réalisation de ces voyages s’appuie sur le cadre associatif, ils sont vécus comme une expérience collective. Et si ce cadre associatif est porté par les professionnels, il est investi par les usagers qui se le réapproprient à travers les deux dimensions du projet, tourisme et rencontre d’usagers et de professionnels en santé mentale.
c) « Changer d’air »
Certains n’avaient pas quitté Paris depuis plusieurs années et la plupart n’étaient pas sortis du territoire national. Le dépaysement constitue pour certains un choc (« c’était impressionnant, on était plus chez nous, dans un autre pays, une autre culture ») mais il offre en même temps la sensation de « changer d’air » : « depuis que je suis malade je suis jamais partie en vacances, ça m’a donné l’impression de n’être plus malade, y’avait une partie de moi qui respirait vraiment. » Visiter les musées, les monuments, découvrir la cuisine locale sont autant de moments d’ouverture et de plaisir qui permettent à la fois de mettre à distance ses problèmes et d’accéder à un statut nouveau, celui de touriste. « Parfois, par la maladie, on s’intéresse à rien, à peine à nous, là on s’est bien occupé de soi, on s’est bien habillé, on changeait de tenue pour sortir le soir ». Ils en ont bien « profité », disent-ils.
d) Soin, maladie et insertion
Pour autant, ils disent et se montrent effectivement très investis dans la partie du séjour consacrée à la visite des « structures » rencontrées. Tous les participants, qu’ils soient « usagers » ou « professionnels », regrettent que leur projet n’ait pas suscité plus d’intérêt, peu d’associations ayant répondu à leur sollicitation. Mais surtout les rencontres avec les usagers, très attendues, ont été rares et peu satisfaisantes.
Néanmoins, les informations recueillies et les impressions retirées de ces rencontres offrent des éléments de comparaison avec le parcours de chacun et ainsi, une mise en perspective de son propre vécu : « moi j’ai un cursus de psychiatrie de 10 ans, j’ai le souvenir de réponses au cours de notre visite où y’avait pas autant de possibilités pour les patients, il y a très peu de psychothérapies. » De ces comparaisons, se dégage une évaluation générale : leur situation en France leur apparaît plus favorable que celle des pays visités. Les critiques formulées font ressortir les éléments qu’ils jugent essentiels : inégalité des modes de prise en charge dans un même pays liée en raison de la décentralisation, rupture des soins ou du suivi à la sortie d’une structure (association, hôpital), « break par rapport à l’hospitalisation » en Italie, place des psychothérapies dans les systèmes de soins, accès à celles-ci... La question du soin apparaît prépondérante pour les voyageurs.
A cet égard, la prise en charge par la famille en Italie, voire « l’intégration dans la vie sans hospitalisation » sont considérées comme des violences faites aux personnes «-A : garder à la maison le fou du village, c’est une politique de l’enfermement pour la personne souffrante, ça reste une personne cachée. (…)-B : les problèmes de santé mentale sont ramenés à un problème d’adaptation sociale, on les considère comme des cas sociaux, il n’y a pas de différence entre les malades mentaux et le handicap (…) On nie la maladie mentale, en fermant les hôpitaux psy, mais sans permettre à ces patients d’avoir les moyens individuellement de s’améliorer avec une psychothérapie. Psychosociologue : à force de vouloir intégrer, vous le sentez comme quelque chose qu’on cache ? A- oui dans la mesure où la personne malade n’a pas les mêmes besoins. ».
Cette revendication d’une spécificité du malade et de ses besoins est à rapprocher des termes utilisés, « patients », « malades », « malades mentaux », « personnes qui souffrent », et très rarement « usagers ».
L’accent porté sur les soins n’exclut pas l’intérêt porté aux modes d’intégration ou d’insertion. Une expérience de représentation théâtrale ouverte au public est particulièrement valorisée, car « les handicapés ne restent pas confinés entre eux » et elle contribue à « sensibiliser l’opinion publique ». En ce qui concerne l’insertion, celle-ci passe pour eux d’abord par le logement (« pour se poser ») et nécessite un soutien qui leur semble faire défaut dans les pays visités : « en France, on a plus d’aides, même si ça commence à diminuer, y’a des rôles, des personnages qui sont là pour nous aider, pour trouver des solutions ». Il ne s’agit plus de soin ni de soignant mais d’intervenants, d’aide, de transmission, notions que l’on peut rapprocher du rôle des « accompagnants » dans le voyage : « J’aurais aimé savoir comment les gens, les patients de là-bas s’organisent, nous on s’organise autour d’Espérance Paris, mais eux autour de qui ? Si il y a vraiment des structures. Sinon on a du mal à tenir debout, entre patients. Ils sont pas assez ouverts, ils aident pas vraiment comme vous Espérance Paris.»
e) Comment passer de membres actifs à acteurs ?
A cet égard, l’organisation, le déroulement et le bilan de ces voyages sont exemplaires. Porté par les professionnels, le projet est fortement investi par les « usagers » qui en font une expérience collective où chacun se sent actif, voire acteur. Ce positionnement, vécu dans le cadre rassurant du groupe, fonctionne comme un tremplin à partir duquel chacun peut prendre son « envol » pour des « aventures » individuelles et autonomes. On peut penser que la prise de risque (partir à l’étranger), accompagnée et collective, a permis aux participants de se sentir en capacité de vivre des expériences individuelles. L’accès au « tourisme » a de plus contribué à leur renvoyer une image positive d’eux-mêmes à travers le plaisir de fréquenter les restaurants, les musées, de s’occuper de soi.
Parallèlement, l’objectif «d’étude» de ces voyages semble renvoyer les participants à la maladie : ils rencontrent dans ce contexte des soignants et des soignés, des « gens comme ça », «si on avait été que dans le tourisme, on serait des gens normaux », notent-ils. Etre touriste, c’est accéder comme tout le monde à un statut de « consommateur », selon leurs propres termes, mais uniquement à un statut de consommateur.
C’est en effet dans le cadre des rencontres avec les professionnels et usagers en santé mentale qu’ils se sont sentis acteurs. La dimension « étude » de ces voyages attribue en effet aux participants une « fonction intellectuelle » disent-ils, soit une mission d’utilité sociale. Ils ont eu, soulignent-ils fortement, à relever des faits, à « rendre compte » de cette expérience et à exprimer un jugement, une opinion. Ils ont pour ce faire, pris appui sur leur expérience personnelle mais également cherché à être « objectif » et à formuler un avis à caractère général. Ils ont ainsi un rôle social à jouer. Celui-ci se trouve renforcé par le caractère associatif du projet et son soutien par le FSE, qui leur permettent non seulement d’accéder à ces déplacements mais également à un statut social : «y’a des personnes qui trinquent, on profite parce qu’on est bien placés, on est dans une association déjà, c’est pour ça qu’on est en situation d’avoir des avantages en tant que personnalité collective, y’a des avantages et des valeurs que nous défendons ».
Dans ce contexte, se désigner et désigner les « gens comme ça » comme des « personnes malades », des « malades mentaux », voire des « handicapés » peut alors apparaître contradictoire avec la position d’acteur qu’ils revendiquent. Ces appellations les renvoient certes à une identité sociale négative (la question du regard sur eux a été plusieurs fois évoquée). Mais dans le même temps, elle met l’accent sur la spécificité de ces personnes et de leurs besoins, et sur la nécessité à leurs yeux de prendre en compte cette spécificité. A travers le bilan qu’ils font de leurs rencontres, les voyageurs demandent en effet que ces personnes (et eux-mêmes) puissent bénéficier de soins adaptés, soient accompagnées dans leur insertion et également dans leur accès à un statut d’acteur social. Banaliser la maladie, le handicap, en ne proposant pas de prise en charge suffisamment adaptée, revient pour eux à la nier, voire à nier les personnes elles-mêmes. Dans cette perspective, la notion « d’usager » n’apparaît pas difficile à assumer en raison d’une connotation négative, mais semble plutôt trop générale, sans contenu suffisamment précis pour que les voyageurs puissent s’y reconnaître. L’identité de malade et la position d’acteur ne s’opposent pas ici mais se complètent.
Membres « actifs » d’une association, fortement mobilisés
dans l’élaboration et la mise en œuvre de ce projet de « voyages et de
rencontres avec des usagers européens de la santé mentale », ils ne se
sentent pas pour autant en capacité de devenir aujourd’hui porteurs de nouveaux
projets, acteurs associatifs. Pourtant, les idées ne manquent pas : mieux
connaître les droits des handicapés, poursuivre les recherches sur les modes de
prise en charge en Europe, développer les relations instaurées par internet,
accueillir à Paris les personnes rencontrées au cours de ces voyages, visiter
d’autres pays… Mais l’accompagnement reste nécessaire.
Ces voyages et les échanges qu’ils
ont suscités notamment au cours de la phase d’évaluation collective s’inscrivent
dans la dynamique engagée depuis plusieurs années par
Ce travail, rédigé
par Michèle DRANCOURT et Isabelle MONFORTE, psychosociologue s’est construit
grâce à la participation effective de tous les voyageurs.
Paris, Janvier 2007