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Patient-usager

La foire aux usagés

Des soignants usés au service de patients-usagers

Ces vingt dernières années, les législateurs ont construit l'idée qu'un patient hospitalisé a des droits en tant que personne d'une part, en tant que personne hospitalisée d'autre part. C'est Madame la Ministre Simone Veil ( Circulaire du 20 septembre 1974, relative à la charte du malade hospitalisé, circulaire prise en application du décret n° 74-27 du 14 janvier 1974, relatif au règlement intérieur des centres hospitaliers et des hôpitaux locaux (BO n° 74/3, texte n° 5866.), qui a commencé à en imposer l'idée en 1974 et qui d'ailleurs avait provoqué une véritable révolution à l'hôpital en affirmant le droit pour le malade au respect de sa dignité et de sa personnalité. Il aura fallu vingt ans, 13 lois, 4 décrets, 6 circulaires et 2 chartes internationales, soit 25 textes de valeur juridique inégale, pour aboutir à la rédaction de la charte du patient hospitalisé (Circulaire DGS/DH n° 95-22 du 6 mai 1995 relative aux droits des patients hospitalisés et comportant une charte du patient hospitalisé.). Vingt ans pour se souvenir qu'un patient est aussi un homme, un citoyen comme on aime à le déclamer aujourd'hui. Vingt ans pour que les ordonnances hospitalières viennent consacrer la reconnaissance de ces droits dans la loi. Ainsi, cette affirmation est-elle devenue non seulement morale mais aussi légale. A condition de ne pas être dupes du système, pourquoi pas ? Une telle déclaration d'intention n'est pas un luxe. Seulement voilà, Ce qui était prévu à l'origine pour la Santé en général, et donc pour toutes les spécialités de la médecine, doit donc se mettre en place pour la psychiatrie en particulier. Et là, l'écart entre la théorie et la pratique se creuse de manière abyssale. Au risque de désobliger plus d'un, nous sommes bien obligés de convenir comme Claude Louzoun (1)que " c'est à l'heure de la mise en avant des droits du patient, que se développent de nouveau les pratiques de contention, de chambres d'isolement et de sismothérapie " .

En effet, combien de soins sont encore dispensés sans prendre en compte le vécu des patients et sans discuter avec eux de la démarche thérapeutique ? Combien de personnes, souffrant de troubles psychiques, se voient prescrire des traitements, dont elles ne comprennent pas le but thérapeutique, sont privées de leurs droits civiques, du fait d'une mise sous tutelle, sont hospitalisées contre leur gré (loi de 1990, HO, HDT), ne peuvent pas circuler comme elles le désirent, sont enfermées dans des chambres d'isolement ? Cela signifierait-il qu'ils sont des citoyens différents de ceux qui souffrent de troubles somatiques ? Cela signifierait-il que " les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ", sauf ceux qui souffrent de troubles mentaux ? Leur parole a-t-elle la même valeur que celle de n'importe quel autre homme ?

Vouloir donner la parole aux usagers est une chose. L'habitus et le poids de l'histoire en sont une autre. La pratique quotidienne des infirmiers que nous sommes, nous porte à faire l'hypothèse que, donner les moyens aux personnes " souffrant de troubles psychiques " (et non plus malades mentaux), d'être actrices des soins qui leur sont prodigués, n'est pas si simple. Le discours des patients en général, et des patients " psy " en particulier (ne parlons pas des délirants !), est décrypté au travers d'une grille de lecture essentiellement médicale, l'amputant ainsi d'une grande partie de ses valeurs spirituelles, sociales, culturelles et surtout de sa logique fantasmatique. La démarche médicale des soignants (infirmiers compris) l'emporte sur toutes les autres conceptions de la personne soignée. Nous voudrions écouter et donner la parole à des personnes, alors même que par ailleurs, tous leurs droits ne sont pas respectés, du fait qu'elles ne sont pas toujours tenues pour responsables de leurs actes, et qu'une part, parfois essentielle, de leur plainte est déniée. Certes, de l'insensé enfermé à l'Hôpital Général à l'aliéné interné à l'asile, puis du malade mental hospitalisé à l'hôpital psychiatrique, au patient-usager " pris en soin " au centre médico-psychologique, des siècles ont passé et avec eux, bien des conceptions de l'homme, de la maladie et de la folie. Pourtant, les représentations concernant ces usagers-là ne sont-elles pas quasi inchangées depuis le XIXème siècle ?

A cette table, nous sommes tous infirmiers et nous portons avec nous plusieurs histoires. Des histoires collectives : celle des " fous ", de la psychiatrie, des psychiatres et celle de nos ancêtres les gardiens. Puis nos histoires individuelles. Nous sommes de ces fils et filles de gardiens, dont la mission essentielle aujourd'hui est d'endiguer des comportements " insensés " et de les rendre supportables à la société. C'est donc de cette place-là que nous vous raconterons comment nous nous débrouillons quotidiennement pour tenter de respecter ou faire respecter les droits de ces usagers là. Anne-Marie Gamot (dans la salle) et Michel Bakus (à la tribune) vous raconteront comme il est parfois difficile de répondre à certaines interpellations de la société.

Danielle Frapsauce (et son compère d'écriture Xavier Carrouaille qui n'est pas là) vous expliqueront en quoi, parfois " informer ce n'est pas si simple " Ils vous raconteront comment avec leurs collègues de l'Hôpital de Jour pour personnes âgées de Négreneys, ils se sont débrouillés d'une demande d'information sur l'euthanasie.

Enfin, Jean-Luc Audubert porte-parole à la tribune de ses " commères " d'écriture (je veux citer Hélène Calmels, Bernadette Jamond et Françoise Perrin) vous racontera comment une équipe infirmière dans un service d'admission, Dupré en l'occurrence, se débrouille pour respecter les droits d'une personne dont le premier de ces droits, la liberté (je fais allusion là à la Constitution (Préambules des Constitutions du 27 octobre 1946 et du 4 octobre 1958.) et à la Déclaration des droits de l'homme (Déclaration du 26 août 1789.)), est entravé par une hospitalisation sous contrainte. Je passe la parole à Michel Bakus avec un texte qui s'intitule : " De l'inviolabilité du domicile à la non-assistance à personne en danger ".

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Une assistante sociale d'un des centres médico-sociaux (CMS) de notre secteur nous interpelle sur une situation familiale qui lui pose problème. Un couple d'exploitants agricoles prend sa retraite prochainement. La baisse de revenus que cela entraînera ne leur permettra plus d'assumer financièrement leur fils C'est la raison pour laquelle ils font appel à l'assistante sociale. L'assistante sociale, après avoir reçu les parents plusieurs fois décide de se rendre au domicile pour rencontrer cet homme. Devant son manque de coopération et le sentiment de dangerosité qu'il a éveillé en elle, elle décide de faire appel à nous, comme nous faisons régulièrement appel les uns aux autres dans le cadre de notre travail en coopération sur le secteur.

Monsieur Noé est âgé de 45 ans. Il a été marié. Il est père de deux enfants, qu'il voit de temps en temps et vit, depuis la séparation d'avec sa femme, chez ses parents, sans travailler. Il n'a aucun revenu, aucune couverture sociale et ne participe d'aucune manière à la vie de la ferme ou de la maison. Il ne sort plus de chez lui et n'a aucun contact extérieur. Mais pourtant il n'en a pas été toujours ainsi. Nous apprenons qu'il a fait deux années de médecine et qu'il a abandonné ses études alors même qu'il était reçu en troisième année. Il a exercé ensuite plusieurs métiers pour subvenir aux besoins de sa famille. Puis au moment de la séparation, il revient à la ferme familiale et se lance dans la plantation de fruitiers, pour laquelle les parent se sont endettés. Mais faute de soins, la récolte est nulle pendant des années et les arbres sont arrachés. C'est un fiasco complet. Les parents se plaignent également de son caractère difficile, pouvant aller jusqu'à la violence physique, ce qui a entraîné, il y a une quinzaine d'années, une hospitalisation en clinique psychiatrique. En dehors de cette période d'hospitalisation, il n'a jamais pris de traitement ni consulté de médecin.

Pour répondre à la demande de l'assistante sociale, qui elle-même répond à la demande d'une famille, nous convenons donc d'une visite commune avec les parents, en précisant à ces derniers que leur fils doit être prévenu de notre visite. Ma collègue et moi irons ensemble car nous sommes les référents de cette partie du secteur.

A notre arrivée à 14h30, nous sommes accueillis par les propriétaires des lieux qui nous avouent ne pas avoir trouvé le courage d'annoncer à leur fils notre venue. Nous entrons dans une grande pièce, pièce principale de la ferme, carrefour de tous les échanges. Nous sommes debout devant la grande table siégeant au centre de la salle. Un homme, M Noé sans doute, sort d'un coin sombre, une alcôve où deux fauteuils sont installés devant la télévision. Il est très surpris, fixe ses parents d'un regard effaré. Deux pas à droite, deux pas à gauche, il passe devant nous sans un mot. Il nous dévisage. Avant même que nous aillions le temps de nous présenter, il nous demande si nous venons pour lui. C'est un homme de taille moyenne. Ses cheveux sont longs. Une grande barbe couvre son visage laissant entrevoir au coin de ses lèvres un mégot. Un jean délavé et un long pull sur un corps décharné viennent compléter le tableau. L'image qui nous vient est celle de " l'homme des cavernes ". L'ambiance est pesante. Silencieusement, nous nous installons autour de la table : d'un côté le père et la mère, de l'autre, l'assistance sociale ma collègue et moi-même, tous les trois soudés par un sentiment de menace.

Dans nos têtes, les questions se bousculent :

Qui menace qui ? Et si ce monsieur se fâchait pour de bon ? Et si ce monsieur nous flanquait dehors par la peau du dos ? Aurait-il tort ? De quel droit pénétrons-nous chez lui sans qu'il ne demande rien ? Certes son chez lui c'est aussi celui de ses parents et nous venons à la demande des parents. Notre entrée est légale. Pour autant est-elle légitime ? Il reste dans la pièce avec nous alors que rien ne l'y oblige. Nous tentons une alliance avec lui. Nous lui posons quelques questions auxquelles il répond. Mais nous continuons à nous demander de quel droit nous faisons tout ça. Même s'il est méfiant, il n'en reste pas moins vrai qu'il s'approche et se laisse approcher. Pourtant il n'a rien demandé, surtout pas une allocation de RMI. Il n'en a pas besoin puisqu'il a ses parents. Faut garder les aides pour ceux qui sont dans le besoin Lui, il ne veut rien. Il a le gîte et le couvert et puis, si sa mère le fait depuis tant d'années pourquoi les choses changeraient aujourd'hui ? Il ne la veut pas cette allocation que veut lui donner l'assistante sociale. Il ne le remplira pas son papier. Il ne veut rien, Monsieur Noé, ou alors si, il veut bien qu'on l'accompagne pour soigner ses dents ou ses yeux. Pour le reste il ne veut rien. Et pourtant nous reviendrons à son domicile, toujours à la demande des parents, accompagnés du psychiatre. Mais à aucun moment nous ne nous occuperons du papier à signer. Nous chercherons juste à évaluer les troubles psychiques éventuels et la dangerosité potentielle de ce monsieur. Nous aurions pu le prévenir nous-mêmes de notre venue. Nous avons d'ailleurs regretté de ne pas l'avoir fait lorsque nous nous sommes retrouvés pris au piège de la demande des parents de Monsieur Noé. Mais nous aurait-il reçu ? Nous serions nous jamais rencontré ? C'est peut-être précisément parce qu'à aucun moment nous ne nous sommes occupés de la demande des parents et de l'assistante sociale que Monsieur Noé s'est laissé approcher et qu'il nous a accordé une autre attention. C'est peut-être aussi parce que ce papier n'était pas un enjeu pour nous, qu'il a fini par le signer. Le calme est revenu dans la maisonnée. Nous n'avons plus de nouvelle. Aujourd'hui Monsieur Noé sait qu'il peut venir à la consultation s'il le désire ou qu'il peut nous téléphoner et nous, nous ne savons toujours pas si nous avons bien fait.

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Après la " jungle " du secteur, nous allons nous transporter dans une structure de soins où nous pourrions croire que la vie est un long fleuve tranquille et Danièle Frapsauce va nous montrer qu'informer ce n'est parfois pas si simple.

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Le droit à l'information, le droit de recevoir des éléments de réponse face aux questionnements individuels ou collectifs est un droit légitime.
Suivant le lieu et surtout la singularité de la personne ou du groupe concerné, le soignant doit s'interroger sur la mise à dispositions et la délivrance de la dite information.

A ce titre, il nous paraît important de situer la structure de soins Négreneys pour mieux évaluer les difficultés rencontrées par l'équipe suite à une demande d'information d'un groupe de patients.

Cette structure s'adresse à des personnes âgées de plus de 60 ans présentant des troubles psychologiques récents ou plus anciens qui retentissent sur leurs capacités d'autonomie, sur l'adaptation au milieu de vie, le domicile par exemple, sur le rapport à l'autre. L'hôpital de jour propose entre autre, un panel assez large d'activités cognitives en rapport avec les facultés de compréhension et d'aptitude intellectuelle de la personne soignée.

Nous précisons que toute activité est un soin, un support à la communication et à la relation.

Voici pour la présentation de la structure.

Au sortir d'une activité basée sur le déroulement de l'actualité des 15 derniers jours, un groupe de patents émis une demande spécifique d'information sur l'euthanasie.
En effet ce sujet très médiatisé à l'époque avait suscité dans ce groupe de nombreuses interrogations, incompréhensions, interprétations plus ou moins erronées voire fantasmatique.

Le personnel réceptionneur de cette demande précisa aux patients qu'ils n'étaient pas détenteur "du tout savoir" et qu'un laps de temps de préparation serait nécessaire pour amener des éléments pertinents de réponse sur le sujet.

Rendez-vous fut pris sous quinzaine, le sujet rentrerait dans le cadre d'une activité-débat. Ce choix de l'équipe de recentrer l'information sur une activité a permis au personnel d'avoir toute la latitude nécessaire pour décider de la non participation de deux patients présents ce jour là tout en évitant un sentiment de rejet.
Ces patients présentaient des troubles qui pouvaient se réactiver et s'amplifier vue le sujet traité. Il s'ensuivit pour le personnel un moment de réflexion et de concertation sur le "comment" aborder une telle information auprès de personnes âgées de surcroît.

Dire la réalité en s'appuyant sur l'ensemble des textes législatifs en vigueur en France, rechercher des documents relatifs à l'euthanasie constitua un paramètre obligatoire de préparation.

Les deux membres du personnel infirmier devaient à l'aide des documents donner un point de départ au débat, gérer les prises de paroles, favoriser l'écoute de l'autre et démystifier le sujet en ayant un rôle de recentrage vers la réalité législative.

La règle de conduite établie mettait en avant l'impérative nécessité d'une neutralité soignante.

Lors de l'activité informative, l'expression permit aux patients d'évacuer les angoisses, les craintes, les peurs, les incompréhensions tout en confrontant leurs singularités philosophiques et/ou religieuses au reste du groupe.

Ce débat permis à chacun de prendre conscience que chaque être détient sa propre vérité forgée sur un vécu personnel.

Des données informatives concrètes et une libre expression sur un sujet, la mort, souvent considéré comme tabou, permirent aux patients de verbaliser leurs ressentis quant à la notion de mort et de souffrance.

La richesse de cette activité fut surtout due au fait que les patients ont été les artisans de leur apaisement intérieur.

L'ensemble des personnes soignées élaborèrent une synthèse commune de leurs réflexions : Ils en conclurent que l'euthanasie peut-être l'ultime forme de liberté d'un malade qui refuse toute souffrance, déchéance et perte de dignité.

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S'il n'est pas si simple d'informer des personnes âgées qui viennent de leur plein gré dans un hôpital de jour, Jean-Luc Audubert va nous raconter comme ça l'est encore moins lorsque les personnes sont hospitalisées contre leur gré et enfermées dans des chambres d'isolement.

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Le titre de cette journée, "droits et informations du patient usager : un paradoxe pour les soignants ", a séduit l'ensemble de l'équipe de Dupré, car sur le terrain, nous sommes quotidiennement confrontés à un paradoxe de taille : soigner une personne qui ne se reconnaît pas malade et l'informer de ses droits, alors même qu'elle vit l'hospitalisation comme un emprisonnement arbitraire et qu'elle se sent le plus souvent dépossédée de ses affaires, de ses convictions voire d'elle-même. Nous parlons là des personnes hospitalisées contre leur gré, comme la loi de 1990 le prévoit (en Hospitalisation sur Demande d'un Tiers - HDT- ou Hospitalisation d'Office - HO). L'hospitalisation sous contrainte concerne aujourd'hui la moitié des personnes que nous recevons (pour 1999 : 3077 HO et HDT, 3070 HL). De notre place, il nous semble repérer que les HDT sont demandées pour protéger des personnes considérées en danger alors que les HO sont en général le résultat d'une demande de protection de la société.

Madame Lafleur relève de cette dernière catégorie. Nous partirons de cette histoire clinique, qui nous semble représentative des principaux paradoxes auxquels nous sommes confrontés tous les jours, patients et soignants.

Madame Lafleur est âgée de 45 ans. Elle vit seule dans une ferme isolée, entourée de plusieurs chiens et autres animaux. Elle fait des confitures avec ses productions fruitières. Elle tricote de la laine brute après l'avoir filée à l'ancienne à la quenouille. Elle aime les travaux de couture et récupère des tissus sur de vieux vêtements pour habiller les enfants du tiers monde. Elle a " la fibre missionnaire " (je la cite). Non violente et " écolo ", sa présentation physique rappelle celle des hippies. Son allure, plutôt imposante, contraste avec une petite voix fluette parfois à peine audible qui nous laisse l'imaginer discrète et timide. Sur le plan social, elle est très isolée, n'ayant pas d'enfant et étant fâchée avec son frère et sa sœur suite à des problèmes d'héritage.
Madame Lafleur est bien connue du secteur, tant de nos collègues du CMP que de Dupré. Nous la suivons depuis de nombreuses années et tentons de la convaincre de suivre un traitement, qu'elle accepte un temps puis interrompt régulièrement. C'est dans ces moments là qu'elle défraie la chronique de son village. La dernière hospitalisation, en HO, a duré environ deux mois et demi. Son placement a été demandé par le maire de son village car la notoriété publique faisait mention de comportements bizarres et dangereux et de troubles de l'ordre public : menace à des enfants dans le car des transports scolaires, arrêt de la circulation sur les routes de la commune, dégâts de véhicules. Il a été nécessaire à plusieurs reprises de faire appel à la police municipale pour lui faire évacuer le secrétariat de la mairie ou d'autres lieux publics dans lesquels elle s'installait durant des heures et perturbait le personnel. Enfin, lors des dernières élections partielles, elle a fait une demande de recours en annulation auprès du tribunal administratif, estimant que les conditions de scrutin n'étaient pas conformes à ses objectifs écologiques !

Madame Lafleur arrive donc dans le service en HO. Ne s'estimant pas malade, elle refuse l'hospitalisation et exige de quitter l'hôpital. Dupré est un service d'admission ouvert comme l'exige la loi. Mais suite aux multiples rappels à l'ordre du Préfet à propos des trop nombreuses " évasions " de Marchant, les entrants en HO qui contestent leur placement sont donc systématiquement mis en chambre d'isolement. Madame Lafleur n'y échappe pas, ce qui la persécute énormément et la rend très agressive. Pourtant, une chambre d'isolement se veut un outil thérapeutique au même titre que des psychotropes, des entretiens ou des activités et la mise en chambre d'isolement (ou MCI) ne se fait que sur prescription médicale et est soumise à un protocole bien précis.
Mais il faut peut-être vous dire ce qu'est une chambre d'isolement :

C'est une pièce de 10 m², au milieu de laquelle un lit est fixé au sol, face à une porte " renforcée ", munie d'un oculus permettant la surveillance. La sécurité exige qu'aucun meuble ne soit introduit dans la chambre pas plus que " les petites affaires " de la personne, isolée de fait en pyjama, voire nue quelquefois. Le seau hygiénique est autorisé. Une fenêtre à barreaux assure l'éclairage de la pièce la journée. Les commandes du volet roulant et de la lumière sont situées à l'extérieur de la chambre. Seule la sonnette relie le patient isolé au monde extérieur. Encore faut-il que les soignants puissent répondre rapidement. A Dupré, les chambres d'isolement ne sont pas conformes aux recommandations de l'ANAES. Elles seront sécurisées lors de la rénovation de l'unité en 2001. Seront-elles plus supportables et plus humaines ? ? ? Seront-elles thérapeutiques ?

Madame Lafleur ne supporte pas cette chambre d'isolement. D'abord, elle ne supporte pas d'être enfermée à clé. Ensuite, peut-être pourrait-elle le supporter un peu mieux si elle n'était pas privée de ses aiguilles à tricoter et de son sac à main. Puis, il y a le manque d'intimité. Elle ne supporte pas que tout le monde puisse regarder dans sa chambre. Allez faire pipi, sans parler du reste, dans de telles conditions ! Madame Lafleur râle et râle encore. Normal, elle est " paranoïaque " ! Comme tant d'autres, Madame Lafleur s'est vue restreindre sa liberté. Parfois nous avons recours à la force pour les mises en chambre d'isolement, pour la réalisation des injections. Dans certains cas, la contention physique est même nécessaire. Comment, lorsque nous avons appliqué de tels traitements allons nous pouvoir instaurer une relation d'aide, de confiance avec le patient ? Relation, dont on clame partout qu'elle est le fondement du soin infirmier en psychiatrie ! Nous sommes des soignants mais les patients peuvent nous vivre et nous ressentir comme des tortionnaires, des geôliers. Nous nous vivons comme ça parfois. L'acceptation et le dépassement de ces actions antinomiques sont bien difficiles et spécifiques du soin en psychiatrie. Et j'ajouterais que, outre la culpabilité, la peur et l'angoisse animent très souvent les soignants comme les patients dans ce type de situations.

Dès sa mise en isolement Madame Lafleur a été informée de son mode de placement et de ses droits. Nous lui avons expliqué qu'elle était hospitalisée à la demande du Maire de sa commune, sans doute à partir des plaintes du voisinage. Parfois, il ne nous est pas simple de désigner le tiers demandeur du placement. Dans le cas de Madame Lafleur, elle va redoubler ses récriminations contre le Maire (ce qui ne va pas arranger ses affaires), mais le Maire n'est pas en danger. Mais les familles, elles, sont souvent réticentes à signer la demande d'HDT pour les conséquences que cela peut entraîner dans l'avenir et notre souci est toujours de préserver l'équilibre relationnel que les uns et les autres ont construit tant bien que mal.

Nous avons remis à Madame Lafleur un exemplaire du livret d'accueil dans lequel sont insérés des extraits de la loi de 1990 et de la charte du patient hospitalisé. Nous lui avons demandé, comme la loi l'exige, de signer la notification de l'arrêté préfectoral d'HO. Bien entendu, elle a refusé de signer après avoir fait nombre commentaires sur le document lui-même.
Là encore, le respect et la mise en application de l'exercice des droits des patients nous conduisent à des situations paradoxales. Ces documents sont donnés à tous les patients hospitalisés sous contrainte. La loi nous oblige, nous venons de le voir à faire signer au patient en HO la notification de leur arrêté de placement. La plupart des patients refusent de signer ce document, pensant qu'ils donneraient ainsi aux soignants l'autorisation de les enferme r, alors même qu'ils vivent cet enfermement comme une injustice (n'oublions pas qu'ils ne sont pas malades). Mais la loi a tout prévu, notamment le refus de signer du patient. Aussi suffit-il que deux infirmiers signent cet arrêté, ce qui signifie que le patient a bien été informé de son mode de placement. Simulacre d'information ou droit réel respecté ? Nous ne donnerons pas la réponse mais une fois de plus, le rôle du soignant n'est pas des plus gratifiants.

Madame Lafleur contestant son hospitalisation, elle a tenu à le faire savoir. Nous lui avons donc procuré tout le matériel nécessaire à la rédaction de ses courriers. Elle a envoyé plusieurs lettres au Directeur de l'hôpital, au Directeur adjoint, au Procureur de la république, au Maire …pour demander sa sortie d'isolement et pour porter plainte contre le personnel soignant. Elle n'a jamais reçu de réponse directe à ses courriers. Quelques-unes unes des personnes interpellées se sont manifestées de manière plus ou moins aimables auprès du médecin, du directeur ou de la surveillante. Un des droits essentiels des patients hospitalisés en HO ou HDT est celui d'émettre ou de recevoir du courrier ? Nous observons le respect le plus total de ce droit. Les patients mettent souvent beaucoup d'espoir dans l'utilisation de ce droit, multipliant les lettres aux autorités judiciaires, à la direction, aux autorités administratives. Leurs lettres sont-elles lues ? Nous sommes surpris par le peu de réponses qui leurs sont adressées directement. Beaucoup d'entre elles sont faites au médecin ou au cadre de l'unité. Puis quand ces lettres sont lues, ne risquent-elles pas d'avoir l'effet inverse ? La lecture de lettres délirantes, incompréhensibles par les autorités ne viennent-elles pas renforcer le bien fondé du placement ? Dans le cas de Madame Lafleur, le maire ne voyait en elle qu'une délinquante dont il fallait protéger la commune. Pour ce responsable municipal, comme pour beaucoup de personnes, la mission de la psychiatrie est claire : rendre le patient socialement correct ou le garder enfermé.

Dix jour d'isolement ont été nécessaire pour équilibrer le traitement de cette femme qui présentait une symptomatologie, je cite " à la fois délirante et maniaque, dans un contexte de paranoïa procédurière ". Nous ne cherchons absolument pas à discuter le diagnostic médical, mais en détaillant le contexte de l'isolement, nous pouvons nous demander si les moyens thérapeutiques n'ont pas, pour partie, exacerbé les troubles dont souffre cette femme Son hospitalisation s'est poursuivie en chambre normale sans problème particulier. Les restrictions de liberté ont été levées au fur et à mesure de l'amélioration de son état. L'HO a été levé et Mme C est sortie de l'hôpital. Elle est rentrée chez elle, dans son village avec un suivi de secteur, un traitement retard et … la cerise sur le gâteau, une mesure de protection, une tutelle !

Nous conclurons notre propos sur l'article 2 de la Charte du patient hospitalisé. " Les établissements de santé garantissent la qualité des traitements, des soins et de l'accueil ". Quel écart entre théorie et pratique ! Aujourd'hui, à Marchant, alors que tous les législateurs de la santé, que tous les directeurs DRASS, DASS, ARH, que toutes les équipes de direction d'établissement se targuent de " tout mettre en œuvre pour améliorer la qualité des soins ", les personnes qui nécessitent une hospitalisation ne sont pas assurées d'être soignées par leur médecin, dans le service qu'elles connaissent. Au mieux elles attendent quelques heures, ou encore, elles sont baladées dans des " lits d'accueil " de services voisins puis sont transférées quelques jours plus tard dans leur secteur. Au pire, il n'y a plus de lits de libre et ces mêmes personnes sont alors dirigées sur les cliniques privées pour celles qui peuvent payer et sur les hôpitaux publics de la région Midi-Pyrénées pour les autres. L'hôpital n'est plus en mesure de faire face aux besoins des patients et des familles. Vous avez dit accès aux soins pour tous et libre choix du praticien ? Quand par miracle un lit se libère, les patients n'ont plus le loisir d'y " croupir ". A peine moins délirants, a peine moins souffrants, ils sont invités à regagner leurs pénates entourés bien entendu des bons soins des infirmiers du CMP. Et le cirque infernal des entrées-sorties reprend.

Au moment même où je vous parle, des éducateurs, des infirmiers, des aides-soignants, peut-être des médecins, courent dans tous les services, pour pallier le manque d'effectif. Un éducateur travaillant chez les enfants est appelé pour faire les toilettes au long séjour. Une infirmière travaillant chez les adolescents débarque pour la journée dans une unité d'admission de psychiatrie générale. Peu importe ce que représentent les soins au corps, les visages familiers et les habitudes de vie pour les personnes âgées, peu importe la formation et les connaissances cliniques des soignants. Comment pourrions nous croire que des patients tout juste bons à être gardé sont des usagers respectés ? !

***

Voici le moment de conclure. Si les patients sont usagers, parfois jetés, pas bien respectés, c'est peut-être (pour partie) que les soignants, eux, sont usés, exténués, peut-être aussi pas bien respectés Aujourd'hui, à Marchant, les maladies et les accidents de travail sont en constante augmentation. C'est une preuve d'usure professionnelle. Que faire ? " Dans votre intervention, proposez des solutions ! " nous ont demandé les organisateurs de cette journée. Trouver quoi faire. Nous pourrions bien entendu dire que lorsque " tout fout le camps ", il faut s'attacher au cadre. Nous pourrions déplorer que nous soignions à vue sans connaître les valeurs, les conceptions et les théories qui fondent les soins que nous dispensons et qu'il serait urgent de mettre ces définitions à l'ordre du jour de nos conseils de service. Nous pourrions rabâcher une fois de plus que les réunions cliniques, les synthèses organisées autour d'un patient ou les séminaires centrés sur un thème favorisent le décloisonnement de la pensée et donnent de l'épaisseur aux soins ; que les réunions de supervision apportent un regard extérieur à des équipes en difficultés. Oui, nous pourrions dire tout ça. Mais s'il suffisait d'organiser des réunions pour penser différemment, ça se saurait !
Alors nous, infirmiers du secteur 3, ce que nous avons trouvé pour résister à cette usure, c'est de prendre le temps de nous poser pour réfléchir puis écrire ensemble. Ca a l'air simple, comme ça. Mais si vous saviez le parcours du combattant qu'il a fallu faire pour d'abord se rencontrer, puis pour échanger nos idées et enfin pour les mettre sur papier. Ecrire comme nous l'avons fait, c'est d'abord raconter ce que nous faisons. C'est donc reconnaître une valeur à nos actions. C'est aussi prendre du recul. Mais surtout, écrire c'est s'engager et s'exposer. Non, ça n'a pas été simple. Hier soir, nous sommes restés sur le pont très tard, pour tout peaufiner. C'est ce que nous devons aux usagers, mais c'est aussi le plus joli pied de nez que nous puissions adresser à tous ceux qui chaque jour nous empêchent de travailler !

J-L Audubert, M. Bakus, H. Calmels, D. Frapsauce, A-M Gamot, B. Jamond, F. Perrin, M. Rajablat,
Infirmiers, Secteur 3, CH Gérard Marchant.

Présentation à la Journée Annuelle du CH Marchant, le 19 octobre 2000..

Bibliographie

(1) Louzoun (C), "Quelle citoyenneté pour les malades mentaux ?" in Santé Mentale n° 26, mars 1998, page 19.


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