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Patient-usager

La participation usagère: oser oser

Anne-Laure Donskoy



Cet article a été publié dans la revue Confluences de Septembre 2007

De patiente à usagère, à usagère engagée, à usager chercheur, il s’est passé l’équivalent de plusieurs vies, et tout un cheminement de pensée souvent mû par un sentiment profond d’injustice et de frustration. Comme beaucoup, j’ai été témoin des changements politiques dans le système de santé britannique. Il me fallait devenir acteur ; question de survie; question citoyenne. Les gouvernements des années 80, en transformant les patients en usagers consommateurs, ont fait au mouvement usager un cadeau en platine, n’ayant pas prévu que celui-ci ferait de ce nouveau concept une arme redoutable. Des décrets (Ô douce aubaine) ont obligé les services à nous inviter à participer à tous les niveaux de management. Nous avions enfin une plateforme politique pour nous exprimer et agir de façon beaucoup plus efficace, mais aussi pour agir en partenariat avec les services de santé et autres autorités de tutelle. Cela ne s’est bien sûr pas fait du jour au lendemain et la participation usagère demeure un travail et parfois un combat de tous les jours.

 

Je suis devenue acteur au début des années 90, au travers de combats singuliers (la clôture d’un service, écritures et mise en place de nouvelles politiques locales et nationales etc.). Au départ cela a été très difficile, il y avait énormément de réticences de la part du personnel soignant et encadrant, toutes catégories confondues. Question de culture et de territoire. Le patient se devait de rester à sa place et surtout d’être profondément reconnaissant de ce que le système de santé et les soignants lui faisaient, lui apportaient. Nous étions ignorés, les documents pour les réunions ne nous étaient pas envoyés à l’avance, il n’y avait aucun défraiement ; si l’heure d’une réunion ou son lieu changeait nous n’étions pas prévenus, etc. Parfois cela reflétait un effort conscient de nous décourager, parfois cela advenait car nous n’entrions pas dans le champ conscient de leur pensée. Témoins et acteurs des réunions, nous assistions enfin à des débats jusqu’alors inapprochables. Cela n’allait pas. Nous leur renvoyions une image qui les mettait mal à l’aise, qui mettait en avant les manquements ou abus du système et des pratiques professionnelles. Autre sujet de malaise, pour la première fois nous étions vraiment déterminés à essayer de redresser un tant soit peu la balance des pouvoirs dans le mécanisme de décisions de nos vies. Nos vies. Nos, et, vies. Tout est là.

 

Au fil des années, les attitudes ont graduellement changé ; les cadres et les soignants se sont rendus compte que nous pouvions être des partenaires de travail intéressants, apportant un point de vue souvent imaginatif et plein de bon sens, ainsi que des solutions pratiques à des problèmes compliqués etc. On nous accuse encore parfois de n’être pas représentatifs des usagers lorsque nous prenons part aux réunions. Les soignants et cadres présents sont-ils plus représentatifs de leurs collègues que nous des usagers dans ces réunions? Non, bien sûr, mais ils ont rarement l’honnêteté de le reconnaître, malheureusement. Nos représentants, eux, sont souvent au minimum élus dans leur rôle. D’être engagée et de participer à ce niveau, celui de la représentation, m’a beaucoup apporté et changée. Je pouvais mettre ma colère et ma frustration au service de ceux qui n’avaient aucune voix au chapitre. Les ignorés, les assis-dessus, les laissés pour compte. Il fallait travailler deux fois plus que n’importe qui dans la préparation des réunions pour être crédible comme partenaire de travail. Il fallait que je me batte ; soit j’étais trop, soit je n’étais pas assez malade aux yeux des autorités pour être crédible aussi sur le plan de la représentation.

 

Aujourd’hui les usagers sont donc présents quasiment partout où les débats ont lieu et où les décisions sont prises. Ils sont également présents dans les programmes de formation du personnel soignant et encadrant au sein des autorités de tutelle, dans les écoles d’infirmiers, d’assistants sociaux ou d’ergothérapeutes, etc. Les portes de la médecine psy sont encore difficiles à ouvrir mais il est clairement écrit que nous serons bientôt présents dans la formation active des psychiatres. Parfois il y a réel progrès, parfois non. Mais nous persévérons.

 

Un nouveau domaine où la participation usagère commence à trouver ses marques est celui de la recherche, jusqu’alors réservé aux universitaires et autres organismes gouvernementaux, ou bien encore à de rares individus tenaces. Les usagers n’y sont plus seulement des objets passifs mais des acteurs créatifs du processus. Ma rencontre avec la recherche s’est faite par hasard; j’étais très réticente. Je n’y connaissais rien et j’avais peur de tomber dans une impasse. Surprise, je suis arrivée et restée dans un groupe d’usagers du mouvement User Focused Monitoring, qui faisaient surtout des audits, prenant la température des services de santé mentale locaux et de l’expérience usagère… avec la ferme intention de les améliorer mais aussi de souligner le positif. C’était pour moi nouveau et excitant. C’était il y a bientôt cinq ans. Je suis aujourd’hui la coordinatrice de ce groupe de recherche, après quinze années de mise au rebut de la société, en arrêt maladie. Le groupe en est à son quatrième projet, cette fois-ci de recherche et non d’audit. Tous les usagers chercheurs du groupe sont formés et suivent les protocoles conventionnels. J’ai aussi participé à des projets collaboratifs entre universités et services de santé mentale où les usagers sont là aussi présents dans la construction de projets ou leur management.

 

La recherche usagère remet en question une bonne partie des apostolats de la recherche classique, en particulier celui de l’aspect scientifique et donc «robuste» des grands travaux épidémiologiques, dont la qualité n’est pourtant pas toujours à la hauteur de leurs prétentions. Elle remet en cause la hiérarchie établie de ce qui constitue la soi-disant bonne recherche, soi-disant objective -alors que la recherche est tout sauf objective-, celle qui a toujours recalé la recherche qualitative au banc des cancres et des rebelles. Elle remet en cause le déni de l’expérience personnelle et singulière de la maladie et des systèmes de soins. Elle offre un autre angle sur les mêmes questions. Elle propose aussi de nouvelles pistes de recherche, lesquelles viennent du vécu des usagers, de leur expérience de la maladie dans tous ses aspects. Elle a une approche éthique du processus de recrutement des participants et de la conduite des entretiens de recherche souvent beaucoup plus solide que celle des chercheurs classiques. Tant et si bien que notre approche est maintenant suivie de près par les universités. Il est certain qu’on nous « attend (souvent encore) au tournant » et il nous faut être toujours plus vigilants. Seule la validité de notre travail peut nous permettre de négocier les recommandations que nous faisons dans nos rapports, le but même de notre travail. Nous travaillons aussi dans une optique de partage et de dissémination active de la/ des nouvelles connaissances, ce qui fait grincer les dents de certains. La recherche usagère est donc profondément politique par nature et par approche.

 

Le modèle de recherche User Focused Monitoring a onze ans et appartient à un réseau national (www.ufmnetwork.org,uk: site en construction). Créé au départ par Dr Diana Rose, usager chercheur en université, il comporte aujourd’hui une quinzaine de groupes principalement situés en Angleterre. Nous avons publié cette année un guide¹ afin que tous ceux qui souhaiteraient constituer un tel groupe puissent le faire, tout en établissant clairement les valeurs que nous soutenons.

 

Comme un être profondément endormi depuis des siècles, je me suis petit à petit réveillée à la vie, à des possibilités d’autre chose que la maladie. Dans la recherche j’ai trouvé un espace mental où je peux enfin vraiment travailler pour la communauté, pour les usagers, pour le mouvement usager et enfin pour mon moi enfoui et meurtri. Le passage d’usager à usager chercheur employée ne s’est pas fait sans remous ni rapidement. La digestion mentale et pratique a été longue.

Les hybrides que nous sommes (usager et quelque chose, usager chercheur ou autre) ne sont vraiment accueillis et encouragés que dans le secteur caritatif où le travail en partenariat avec les services de santé mentale et les autorités de tutelle est politique, au propre comme au figuré, par nature, par choix, par besoin, pour être efficace. J’utilise parfois l’image d’Obélix tombé dans son chaudron  tant le côté surréel de mon parcours et de ma passion pour la recherche m’y invite naturellement. Car il s’agit bien de passion, et de passion joyeuse ; joyeuse au sens de porteuse de questionnement, de construction et d’espoir. En dépit de la maladie qui continue de me hanter sans prévenir, en dépit de ceux qui m’avaient rayée de la carte de la société. Mais parfois soutenue par des mains tendues par hasard. Oser oser, pour vivre, c'est-à-dire construire.

 

 (9 051 caractères, espaces inclus)

Référence:

A Guide to User Focused Monitoring: Setting up and running a project. (2007). London: The     Sainsbury Centre for Mental Health.

 

Quelques phrases :

Redresser la balance des pouvoirs

Agir en partenariat

La recherche usagère est profondément politique par nature et par choix

En dépit de…

 

Courte biographie:

Patiente depuis 1989

Usagère active depuis 1991, de façon intermittente, et surtout depuis 1996

Membre du groupe User Focused Monitoring (UFM) à Bristol Mind depuis septembre 2002

Coordinatrice (employée) du projet UFM à Bristol Mind depuis avril 2005

Membre et administrateur du réseau national UFM Network

Co-auteur de “A Guide to User Focused Monitoring, Setting up and Running a Project”

Responsable d’un projet de recherche personnelle sur le premier épisode d’automutilation, financé par une bourse du Ministère de la Santé.

Membre du réseau national d’usagers chercheurs Service (user) Research Network (SRN), Londres

Membre du groupe Service User Research Group England (représentant le réseau UFM Network), au sein du réseau Mental Health Research Network (MHRN) dépendant du Ministère de la Santé

 

Anne-Laure Donskoy

Research Coordinator

User Focused Monitoring

Bristol Mind

35 Old Market Street

Bristol BS2 0EZ

Angleterre

tel: fixe bureau:   00 44 117 980 03 88     

courriel: ufm@bristolmind.org.uk/

aldonskoy@tiscali.co.uk

website: www.ufmnetwork.org.uk

 

 



 


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