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Patient-usager

UN GROUPE D' " USAGERS " A LA RENCONTRE DES SYSTEMES DE SANTE MENTALE EUROPEENS

 

Un groupe d’ « usagers » à la rencontre des systèmeS

 de santé mentale Européens

 

RADIOGRAPHIE D’U N MICRO-PROJET FSE

 

De l’été 2005 au mois de septembre 2006, dix sept adhérents de l’association d’usagers en santé mentale, LA VAGUE A L’ÂME, ont visité trois villes européennes, rencontré des usagers et des professionnels belges, italiens et anglais ; ils ont par la suite témoigné de ces voyages et échanges à travers le journal L’ECRIT DE LA VAGUE et le site internet de l’association. Financée par le FSE, cette expérience a fait l’objet d’un bilan d’évaluation final en direction des instances européennes, mais au-delà de cet exercice obligé, il nous est apparu  qu’un tel bilan pouvait intéresser d’autres personnes ou institutions.

 « En entreprenant  ces voyages, en affrontant le plaisir et la difficulté des rencontres, de l’immersion dans un autre pays, dans une autre manière de penser, nous voulons renforcer notre identité personnelle et sociale, prendre confiance dans notre valeur et dans nos capacités de participation au monde qui nous entoure. Nous voulons prendre la responsabilité de nos vies et nous sentir concernés par celles des autres.

Par l’échange d’expériences vécues, par la création d’un site et la mise en ligne de notre journal, nous voulons servir de vecteur d’information et de sensibilisation aux problèmes que rencontrent les usagers en santé mentale et participer ainsi à leur intégration sociale et à la reconnaissance de leur pleine citoyenneté ».

Ce texte écrit collectivement par le groupe des adhérents en direction du FSE, donne le ton des attentes et de la visée du projet. Nous avons souhaité témoigner des différentes étapes de sa réalisation, montrer quel a été son impact sur la mobilisation des usagers au sein même de l’association,  et plus largement, s’interroger sur les effets de ce type d’expérience en termes de participation des usagers au débat social sur la santé mentale.

 

I - LE CADRE DU PROJET

 

I – LES PORTEURS DU PROJET, SES CONDITIONS D’EMERGENCE

 

a - l’association la vague a l’âme et ses adhérents

 

Créée en 1987 à l’initiative de deux salariées de l’association ESPERANCE PARIS (service d’hébergement en relation avec des équipes de soin), l’association LA VAGUE A L’ÂME  regroupe d’anciens résidents de cette dernière. Elle a pour but de lutter contre les risques de l’anonymat et de l’isolement générés par le relogement définitif.

Elle se définit comme une association d’usagers en ce que les adhérents de l’association, sont à plus de 80 % des « usagers de la santé mentale », ces derniers sont également majoritaires au conseil d’administration. Elle comporte environ 120 adhérents ou sympathisants.

 

Les adhérents présentent un certain nombre de points communs en même temps qu’une réelle diversité.

Les points communs recouvrent :

- un parcours de soins en psychiatrie,

- un logement autonome dans le parc social ordinaire,

- des petits revenus liés à la situation de handicap (Allocation Adulte Handicapé, Pension d’Invalidité, Revenu Minimum d’Insertion) ou à un travail salarié en milieu protégé ou ordinaire.

La diversité tient aux modes de participation à la vie de la cité et à la situation de famille.

Certains adhérents, peu nombreux, travaillent en milieu ordinaire, d’autres en milieu protégé, d’autres encore font du bénévolat ou fréquentent des lieux d’accueil de jour.

La plus large majorité est constituée de personnes isolées mais certains vivent en couple et ont des enfants. C’est cette diversité qui fait la richesse d’un groupe qui s’est agrandi et diversifié au fil du temps.

 

Malgré des difficultés spécifiques et une insertion rendue difficile par un passé de soins et un statut souvent référé au handicap, les adhérents de l’association ont toujours voulu se positionner comme des « gens ordinaires » qui exercent pleinement leur responsabilités civiles et sociales (ils consomment, déclarent leurs revenus, paient leurs loyers, votent…).

Ils  regrettent pourtant de se trouver exclus des échanges intellectuels ou sociaux sur les problèmes qui les concernent ou de l’accès aux biens culturels (voyages, rencontres, séminaires, surtout hors des frontières).

 

b – les conditions d’émergence du projet fse

 

Depuis sa création, LA VAGUE A L’ÂME a développé des actions culturelles et conviviales (sorties, fêtes, vacances, brocantes) tendant à renforcer la cohésion du groupe des adhérents. L’outil associatif s’est alors imposé comme un levier de formation personnelle et collective des usagers par leur représentation au conseil d’administration et leur consultation pour la mise en place des projets. En 1994, la création d’un bulletin de liaison « L’écrit de la vague », vient donner une plus large assise à ces activités qui trouvent ainsi un relais pour leur diffusion à l’intérieur du groupe et au-delà. Ce journal bimensuel constitue aujourd’hui le cœur mais aussi le miroir de la vie de l’association.

 

Avec la reconnaissance législative des droits des usagers en 2002, les adhérents bénéficiaires des activités de l’association, encouragés par les professionnels qui les accompagnent, commencent à rêver de moyens financiers leur permettant de se positionner comme véritables « gestionnaires » du projet associatif.

C’est dans ce contexte qu’émerge l’idée d’une demande de subvention au Fonds Social Européen, permettant à l’association qui n’a jamais eu de budget de fonctionnement et ne comporte aucun salarié, de gérer collectivement un projet. L’idée de voyage dans des villes européennes apparaît facilement cependant qu’au-delà du tourisme, un désir s’exprime, celui de rencontrer des personnes qui sont confrontées aux mêmes difficultés …

Par ailleurs il apparaît que le journal « L’écrit de la vague » constitue un outil de communication précieux qu’il conviendrait d’utiliser dans le projet et de « valoriser » : l’idée de création d’un site est lancée ! A partir de là et pendant un an, des réunions régulières animées par deux adhérents « professionnels » qui participent à la réalisation du journal, vont permettre de mettre en forme collectivement le projet tel qu’il a été retenu par le Fonds Social Européen.

Au-delà de son objectif immédiat, les enjeux du microprojet sont aussi de mobiliser l’ensemble des adhérents, de faire appel à leurs désirs et à leurs compétences et de donner une plus grande lisibilité aux activités de l’association, au moment même où il est question de favoriser la création de « clubs » d’usagers en santé mentale.

 

 

 

 

c - le contenu  du microprojet  

 

a)      Les objectifs à réaliser

L’énoncé général du projet : « Voyages d’étude et de rencontres avec des usagers européens de la santé mentale et création d’un site internet interactif pour maintenir et élargir ces échanges », recouvrent des objectifs formalisés :

 

* organiser et réaliser 3 voyages de 4 jours, en Belgique, Italie et Grande Bretagne. A travers ces voyages, le groupe des adhérents souhaite pouvoir rencontrer d’autres usagers de la santé mentale pour :

- échanger sur la façon d’améliorer les moyens d’intégration sociale dans des contextes différents ;

- comparer les modes de vie au quotidien et établir des liens par le biais du journal « L’ECRIT DE LA VAGUE ».

 

* créer un site internet

- pour maintenir et élargir ces échanges par la mise en ligne du journal,

- et donner une plus grande lisibilité aux actions de l’association (alors qu’elle souhaite se transformer en « club » ou Groupe d’Entraide Mutuelle).

 

b) Les bénéfices attendus 

Ces voyages ont pour but de permettre des « déplacements » exceptionnels à des personnes qui pour des raisons sociales (minima sociaux) ou/et personnelles (difficultés psychologiques) n’ont ni les moyens, ni l’idée, ni l’envie de voyager seules, et encore moins à l’étranger où le barrage de la langue constitue un obstacle supplémentaire.

Le deuxième axe de travail vise à positionner les voyageurs en véritables «acteurs», dans l’organisation des voyages comme dans la rencontre avec des personnes concernées comme elles, par des problèmes de santé mentale.

L’objectif est enfin de faire de ces voyages, impensables sans l’aide d’une subvention :

-         une aventure personnelle à chacun des voyageurs, 

-          mais aussi un exemple pour tous les autres membres de l’association LA VAGUE A L’ÂME, les lecteurs de L’ECRIT DE LA VAGUE, les membres des associations rencontrées au cours des voyages …

 

Les bénéfices projetés se déclinent donc dans différentes dimensions :

-   apprentissage de la mobilité

-   ouverture et accès à des biens culturels inhabituels (tourisme, musées, monuments)

- expérience de groupe et prise de responsabilité personnelle au sein d’un                   environnement inhabituel (hôtel, transports en commun, langue)

- compréhension des évolutions de la psychiatrie vers la notion moins spécifique et             plus partagée de santé mentale

-  mise en mots et en perspective de sa propre expérience, en tant que citoyen ordinaire et personne concernée par les problèmes de santé mentale.

 

c) L’accompagnement général du projet

L’écriture comme la mise en oeuvre du projet sont le résultat d’un travail collectif des adhérents de l’association, réunis très régulièrement. Les réunions ont été animées par un éducateur et une psychologue engagés dans l’association à titre volontaire depuis plusieurs années, également membres du conseil d’administration.  

 

II - le deroulement du projet dans le temps

 

La mise en forme collective du projet, sa présentation à la FNARS (organisme intermédiaire auprès du Fond Social Européen) et l’attente d’une réponse ont pris environ dix huit mois pendant lesquels les adhérents intéressés ont pu progressivement s’approprier le projet.

 

Le programme d’une durée de 18 mois à compter du 1er Mai 2005, s’est échelonné comme suit :

- premier voyage inaugural de 4 jours à Bruxelles, en juin 2005,

- deuxième voyage de 4 jours à Florence, en juin 2006, 

- dernier voyage de 4 jours à Londres en septembre 2006.

 

La réalisation du site internet « lavagalam.com », avec le concours d’une société extérieure « Les Artisans Numériques », a pu se concrétiser à partir de janvier 2006, permettant de mettre le bulletin de liaison en ligne à compter de son numéro 66.

Aujourd’hui, 11 numéros de ce journal sont maintenant visibles sur internet.

 

A  - TRAVAIL PREALABLE ET MISE EN FORME DU PROJET

 

a)  Penser un projet et le formuler en vue d’une demande de subvention

 

Habitués à se retrouver pour partager des loisirs ou échanger articles et dessins pour le journal, les adhérents n’étaient pas préparés à se positionner comme promoteurs d’un projet. La possibilité d’une demande de subvention dans le cadre de l’Europe leur paraissait très lointaine, voire irréaliste, il fallait qu’ils disposent d’abord d’informations suffisamment argumentées pour trouver en eux des désirs à réaliser. L’idée de voyage s’est vite imposée et les noms de villes ont fusé Berlin, Florence, Londres, Amsterdam, Bruxelles …

 

Restait à trouver des raisons de voyager autres que purement touristiques, sérieux oblige ! L’idée de pouvoir rencontrer des habitants concernés par la santé mentale et de discuter avec eux sur la manière d’aborder les « problèmes psy » dans leur pays, de questionner la notion de  handicap, de comparer les structures de soin à partir d’un questionnaire s’est imposée. L’axe retenu est celui d’une recherche « profane » menée par des non spécialistes…

 

b)   Après l’acceptation du projet par le Fonds Social Européen

 

Avec la validation du projet par le FSE, une nouvelle étape commence : l’organisation effective des voyages programmés ainsi qu’une réflexion sur le site à construire avec l’aide des « Artisans Numériques ».

 

Les réunions consacrées à la formulation d’un « questionnaire » comme support des rencontres à venir, permet d’inventorier les différents points qui intéressent le groupe (montant des minima sociaux, système des hospitalisations, solutions de logement, mesures de protection, statut des psychothérapies et de la psychanalyse…).

L’idée sous-jacente est de faire passer ce questionnaire aux futurs interlocuteurs mais aussi de l’utiliser comme aide-mémoire dans les rencontres, de préparer également les membres du groupe à répondre eux-mêmes, de leur propre place, aux possibles questions sur ce qui se fait en France.

 

Le journal L’ECRIT DE LA VAGUE relaie largement l’information, présentant le projet  des voyages à l’ensemble des lecteurs, invitant les adhérents intéressés à se manifester et à participer activement aux réunions préparatoires.

Cet appel mobilise fortement les énergies : « on » commence à y croire.

 

La « méthode » retenue pour les 3 voyages à Bruxelles, Florence et Londres est la même : les adhérents intéressés se font connaître et leur demande est acceptée par ordre d’arrivée.

Il est prévu que chaque groupe de voyageurs comportera six « usagers » auxquels s’adjoindront les deux « professionnels » au départ du projet. Deux traducteurs se joindront au groupe pour l’Italie et l’Angleterre. Le voyage pour les « usagers » est gratuit. Les adhérents qui le souhaitent pourront participer à deux voyages

L’évaluation prévue dans le projet sera confiée à une psychosociologue extérieure au groupe.

 

Parallèlement s’engage un travail soutenu de réflexion sur le site, son utilité pour l’association, son intérêt aussi pour les adhérents qui écrivent et dessinent pour le journal L’ECRIT DE LA VAGUE. La page d’accueil du site et les différentes rubriques de présentation sont largement discutées dans le groupe, l’écriture des textes et la recherche de photos pour illustrer le site nous plongent dans l’histoire de l’association : les liens entre les participants se renforcent.

De fait les discussions engagées autour de ce projet vont infiltrer toutes les activités de l’association pendant les 18 mois de sa réalisation, mais bien au-delà, car cet « exploit » ou « défi » fait déjà trace dans l’histoire de l’association.

 

B - LA MISE EN OEUVRE DU PROJET

 

1 - le site

 

a)       Sa création

 

Nous y avons travaillé dès le deuxième semestre 2005 en même temps que nous préparions notre premier voyage en Belgique.

 

Au-delà de la rédaction des textes à fournir au concepteur du site, de la recherche de visuels (photos à sélectionner dans les nombreux albums de l’association), la perspective d’une mise en ligne du journal et d’un archivage à compter de juillet 2005, nous a amenés à revoir entièrement la présentation du journal (rubriques et logo).

En ligne dès janvier 2006, le site constitue certainement la réalisation la plus tangible du projet. Il donne une certaine « publicité » à l’histoire et aux activités de l’association LA VAGUE A L’ÂME qui peut ainsi se situer comme un partenaire potentiel dans le champ de la santé mentale.

 

b)       Sa place dans le projet

 

Par son caractère pérenne et évolutif, le site donne une visibilité à des activités réservées jusqu’alors aux seuls membres de l’association et permet de « communiquer » au moment même où LA VAGUE A L’ÂME vient d’obtenir un financement pour gérer un Groupe d’Entraide Mutuelle ou GEM.

La création du site marque un tournant important dans l’ouverture virtuelle sur d’autres sites et associations d’usagers et de professionnels engagés dans la promotion de la santé mentale.

Avec une année de recul, il est cependant difficile d’évaluer l’impact du site : les visites et les demandes d’information ne sont pas très nombreuses (beaucoup moins que les spams !).

Les visiteurs sont surtout des familles ou des professionnels, plus rarement des usagers d’associations qui se constituent en GEM.

 

En ce qui concerne les adhérents du groupe, certains se disent flattés d’être visibles sur le net, d’autres se disent un peu « paranos » refusant par exemple d’apparaître en photo.

Pour le moment peu d’adhérents possèdent un ordinateur chez eux et encore moins internet, si bien qu’ils ne visitent pas régulièrement « leur » site.

 

2 – les voyages d’etude et de rencontres

 

a) La préparation des voyages

 

Une fois chacun des groupes constitués (deux mois environ avant chaque voyage), un travail de préparation s’est construit autour des envies de chacun. Quels monuments ou musées visiter, quel type d’association rencontrer. Plusieurs réunions permettent alors de faire le point sur la documentation rassemblée : système politique, histoire, richesses culturelles, mais aussi cuisine,  langue et  système de santé.

Un repas au restaurant réunissant les futurs voyageurs, vise à consolider les liens avant le départ et à atténuer certaines appréhensions (partage des chambres, prise de tous les repas en commun, problème d’affinités entre les personnes…). Pour les voyages impliquant un traducteur, ce dernier est convié à rencontrer l’ensemble du groupe avant le départ lors d’une réunion, suivie d’un repas.

 

c)      La dimension  « voyage d’étude »

 

Ce qui avait valeur de prétexte pour « habiller » la demande de subvention auprès du FSE, a pris une importance grandissante prenant parfois le pas sur la dimension touristique. La rencontre avec des personnes du pays extérieures au groupe partageant des intérêts proches, aptes à répondre aux questions et à évoquer leur vécu, a constitué un formidable moteur.

Le premier voyage en Belgique a été tellement riche d’enseignement et de rencontres avec des usagers et des professionnels très motivés que nous attendions également beaucoup des voyages à Florence et à Londres.

 

En Italie, nous avons eu un merveilleux guide, un usager, président de l’association AISME, qui nous a fait visiter l’atelier de La Tinaia, dans l’ancien hôpital psychiatrique de San Salvi, à un moment où malheureusement les patients-artistes n’étaient pas présents. Le lendemain nous avons rencontré dans une « maison communale » (équivalent d’une « maison des jeunes » mais accueillant tous publics y compris des personnes âgées), un psychiatre, des usagers et un représentant des familles qui nous ont présenté un tableau contrasté du système de soin italien (recul des soins spécialisés au profit de réponses sociales et familiales).

 

A Londres où compte tenu de l’importance et de l’ancienneté du mouvement des usagers, nous pensions trouver des réponses à nos questions, nous avons eu beaucoup de mal à appréhender le système public de santé. Pour les thérapeutes rencontrés, la réelle possibilité qu’ont les usagers de se faire entendre et gagner des procès (advocacy), n’implique pas qu’ils soient mieux soignés. Ils déplorent un recul massif de la psychanalyse et préfèrent pour leur part ne pas travailler avec le service public !

III- Bilan et evaluation du projet

 

A - Les obstacles rencontrés dans l’organisation des « voyages d’étude »

 

La recherche de contacts avec des associations susceptibles de nous recevoir et de répondre à notre questionnaire s’est révélée plus difficile que prévue.

Nous avions envie de rencontrer des institutions alternatives, mais sans contacts privilégiés préalables, nos recherches sur le net furent très aléatoires.

Si nous avons pu établir d’emblée des contacts aisés en Belgique, avec l’association « L’autre lieu » et « Le Gué », la recherche d’interlocuteurs en Italie et en Grande Bretagne s’est révélée laborieuse.

La langue a sûrement contribué à ces difficultés de communication, difficultés à présenter le projet qui suscitait beaucoup d’étonnement, difficultés à trouver les personnes ressources.

Les deux réseaux européens contactés ne se sont pas montrés très réactifs … et nous pensons que sans le site (déjà en ligne lors des 2 derniers voyages), nous n’aurions eu aucune chance d’être entendus et reçus.

Si au départ, nous avions le désir de  rencontrer des associations qui comme nous éditaient un journal, nous avons dû y renoncer devant la difficulté à « cibler » les associations. Deux des associations rencontrées en Belgique et en Italie éditent cependant un journal que nous recevons maintenant régulièrement.

Enfin, nous avons rencontré plus de « professionnels » que d’usagers de la santé mentale. De fait, nous n’avons pas pu contacter directement les usagers au sein de leurs associations.

Pour ce qui est de l’Angleterre où nous avions choisi de rendre visite à la Philadelphia Association (fondée par R.D. Laing), nous n’avons rencontré aucun « usager » !      

 

Difficile donc de se faire une idée comparative des systèmes de santé tels qu’ils nous ont été présentés ! La diversité des associations rencontrées, de même que l’hétérogénéité des contextes historiques et politiques, ne permettent pas un travail de synthèse.

Pour ce qui est de notre « questionnaire » pourtant traduit en italien et en anglais, il ne nous permet pas de nous forger une opinion. A lire les réponses « renseignées », à part les hôpitaux psychiatriques totalement disparus en Italie, les mêmes institutions existeraient en France, en Belgique et en Italie ! Ce qui n’est pas notre perception… Il n’est certainement pas possible de s’improviser « chercheur » dans un domaine où l’on est de plus, juge et partie.

 

Néanmoins les questions restent ouvertes… Et l’expérience vécue d’une posture distanciée vis-à-vis des problèmes de santé mentale, quand l’on se sent soi-même concerné, contribue à l’empowerment dont parlent justement les anglo-saxons.

 

Cette notion que l’on peut définir comme un processus actif centré sur les forces, les droits et les compétences des individus et des groupes plutôt que sur les déficits et les besoins, se situe au centre du projet. C’est donc sur sa mise en œuvre que nous avons souhaité faire porter plus particulièrement l’évaluation.

 

B - La mobilisation des usagers dans le projet

 

La description et l’analyse des différentes phases du projet, de sa conception à sa réalisation,  soulignent ci-dessus à la fois l’importance de la dynamique engagée et les difficultés rencontrées.

 

Les adhérents « usagers » ont en effet fortement contribué  à l’élaboration et à la mise en œuvre du contenu du projet : objectif général de rencontre avec des usagers dans les pays visités, choix des interlocuteurs associatifs, inventaire des questions intéressant le groupe sur les systèmes de soins et de protection sociale, choix des destinations et du programme « touristique »… Certains voyageurs ont au retour rédigé des textes pour le journal L’ECRIT DE LA VAGUE : poèmes, récits, descriptions des structures visitées et des systèmes de soins…

 

Ce projet a ainsi demandé aux adhérents « usagers » de passer d’une implication dans les activités « ordinaires » de l’association à la mobilisation dans un projet « extraordinaire » que leur financerait une entité abstraite et lointaine, l’Europe.

 

Ainsi la plus grosse difficulté fût dans un premier temps de « penser » le projet comme réalisable et de se l’approprier. Les usagers doutaient de sa faisabilité, pourquoi leur donnerait-on de l’argent et à quel titre ? Ils ne se sentaient pas capables de porter un tel projet, même s’ils en comprenaient l’intérêt pour eux en tant que bénéficiaires.

 

De plus, les problèmes dans l’élaboration pratique du dossier n’ont pas manqué : compréhension et « traduction » du langage administratif, mise en forme d’un budget prévisionnel de 23000 euros. Il a alors été décidé que si le travail de réflexion et d’écriture  était collectif, la rédaction finale et le budget seraient élaborés par les adhérents « professionnels » avec l’aide technique de l’association ESPERANCE PARIS.

 

Malgré le désir de tout partager entre adhérents, « professionnels » et « usagers », force est de constater que les usagers ont du mal à entrer dans le langage administratif et que la mise en place d’un budget leur paraît impossible. Ces dernières tâches en effet nécessitent des compétences et une formation qu’ils n’ont pas.

Cette question de la formation constitue certainement l’un des points les plus délicats pour que les usagers puissent un jour prendre réellement en charge leurs intérêts et mener à bien leurs propres projets

 

De manière générale, trois dimensions problématiques ressortent de l’analyse du déroulement du projet :

 

* Avoir les compétences nécessaires à la mise en forme technique du projet et à sa réalisation matérielle (budget, dossier administratif, réservations…).

* Se sentir en capacité d’être acteur du projet, et non pas seulement bénéficiaire accompagné par des professionnels.

* Avoir à se désigner soi-même dans le projet comme «usager en santé mentale»,  constitue l’une des difficultés, mais sûrement aussi l’un des aspects les plus stimulants des réflexions engagées.

« Usager en santé mentale » est l’expression utilisée dans le projet en référence aux récentes lois sur le droit des usagers et à la création de clubs d’usagers. La reconnaissance de ce droit constitue un premier pas vers l’« empowerment » anglo-saxon. Si l’expression « usager en santé mentale» marque la volonté de reconnaître aux personnes une place d’acteur social au-delà du seul statut de « soigné », il les désigne toutefois à travers leur parcours de soin, le risque étant de réduire leur identité sociale à ce parcours. De plus ces notions sont trop récentes en France pour s’être inscrites dans les pratiques et les mentalités. Il peut donc s’avérer encore difficile de revendiquer une identité d’usager en santé mentale, sans que celle-ci soit ressentie comme stigmatisante et donc peu compatible avec la position d’acteur

 

Ces trois dimensions s’avèrent bien entendu liées : comment se sentir capable d’être acteur d’un tel projet quand on ne dispose pas des compétences techniques nécessaires, comment assumer une position d’acteur tout en revendiquant une identité qui reste socialement stigmatisée ? Au cœur des visées du projet, il apparaît naturel que ces questions apparaissent comme autant de difficultés rencontrées. Reste à voir comment et dans quelle mesure la réalisation du projet a permis de les travailler et quel bilan les « usagers » eux-mêmes tirent de cette expérience.

 

C - Une évaluation participative

 

En raison du caractère exceptionnel des voyages effectués et de leur place centrale dans le projet, l’évaluation a été centrée sur ces voyages.

Dans le prolongement du travail réalisé à travers la conception et la mise en œuvre du projet et en cohérence avec les objectifs poursuivis, cette évaluation se devait d’impliquer les participants. L’entretien collectif est apparu la méthode la plus appropriée pour permettre l’expression de chacun sur la double dimension de ces voyages, aventures personnelles et expériences de vie en groupe. L’objectif était également que puisse se construire une évaluation collective, non pas consensuelle, mais faite de la diversité des points de vue et des places. Cet objectif a été explicité aux participants : réaliser ensemble l’évaluation du projet motivant ces voyages ; le rôle de la psychosociologue, chargée de cette évaluation et extérieure au groupe, étant de favoriser la mise en mots de cette expérience, de réaliser ensuite la synthèse des deux premières rencontres (l’une réunissant les participants au voyage en Italie et la seconde les voyageurs en Angleterre et en Belgique) et de la soumettre en retour au groupe lors d’une troisième réunion.

 

Dans ce cadre, quelques questions générales étaient  proposées (les motivations à s’impliquer dans le projet, ce qu’ils en attendaient et ce qu’ils en ont retiré, le choix de la destination, les regrets et bons souvenirs…) afin de susciter les échanges et l’expression de chacun sans induire de thématiques a priori. La prise de parole était libre.

 

Les « usagers » ont été nombreux à participer à ces réunions (quinze personnes) et se sont  exprimés spontanément pour la quasi-totalité d’entre eux.  Cette forte participation ainsi que la qualité et la quantité des échanges entre les membres du groupe, témoignent de l’importance des émotions et réflexions suscitées par ces expériences et de leur implication dans le projet. Les « professionnels » et « traducteurs » présents étaient en revanche davantage en retrait, dans leur rôle d’accompagnants du groupe, laissant les usagers s’exprimer. Tous adhérents de LA VAGUE A L’AME, les accompagnants occupent néanmoins des places différentes.

 

a) Du rapport professionnel/usager à l’accompagnement d’une expérience collective

 

Les deux « professionnels » de l’association Espérance Paris (psychologue et  éducateur), très impliqués dans les activités de LA VAGUE A L’ÂME depuis sa création, ont exprimé des attentes de niveau différent, allant de la connaissance des systèmes de soin des pays visités à « l’empowerment ».  Les deux traducteurs se situent davantage aux marges du groupe et à des degrés différents, le premier est un ancien stagiaire de l’association Espérance Paris et futur « professionnel » alors que la seconde, sympathisante de l’association, travaille dans un tout autre secteur que celui de la santé mentale. Ils sont perçus et se perçoivent tous les deux comme des « médiateurs culturels », des « guides » et soulignent les relations chaleureuses, voire amicales instaurées au cours du voyage. Pour l’ancien stagiaire, il n’était plus question de prendre en charge des « usagers » mais de découvrir avec eux une ville, de les initier à ses habitudes et pratiques de voyageur et ainsi, de les faire entrer  sur un terrain plus personnel. Se sont alors nouées des complicités qui modifient le rapport « professionnel/usager » tel qu’il l’avait vécu au cours de son stage, complicités qui perdurent après le voyage.

 

Les usagers, quant à eux, n’abordent pas la question de leur relation aux accompagnants dans ces termes. Les accompagnants, (psychologue, éducateur, traducteurs) apparaissent certes comme des personnes ressources à qui l’on a recours pour déverrouiller une porte, traduire le menu, etc…, ou comme des référents à qui l’on vient faire le récit d’une aventure personnelle. Mais en dehors de ces situations spécifiques, les « usagers » font davantage référence au cadre associatif, que les professionnels incarnent sans doute, ou au groupe dans son ensemble, que ceux-ci contribuent à constituer et à porter de par leur implication dans les activités de l’association.

 

L’organisation et le déroulement de celles-ci, jugées positives, créditent l’association d’un capital confiance qui permet de « relever un défi »[1]. Il s‘agit en effet de partir dans un lieu inconnu où l’on parle de plus, une autre langue. L’organisation du voyage par l’association leur permet alors de se sentir déchargés de certaines difficultés pour pouvoir se centrer sur celles liées au fait de partir et à la participation au séjour : « l’association étant sérieuse pour nous mettre en sécurité, ça permet un équilibre pour être présent sur le moment ». Le cadre associatif permet d’initier le projet, d’organiser les voyages et de rendre le départ pensable et possible : «y’en a qui y vont, je me suis dis pourquoi pas moi ».

 

Mais dans le récit du séjour, c’est le groupe dans son ensemble qui est mis en avant :

«  - A : c’est impressionnant de sortir de notre pays, de nos habitudes, on s’est débrouillés comme des chefs pour nous nourrir et nous loger.  - Psychosociologue : Qui ça, on ?

 - A : Tous, on était unis, voyez, on en rit encore… - Psychosociologue : Ah bon ?

 - Traductrice : 20 mn avant le départ, on s’est rendu compte qu’on s’était trompé de gare tout le monde a surmonté son angoisse on a eu le train à quelques minutes  - B : à quelques secondes. » La différence des places s’efface de manière exemplaire dans un moment où l’organisation  se montre défaillante. Cet événement, vécu comme particulièrement stressant, aurait pu devenir une « catastrophe » selon les termes de certains participants, mais il se transforme en exploit collectif.

 

b) De l’aventure collective aux échappées individuelles

 

De manière générale, quatre aspects se dégagent de la perception du rôle du groupe dans ces voyages.

Celui-ci offre d’abord un cadre « rassurant », « dynamisant », on apprécie d’être « entouré », « protégé». D’autre part, les relations nouées au cours du séjour sont valorisées et se poursuivent pour certains, après le retour, autour de la réalisation du journal, à travers ces réunions de bilan mais également de manière informelle autour de l’échange de musique par exemple. Cette convivialité, relevée par tous, « usagers » et « accompagnants », constituait d’ailleurs une des motivations à partir dans ce cadre. Pourtant, la vie collective représentait pour beaucoup un défi en soi au regard de difficultés relationnelles qu’ils soulignent eux-mêmes. Cette expérience (repas, visites et même chambres partagées) constitue alors un apprentissage qu’ils jugent réussi : «ça m’a appris à m’intégrer dans un groupe».

 

Enfin, ce collectif qui peut sembler contraignant pour quelques uns, n’a pas empêché les expériences individuelles et les échappées en solitaire, à deux ou trois. Il apparaît plutôt comme un tremplin permettant de se lancer dans des « aventures » personnelles : « - J’ai tendance à rester au sein du groupe, j’avais des courses à faire à un moment donné, je savais que je pouvais rentrer à l’hôtel, quel était mon chemin de retour,  j’avais pas peur de faire la chose. Mais  en temps normal, quand j’ai des choses à faire que je connais pas, j’ai tendance à hésiter beaucoup avant de me lancer. », « - Je voulais aller à Twickenham (le stade de rugby) sans être persuadé de pouvoir le faire, avec le recul, je me demande comment j’ai fait, j’y suis allé seul, j’avais jamais pris les transports en commun, après fallait marcher un peu (…), j’avais l’habitude de le voir à l’écran mais j’avais pas idée que je pouvais le faire, je voulais voir de mes propres yeux, être physiquement présent ».

 

Si la réalisation de ces voyages s’appuie sur le cadre associatif, ils sont vécus comme une expérience collective. Et si ce cadre associatif est porté par les professionnels, il est investi par les usagers qui se le réapproprient à travers les deux dimensions du projet, tourisme et rencontre d’usagers et de professionnels en santé mentale.

 

 c) « Changer d’air »

 

Certains n’avaient pas quitté Paris depuis plusieurs années et la plupart n’étaient pas sortis du territoire national.  Le dépaysement constitue pour certains un choc (« c’était impressionnant, on était plus chez nous, dans un autre pays, une autre culture ») mais il offre en même temps la sensation de « changer d’air » : « depuis que je suis malade je suis jamais partie en vacances, ça m’a donné l’impression de n’être plus malade, y’avait une partie de moi qui respirait vraiment. » Visiter les musées, les monuments, découvrir la cuisine locale sont autant de moments d’ouverture et de plaisir qui permettent à la fois de mettre à distance ses problèmes et d’accéder à un statut nouveau, celui de touriste. « Parfois, par la maladie, on s’intéresse à rien, à peine à nous, là on s’est bien occupé de soi, on s’est bien habillé, on changeait de tenue pour sortir le soir ». Ils en ont bien « profité », disent-ils.

 

d) Soin, maladie et insertion

 

Pour autant, ils disent et se montrent effectivement très investis dans la partie du séjour consacrée à la visite des « structures » rencontrées. Tous les participants, qu’ils soient « usagers » ou « professionnels », regrettent que leur projet n’ait pas suscité plus d’intérêt, peu d’associations ayant répondu à leur sollicitation. Mais surtout les rencontres avec les usagers, très attendues, ont été rares et peu satisfaisantes.

 

Néanmoins, les informations recueillies et les impressions retirées de ces rencontres offrent des éléments de comparaison avec le parcours de chacun et ainsi, une mise en perspective de son propre vécu : « moi j’ai un cursus de psychiatrie de 10 ans, j’ai le souvenir de réponses au cours de notre visite où y’avait pas autant de possibilités pour les patients, il y a très peu de psychothérapies. » De ces comparaisons, se dégage une évaluation générale : leur situation en France leur apparaît plus favorable que celle des pays visités. Les critiques formulées font ressortir les éléments qu’ils jugent essentiels : inégalité des modes de prise en charge dans un même pays liée en raison de la décentralisation, rupture des soins ou du suivi à la sortie d’une structure (association, hôpital), « break par rapport à l’hospitalisation » en Italie, place des psychothérapies dans les systèmes de soins, accès à celles-ci... La question du soin apparaît prépondérante pour les voyageurs.

 

A cet égard, la prise en charge par la famille en Italie, voire « l’intégration dans la vie sans hospitalisation » sont considérées comme des violences faites aux personnes «-A : garder à la maison le fou du village, c’est une politique de l’enfermement pour la personne souffrante, ça reste une personne cachée. (…)-B : les problèmes de santé mentale sont ramenés à un problème d’adaptation sociale, on les considère comme des cas sociaux, il n’y a pas de différence entre les malades mentaux et le handicap (…) On nie la maladie mentale, en fermant les hôpitaux psy, mais sans permettre à ces patients d’avoir les moyens individuellement de s’améliorer avec une psychothérapie. Psychosociologue : à force de vouloir intégrer, vous le sentez comme quelque chose qu’on cache ? A- oui dans la mesure où la personne malade n’a pas les mêmes besoins. ».

Cette revendication d’une spécificité du malade et de ses besoins est à rapprocher des termes utilisés, « patients », « malades », « malades mentaux », « personnes qui souffrent », et très rarement « usagers ».

 

L’accent porté sur les soins n’exclut pas l’intérêt porté aux modes d’intégration ou d’insertion. Une expérience de représentation théâtrale ouverte au public est particulièrement valorisée, car « les handicapés ne restent pas confinés entre eux » et elle contribue à « sensibiliser l’opinion publique ». En ce qui concerne l’insertion, celle-ci passe pour eux d’abord par le logement (« pour se poser ») et nécessite un soutien qui leur semble faire défaut dans les pays visités : « en France, on a plus d’aides, même si ça commence à diminuer, y’a des rôles, des personnages qui sont là pour nous aider, pour trouver des solutions ». Il ne s’agit plus de soin ni de soignant mais d’intervenants, d’aide, de transmission, notions que l’on peut rapprocher du rôle des « accompagnants » dans le voyage : « J’aurais aimé savoir comment les gens, les patients de  là-bas s’organisent, nous on s’organise autour d’Espérance Paris, mais eux autour de qui ? Si il y a vraiment des structures. Sinon on a du mal à tenir debout, entre patients. Ils sont pas assez ouverts, ils aident pas vraiment comme vous Espérance Paris.»

 

e) Comment passer de membres actifs à acteurs ?

 

A cet égard, l’organisation, le déroulement et le bilan de ces voyages sont exemplaires. Porté par les professionnels, le projet est fortement investi par les « usagers » qui en font une expérience collective où chacun se sent actif, voire acteur. Ce positionnement, vécu dans le cadre rassurant du groupe, fonctionne comme un tremplin à partir duquel chacun peut prendre son « envol » pour des « aventures » individuelles et autonomes. On peut penser que la prise de risque (partir à l’étranger), accompagnée et collective, a permis aux participants de se sentir en capacité de vivre des expériences individuelles. L’accès au « tourisme » a de plus contribué à leur renvoyer une image positive d’eux-mêmes à travers le plaisir de fréquenter les restaurants, les musées, de s’occuper de soi.

 

Parallèlement, l’objectif «d’étude» de ces voyages semble renvoyer les participants à la maladie : ils rencontrent dans ce contexte des soignants et des soignés, des « gens comme ça », «si on avait été que dans le tourisme, on serait des gens normaux », notent-ils. Etre touriste, c’est accéder comme tout le monde à un statut de « consommateur », selon leurs propres termes, mais uniquement à un statut de consommateur.

 

C’est en effet dans le cadre des rencontres avec les professionnels et usagers en santé mentale qu’ils se sont sentis acteurs. La dimension « étude » de ces voyages attribue en effet aux participants une « fonction intellectuelle » disent-ils, soit une mission d’utilité sociale. Ils ont eu, soulignent-ils fortement, à relever des faits, à « rendre compte » de cette expérience et à exprimer un jugement, une opinion. Ils ont pour ce faire, pris appui sur leur expérience personnelle mais également cherché à être « objectif » et à formuler un avis à caractère général. Ils ont ainsi un rôle social à jouer. Celui-ci se trouve renforcé par le caractère associatif du projet et son soutien par le FSE, qui leur permettent non seulement d’accéder à ces déplacements mais également à un statut social : «y’a des personnes qui trinquent, on profite parce qu’on est bien placés, on est dans une association déjà, c’est pour ça qu’on est en situation d’avoir des avantages en tant que personnalité collective, y’a des avantages et des valeurs que nous défendons ».

 

Dans ce contexte, se désigner et désigner les « gens comme ça » comme des « personnes malades », des « malades mentaux », voire des « handicapés » peut alors apparaître contradictoire avec la position d’acteur qu’ils revendiquent. Ces appellations les renvoient certes à une identité sociale négative (la question du regard sur eux a été plusieurs fois évoquée). Mais dans le même temps, elle met l’accent sur la spécificité de ces personnes et de leurs besoins, et sur la nécessité à leurs yeux de prendre en compte cette spécificité. A travers le bilan qu’ils font de leurs rencontres, les voyageurs demandent en effet que ces personnes (et eux-mêmes) puissent bénéficier de soins adaptés, soient accompagnées dans leur insertion et également dans leur accès à un statut d’acteur social. Banaliser la maladie, le handicap, en ne proposant pas de prise en charge suffisamment adaptée, revient pour eux à la nier, voire à nier les personnes elles-mêmes.  Dans cette perspective, la notion « d’usager »  n’apparaît pas difficile à assumer en raison d’une connotation négative, mais semble plutôt trop générale, sans contenu suffisamment précis pour que les voyageurs puissent s’y reconnaître. L’identité de malade et la position d’acteur ne s’opposent pas ici mais se complètent.

 

Membres « actifs » d’une association, fortement mobilisés dans l’élaboration et la mise en œuvre de ce projet de « voyages et de rencontres avec des usagers européens de la santé mentale », ils ne se sentent pas pour autant en capacité de devenir aujourd’hui porteurs de nouveaux projets, acteurs associatifs. Pourtant, les idées ne manquent pas : mieux connaître les droits des handicapés, poursuivre les recherches sur les modes de prise en charge en Europe, développer les relations instaurées par internet, accueillir à Paris les personnes rencontrées au cours de ces voyages, visiter d’autres pays… Mais l’accompagnement reste nécessaire.

 

Ces voyages et les échanges qu’ils ont suscités notamment au cours de la phase d’évaluation collective s’inscrivent dans la dynamique engagée depuis plusieurs années par LA VAGUE A L’ÂME. Ils nous paraissent représenter pour tous les adhérents, usagers et « accompagnants », un nouveau pas vers la participation des desdits usagers aux débats qui les concernent.

 

 

 

Ce travail, rédigé par Michèle DRANCOURT et Isabelle MONFORTE, psychosociologue s’est construit grâce à la participation effective de tous les voyageurs.

 

 

Paris, Janvier 2007



[1] Les citations en italique sont extraites des entretiens collectifs.


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