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Patient-usager


Les perceptions des personnes hospitalisées involontairement

en Montérégie en vertu de la " Loi sur la protection des personnes

dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes

ou pour autrui " et la théorie du " Thank you "




Paul Morin, Ph.D.
Stéphanie Laplante, M.A.
Christine Robertson

Rapport de recherche
Subventionnée par la Direction de la santé publique
Régie régionale de la santé et des services sociaux
de la Montérégie

Septembre 2002


Chapitre 1

Introduction


La Politique de santé et de bien-être (M.S.S.S.,1992) affirme clairement que l'exercice de son pouvoir de décision par la personne représente une action qui contribue à améliorer sa santé et son bien-être. Ceci a été réaffirmé explicitement dans les " Cibles prioritaires adoptées au Forum sur la transformation des services de santé mentale " (M.S.S.S., 2001) qui fait de l'appropriation du pouvoir le principe directeur du Plan d'action. Une personne hospitalisée contre son gré ne peut être considérée comme partie prenante à des décisions prises contre sa volonté. Le fait d'hospitaliser involontairement un personne constitue une dérogation exceptionnelle à la Charte des droits et libertés que le législateur a justement voulu limiter et encadrer par l'appareil judiciaire. De plus, une personne hospitalisée contre son gré peut trouver l'expérience suffisamment traumatisante pour l'empêcher de chercher de l'aide ultérieument. Suite à des réflexions et travaux législatifs une nouvelle loi d'exception est entrée en vigueur au Québec le 1er juin 1998.

" La Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui " a trois éléments principaux selon le législateur:

- elle précise le concept de dangerosité;
- elle encadre le processus de décision;
- elle rend accessible aux personnes l'information quant à leurs droits et recours.

L'aspect le plus novateur de la loi a trait à son article huit (8) : il introduit une forme de déjudiciarisation en permettant à la police de conduire une personne en Centre hospitalier si elle est en situation de danger imminent mais celle-ci doit d'abord faire appel à un service d'intervention en situation de crise, sauf en cas de situations véritablement exceptionnelles. Cependant à l'été 2002, en Montérégie, comme dans plusieurs régions du Québec, ces nouveaux services n'avaient pas encore été mis en place faute de financement adéquat. Il s'ensuit que, faute d'alternatives, de plus en plus de personnes sont conduites à l'hôpital suite à une intervention policière en vertu de ce pouvoir conféré aux forces policières. Me Jean-Pierre Ménard a d'ailleurs fait le constat qu'il est désormais plus facile de faire interner une personne contre son gré. (Ménard,1998) Elles peuvent alors être retenues contre leur gré pendant 72 heures sans ordre de cour; il s'agit alors d'une garde préventive. Cela n'est pas sans causer de nombreux problèmes comme nous avons pu le constater lors du Colloque organisé par le Collectif sur ce thème en juin 1999 : manque de formation des policiers, rôle ambiguë des ambulanciers, récriminations des personnes hospitalisées contre leur gré. (Collectif, 1999)

L'Association des groupes d'intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ) a réalisé une étude exploratoire (2001) sur le vécu des personnes hospitalisées contre leur gré; 116 personnes dont 47 de la Montérégie ont répondu alors à un questionnaire ayant trait aux différentes étapes du processus d'internement involontaire. Par exemple, près de la moitié des personnes interrogées ont estimé qu'elles n'étaient pas perturbées lorsque le processus de garde a été initié et 75% continuaient à penser que l'hospitalisation involontaire n'avait pas sa raison d'être.

Il y a donc nécessité de mieux appréhender l'impact de la " Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui " sur les personnes qu'elle est censée protéger. D'autant plus qu'aucune recherche au Québec n'a cherché à connaître les perceptions des personnes hospitalisées contre leur gré en psychiatrie. Cela constitue un vide majeur qu'il importe de commencer à cerner si l'on veut concrétiser le principe d'appropriation du pouvoir en ce domaine en prenant en compte le point de vue des personnes psychiatrisées.

Il importe aussi de souligner que l'absence de stastistiques comptabilisées par l'État québécois en ce domaine représente une autre lacune majeure car il s'agit de données objectives permettant de saisir l'impact d'une loi d'exception. Par exemple, en Angleterre, ce type d'hospitalisation a augmenté de 11,000 à 27,000 dont 4,000 de 1997 à 1999. (Moon, G., 2000). En France, le premier " Plan santé mentale " a relevé " …une augmentation inquiétante de leur nombre qui a atteint 65,000 mesures au titre de l'année 1999. " (Ministère de l'Emploi, 2001, p.12) Des mesures correctrices étaient proposées afin de protéger les droits fondamentaux de ces citoyens.

Cette recherche qualitative veut ainsi contribuer à combler d'importantes lacunes sur le plan de la connaissance scientifique quant aux perceptions des personnes hospitalisées contre leur gré et spécifiquement en regard du processus d'admission en psychiatrie et du dispositif de soins. Pour ce faire, nous avons opté pour une démarche comparative en interviewant des personnes qui estimaient, somme toute, que l'expérience d'hospitalisation avait été finalement bénéfique et d'autres qui continuaient à dénoncer cette mesure comme arbitraire et sans contrôle. En portant attention à l'expérience subjective des personnes hospitalisées, nous nous inscrivons dans tout un corpus de recherche qui vise à placer au centre des pratiques, tant organisationnelles que cliniques, le point de vue de ces personnes. (Sonn, 1977, Strauss, 1989, Carling, 1994, Powell, 1998)

Après une brève revue de la littérature et un chapitre de nature méthodologique où les différentes étapes de la recherche sont détaillées, les chapitres suivants sont divisés en fonction des trois questions suivantes. Quelles sont les trajectoires des personnes qui sont hospitalisées contre leur gré? Quelles sont leurs perceptions du trouble psychique qui a provoqué leur hospitalisation? Comment perçoivent-elles le dispositif d'aide? Les réponses à ces questions nous ont permis de commencer à différencier une expérience " positive " d'une expérience " traumatisante " dans le chapitre de conclusion.

Chapitre ll

Revue de littérature


De manière générale, la notion de dangerosité sert à caractériser une situation, une chose ou une personne présentant un danger pour son environnement physique ou humain, ou encore pour elle-même. Elle réfère à la potentialité, la possibilité ou la probabilité d'une issue néfaste : donc à un événement qui n'est pas actuel, à un risque et, par extension, à la capacité de prévision quant à cette éventualité. Cependant, la dangerosité et son substrat - le danger - sont des concepts " flous " : au-delà des modèles actuariels destinés à le cerner et le mesurer, le danger (et le risque) est une " donnée " qu'on peut difficilement définir, identifier et, surtout, évaluer en situation concrète. (Appelbaum & al, 2000) Pourtant, les notions de danger et de dangerosité se trouvent au cœur d'un ensemble de discours et de pratiques sociales; en particulier, ceux qui concernent les usagers/ères de services en santé mentale. (Rechtman, 2000)

La dangerosité est d'une part un terme légal, un élément de droit sur lequel se fondent des décisions telles que les ordonnances de garde provisoire et de garde en établissement psychiatrique (on parlera alors de dangerosité civile). (Arben, 1999) C'est aussi un concept clinique, une donnée susceptible d'intervenir dans le diagnostic, le pronostic et le plan de traitement inhérents à la pratique psychiatrique. (Steadman, 1998) Enfin, parce qu'elle justifie et oriente des processus de prise de décision et de prise en charge judiciaires et thérapeutiques, la notion de dangerosité se trouve à la jonction de deux ensembles de normes, de savoirs et de pratiques; en ce sens, elle cristallise les rapports entre deux " mondes institutionnels " - la justice et la psychiatrie - dont les champs d'exercice et les finalités sont spécialisés mais complémentaires. (Morin & al, 1999) Plusieurs analystes voient donc les rapports entre la psychiatrie et la justice non pas en termes d'opposition - entre logiques thérapeutique et coercitive - mais plutôt en termes d'interpénétration, d'interdépendance et même de symbiose (Rose, 1986; Robert, 1994, Dallaire, McCubbin, Morin, Cohen, 2001). En ce sens, les contradictions internes à chaque système ne seraient qu'apparentes, et témoigneraient plutôt d'une logique commune, fondée sur la dualité traitement-contrôle. Or une notion telle que la dangerosité incarne, selon nous, cette dualité.
À travers des études empiriques, des analyses théoriques et des textes d'opinion, les chercheurs des sciences juridiques, médicales et sociales ont ainsi exploré plusieurs questions relatives à son opérationnalisation dans le champ de la santé mentale. Cependant les perceptions des personnes hospitalisées contre leur gré ont fait l'objet de très rares recherches (Luckted, Coursey, 1995) de même que sur les circonstances entourant une telle hospitalisation. (Encandela, & al, 1999)

La personne, objet d'une telle démarche forcément coercitive avec tout ce que cela peut signifier comme traumatisme a donc été jusqu'à présent presque oubliée par la recherche. (Campbell, Schraiber, 1989) Les recherches ont généralement porté sur la satisfaction générale des personnes utilisatrices, spécifiquement après un internement involontaire. (McKenna & al, 1999, Edelsohn, 1990, Kaane & al, 1983) Le débat principal a porté sur un thème : jusqu'à quel point la personne internée contre son gré est reconnaissante rétrospectivement d'avoir été hospitalisée : " The thank you theory ". (Beck, Golowka, 1988, Stasny, 2000)

En lien avec ce débat, la principale question empirique concernant l'hospitalisation involontaire a trait à son impact réel sur la personne quant à la reconnaissance de la nécessité d'être traitée. Autrement dit, lorsque les mesures coercitives sont enlevées, la personne poursuit-elle son traitement ou l'utilisation de telles mesures empêche-t-elle la personne de chercher de l'aide lorsque celle-ci peut être utile?

Depuis plus de dix années, la " MacArthur coercion study " s'est efforcée d'appréhender le rôle que joue la coercition dans la dispensation des services de santé mentale. Plusieurs recherches, notamment Lidz & al 1995, Monahan & al, 1999, Gardner & al 1999, Lidz & al, 2000, ont précisément cherché à connaître l'expérience coercitive afin de mieux saisir quand les personnes s'estiment l'objet de mesures coercitives lors de leur admission en hôpital psychiatrique.

Les principaux points qui semblent émergés de ce corps de recherche sont les suivants :

- le statut légal d'une personne n'est pas en soi suffisant pour mesurer la coercition. Une minorité significative de patients dits volontaires estiment avoir été l'objet d'une mesure coercitive lors de leur admission et une minorité significative de personnes ayant été hospitalisées en vertu d'une mesure légale estiment qu'elles ont choisi d'être hospitalisées.

- La description par les patients des événements précédant leur admission en psychiatrie a tendance à être aussi complète et plausible que les descriptions des membres de la famille et des cliniciens. Les descriptions des personnes se modifient peu une fois que l'hospitalisation est terminée et que les patients sont de retour dans la communauté. Cependant les perceptions des personnes quant à la nécessité d'être hospitalisées se modifient avec le temps. Environ la moitié des personnes qui initialement refusaient une telle hospitalisation reconnaissent rétrospectivement son utilité tandis que l'autre moitié ne changent pas d'idée.

- Les différents types de pressions que les autres appliquent envers un individu afin d'obtenir son admission dans un hôpital psychiatrique a des répercussions majeures sur le degré de coercition perçu par cet individu : l'utilisation de pressions " négatives " comme des menaces ou la force produit des sentiments de coercition; l'utilisation de mesures " positives ", comme la persuasion et les encouragements, ne produit pas la coercition.

- Le degré de coercition perçu par une personne lors de son admission en hôpital psychiatrique n'a pas de liens avec ses caractéristiques démographiques. Plutôt, le degré de coercition est fortement relié à sa perception que l'on a été juste envers elle lors de son admission. Lorsqu'elle perçoit que les autres ont agi suite à des inquiétudes légitimes, l'ont traitée respectueusement et de bonne foi, lui ont permis de dire son point de vue, il en découle un faible degré de coercition. Cela vaut autant pour les personnes admises volontairement qu'involontairement. Il y a une différence notable entre les patients, les familles et les cliniciens quant au respect de leurs droits lors du processus d'admission; les patients estimant que leurs droits sont peu respectés, ce qui n'est pas la perception des membres de la famille et des cliniciens.

Cependant ces recherches nous ont peu appris de l'expérience de la personne quant à une telle mesure coercitive ainsi que ses effets sur les traitements subséquents. Les quelques recherches recensées indiquent toutefois que les personnes ont des idées bien précises sur ce type d'expérience. Les aspects négatifs de l'internement involontaire ressortent explicitement ce qui ne facilite pas l'alliance thérapeutique et le rétablissement (recovery) de la personne (Kaltiala & al, 1997, Lucksted, Coursey, 1995, Joseph-Kinzelman & al, 1994) ainsi qu'un suivi thérapeutique lorsque indiqué (Campbell & Schraiber, 1989). De plus, le stigma résultant d'un tel processus peut être tel qu'il empêche la personne d'obtenir un emploi, un logement ou d'avoir accès à des opportunités. (Levy, 1994)

Chapitre lll

MÉTHODOLOGIE


Le corps de la connaissance dont on dispose et la perspective que l'on adopte, amènent en effet à interroger d'une certaine façon l'objet et à en mettre à jour certains aspects qui pourraient demeurer cachés ou obscurs à d'autres approches. (Ellen Corin, 1993, p.43)

La production du présent rapport de recherche s'inscrit, comme nous l'avons spécifié précédemment, dans un projet de recherche exploratoire plus large, initié par l'Association des groupes d'intervention en défense des droits en santé mentale du Québec (AGIDD-SMQ), et comprenant deux phases initiales. La phase I de la recherche, qui s'est déroulée de janvier à mai 2001, visait principalement à cerner de manière globale le vécu des personnes internées involontairement et ce, tout au long du processus d'hospitalisation. Un comité composé de personnes utilisatrices de services, de coordinateurs et de conseillers a procédé à l'élaboration d'un questionnaire de type quantitatif en fonction des différentes étapes vécues par les personnes hospitalisées contre leur gré et ce, suite à une rencontre nationale sur le sujet réunissant la quasi-totalité des groupes régionaux de promotion et de défense des droits; 47 personnes sur un total de 75 personnes contactées en Montérégie ont accepté de répondre au questionnaire.

La phase II de la recherche, dont les résultats sont l'objet du présent document, s'est déroulée de juin 2001 à juin 2002. Cette étape de la recherche visait à cerner de manière plus spécifique et plus détaillée les causes inhérentes à la perception positive ou négative du processus d'internement involontaire qu'ont les personnes hospitalisées contre leur gré. Autrement dit, est-il possible d'identifier certains facteurs qui expliqueraient ce qui différencie une hospitalisation involontaire vécue rétrospectivement de manière positive d'une hospitalisation toujours vécue de manière traumatisante?

Le présent chapitre comprend une description des stratégies de recherche et des instruments de collecte des données utilisées pour la phase II de la recherche qui ont mené à l'obtention du matériau à partir duquel les analyses ont été produites. Nous examinerons d'abord les critères ainsi que les modalités de construction de l'échantillon. Ensuite, nous commenterons le procédé d'investigation scientifique que nous avons privilégié; soit l'approche qualitative. Nous poursuivrons avec le choix méthodologique de l'instrument de collecte de données. En terminant, nous présenterons les opérations relatives au traitement des données recueillies et à leur analyse.

L'échantillon

Les personnes interviewées en phase II de la recherche ont été recrutées principalement à partir des dossiers des personnes ayant participé à la phase I du projet. Le recrutement s'est aussi effectué par l'entremise des groupes d'entraide de la Montérégie, des organismes communautaires de la région, des dossiers individuels du Collectif de la défense des droits de la Montérégie et d'annonces dans les journaux locaux. Précisons que cette dernière stratégie de recrutement n'a donné aucun résultat. En recherche qualitative, souligne Grawitz, les personnes que l'on interroge sont celles qui ont été impliquées dans la situation concrète que l'on veut analyser. (...), elles font partie du groupe qui a fait l'objet de telle expérience ou qui a subi telle aventure. (Grawitz, 1996, p.589)

Deux critères ont été retenus dans le choix des personnes à interviewer : d'une part, elles devaient avoir été hospitalisées dans la région de la Montérégie et, d'autre part, une hospitalisation involontaire devait avoir eu lieu en date ultérieure au 1er juin 1998; date d'entrée en vigueur de la Loi sur la protection des personnes dont l'état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Toutes les personnes interviewées rencontrent ce critère et au moins deux mois s'étaient écoulés entre leur sortie de l'hôpital et la réalisation des entrevues. Quatre personnes ont eu une garde provisoire suivie d'une garde en établissement, une personne a eu une garde préventive suivie d'une garde en établissement, trois ont été l'objet d'une garde provisoire et cinq d'une garde préventive.

Le projet de recherche a été présenté aux personnes lors d'un premier contact téléphonique. Les chercheurs se sont assurés d'expliquer les enjeux de la recherche ainsi que les procédures des entretiens, c'est-à-dire les raisons justifiant l'enregistrement des entretiens, la confidentialité quant aux informations recueillies, etc.

L'échantillon de la phase II de la recherche est composé de 13 personnes, soit 7 femmes et 6 hommes, âgés entre 29 et 60 ans. Il est pertinent de souligner qu'au départ notre équipe de recherche visait le recrutement de 16 personnes au total, soit 8 personnes ayant vécu le processus d'hospitalisation involontaire de manière positive et 8 personnes l'ayant vécu de manière négative, traumatisante et ce, dans le contexte d'analyse comparative visée. Après quelques semaines de recrutement, notre équipe a dû abandonner ce critère prédéterminé confrontée à une réalité différente, c'est-à-dire une facilité dans le recrutement de personnes ayant vécu le processus d'hospitalisation de manière traumatisante, soit 9 personnes de notre échantillon, contre une difficulté considérable dans le recrutement de personnes ayant vécu cette expérience de manière positive, soit 4 personnes de l'échantillon. Cette réalité à laquelle nous avons été confrontée prenait alors tout son sens dans le contexte d'analyse comparative de notre recherche. Nous tenterons d'interpréter davantage cette donnée dans la section d'analyse des résultats de la recherche.

Une recherche de type qualitatif

L'approche qualitative est celle que nous avons privilégiée en tant que procédé d'investigation scientifique , et ce, afin de recueillir les informations nécessaires permettant d'apporter un éclairage sur notre objet de recherche. Selon plusieurs chercheurs, (Mayer et Ouellet, 1991; Poupart et al., 1997), l'approche qualitative témoigne de façon pertinente et judicieuse de l'objet de recherche car elle met l'accent sur les individus ainsi que sur le contact direct avec le terrain. (...); il s'agit ici d'une qualité de démonstration, de mise en valeur, de mise en évidence d'une réalité, peu importe que cette réalité soit vécue par quelques individus ou toute une communauté. (Mayer et Ouellet, 1991, p.40)

Une des particularités de la recherche de type qualitatif c'est qu'elle s'intéresse davantage à l'exploration des théories déjà existantes qu'à leur vérification.

Cette façon de procéder est adaptée pour des études d'exploration qui ne sont pas fondées sur des hypothèses restreignant le champ d'observation et dans lesquelles la souplesse et l'intuition sont des qualités nécessaires pour faire ressortir les éléments nouveaux. (...) (Mayer et Ouellet, 1991, p.479)

Il ne s'agit pas là de vérifier des facteurs prévus au départ, comme c'est souvent le cas dans les analyses quantifiées, mais d'utiliser intelligemment ce que l'on a trouvé. (Grawitz, 1996, p.505)

L'approche qualitative se veut une tentative d'appréhension des phénomènes sociaux non quantifiables et impossibles à saisir autrement que par des observations empiriques à partir desquelles une réflexion est amorcée. L'analyse qualitative des résultats exige, d'une part que des observations intéressantes aient été faites, mais d'autre part que l'on réfléchisse sur leur signification (Grawitz, 1996, p.505).

Attentive à la pluralité de construction de sens, la démarche qualitative oblige plutôt à acquérir une perception davantage holistique des problèmes et des enjeux et à procéder à un recadrage socio-anthropologique afin de tenir compte du contexte socioculturel de chaque situation-problème et de comprendre la spécificité et la complexité des processus en jeu. (Groulx, 1997, p.57)

La recherche qualitative a donc pour finalité la compréhension ainsi que l'interprétation des éléments significatifs d'un phénomène. Plus qu'une simple interprétation, Groulx et ses collègues (1997) parlent de réinterprétation, de relecture et de renouvellement du regard porté sur les problèmes sociaux. Par les questions qu'elle souligne, la recherche qualitative, affirme Groulx, introduit un nouveau sens des problèmes; elle substitue à la recherche des facteurs et des déterminants la compréhension des significations. (1997, p.58)

Pour Mayer et Ouellet (1991), cette approche ne vise pas la généralisation mais une représentation intéressante de la réalité. Pour Grawitz, elle permet non seulement d'émettre des hypothèses précises concernant des rapports de cause à effet, mais aussi de proposer des explications plus générales, sous forme parfois de théories limitées. (1996, p.506)

Voilà l'essentiel du cadre méthodologique à partir duquel nous avons cueilli notre matériau et procéderons à nos analyses. Considérant le peu de connaissance existant sur la thématique au Québec, il ne s'agissait pas tant de vérifier des hypothèses que d'explorer une réalité.

L'instrument de collecte de données

Afin d'obtenir le maximum d'information sur la perception des personnes concernées sur le processus d'hospitalisation contre leur gré, nous avons privilégié de réaliser des entretiens sous un mode semi-directif. Décider de recourir à l'entretien pour obtenir l'information désirée, écrit Daunais, (...), c'est primordialement choisir d'entrer en contact direct et personnel avec des sujets pour obtenir des données de recherche. C'est considérer qu'il est plus pertinent d'interpeller les individus eux-mêmes que d'observer leur conduite (Daunais, 1984, p.251 cité par Mayer et Ouellet, 1991, p.306). Quant à la semi-directivité des entretiens, cela implique que la personne interviewée centre le récit de son cheminement autour de thématiques ou de questions soulevées par le chercheur. L'enquêté peut répondre à sa guise, mais non parler de n'importe quoi. L'enquêteur le ramène au sujet. (Grawitz, 1996, p.589)

(...), le chercheur se laisse d'abord dirigé par la spontanéité de son interlocuteur sur chaque thème à la suite d'une question ouverte; mais le chercheur sert de guide aussi pour s'assurer que toutes les composantes importantes du thème soient abordées durant l'entretien. (Daumais, 1984, cité par Mayer et Ouellet, 1991, p.314)

Afin de mettre à l'épreuve notre instrument de cueillette de données, un entretien a été réalisé en guise de prétest. Il a été réalisé par le comité de travail responsable de la recherche; ce comité est composé du chercheur principal, de la professionnelle de recherche et d'une conseillère au Collectif. Il importe de souligner que celle-ci avait déjà vécu une hospitalisation en psychiatrie et était toujours suivie en psychiatrie. La grille d'entretien a été élaborée selon les données de la revue littérature et de notre connaissance intime du sujet. La réalisation de cet entretien nous a permis de clarifier certains termes de la grille d'entrevue, d'éviter la redondance dans les questions, de vérifier si le contenu des questions permettaient d'obtenir les informations pertinentes dans la poursuite des objectifs de la recherche ainsi que de mesurer le degré de compréhension par l'interviewé des questions lui étant soumises. Comme l'expliquent Mayer et Ouellet (1991), même si l'on connaît en théorie la construction d'un instrument de cueillette de données, cela ne veut pas dire que l'on peut construire du premier coup l'instrument parfait. C'est pourquoi il faudra le mettre à l'épreuve auprès d'un groupe restreint avant de le soumettre à l'échantillon de personnes prévu pour la recherche. (Mayer et Ouellet, 1991, p. 292)

Les entretiens ont été réalisés sur une période de quatre mois; soit de juillet à octobre 2001. Les rencontres, d'une durée moyenne d'une heure et demie, se sont déroulées soit au Collectif de défense des droits situé à Longueuil ou à la résidence de la personne, et ce, à la convenance de celle-ci. Au début de la rencontre, les interviewers lui rappelaient les objectifs de la recherche, la possibilité de refuser de répondre à n'importe quelle question reliée à cette étude et même d'arrêter en tout temps le déroulement de l'entrevue.

Une équipe composée d'une professionnelle de recherche et de la conseillère a réalisé les entrevues. Le fait de jumeler deux chercheurs permettait une complémentarité, c'est-à-dire à l'un d'eux de mener l'entrevue et à l'autre de s'assurer que l'entrevue soit complète et d'intervenir au besoin pour apporter des clarifications. Deuxièmement, cette stratégie rendait possible une concertation après coup sur le contenu des entretiens favorisant ainsi l'élaboration d'un cadre interprétatif plus complet et, par conséquent, plus rigoureux pour l'analyse. Enfin, ce jumelage avait aussi pour fonction d'être une formation pratique, pour la conseillère en promotion de droits, sur les méthodes relatives au bon déroulement d'un entretien comme outil de recherche.

Les entretiens ont été enregistrés sur bande magnétique suite au consentement de chacune des personnes par le biais d'un formulaire d'autorisation d'enregistrement et d'engagement de confidentialité de la part des chercheurs. Au début de la rencontre, le formulaire de consentement éclairé était signé à la fois par la personne interviewée et par un des deux chercheurs. Les entretiens ont été retranscrits intégralement en format texte. Afin de s'assurer de la confidentialité en ce qui concerne les personnes interviewées ainsi que les membres de leur famille, un nom fictif a été attribué à chacune d'entre elles faisant en sorte qu'elle ne peuvent être retracées.

Analyse et traitement des données

La retranscription des enregistrements, constituant un corpus en format texte, a été introduit sur support informatique pour ensuite être traité par le logiciel d'analyse de contenu Nudist. À des fins de classement, et afin de procéder à une analyse thématique, l'ensemble du corpus a été décomposé en catégories spécifiques, selon des critères précis, dans lesquelles ont été regroupés des extraits des entrevues. M.-A. Nadeau définit l'analyse de contenu comme étant une méthode de classification ou de codification des éléments d'un message dans des catégories propres à mettre en évidence les différentes caractéristiques en vue d'en faire comprendre le sens. (Nadeau, 1987, p. 346)

Découper l'information en unités informationnelles, classer ces unités en thèmes ou en catégories (caractérisées par un degré de finesse ou de généralité défini par les objectifs), dénombrer, corréler, comparer ces catégories par toutes sortes de traitements, etc., voilà des opérations classiques de l'analyse de contenu. (Mucchielli, 1979 cité par Mayer et Ouellet, 1991, p. 480)

Six grandes catégories d'analyse ont donc été clairement définies par notre équipe de recherche. Les thématiques principales sont les suivantes: les circonstances particulières dans la vie de la personne l'ayant amenée à être hospitalisée ainsi que les acteurs impliqués dans la prise de décision, la perception de la personne quant à la nature de son trouble psychique, quant au cadre institutionnel dans lequel elle a séjourné et quant au cadre juridique, les sentiments éprouvés tout au long du processus d'hospitalisation involontaire, et enfin, l'impact que celle-ci a eu dans la vie de la personne ainsi que de ses proches.
Ensuite, l'étape de l'analyse verra à identifier les ressemblances dans les parcours des personnes rencontrées, à tenter une interprétation des données de la recherche pour finalement exposer et débattre des résultats d'analyse.

Chapitre lV

RÉSUMÉS DES TRAJECTOIRES INDIVIDUELLES


Ce chapitre comprend le résumé des trajectoires individuelles de chacune des personnes que nous avons rencontrées et interviewées. Nous ne présentons pas la trajectoire exhaustive de ces personnes mais bien un résumé de celle-ci afin de situer dans son ensemble l'histoire personnelle de chacune d'elles. Ce résumé permettra de rapporter les événements significatifs et déterminants dans la vie de la personne ainsi que les circonstances particulières l'ayant amenée a être hospitalisée contre son gré.

À la suite de cette analyse verticale, soit à l'intérieur des chapitres d'analyse qui suivront, nous reprendrons des fragments de la trajectoire de chacun pour une analyse transversale, et ce, afin d'illustrer chacune des thématiques abordées dans cette recherche. Il nous paraît important de spécifier que les résumés des trajectoires individuelles renferment les informations relatées par les personnes interviewées. Nous avons regroupé, pour fin de présentation, les trajectoires en deux grandes catégories : expériences positives et expériences négatives.

En synthèse, des treize personnes, cinq personnes ont été l'objet d'une garde en établissement, quatre suite à une garde provisoire et une suite à une garde préventive; des huit autres personnes, cinq ont été l'objet d'une garde préventive et trois d'une garde provisoire. En ce qui a trait aux acteurs impliqués dans le processus initial, les membres de la famille l'ont été dans sept trajectoires, les corps policiers dans trois de même que les intervenants. Les quatre personnes, tous des hommes, qui rétrospectivement considèrent que l'hospitalisation involontaire, sont tous encore suivis en psychiatrie. Un seul a connu la contention durant son séjour mais il estime encore qu'il a eu le dessus sur les intervenants. Des neuf autres personnes qui évaluent toujours négativement l'expérience d'hospitalisation involontaire, six d'entre elles ont été mises en contention ou en isolement dont quatre lors de la dernière hospitalisation. Ces quatre personnes refusent tout suivi thérapeutique mais l'une d'entre elles n'a pas le choix étant obligée de suivre un traitement suite à un ordre de cour. Seulement deux personnes ayant une perception négative acceptent volontairement le suivi thérapeutique.

Expériences positives

Michel a 42 ans. Depuis 1982, Michel est handicapé par de graves problèmes d'angoisse mais il n'avait jamais été consulté en psychiatrie. À l'été 1998, sa femme le persuade de la nécessité de soins psychiatriques; il a alors séjourné 3 semaines à l'hôpital. Quelques mois plus tard, soit à l'hiver 1999, la médication prescrite ne semble pas vouloir améliorer les phases de délire de Michel, qu'il nie cette fois-ci. Sa femme se présente donc devant un juge du Palais de Justice et demande une ordonnance de la cour l'autorisant à faire hospitaliser son mari, et ce, dans l'espoir de sauver leur mariage et la cellule familiale.

Suite à l'intervention policière et des ambulanciers, Michel se sent humilié et nie toujours son délire. Mais rapidement, dit-il, il se fait une raison et quelques heures après son admission à l'hôpital, Michel réalise qu'il a besoin d'aide. La durée de son séjour est cette fois-ci de 2 semaines. Son séjour en milieu hospitalier est, pour lui, une occasion de repos et de réflexion. Même s'il n'accepte pas en totalité la possibilité d'avoir des troubles délirants, il décide de faire confiance au cadre institutionnel dans lequel il se trouve contre son gré. Ce n'est que deux mois après sa sortie de l'hôpital, lorsque la médication commence à faire ses effets, que Michel constate qu'il était réellement aux prises avec des troubles délirants.

Au moment de l'entrevue, Michel est toujours suivi par une psychiatre à raison d'une rencontre au trois mois. Il consulte aussi une psychologue de l'hôpital sous les recommandations d'un psychiatre lors de son séjour. Il est très satisfait du lien thérapeutique pour les traitements qu'il reçoit. L'hospitalisation contre son gré est pour lui une expérience positive et même enrichissante, et ce, tout au long du séjour comme au moment de l'entrevue.

Carl a été hospitalisé à plusieurs reprises au cours de sa vie; il parle " d'une bonne douzaine de fois " dont la majorité furent involontaires. Il a déjà effectué un séjour à Pinel et a été l'objet d'une ordonnance de probation de trois mois où entre autres conditions, il devait rencontrer son psychiatre et prendre sa médication. Considérant qu'il avait des problèmes de santé mentale, il souhaitait depuis déjà un bon moment qu'un diagnostic précis soit posé et qu'on règle son problème. Il parle de ses symptômes en termes de manie; les psychiatres, eux, en termes de bipolaire. Au moment le l'entrevue, son dernier séjour remonte à trois ans, soit au mois d'août 1998 et est âgé de 40 ans. Il n'a jamais été hospitalisé depuis.

C'est suite à une phase de délire que l'ambulance est venue le chercher dans un parc de la ville après que Carl se soit déshabillé et promené flambant nu en public. Ce séjour aura une durée d'un mois. Il souligne que l'intervention policière a été " numéro un ". Une policière lui a gentiment suggéré qu'il se rende à l'hôpital afin de recevoir les soins nécessaires, et ce, une fois pour toute; ce qu'il accepte. Carl est passé devant le Tribunal mais, selon lui, tout était décidé d'avance. Il ne voyait donc pas l'utilité d'avoir un avocat. L'évaluation psychiatrique invoquait le fait qu'il pouvait être dangereux pour lui-même; le juge a donc conclu par une garde en établissement.

Carl considère que son passage à l'hôpital l'a aidé. Son séjour lui a permis de réfléchir et de réaliser concrètement qu'il avait un problème. Cependant, il a été déçu du milieu hospitalier et du dispositif d'aide en général. Par exemple, malgré quelques interactions positives avec certains membres du personnel soignant, il déplore les mesures coercitives utilisées contre lui pendant son séjour. Carl a été mis en contention pendant une nuit entière. Il souligne toutefois le fait qu'on ait mis de petits coussins autour de ses poignets afin d'assurer un meilleur confort. Aujourd'hui, il est suivi aux six mois par un psychiatre et se dit satisfait du lien thérapeutique. Carl est peu bavard sur le sujet et ne semble pas vouloir extrapoler. L'hospitalisation contre son gré est pour lui une expérience positive malgré son insatisfaction du cadre institutionnel.

Gilles a 53 ans; il a été diagnostiqué maniaco-dépressif en 1991. Il a toujours été d'accord avec ce fait. Mais depuis, sa médication n'a pas toujours été adéquate et il a dû être hospitalisé à quelques reprises. Sa dernière hospitalisation remonte au mois de décembre 2000. Pour des raisons difficiles à déterminer au moment de l'entrevue, la sœur de Gilles s'inquiète de son frère et l'amène contre son gré chez son psychiatre qui le suit depuis 1992. Ce dernier lui demande d'aller passer quelques jours à l'hôpital. Malgré qu'il n'en sente aucunement la nécessité, Gilles souhaite que sa médication soit modifiée et se rend donc à l'hôpital. Il explique que sa sœur est inquiète de lui en raison de sa maladie. Par exemple, en 1998, elle avait fait hospitaliser son frère pensant que ce dernier avait soit-disant " kidnappé " leur mère. Leur mère, âgée de 90 ans, était allée passer quelques jours à la campagne chez son fils.

Depuis trois ans, Gilles est en arrêt de travail en raison de ses problèmes de santé mentale. Il en a lui-même fait la demande après avoir travaillé vingt-trois ans pour la Ville. Ses finances personnelles ainsi que ses biens sont gérés par la Curatelle publique. Prochainement, il reprendra la gérance de ses affaires étant désormais considéré apte à le faire. Gilles est très reconnaissant pour le bienfait des soins qu'il a reçus, et ce, pour chacun de ses séjours en milieu hospitalier. Grâce à l'efficacité de sa médication, il n'achète plus de manière démesurée comme il le faisait dans le passé, soit avant d'être traité. De plus, il ne souffre plus d'épisodes dépressives. Il se dit même être très heureux. L'hospitalisation contre son gré est pour lui une expérience positive voire salutaire. Au moment de l'entrevue, il reçoit toujours ses prestations d'assurance-invalidité.

Yvan a 56 ans au moment de l'entrevue. Suite à une période de dépression psychotique sévère, en décembre 1999, il a été hospitalisé en psychiatrie, et ce, pour une durée de 6 à 8 semaines. De retour à la maison, il doit participer à un programme de transition pour une période additionnelle de 6 semaines en se rendant tous les jours à l'hôpital soit de 9 h à 17 h.

Yvan explique qu'en raison de ses symptômes, il était dans l'incapacité de reconnaître qu'il avait besoin d'aide. Au moment de l'hospitalisation, il croyait que le gouvernement avait placé des agents secrets autour de son domicile et que la ville avait été évacuée. Malgré les efforts de persuasion de sa femme et leurs trois fils, Yvan ne veut rien entendre et est convaincu de l'existence d'une conspiration contre lui. " Je vivais en dehors du normal ", dit-il. Il parle même de s'enlever la vie et venait de démissionner comme cadre supérieur d'une grande compagnie. Dans les circonstances, sa femme et leurs fils demandent une lettre de soutien du médecin de famille dans le but d'obtenir un ordre de cour. Deux policiers interviennent et Yvan est amené à un centre hospitalier de Montréal car il s'agit de l'hôpital de secteur des personnes anglophones de la rive-sud. Après quelques jours d'hospitalisation, Yvan commence tranquillement à comprendre qu'il se passe quelque chose et qu'il a peut-être un problème. Il décide de faire confiance aux psychiatres. Pour lui, l'hospitalisation contre son gré est une expérience plus que positive; cela lui a sauvé la vie. Il dit être entièrement satisfait du lien thérapeutique qu'il entretient toujours avec les deux psychiatres qui le suivent pour différents traitements. Il se dit également très reconnaissant envers sa femme et ses fils. Sans eux, il n'aurait jamais pu surmonter son problème de santé mentale.

Expériences négatives

Judith a 40 ans au moment de l'entrevue. Son unique hospitalisation en psychiatrie, en février 2000, a une durée de trois mois et demi. Elle n'accepte pas le diagnostic de bipolaire-maniaco-dépression posé par la psychiatre lors de son séjour. Sa garde en établissement est levée après vingt et un jours mais elle choisi elle-même de prolonger son séjour étant dans l'impossibilité de retourner vivre chez sa mère où elle habitait avant d'être hospitalisée.

Judith a toujours habité avec sa mère. Elle est l'homme de la maison, précise-t-elle. Quelques mois avant l'hospitalisation, sa mère ainsi que son frère s'inquiètent d'elle. Judith a pris congé de son travail pour quelques mois suite a un épuisement causé par une série de problèmes majeurs au bureau. Son frère s'informe de manière acharnée auprès de l'entourage de sa sœur pour savoir si quelqu'un aurait remarqué un changement dans son comportement. Son frère l'accuserait de vouloir tuer leur mère.

Sa mère et son frère réussissent à obtenir un ordre de cour pour une évaluation psychiatrique. Les policiers et l'ambulance sont venus la chercher chez elle le matin où elle s'apprêtait à retourner au travail après son congé de quelques mois. Judith a eu une audience à la cour et on lui a désigné vingt et un jours de garde en établissement. Elle ne considère pas du tout avoir été aidée de quelques manières que ce soit durant son séjour à l'hôpital. Lors de l'entrevue, Judith est toujours suivie par la même psychiatre et dit être insatisfaite du lien thérapeutique. Elle a commencé des démarches pour changer de psychiatre. L'hospitalisation contre son gré est pour elle une expérience négative et traumatisante. Elle n'a pas revu sa famille et travaillé depuis son hospitalisation.

Lorraine a 42 ans au moment de l'entrevue. Après vingt ans de mariage, son mari la quitte pour une jeune femme âgée de 24 ans. Elle tombe alors dans une dépression majeure et profonde et tente de s'enlever la vie en avalant une dose excessive d'aspirine, ce qui la rend très malade mais, pour des raisons difficiles à déterminer au moment de l'entrevue, n'est pas hospitalisée pour autant. Deux mois après cet événement, soit en octobre 2000, Lorraine se rend chez son médecin qui la pique pour des varices. Elle précise que ce médecin lui avait également prescrit des antidépresseurs lors d'une précédente rencontre. Au cours de la consultation, Lorraine lui demande l'information suivante : " qu'est-ce que ça fait si quelqu'un prend une boîte de tylenol au complet "? Le médecin téléphone l'ambulance sur-le-champ et demande que sa patiente soit amenée à l'hôpital afin d'y subir une évaluation psychiatrique.

Lorraine est hospitalisée pendant cinq jours et ne pardonnera jamais à son médecin de l'avoir fait hospitaliser contre son gré. Cette expérience sera la plus difficile de toute sa vie, nous dira-t-elle. Elle signe d'ailleurs un refus de traitement et essaie tant bien que mal d'expliquer aux psychiatres qu'il y a erreur. Elle ne considère pas du tout avoir été aidée de quelques manières que ce soit durant son séjour. Par exemple, personne ne l'informe de ses droits d'avoir un avocat. Ou encore, pas un instant Lorraine sent que le personnel soignant s'intéresse à sa blessure causée par le départ de son mari. Elle se trouve plus seule que jamais.

À sa sortie, Lorraine aurait perdu son emploi si sa travailleuse sociale n'était pas intervenue auprès de son employeur afin de le rassurer sur son état de santé mentale. De plus, son mari a utilisé l'internement de sa femme comme argument défavorable lors du règlement du divorce, et ce, en ce qui concerne la garde de leur fille unique. Cette dernière vit tout de même avec sa mère. Aujourd'hui, Lorraine ne reçoit aucun traitement de nature thérapeutique. Elle a même décliné la proposition de la psychiatre de l'hôpital voulant qu'elle poursuive les rencontres à la fin de son séjour. L'hospitalisation contre son gré est pour elle une expérience traumatisante l'ayant humiliée et profondément mise en colère.

Malgré que Marie, 51 ans, ait été hospitalisée à maintes reprises au cours de sa vie, elle n'a jamais accepté le diagnostic de personnalité paranoïde et de troubles délirants posé par les psychiatres. Son histoire médicale remonte à l'adolescence lorsqu'elle est aux prises avec un problème sévère aux mâchoires. Après plusieurs interventions chirurgicales, ses douleurs persistes. Lorsqu'elle se présente à nouveau à l'urgence se plaignant de douleurs aiguës, on la réfère en psychiatrie. Les médecins parlent désormais des symptômes de Marie en termes de mal imaginaire et de délire, ce qu'elle réfute encore aujourd'hui. Elle ne peut nous dire combien de fois elle a été hospitalisée au cours de ces nombreuses années mais elle souligne que son " dossier médical est très épais surtout avec les électrochocs ", dit-elle. L'entrevue ne nous a pas permis d'avoir plus d'information sur les circonstances entourant le recours à ces fameux électrochocs mentionnés par Marie.

Le séjour dont elle nous parle au cours de notre rencontre est son unique hospitalisation contre son gré. Accompagné d'une ambulance, un seul policier, habillé en civil et muni d'une voiture fantôme, s'est rendu chez Marie après que son intervenante du Centre d'action bénévole ait demandé un ordre de cour. Lors d'une courte visite chez son intervenante, Marie remarque la photo d'une personne s'étant suicidée sur la page couverture d'un journal. Elle dit tout bonnement qu'elle espère que ses affaires vont se régler et qu'elle n'en arrivera pas à ce point là. Son intervenante prend ses propos au sérieux et s'inquiète de son état dépressif. Elle considère alors que Marie est dangereuse pour elle-même. Cette dernière ne comprendra jamais le geste de son intervenante et dira qu'elle a interprété ses propos.

Durant son hospitalisation d'une durée de cinq jours, elle en passera quatre dans la chambre d'isolement. Dans cette chambre, on utilisera la contention afin de l'immobiliser et on lui administrera des injections contre son gré en utilisant la force. On explique dans son dossier qu'elle a des comportements agressifs, qu'elle peut être très révoltée contre tout le système et peut poser des gestes menaçants. Marie qualifie d'abusive la manière dont elle a été traitée et porte plainte par écrit au directeur des soins professionnels. Sa plainte est rejetée à deux reprises. Elle fait alors parvenir cette lettre au commissaire des plaintes, et ce, avec l'aide d'une conseillère du Collectif de la défense des droits de la Montérégie et d'une avocate. On reconnaît finalement qu'il n'y avait aucun motif justifiant un tel traitement et une série de recommandations précises est notifiée à l'hôpital par le commissaire aux plaintes. Ce n'est pas la première fois que Marie subit ce genre de mesures coercitives. De plus, elle raconte avoir été abusée sexuellement par un infirmier ou un préposé lors de l'utilisation de la contention, il y a de cela plusieurs années.

Suite à son dernier séjour, elle a été suivie en psychiatrie pendant " un bon bout de temps ", dit-elle, à raison d'une fois par mois. Des injections lui étaient alors administrées. Elle a aussi été hospitalisée depuis, et ce, environ une fois tous les ans mais avec son consentement. Au moment de l'entrevue, elle n'a plus aucun suivi de nature thérapeutique. L'hospitalisation contre son gré est pour elle une expérience traumatisante.

Lise, 46 ans, connaît trop bien les hôpitaux pour y séjourner régulièrement en raison de ses divers problèmes de santé. À l'âge de 7 ans, suite à une fracture du crâne, elle perd la mémoire. Sa colonne vertébrale étant aussi affectée, elle a de sérieuses difficultés à marcher. Elle arrête l'école pendant quelques années. À l'âge de 19 ans, en raison de l'alcoolisme de sa mère, elle tente de se suicider. C'est alors sa première hospitalisation en psychiatrie. Elle y restera un mois. À l'âge de 34 ans, elle a été greffée d'un rein et d'un pancréas et son nouveau rein étant trop lent, elle doit avoir des traitements de dialyse trois fois par semaine. Elle souffre également du syndrome de fatigue chronique et de diabète. Aussi, sans entrer dans les détails, elle parle de deux dépressions qu'elle a faites ayant exigé une médication. Lorsqu'elle est amenée contre son gré, et ce, pour une dizaine de jours à l'automne 1999, c'est la deuxième fois qu'elle se retrouve en psychiatrie. Elle est alors âgée de 44 ans. Elle précise aussi qu'au moment de l'hospitalisation, elle était suivie par une psychiatre à raison d'une fois par mois pour ses problèmes d'enfance avec sa mère et des problèmes de violence conjugale avec son ex-mari.

À l'automne 1999, Lise s'est rendue à plusieurs reprises au poste de police afin de porter plainte contre une voisine qui, soit-disant, lui envoyait à distance des courants électriques à l'aide d'une machine quelconque. Lors de sa dernière plainte, Lise considère que la policière en devoir ne prend pas au sérieux ses accusations et, dans le but d'attirer son attention, déclare qu'elle pourrait se rendre chez la voisine avec un fusil, faire sauter la serrure et obliger sa voisine à téléphoner les policiers. Suite à cette déclaration, la policière ainsi que ses collègues décident de faire venir l'ambulance jugeant que Lise est dangereuse pour autrui. Lise dira tout de même que la policière a été très gentille avec elle.

Elle n'a jamais été d'accord avec le diagnostic des psychiatres qui ont conclu à la psychose. Lorsque Lise a finalement accès à son dossier médical, et ce, environ deux ans après sa sortie de l'hôpital, elle est choquée par les termes de passif agressif utilisés dans l'évaluation psychiatrique. À aucun moment, lors de son séjour, on ne lui a fait part de ce diagnostic. De plus, nous dit-elle, elle ne comprend même pas leur signification. L'hospitalisation contre son gré est pour elle une expérience négative et elle considère n'avoir reçu aucun support lors de son séjour. Au moment de l'entrevue, elle n'a aucun suivi thérapeutique et n'en veut surtout pas. Malgré qu'elle ait toujours été consciente d'avoir besoin de soutien psychologique, elle est totalement insatisfaite du lien thérapeutique avec les psychiatres qu'elle a connus dans le passé. Elle s'est donc tournée vers la littérature traitant de psychologie et aussi de pardon afin de trouver son équilibre.

Lorsque nous rencontrons Ricardo, 33 ans, sa sortie de l'hôpital est assez récente. C'est la deuxième fois qu'il est hospitalisé contre son gré et sa garde en établissement, cette fois-ci, a été de 21 jours. Selon les psychiatres, il a des épisodes de manie; des épisodes de maniaco-dépression. En 1999, Ricardo est amené en psychiatrie pour la première fois. Il nous raconte que lorsque les policiers se sont rendus à son domicile, il a déchiré l'ordre de cour et a refusé de les accompagner. Les policiers lui passent alors les menottes et l'amènent littéralement de force. Lors de la seconde intervention policière, en mai 2001, Ricardo demeure calme. Cette fois, il savait où on l'amenait, dit-il.

Les circonstances entourant les deux hospitalisations de Ricardo sont les mêmes : son père s'inquiète de l'attitude de son fils qui semble mettre de l'avant des projets grandioses et irréalistes. Entre autres, Ricardo signe un contrat de publicité dans un journal pour un montant de quatre mille dollars, il négocie le tarif de salles de spectacles, il achète du matériel payable dans trente jours dans une librairie renommée, et tout cela sans avoir l'argent nécessaire. Aussi, il veut présenter sa candidature à la mairie, il passe beaucoup de temps dans des chambres d'hôtel, se rend à une chaîne de télévision importante et insiste sans relâche, auprès du gardien de sécurité, pour rencontrer des journalistes. Il dit vouloir vérifier des informations. Lorsque Ricardo se met en colère, l'agent de sécurité fait appel à la police et il est amené à la prison de Bordeaux. Il y passera quatre jours dont vingt-quatre heures dans la chambre d'isolement. Suite à ces événements, le père de Ricardo obtient deux fois un ordre de cour pour qu'on interne son fils contre son gré.

Depuis sa seconde hospitalisation, Ricardo ne sait plus si, effectivement il est malade, ou ne l'est pas : " peut-être que je le suis un petit peu; peut-être que je le suis à moitié ". Mais malgré qu'il reconnaisse certaines extravagances de sa part, il doute fortement de la validité du diagnostic posé par les psychiatres et désapprouve l'intervention de son père. Selon lui, rien de tout cela ne serait arrivé si son père n'avait pas jugé ses projets de grandioses et d'irréalistes. Au moment de l'entrevue, Ricardo estime n'avoir aucun suivi de nature thérapeutique. Cependant, il doit prendre la médication prescrite lors de son congé de l'hôpital. L'hospitalisation contre son gré a été pour lui une expérience négative lui ayant causé plus de problèmes qu'autre chose. Par exemple, il déplore les mesures coercitives utilisées contre lui pendant son séjour. Ricardo a été mis en contention pendant quelques heures après s'être mis en colère devant le personnel et avoir lancé le téléphone. Conséquemment, il dit vouloir trouver un support thérapeutique quelconque afin de l'aider à mettre en perspective les événements des derniers mois.

Suite à des douleurs à l'abdomen, Violaine se rend à l'urgence. Elle raconte avoir souffert d'un empoisonnement alimentaire quelques semaines auparavant et parle d'un jeûne qu'elle a fait pour se soigner. Mais ses douleurs persistent. À l'urgence, elle voit le médecin de garde qui lui, la transfère en psychiatrie sur une civière sans l'informer de quoi que ce soit. Elle se souvient avoir été mise en contention et avoir reçu une injection, et ce, au tout début de son hospitalisation. Elle pense être restée attachée au moins une nuit complète. Pour des raisons difficiles à déterminer au moment de l'entrevue, Violaine a séjourné plus de 8 mois en psychiatrie, soit du mois de mai au mois de décembre 2000. Jamais elle aurait imaginé y passer tout ce temps, nous dit-elle.

Lorsque nous la rencontrons, elle demeure en résidence d'accueil depuis déjà dix mois, et ce, suite à son hospitalisation. Elle y est contre son gré. En conséquence, elle a dû être délogée de son appartement. Son psychiatre exigeait qu'elle y séjourne pour une période de 3 ans mais l'avocat de Violaine, avec l'appui du Collectif de défense des droits de la Montérégie, a réussi à réduire cette ordonnance à un an. Toutefois, cette même ordonnance l'oblige également à prendre sa médication pour une durée de 3 ans sous peine de retourner à l'hôpital. Durant son hospitalisation en psychiatrie, elle dit ne jamais avoir été informée des motifs justifiant sa dangerosité ni du diagnostic posé par le psychiatre suite à son évaluation. C'est donc par l'entremise des informations recueillies lors de la phase 1 de la recherche que nous avons pris connaissance du diagnostic de Violaine, soit une schizophrénie paranoïde; un délire paranoïde.

Les informations obtenues lors de l'entrevue avec Violaine ne nous permettent pas de connaître plus en détails les circonstances entourant son internement. Tout au long de l'entretien, elle semble craintive et reste donc discrète. Elle parle tout de même d'une dépression qu'elle a faite suite a un accident de voiture et déclare : " pis çà m'a amené d'autre chose aussi. Peut-être que dans le fond, je suis peut-être pas aussi bien que je le pense, je ne le sais plus franchement ". Elle ajoute qu'elle ne nous racontera pas toute sa vie. Du début jusqu'à la fin de la rencontre, Violaine est furieuse contre ceux qui l'ont hospitalisée et nous le fait savoir à maintes reprises. L'hospitalisation contre son gré ainsi que la prolongation de son séjour en centre d'accueil sont pour elle une expérience plus que traumatisante; elle n'y comprend rien et se sent dépassée par le déroulement des événements. Au moment de l'entrevue, Violaine est âgée de 43 ans. Elle est toujours suivie par son psychiatre et doit prendre une médication qu'elle qualifie de " drogue ". Violaine se demande encore aujourd'hui pourquoi elle a été considérée dangereuse pour elle-même et, par conséquent, internée. De plus, un régime de protection lui a été imposé suite à une décision judiciaire.

Évelyne fait partie des rares exceptions, parmi les personnes que nous avons interrogées, qui affirment être aux prises avec des problèmes de santé mentale et qui, au moment de leur hospitalisation, se considèrent dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui. Évelyne était dangereuse pour elle-même, nous dit-elle, dans le sens qu'elle est périodiquement dépressive et, par conséquent, pense systématiquement au suicide. Elle se dit " suicidaire chronique " depuis l'adolescence. Elle a d'ailleurs passé à l'acte en 1982, et ce, en raison de la maladie de sa petite fille, encore bébé, se mourrant d'une malformation cardiaque. Ce fut alors sa première hospitalisation en psychiatrie. Durant ce séjour, elle connaîtra la camisole de force ainsi que l'administration d'injections contre sa volonté.

Évelyne est âgée de 46 ans au moment de l'entrevue. Lors de notre rencontre, il n'y a pas d'électricité chez elle, et ce, depuis déjà plusieurs semaines. Elle n'a pas suffisamment d'argent pour payer les frais fixes de son appartement. Afin de pouvoir manger, elle prépare les repas à son voisin qui en échange la nourrit. Elle nous parle de son diabète, de son handicap visuel et de sa dépendance affective. Aussi, de son mari, avec qui elle a été mariée plus d'une vingtaine d'années, qui l'a battue deux cent dix fois, violée quatre fois et trompée avec huit différentes femmes. Elle nous parle des sept enfants qu'elle a mis au monde; seulement quatre d'entre eux sont en vie. Ils sont tous placés en famille d'accueil mais l'entrevue ne nous permet pas de situer le moment exact du placement. Nous savons seulement qu'au moment de la seconde hospitalisation, soit en 1998, ils avaient déjà quitté le domicile familial.

En juillet 1998, le nouveau conjoint d'Évelyne la met à la porte après un an de vie commune, et ce, suite à une dispute. Évelyne décide alors de se rendre au poste de police, d'une part, pour dénoncer son conjoint qui tolère la revente de drogue de ses locataires et, d'autre part, pour demander de l'aide. Évelyne ne peut s'arrêter de pleurer. Elle dit avoir de la peine et souffrir dans sa tête. Elle dit aussi ne pas avoir d'endroit ou aller. Les agents en service lui expliquent que l'endroit le plus sécuritaire pour elle, dans les circonstances, est l'hôpital. Sans vraiment comprendre ce qui lui arrive, elle se laisse persuader et les agents font venir une ambulance. Elle dira que les ambulanciers étaient très gentils et qu'ils ont parlé avec elle durant tout le trajet.

Le diagnostic posé par les psychiatres est celui de psychose et de maniaco-dépression. Le séjour d'Évelyne a été de 6 semaines. Elle nous dit qu'elle a comparu en cour et que son séjour a été écourté d'environ vingt et un jours mais les informations recueillies pendant l'entrevue ne nous permettent pas de connaître plus en détail les données relatives au processus légal de son internement. L'hospitalisation contre son gré est pour elle une expérience négative. Elle dit s'être sentie traitée " comme un numéro puis un cobaye ". L'aspect positif de cette expérience, dit-elle, c'est l'efficacité et le bienfait des médicaments, malgré de lourds effets secondaires. Évelyne est toujours suivie par un psychiatre, une infirmière et aussi, par une travailleuse sociale. Elle ajoute qu'un jour, elle écrira peut-être un " Best-Seller " à partir des événements dramatiques de sa vie…

Dany a 29 ans au moment de l'entrevue. Son unique hospitalisation aura une durée totale de 42 jours; soit un séjour de 30 jours en milieu hospitalier suivi d'une prolongation de 12 jours à l'Institut Pinel. Suite à son évaluation, les psychiatres ont posé un diagnostic de psychose et de maniaco-dépression. Ils ont également parlé de bipolarité et de phase de manie. Dany n'expérimenterait pas les phases dépressives de la maladie mais seulement les phases euphoriques. C'est pour cette raison que les psychiatres parlent d'avantage de manie que de maniaco-dépression, nous dit-il.

À l'automne 1999, Dany se prépare à aller passer quelques jours dans un chalet dans le bois. La veille de son départ, il passe la soirée chez son copain Marc. Pour des raisons difficiles à déterminer pendant l'entrevue, Marc croit fermement que Dany veut se suicider et passera à l'acte durant son séjour au chalet. Dany essaie de lui faire comprendre qu'il fait erreur mais n'y arrive pas. Le lendemain matin, il quitte la maison de Marc. Ce dernier contacte alors de père de son copain pour lui faire part de ses inquiétudes. En route vers chez lui, Dany se fait heurter à l'arrière de sa voiture par un jeune couple. Il dira qu'il a " peut-être couper un peu le véhicule " mais ajoute que le conducteur avait l'espace nécessaire afin de manœuvrer. Le passager se rend à la voiture de Dany et commence à frapper violemment dans sa vitre tout en lui criant des bêtises. Dany a peur et décide, pour sa sécurité, de s'enfuir. L'autre véhicule tente de le rattraper. Après les avoir semés, Dany téléphone à la police pour demander ce qu'il doit faire. Le policier lui dit de se rendre au poste afin de remplir un constat.

Lorsqu'il arrive, le couple l'ayant pourchassé s'est aussi rendu à la police pour porter plainte contre lui. On l'accuse de délit de fuite. Il est alors amené pour un interrogatoire. Réalisant qu'il est peut-être dans l'eau chaude d'un point de vue légal, il téléphone un avocat qu'il connaît. La collègue de celui-ci vient le rejoindre au poste de police. Aussi, constatant qu'il n'a pas tous ses papiers sur lui, Dany téléphone à son père afin qu'il lui apporte ses papiers d'assurance. En arrivant au poste, le père de Dany, inquiet, raconte au policier le téléphone qu'il a reçu de Marc. Le policier lui explique alors que le seul moyen de pouvoir garder Dany est de le déclarer dangereux pour lui-même ou pour autrui et par conséquent, de le faire amener en psychiatrie contre son gré. Dany ne verra pas son père au poste de police. Le policier viendra lui annoncer qu'il doit se rendre à l'hôpital suite à la déclaration et la demande de son père. L'avocate essaie de le rassurer en lui expliquant qu'il doit se soumettre à la loi et que, de toute façon, il ne peut être gardé contre son gré plus de 72 heures, et ce, pour une simple évaluation psychiatrique.

Dany en a long à raconter sur son expérience en psychiatrie. Entre autres, il connaîtra quatre fois la contention avec injection forcée, il fera une fugue de quelques heures chez ses parents, il mettra le feu dans la salle de toilette et aussi dans une chambre d'isolement. Les informations recueillies pendant l'entrevue ne nous permettent pas de connaître plus en détails les données relatives au processus légal de l'internement de Dany. Nous savons seulement qu'il est passé devant le juge une fois pendant son séjour. L'hospitalisation contre son gré est pour lui une expérience traumatisante. Pendant plus d'un an après sa sortie, il broyait du noir pendant la journée, dit-il, et faisait d'horribles cauchemars pendant la nuit. Encore aujourd'hui, il ne comprend pas pourquoi on a pu le considérer dangereux pour lui-même ou pour autrui. Mais surtout, il est révolté contre la manière dont il a été traité. " On traite mieux les animaux que cela ", dit-il. Au moment de notre rencontre, il n'a pas de suivi thérapeutique et ne prend aucune médication, et ce, depuis sa sortie de l'hôpital en novembre 1999.

Au cours de sa vie, Pauline a été victime de quatre épisodes de maniaco-dépression. Elle a été hospitalisée contre sa volonté pour chacun d'eux. Le premier épisode de la maladie remonte à 1985. Pauline s'était rendue au chevet de son père mourant, en Alberta. Après plusieurs jours sans dormir, elle raconte avoir perdu contact avec la réalité et s'être sentie un peu hors du temps. Elle ne situait ni les jours de la semaine ni la saison de l'année. Sa famille s'inquiète et l'amène à l'hôpital ou elle y passera quelques jours. Le psychiatre pose le diagnostic de sévère maniaco-dépression et lui prescrit du lithium à forte dose pour une durée de deux ans. De retour chez elle, au Nouveau-Brunswick, elle voit son médecin de famille qui lui déconseille de continuer de prendre cette médication. Selon lui, le lithium pourrait gravement endommager ses reins. Elle décide donc d'arrêter toute médication. Depuis, les symptômes sont réapparus périodiquement à tous les cinq ans; soit en 1990, ensuite en 1995 et la dernière hospitalisation en août 2000. Pauline est alors âgée de 59 ans. Les informations recueillies pendant l'entrevue ne nous permettent pas de connaître plus en détail les circonstances entourant les hospitalisations de 1990 et de 1995. Nous savons seulement qu'en 1995, l'internement contre son gré, qui a eu lieu à Québec, a été extrêmement pénible, souligne-t-elle. Aussi, le psychiatre de Pauline lui aurait dit qu'il ne pouvait la mettre sous médication si les épisodes de maniaco-dépression n'avaient lieu qu'aux cinq ans et ne duraient que quelques jours.

La dernière hospitalisation de Pauline, à l'été 2000, a été de 14 jours. Elle explique qu'elle vivait un temps de grande fatigue et ressentait chaque événement plus intensément qu'à l'habitude. Un événement banal, par exemple, prenait des proportions démesurées sur le plan émotionnel. Pauline ne considère pas pour autant qu'elle est victime d'un épisode de maniaco-dépression. Mais sa fille ainsi que son fils s'inquiètent tous deux de leur mère et obtiennent une autorisation de son médecin. Sa fille profite d'une journée ou la sœur de Pauline est en visite au Québec pour amener sa mère à l'hôpital. Lors d'une balade en voiture, ils se dirigent secrètement vers l'hôpital. Lorsqu'ils arrivent dans le stationnement, les policiers, qui ont déjà été contactés par le fils de Pauline, approchent de la voiture et demandent à Pauline de bien vouloir les suivre. Elle ne comprend pas du tout ce qui se passe. En arrivant à l'urgence, elle est en panique. Elle dit qu'elle connaît les droits de la personne et qu'elle veut sortir de là. Pauline est alors mise en contention pendant une heure. En se faisant attacher, elle se foule le doigt. Lorsqu'elle est détachée, Pauline est transférée par ambulance dans un hôpital plus près de chez elle ou elle passera la nuit dans une chambre d'isolement sans couverture. C'était apeurant, nous dit-elle.

Pauline a refusé toute médication, et ce, du début jusqu'à la fin de son séjour. Elle a comparu en cour mais sans avocat pour la représenter. Le seul avocat qu'elle a réussi à contacter par téléphone, et qui devait s'occuper de sa cause, ne lui a jamais donné de nouvelles. L'hospitalisation contre son gré est pour elle une expérience négative et traumatisante. Elle ne considère pas du tout avoir été aidée de quelques manières que ce soit et dit avoir vécu " un combat de pouvoir " durant son séjour. Son expérience se résume ainsi : " une atteinte à ma liberté ". Pauline n'a aucun suivi thérapeutique depuis sa sortie de l'hôpital. Elle ajoute avoir réussi à faire de son hospitalisation une expérience enrichissante en obtenant un support significatif dans le réseau non institutionnel de la relation d'aide.

Chapitre V

PERCEPTIONS INDIVIDUELLES DU TROUBLE PSYCHIQUE


Rappelons que l'objectif de cette recherche exploratoire est d'identifier les facteurs qui expliqueraient ce qui différencie une hospitalisation vécue de manière positive d'une hospitalisation vécue de manière traumatisante. Les thématiques retenues afin d'atteindre cet objectif et ainsi d'être en mesure de mieux comprendre le vécu des personnes psychiatrisées contre leur gré l'ont été en fonction des données d'analyse recueillies par l'utilisation du logiciel Nudist, de notre connaissance de la littérature ainsi que du vécu des personnes. Les thématiques retenues dans ce chapitre sont celles-ci : les perceptions individuelles du trouble psychique, c'est-à-dire la manière dont les personnes hospitalisées perçoivent le trouble psychique diagnostiqué ainsi que les perceptions individuelles du dispositif d'aide, c'est-à-dire la manière dont elles perçoivent le cadre institutionnel.

En premier lieu, nous distinguerons, à partir des trajectoires individuelles des personnes interviewées, les éléments de leur discours qui nous éclairent sur la perception du trouble psychique diagnostiqué lors de leur hospitalisation. Nous décrirons donc les perceptions des personnes hospitalisées contre leur gré quant au trouble psychique diagnostiqué lors de leur séjour à l'hôpital. Pour les huit personnes ayant été hospitalisées plus d'une fois, nous nous intéresserons à la fois à la perception du trouble psychique lors du plus récent séjour involontaire ainsi qu'à leurs impressions générales des hospitalisations qu'elles ont vécues et parfois plus spécifiquement comme lors de l'utilisation de mesures coercitives comme l'isolement ou la contention.

L'analyse de notre matériau nous a permis d'identifier, à partir des commentaires évoqués pendant les entrevues, deux réactions distinctes quant au trouble psychique diagnostiqué. Cela nous a permis de regrouper les personnes de notre échantillon en deux catégories : soit les personnes considérant au moment de l'entrevue que leur état mental présentait effectivement un danger pour elles-mêmes ou pour autrui en raison de leur état mental, soit celles ne considérant pas que leur état mental présentait un danger pour elles-mêmes ou pour autrui et n'ayant pas de problèmes de maladie mentale.

1.1 Première catégorie : les personnes qui se considèrent malades et-ou dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui

Cinq personnes sur treize que nous avons rencontrées se considèrent malades et parfois même dangereuses pour elles-mêmes ou pour autrui. Carl, Évelyne, Gilles, Michel et Yvan reconnaissent, à un moment ou à un autre du processus d'internement involontaire, avoir un problème de santé mentale. Afin d'identifier les particularités des perceptions et de faire ressortir les nuances, nous avons créé deux sous-catégories : les personnes connaissant leur problème de santé mentale avant même d'être hospitalisées et enfin, celles le reconnaissant à l'intérieur du processus de l'hospitalisation.

1.1.1 Première sous-catégorie : reconnaissance avant l'hospitalisation

Les personnes de cette sous-catégorie, soit Carl, Évelyne et Gilles, racontent avoir des problèmes de santé mentale et sont tous suivies depuis plus de dix années en psychiatrie. Pour Carl et Évelyne, il est clair qu'ils étaient malades, et ce, bien avant leur récent séjour à l'hôpital. Mais de plus, ils considéraient que leur état mental présentait un danger pour eux-mêmes ou pour autrui. " Bien oui, je le sais que j'étais malade, puis je le sais que j'étais dangereuse "(Évelyne). Évelyne, qui est suicidaire depuis déjà plusieurs années, considère que son état mental présentait un danger pour elle-même. Tandis que Carl, lui, considère que son état mental a déjà présenté un danger pour autrui :

(…), j'ai déjà pris l'autoroute puis crisse on était…on dirait que je descendais une piste de ski tsé…je ridais en crisse! Puis il y avait trois personnes avec moi puis si il avait fallu que je manque mon coup là…j'aurais pu en tuer une couple. Si on n'appelle pas ça dangereux, je ne sais comment on appelle ça (Carl).

Toutefois, Carl et Évelyne ne prenaient plus de médication. Quant à Gilles, il a été diagnostiqué maniaco-dépressif en 1991. Il reconnaît avoir des problèmes de santé mentale mais ne se considère pas que son état mental présente un danger ni pour lui-même ni pour autrui. Périodiquement, il est hospitalisé afin que sa médication soit ajustée.

1.1.2 Deuxième sous-catégorie : reconnaissance lors de l'hospitalisation

Michel et Yvan, quant à eux, refusent d'admettre avoir un problème de maladie mentale. Ils sont tous deux suivis depuis moins de deux par la psychiatrie. " Non, moi je ne croyais pas que j'étais malade ", raconte Michel. Yvan, pour sa part, est même persuadé que c'est sa femme ainsi que ses trois fils qui ont un problème : " c'était vraiment eux autres qui avaient besoin d'aide, pas moi "(Yvan). Tous les deux sont hospitalisés suite aux démarches légales entreprises par leur femme. Ils réalisent alors avoir un problème, et ce, quelques heures ou quelques jours après l'admission à l'hôpital.

Ensuite je me suis rendu à l'hôpital, puis ma femme est venue me rejoindre durant la soirée…puis là je ne voulais pas…à première vue, je ne voulais pas la rencontrer là parce que çà m'a vraiment frustré…mais ma réaction négative n'a pas duré longtemps quand même, je me suis fait une raison là…Avant la fin de la soirée là…je comprenais que ça pouvait être difficile pour ma femme de procéder autrement (Michel).

(…) là je commençais à comprendre que…il se passait quelque chose puis que c'était peut-être mieux pour moi que je comprenne que je n'étais pas correct (Yvan).

1.2 Deuxième catégorie : les personnes ne se considérant pas dangereuses et n'ayant pas de problèmes de maladie mentale

Les huit autres personnes que nous avons rencontrées ne considèrent pas avoir de problèmes de maladie mentale. Dany, Judith, Lise, Lorraine, Marie, Pauline, Ricardo et Violaine refusent le diagnostic des psychiatres lors de leur hospitalisation involontaire, de même qu'elles n'acceptent en aucune manière cette idée que leur état mental présente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui. Pour quatre d'entre elles (Dany, Judith, Lorraine, Violaine), il s'agit d'une première hospitalisation en psychiatrie. Aussi, toutes ces personnes ont en commun de se sentir les victimes d'une injustice considérable, et ce, du début jusqu'à la fin du processus d'internement involontaire. Ils considèrent tous que leurs propos ou leur attitude ont été faussement interprétés. Afin d'identifier les particularités de leur perception et de faire ressortir les nuances dans la manière dont leurs propos et comportement ont été interprétés, nous avons créé trois sous-catégories : les personnes qui parlent en termes de " down " temporaire et de tristesse plutôt que de maladie mentale, celles qui affirment que leurs propos ou leur comportement ont été mal interprétés, celles qui expliquent que leurs agissements ont été considérés extravagants.

1.2.1 Première sous-catégorie : les personnes qui parlent de " down " temporaire et de tristesse

Les personnes de cette sous-catégorie, soit Lorraine et Marie, sont toutes les deux extrêmement choquées d'avoir été considérées mentalement malades lorsqu'elles étaient tristes et qu'elles avaient besoin de réconfort et de soutien dans un moment difficile de leur vie respective. Elles parlent de " baisse temporaire " et de " peine " plutôt que de trouble psychique. Rappelons que Lorraine a tenté de mettre fin à sa vie en avalant de l'aspirine après que son mari l'ait définitivement quittée. Elle dira alors : " ce n'est pas ma tête qui était malade, c'est mon cœur ". Quant à Marie, elle a déclaré qu'elle espérait ne pas en arriver au point de passer à l'acte. Elle explique que " c'était rien qu'une période de baisse temporaire, éphémère. (…). Je n'étais pas dangereuse! Je n'étais pas dangereuse "!

1.2.2 Deuxième sous-catégorie : les personnes qui affirment que leurs propos ou leur comportement ont été mal interprétés.

Dany, Lise et Violaine soulèvent le fait que leurs propos ou leurs agissements ont été mal interprétés. Dans le cas de Dany, le fait qu'il se prépare à aller passer quelques jours seul dans un chalet dans le bois est mal interprété par son ami Marc, raconte-t-il :

Ça a commencé par un ami à moi qui…(…), je suis passé chez lui un soir pour lui dire que je m'absentais de la ville pour dix ou douze jours, étant donné que j'avais beaucoup de projets…et que j'avais un certain laps de temps où je pouvais me permettre de respirer et puis aller voir ce que je voulais travailler sérieusement comme projet (…). Cet ami-là en question ne comprenait pas que je veuille partir, il m'a vu échapper une tie wrap, qui est un objet pour attacher…beaucoup utilisée dans la construction, dans l'électricité aussi. C'est une attache qu'un autre ami m'avait donnée une heure plus tôt, sans avoir de problème à me la remettre, mais lui, il voit tomber ça par terre, il pense que ça peut me servir au suicide, il pense que partir à l'extérieur ce n'est pas bien, (…) (Dany).

Enfin, dans le cas de Lise, encore aujourd'hui elle considère que les deux policières en devoir ont interprété ses propos en extrapolant sur ses intentions :
Puis là je discutais avec la policière là, puis à un moment donné elle a eu un téléphone, puis elle a raccroché, je sentais qu'elle n'était pas toute là là. Tsé elle avait encore la tête au téléphone, puis moi j'étais tannée, fait que j'ai dit : " écoute à la limite ce que je vais faire c'est que je vais faire sauter la serrure! (rire) J'ai dit là je vais la tenir…(inaudible) avec le fusil, puis là je vais lui dire appelle la police ". (…). Fait que elle, tout ce qu'elle a compris là c'est que j'étais pour avoir un fusil. Mais j'ai dit…j'avais dit : " à la limite ce que je pourrais faire ", ok? (…). Quand tu es vis-à-vis un problème, tu sors toutes les solutions possibles et impossibles, les plus niaiseuses, les plus…puis après ça tu élimines! (…). Sauf qu'elle ne m'a pas demandé " es-tu capable de toucher à un fusil " ou quelque chose comme ça. (…). Sauf qu'elle s'est levée, elle est allée voir sa supérieur, puis là elle est revenue, puis il y avait deux infirmiers, puis ils ont dit : " là tu restes calme et tu t'en viens avec nous autres en psychiatrie " (Lise).

Quant à Violaine, qui s'est rendue à l'hôpital pour des douleurs à l'abdomen, elle se demande encore aujourd'hui comment on a pu considérer que son état mental présentait un danger pour elle-même. Malgré qu'elle ne mentionne pas comme tel le fait que son comportement a été mal interprété, ses propos nous le révèlent : " je ne sais pas pourquoi…sur quoi ils se sont basés pour dire que j'étais dangereuse pour moi-même. (…). Si j'avais été si dangereuse, oui peut-être que je me serais suicidée chez moi, je me serais pas rendue à l'hôpital, premièrement (Violaine).

1.2.3 Troisième sous-catégorie : les personnes qui expliquent que leur comportement a pu paraître extravagant

Judith, Pauline et Ricardo affirment qu'à certains moments, leur comportement a pu paraître extravagant.

Non, la seule chose que j'ai faite qui est un peu…hors des bornes là, puis évidemment chez nous on a été élevé très très…bien pas strict mais dans notre droit chemin, ça a été le fait que j'ai rencontré, que je me suis adonnée à rencontrer des gens qui consommaient de la cocaïne. Fait que moi à un moment donné, parce que la pression était assez élevée à la maison, j'ai pris une chambre de motel et puis je les ai invités à venir pour jaser et discuter. Certains pourraient dire que c'était très dangereux de faire ça. Moi je suis curieuse de nature, puis il n'y a rien qui peut m'atteindre, ça je suis comme ça depuis que je suis haute comme trois pommes tsé! Alors il ne s'est rien passé de méchant ou de…ces gens-là ne m'ont pas volée, de toute façon je ne me suis pas exposée devant ces gens-là non plus, je ne suis pas conne là! (Judith)

Judith explique qu'elle voulait en savoir davantage sur la consommation de cocaïne en raison d'un collègue du bureau qui était cocaïnomane. Pauline, elle, dit être consciente que les gens autour d'elle la trouvent parfois un peu drôle car lorsqu'elle parle, elle aime faire des jeux de mots :

Je n'étais pas du tout un danger pour moi-même, (…), bon peut-être que les gens me trouvaient drôle parce que des fois j'avais beaucoup beaucoup de jeux de mots et puis tout ça mais on n'enferme pas quelqu'un parce qu'elle fait des jeux de mots là! (Pauline)

Enfin, Ricardo raconte avoir été étiqueté après avoir loué une chambre d'hôtel. À plusieurs reprises, lorsqu'il sortait tard au centre-ville, il se louait une chambre plutôt que de rentrer chez lui. Il ajoute qu'il comprend que certains de ses comportements ont été perçus comme étant extravagants.

(…). Dans les hôtels, ce que je faisais c'est que vu que je…j'étais beaucoup dans les bars, donc je me louais une chambre d'hôtel, puis avec mon problème de dos je mettais le chauffage au maximum. Je visitais tous les clubs puis je passais le restant de la nuit là là à me reposer. Ça, encore là, c'est un truc qui s'est retrouvé dans le dossier quand même, (…) (Ricardo).

En ayant regroupé les trajectoires des personnes selon leur degré de vraisemblance en fonction des deux pôles déjà identifiés, nous avons pu ainsi discerner des sous-catégories. Pour les personnes maintenant reconnaissantes de l'aide offert, il ressort que la distinction majeure s'est effectuée entre celles ayant une expérience de la maladie et du système de soins psychiatriques avant d'être hospitalisées de nouveau et les autres qui en sont à leur début dans le traitement de leur maladie. Quant aux personnes percevant toujours le processus d'admission comme arbitraire et non requis, leur refus de se reconnaître atteint d'un trouble mental s'accompagne toutefois pour deux personnes d'une certaine perception qu'elles n'allaient pas bien; les sept autres personnes estiment plutôt qu'il s'agit d'une réaction d'incompréhension de leur réseau social ou de personnes en autorité vis-à-vis de ce que certaines nomment une " dérangosité ".

Chapitre Vl

PERCEPTION DU DISPOSITIF D'AIDE


Dans le chapitre suivant, nous aborderons les perceptions individuelles des personnes interviewées quant au cadre institutionnel dans lequel elles ont été hospitalisées, c'est-à-dire la manière dont elles perçoivent le dispositif d'aide dans son ensemble. Comment ont-elles perçu leur relation avec le personnel soignant? Ont-elles eu le sentiment d'être traitées avec dignité? Ont-elles été informées convenablement tout au long de leur séjour?

L'analyse de notre matériau nous a permis de distinguer, à partir des commentaires évoqués pendant les entrevues, deux grandes tendances dans les perceptions quant au dispositif d'aide : soit les personnes se disant satisfaites du cadre institutionnel dans lequel elles ont été hospitalisées, soit celles se disant insatisfaites de celui-ci. Nous avons donc regroupé des personnes de notre échantillon à partir de ces deux axes principales. Trois sous-catégories, et ce, afin de faire ressortir les nuances dans le discours des personnes se disant insatisfaites du cadre institutionnel, nous permettrons d'identifier les particularités des perceptions.

1.1 Première catégorie : les personnes se disant satisfaites du cadre institutionnel

Trois personnes sur treize que nous avons rencontrées se disent non seulement satisfaites mais très satisfaites du dispositif d'aide. Gilles, Michel et Yvan affirment clairement, et ce, à plusieurs reprises pendant l'entrevue, qu'ils sont pleinement satisfaits du dispositif d'aide mis à leur disposition ainsi que des services qu'ils ont reçus tout au long de leur hospitalisation. Gilles est peu bavard lors le l'entrevue mais son sourire en dit long sur sa satisfaction du dispositif d'aide. Il dit simplement qu'ils ont tous été " bien corrects " avec lui. Michel, lui, explique la raison pour laquelle il a fait confiance au personnel soignant : " (…), le contact était bon avec les médecins. C'est pour ça que je leur ai fait confiance là, ils m'ont bien accueilli, puis ils ont pris le temps de m'expliquer…des choses sur ma maladie ". Il parle aussi de la gentillesse ainsi que de la compréhension de la part des membres du personnel : " Il faut dire qu'il y avait beaucoup de gentillesse chez le personnel, de la compréhension, les gens étaient patients, ils comprenaient qu'on avait un problème, qu'il fallait… ". Quant à Yvan, il parle de la qualité de l'expérience du personnel soignant :

Bien le personnel était vraiment, c'était du monde qui avait beaucoup d'expérience et qui savait, ils étaient capables d'aider et de supporter ma famille puis de leur dire que moi j'étais pour m'en sortir, puis de redevenir normal (Yvan).

Il précise qu'il n'aurait pas pu " s'en sortir " sans l'aide de l'hôpital : " Toutes les gardes-malades, les docteurs, partout ils étaient formidables avec moi puis je n'aurais pas été capable de m'en sortir sans l'aide de l'hôpital, (…) et l'aide de ma femme ".

Lorsque nous leur demandons si ils considèrent avoir été traités avec dignité pendant leur séjour, tous les trois répondent par l'affirmative. Gilles nous répond à peu près ceci : " Ah oui! Ah oui! ". Michel est un peu plus explicite sur la question :

J'ai toujours été très bien accueilli par le personnel médical, puis par le personnel infirmier. On ne m'a jamais…je dirais…manifesté de dénigrement ou de mépris ou de…d'attitudes négatives à mon égard. On m'accueillait là…on essayait de m'expliquer…que c'était nécessaire dans ma situation que je sois hospitalisé puis…on prenait le temps de me parler puis de…(Michel).

Enfin, Yvan, en plus de s'être senti traité avec dignité, il nous dit qu'il s'est senti encouragé, lui, ainsi que sa famille, par les membres du personnel :

(…) et puis ils ont toujours gardé patience…ils ont toujours été très très bien avec moi, même quand moi je contais des affaires qui n'avaient pas de sens…eux autres ils étaient toujours là pour encourager ma femme, puis mes garçons qu'un jour, moi, je sortirais de là. Je n'ai pas eu aucune expérience négative avec le staff, avec les docteurs puis les gardes-malades (Yvan).

Gilles, Michel et Yvan ont d'autres caractéristiques en commun : ils ne considèrent pas que leur état mental présente un danger pour eux-mêmes ou pour autrui mais reconnaissent être aux prises avec des problèmes de maladie mentale. Ils ont également vécu leur hospitalisation contre leur gré de manière positive et considèrent avoir été traités avec dignité. Aucun d'entre eux n'a vécu la contention. Ce qui est récurrent dans leurs propos concernant les rencontres périodiques avec leur psychiatre, c'est la qualité de la communication et du dialogue ainsi que l'accessibilité aux informations relatives à leur situation. Nous constaterons, dans ce qui suit, que les dix personnes se disant insatisfaites du dispositif d'aide se plaignent, au contraire, du manque d'information disponible tout au long de leur séjour.

1.2 Deuxième catégorie : les personnes se disant insatisfaites du cadre institutionnel

Dix personnes sur treize que nous avons rencontrées se disent insatisfaites du dispositif d'aide dans son ensemble. Carl, Dany, Évelyne, Judith, Lise, Lorraine, Marie, Pauline, Ricardo et Violaine affirment être insatisfaits du dispositif d'aide mis à leur disposition ainsi que des services qu'ils ont reçus tout au long de leur hospitalisation. Toutefois, Judith, Lorraine et Ricardo soulèvent tous les trois avoir eu certaines interactions positives avec quelques membres du personnel soignant tandis que Carl et Évelyne ont en commun le fait d'avoir rencontré une personne parmi l'ensemble du personnel soignant avec laquelle ils ont eu une relation significative voir aidante. Nous avons donc créé trois sous-catégories afin d'identifier les particularités des perceptions de chacun et de faire ressortir les nuances :

1.2.1 Première sous-catégorie : les personnes affirmant être totalement insatisfaites du cadre institutionnel

Les personnes de cette sous-catégorie, soit Dany, Lise, Marie, Pauline et Violaine, affirment clairement et avec conviction qu'ils sont totalement insatisfaits du dispositif d'aide mis à leur disposition ainsi que des services qu'ils ont reçus tout au long de leur hospitalisation. Dany en a long à dire sur son séjour en psychiatrie. Les expressions qu'il utilise, afin de décrire le dispositif d'aide, sont celles-ci : " Agressé, contrôlé, observé. Étudié là comme un espèce de rat de laboratoire, pris dans ma cage là ", " Comparable à la goutte chinoise, japonaise là. C'est la torture…c'est le supplice japonais (…) ", " C'est des systèmes 'répressionères' (répressifs)…des dictatures là, c'est une force brute ", " manipulation totale. (…). C'est dégueulasse! ". Lise, elle, dit que les médecins ne posent jamais de questions afin de vérifier les choses. Ils font leur propre analyse personnelle et posent un diagnostic qui n'est pas vrai. Lorsqu'elle parle du personnel soignant, elle dit ceci : " Je n'ai reçu aucun support! ".

Je les sentais très fatigués, puis pas prêts à écouter pantoute, eux autres, ils ont leur idée, c'est eux autres qui sont corrects puis les autres ne le sont pas ". (Lise)

Marie explique que l'atmosphère en psychiatrie était très amorphe. Elle dit détester aller à l'hôpital. Lorsque nous lui demandons de nous parler de la nature du lien thérapeutique avec son psychiatre, elle répond : " C'est frette, nette, sec! ".

Les psychiatres? Je n'aime pas beaucoup les psychiatres. Disons que le dialogue est plutôt limité, il est restreint! (…). Des injections ou des pilules là…des médicaments, des injections, des comprimés " (Marie).

Quant à Pauline, elle dit avoir vécu un combat de pouvoir à l'hôpital. Elle rapporte que sa psychiatre l'a traitée de " vraiment têtue ". Elle qualifie la psychiatrie de " pire qu'une prison! ".

Je sentais qu'on ne respectait pas du tout ma décision, on ne m'a pas demandé du tout pourquoi je ne les prenais pas les médicaments? On ne m'a pas demandé du tout quel était mon vécu? On a aucune idée qui c'était Pauline Boudreau ( Pauline).

Ses relations avec le personnel soignant en général sont plutôt superficielles, nous dit-elle :

Non, non, non, non. Je n'ai pas eu d'occasion de parler, d'échanger avec quelqu'un…Les infirmières venaient, elle s'assoyaient 5, 6 minutes, oups! Ça sonnait au poste, elles retournaient au poste, elles allaient, elles venaient…Il fallait écrire quelque chose…(Pauline).

Enfin, Violaine est très en colère contre tout le personnel soignant de l'hôpital. Elle dit avoir eu l'impression que son psychiatre faisait " juste prescrire des médicaments ". Elle considère que ce ne sont pas des soins qu'on lui a administrés : " Ah! Bien là je vous le dis franchement là ce qu'ils ont fait avec moi ce ne sont pas des soins ça. Ce ne sont pas des soins du tout, c'est du 'maltraitage' ".

Lorsque nous leur demandons si ils considèrent avoir été traités avec dignité pendant leur séjour, ils répondent ceci : "…tu te sens comme un fou puis c'est la moindre des choses qu'on écoute pas un fou parce que… " (Dany). Marie, elle, qui a vécu la contention, nous dit ceci : " Ah! Enragée! Enragée! Frustrée! Si j'avais eu de quoi, je l'aurais cassé. Il fallait que je me défoule. Ce n'était pas humain! C'est pas humain! ". Quant à Pauline, il y a eu un long silence avant qu'elle réponde à notre question :

J'ose croire que les gens avec lesquels j'ai été en contact m'ont traitée au meilleur de leurs connaissances, dans ma perception à moi dès qu'on atteint la liberté de quelqu'un on ne peut pas prétendre respecter sa dignité, c'est fondamental! Quand on attache quelqu'un pour l'injecter!…bien on le sait qu'on ne respecte pas la dignité de la personne! Et non, il n'y avait aucun respect pour la dignité…Je crois que quand on me laissait promener en jaquette…et qu'on me forçait de rester en jaquette…il n'y a aucun…aucune dignité là-dedans…(Pauline).

Enfin, Violaine, n'est pas le seule personne interviewée qui affirme s'être sentie traitée comme un animal :

Moi…je déplore beaucoup ce qu'ils ont fait avec moi. Je pense que la piqûre qu'ils m'ont faite là je n'avais pas besoin de ça du tout. Ce n'était pas ça que j'avais besoin. (…). Ils se servent…on dirait qu'ils se servent du monde ils…je peux dire…moi là je me suis sentie traitée comme un animal!…ce n'est pas compliqué là…comme un animal! Tsé…ils ne m'ont pas parlé rien, puis shoot! Ils m'ont piquée that's it! (…). C'est comme si quasiment…parce que tu es rendu en psychiatrie tu n'as plus de droits tsé…tu n'es plus un être humain (Violaine).

Dany, Lise, Marie, Pauline et Violaine ont d'autres caractéristiques en commun : ils ne considèrent pas que leur état mental présentait un danger pour eux-mêmes ou pour autrui, ils ne considèrent pas être aux prises avec des problèmes de maladie mentale, et ils ont également vécu leur hospitalisation contre leur gré de manière traumatisante. Quatre d'entre eux, soit Dany, Marie, Pauline et Violaine, ont vécu la contention. Il est intéressant de souligner que ce sont les personnes ayant vécu de la contention qui parlent d'atteinte à leur dignité. Lise, qui n'a pas vécu la contention, ne répond pas directement à la question soulevée sur la dignité.

1.2.2 Deuxième sous-catégorie : les personnes affirmant avoir eu des interactions positives avec quelques membres du personnel

Les personnes de cette sous-catégorie, soit Judith, Lorraine et Ricardo, affirment eux aussi être insatisfaits de manière globale du dispositif d'aide mis à leur disposition ainsi que des services qu'ils ont reçus tout au long de leur hospitalisation. Cependant, ils soulignent avoir eu, à quelques reprises, des interactions positives avec certains membres du personnel soignant.

À son admission à l'hôpital, Judith a été rencontrée par une stagiaire en psychiatrie. Elle dit ne pas s'être sentie avec une personne d'expérience ni compétente. Suite à cette brève rencontre, elle voit une psychiatre. Judith essaie d'émettre son opinion mais ne se sent pas écoutée : " Non parce qu'elle est partie sur une mauvaise tangente puis tu essaies d'apporter autre chose, puis non, parce que moi en aucun temps ai-je été consultée "? Pour ce qui est des interactions positives avec certains membres du personnel soignant, Judith dit ceci : " Tsé on avait un préposé qui venait nous jouer de la guitare le soir puis tsé il était 'cute' comme un cœur. (…). Mais ce qui était bien c'est ça c'est qu'on avait un peu 'd'entertainment '".

Je ne peux pas parler contre le personnel de l'hôpital, je ne peux pas, parce que tsé ils font leurs huit heures puis…tsé ils sont fonctionnaires comme tout le monde. Puis ce n'est pas nécessairement facile ce qu'ils font. Leur travail n'est pas facile. (…). Mais c'est des gens vraiment…tsé il faut le faire…il faut le faire! Parce que…tsé il faut être de bonne humeur tout le temps…(Judith).

Lorraine explique qu'elle aurait aimé qu'on lui parle davantage et qu'on lui demande si elle avait réellement l'intention de tenter de s'enlever la vie pour une deuxième fois. Elle aurait aimé qu'on lui fasse confiance et qu'on la laisse retourner chez elle.

Puis le médecin me dit tout de suite : " tu restes ici, je ne veux pas savoir non plus ce que tu veux faire, ce que tu fais…tu restes ici parce que ton médecin qui t'a envoyée a dit que tu étais suicidaire. Je ne veux pas savoir rien de toi, ce que tu me dis ça ne m'intéresse pas, ta parole ne vaut rien! " (Lorraine).

En plus d'être constamment épiée, Lorraine s'est sentie traitée comme une " criminelle! ". Elle dit s'être sentie " jugée " par sa psychiatre et qualifie de très très froid le lien thérapeutique avec elle : " C'était même dans le très froid : 'Je suis et tu n'es rien!'. Ça a été vraiment le sentiment là : 'Je suis et tu n'es rien! ".

Quant au personnel soignant, " il était très cordial. (…). Les préposés ça allait, les infirmières c'était très bien ". Lorraine nous résume ainsi son rapport avec le personnel soignant en général : " Respect oui, de la part des infirmières, de la part des préposés oui. Mais…pour le reste là, pour ce qui est des professionnels entre parenthèses, non! C'est là qu'on voit que la marche est grande ".

Ricardo, lui, est choqué du fait que sa première rencontre avec son psychiatre n'ait duré que six minutes : " (…), j'ai chronométré le temps que je fais avec lui, puis là en parlant j'ai remarqué sur ma montre, six minutes, six minutes pour se faire un jugement pour me dire : " ha! je pense que tu es en crise! ". De plus, il dit que son psychiatre lui mentait : " …tsé il y a plein de choses cachées qu'on ne m'a pas dit là ". Pour ce qui est des interactions positives avec certains membres du personnel soignant, il explique simplement que le personnel du soir " était plus 'parlable' en général ". Plusieurs membres du personnel allaient s'asseoir avec les patients pour jaser, jouer aux cartes ou aux échecs. " Certains étaient intéressants ", ajoute-t-il.

Lorsque nous leur demandons si ils considèrent avoir été traités avec dignité pendant leur séjour, ils répondent ceci :

Le seul temps que je n'ai pas été traitée avec dignité là ça a été à mon arrivée à l'étage en psychiatrie, puis le fait d'être prise en jaquette. Ça on…je ne voyais vraiment pas quel mal il y avait à ce que je puisse être habillée…en plein jour là, sincèrement là je ne voyais pas le besoin de ça. Vraiment pas (Judith).

Lorraine, elle, a réagi avec émotion et avec colère lorsque nous avons soulevé le concept de dignité : " Eee…je vais te dire : dignité? Non! Parce que ta parole ne vaut rien, contrairement à celle d'un médecin ". Quant à Ricardo, il répond qu'il ne s'est pas toujours senti traité avec dignité : " Bien pas à chaque étape…mais il y a des gens qui ont bien fait leur travail…Mais c'est sûr tu remarques plus ceux qui le font moins bien… (…). Les policiers ont été corrects ".

Judith, Lorraine et Ricardo, tout comme l'ensemble des personnes de la sous-catégorie précédente, ont les caractéristiques suivantes en commun : ils ne considèrent pas que leur état mental présente un danger pour eux-mêmes ou pour autrui, ils ne considèrent pas être aux prises avec des problèmes de maladie mentale, et ils ont également vécu leur hospitalisation contre leur gré de manière traumatisante. Seulement Ricardo a vécu la contention. Toutefois, contrairement à la sous-catégorie de Dany, Lise, Marie, Pauline et Violaine, il est intéressant de souligner que ce sont cette fois les personnes n'ayant pas vécu de contention qui parlent d'atteinte à leur dignité; soit Judith et Lorraine. Elles affirment toutefois avoir été victimes de mesures coercitives tel que le port obligatoire de la jaquette portant directement atteinte à leur dignité. Ricardo, lui, qui a vécu la contention, ne répond pas de manière détaillée à la question soulevée sur la dignité.

1.2.3 Troisième sous-catégorie : les personnes affirmant avoir rencontré une personne parmi l'ensemble du personnel soignant avec laquelle ils ont eu une relation significative voire aidante.

Les personnes de cette sous-catégorie, soit Carl et Évelyne, n'ont pas la même perception quant à leur séjour en psychiatrie. Carl, lui, insatisfait de manière globale du dispositif d'aide mis à sa disposition mais ayant eu à quelques reprises des interactions positives avec certains membres du personnel soignant, fait donc parti de la deuxième sous-catégorie, soit avec Judith, Lorraine et Ricardo. Quant à Évelyne, qui affirme être très insatisfaite du dispositif d'aide mis à sa disposition, fait donc partie de la première sous-catégorie, soit avec Dany, Lise, Marie, Pauline et Violaine. Cependant, ils affirment tous deux avoir rencontré une personne parmi le personnel soignant avec qui ils ont eu une relation très positive voire même déterminante dans leur cheminement respectif. Cette particularité nous a semblé assez significative pour en faire une sous-catégorie à part entière.

Lorsque nous demandons à Carl ses impressions générales quant au dispositif d'aide, il répond : " Ah! un gros manque de communication! ". Il s'explique :

C'est parce que quand tu es là, tu veux sortir tsé…tu veux sortir mais eux autres ne te parlent pas assez de…on dirait qu'ils ne reviennent pas assez sur le fait que tu as été malade souvent, puis expliquer ta maladie puis dire il faut que…tsé…c'est…tu vas sortir quand tu vas être prêt à sortir puis…bientôt…ça va bien…ça va bien…tsé mais ils approfondissent pas puis quand tu es là, toi la seule chose que tu penses c'est de sortir, fait que tu ne penses pas vraiment au bobo, puis parler tsé…mais ça serait bon que le monde tsé t'en parle, les gens qui sont là, les professionnels, (…). (Carl).

En plus de s'être senti obligé de prendre la médication prescrite par son psychiatre, " ce n'est pas propose mais impose ", il dit que personne ne lui a parlé des effets secondaires possibles. Il ajoute ceci : " Je trouve là…que les centres hospitaliers manquent d'expérience au point de vue…mental. À la longue, ils vont venir qu'à prendre le dessus là…à force…à force de jouer avec des cobayes, ils vont venir qu'à faire de quoi! (rire) ".

Mais Carl parle aussi d'interactions positives avec certains membres du personnel soignant : " Oui, non, la majorité c'était correct. (…). En tout cas, il y en a qui font très bien leur travail, il y en a des bons comme des moins bons comme partout ailleurs tsé ". Outre quelques interactions positives ici et là avec quelques membres du personnel soignant, Carl nous raconte avoir rencontré une personne très significative lors de son dernier séjour à l'hôpital. Pour la toute première fois, et ce, malgré avoir été hospitalisé en psychiatrie entre dix ou douze fois dans sa vie, un membre du personnel soignant est " assez compétent " pour lui parler, dit-il :

(…), je vais te dire…c'était la première fois…parce que moi je me suis fait hospitaliser…quasiment…je ne sais pas, dix, douze fois là dans ma vie là. Puis c'était…je pense que c'est la première fois qu'il y avait un infirmier là…qui s'assoyait avec moi, qui était assez compétent pour me parler puis tout là tsé. J'en ai vu un là là , tsé lui il était correct en tabarouette! Ben lui, c'est parce que qu'il avait plus de bagage tsé…c'est un gars je pense qui vendait des produits naturels, puis en plus c'était un gars qui était bien calé là tsé. Il parlait de toutes sortes d'affaires. Il disait : " Carl réfléchit à ça, puis pense à ça, puis je vais revenir te parler ". Je réfléchissais toute la soirée, puis il revenait, puis là je lui posais des questions. Ce gars-là il m'a fait allumer bien gros! Ben plus que tous les psychiatres que j'ai eus dans ma vie! (Carl).

Quant à Évelyne, elle dit qu'elle avait peur d'être gardée en psychiatrie pour toujours. Elle aurait aimé être informée davantage sur la durée de son séjour ainsi que sur les effets secondaires de la médication prescrite par son psychiatre :

Ça là ce n'est pas correct! Habituellement ils sont supposés de nous mettre au courant de nos affaires puis nous sécuriser. Puis quand ils nous donnent des médicaments, ils sont supposés de nous donner les effets secondaires puis ça on est pas informé (Évelyne).

Lorsqu'elle nous parle de l'ergothérapeute, elle dit ceci : " Elle me traitait comme si j'avais deux ans. (…). Ah! personne ne m'écoutait là-dedans. On m'interdisait de parler! On me coupait la parole! ". Elle affirme qu'on ne peut pas faire confiance au personnel soignant : " On a pas d'aide….on ne peut pas faire confiance à personne en psychiatrie…aucune infirmière…aucune à qui on a pu faire confiance! Aucune! ". Évelyne a cependant rencontré, nous dit-elle, une personne très significative lors de son dernier séjour à l'hôpital :

(…)…il y a un seul médecin que j'ai eu confiance! C'est celui qui s'occupe des suicides. Lui je l'ai vu, il a été correct, il est tout le temps souriant, il nous fait rire, on oublie qu'on souffre…Lui il nous aide! (…). Mais lui j'aurais aimé le garder tout le temps comme médecin! Il est…il a…comment je pourrais dire? Il a la trempe…il a tout ce qu'il faut pour nous sauver, puis nous aider, pour nous aimer, il nous donne tout! Puis il donne son corps, son âme et il fournit tout de lui-même pour qu'on monte la côte (Évelyne).

Lorsque nous leur demandons si ils considèrent avoir été traités avec dignité pendant leur séjour, Carl répond par l'affirmative. Il ajoute que ses droits ont été respectés également. Évelyne, elle, répond par la négative : " Non, pantoute! Ce n'est pas comme ça on n'en a pas de respect. Ils faisaient les 'smarts' pour nous forcer à prendre des médicaments puis c'est tout! ". Elle dit aussi : " Puis comme on est des riens, puis on est comme des chiens attachés là-bas, puis il faut faire le petit chien, puis l'esclave, bien là tout ce qui nous reste comme force c'est de se soutenir ensemble les patients ". Un peu plus loin pendant l'entrevue, Évelyne ajoute ceci :

Puis…on est traité comme un numéro. Puis…un cobaye…plus un cobaye qu'un numéro. Puis on est là pour leur expérience plus que pour notre état de santé qu'on soit guéri, on…parce qu'on a besoin de soins. Eux autres, ce n'est pas ça qu'ils regardent, eux autres c'est un dossier, un numéro, un cobaye, puis eux autres c'est avancer la science dans leur profession, c'est avancer la science. Comme là c'est la psychiatrie, eux autres c'est spécialité de la psychiatrie…faire des recherches sur des vivants. Sur du monde comme ça, chaque patient qui rentre c'est une recherche scientifique qu'ils font (Évelyne).

Carl et Évelyne ont d'autres caractéristiques en commun : ils considèrent à la fois être aux prises avec des problèmes de maladie mentale et que leur état mental présente un danger pour eux-mêmes ou pour autrui. Aussi, ils sont reconnaissants de la diminution des symptômes de leur trouble psychique, et ce, grâce à la médication. Mais Carl considère avoir été traité avec dignité et a vécu son hospitalisation contre son gré de manière positive tandis qu'Évelyne ne considère en aucune manière avoir été traitée avec dignité et a vécu son hospitalisation de manière traumatisante. Ils ont tous les deux connu la contention.

Il est intéressant de souligner que les dix personnes se disant mécontentes du dispositif d'aide dans son ensemble ainsi que des services qu'ils ont reçus tout au long de leur hospitalisation, soit Carl, Dany, Évelyne, Judith, Lise, Lorraine, Marie, Pauline, Ricardo et Violaine, sont tous insatisfaits du lien thérapeutique avec leur psychiatre. Tous, sans exception, et ce, malgré que certains d'entre eux ont eu quelques interactions positives avec certains membres du personnel soignant, sont grandement déçus du lien thérapeutique avec leur psychiatre. Ce qui est récurrent dans leurs propos concernant les rencontres périodiques avec leur psychiatre, c'est le manque d'informations obtenues ainsi que le manque de communication. Afin d'illustrer le sentiment des personnes à l'égard du lien thérapeutique avec le psychiatre, nous reprendrons ici quelques citations :

" Bien le psychiatre c'était pas mal comme avant. Il n'y a pas grand-chose qui se discutait là…à part des congés, il ne me parlait pas de grand-chose. (…). Non, non, ils ne te disent pas, ils ne t'expliquent pas grand-chose en dedans (Carl).

(…), puis combien de temps il va falloir que je reste là? Un autre gros irritant là, on se demande son logement, faut-il s'en débarrasser? Qu'est-ce qu'on fait? Son cellulaire, est-ce qu'on le débranche? Sa ligne à la maison? (Dany).

(…). Ils ne veulent pas nous dire combien de temps qu'on reste. On en avait assez d'attendre! Si on avait un espoir de sortir ou de ne jamais sortir? Ou sortir si ça prend dix ans ou cinq ans? Ils ne nous donnaient jamais un temps, (…). Puis quand ils nous donnent des médicaments, ils sont supposés nous donner les effets secondaires puis ça on n'est pas informé (Évelyne).

Non parce qu'elle (la psychiatre) est partie sur une mauvaise tangente puis tu essaies d'apporter autre chose, puis non, parce que moi en aucun temps ai-je été consultée (Judith).

C'est ça, les médecins, les policiers, ils ne posent jamais de questions pour vérifier les choses. Non, non, ils analysent puis ils font leur propre analyse personnelle, puis ils déraillent là puis après ça ils posent un diagnostic qui n'est pas vrai (Lise).

Puis le médecin me dit tout de suite : " tu restes ici, je ne veux pas savoir non plus ce que tu veux faire, ce que tu fais…tu restes ici parce que ton médecin qui t'a envoyée a dit que tu étais suicidaire ". Je ne veux pas savoir rien de toi, ce que tu me dis ça ne m'intéresse pas, ta parole ne vaut rien! (Lorraine).

Je n'avais pas grande explication. Il n'y avait pas moyen de savoir grand-chose. Fait que dans ce temps-là quand je vois qu'il n'y a pas moyen de savoir rien…bien je me la ferme puis je me dis " mainque je sorte de l'hôpital, j'en saurai plus long . (…). Les psychiatres? Je n'aime pas beaucoup les psychiatres. Disons que le dialogue est plutôt limité, il est restreint! (Marie).

Bien ils ne te répondent pas parce que tu es folle! Ils ne te répondent pas parce que tu es folle! Pour eux autres, ils se moquent un peu de ce que tu dis parce que pour eux autres tu n'es pas là (Pauline).

(…), tsé il y a plein de choses cachées qu'on ne m'a pas dit là…(Ricardo).

Non, non, pas d'information rien du tout. Il me faisait venir dans son bureau, puis il me laissait parler, il voulait que je parle tsé, il voulait voir comment j'étais probablement…sûrement un peu j'imagine tsé, mais…(…). Il ne m'a jamais…il ne m'a jamais rien dit. Non. Il ne m'a jamais rien dit! Lui là j'ai l'impression il fait juste prescrire des médicaments tsé…(…). Tsé ils ne m'ont pas dit non plus pourquoi qu'ils trouvaient que j'étais dangereuse pour moi-même, tsé...bien non, ils ne m'ont rien dit pantoute… " (Violaine).

Ce chapitre nous a permis de séparer en deux grandes catégories les personnes satisfaites et non-satisfaites quant au dispositif d'aide. Seulement pour trois personnes, une alliance thérapeutique a pu s'établir avec le psychiatre, basée sur une communication constante et une confiance réciproque. Les dix autres personnes sont globalement insatisfaites du dispositif d'aide tout en étant particulièrement déçues de leur rapport avec leur psychiatre. À tout le moins, trois d'entre elles ont eu des interactions positives avec quelques membres du personnel et deux autres ont estimé avoir une relation significative avec une intervenante. Il importe de remarquer que l'une de ces deux personnes (Carl) se trouve in fine dans le pôle positif.

Chapitre Vll

Conclusion


Le croisement des données issues des chapitres précédents révèle que des cinq personnes (Michel, Gilles, Yvan, Evelyne, Carl) s'estimant malades, parfois même dangereuses pour certaines, et reconnaissant toute la pertinence des soins hospitaliers, deux d'entre elles (Evelyne et Carl) seulement adressent des critiques au dispositif d'aide. Toutefois seule Evelyne rejoindra les huit autres personnes qui ont formulé de vives critiques envers le système de soins psychiatriques tout en continuant à contester la nécessité d'avoir été hospitalisées contre leur gré en vertu d'un état mental associé à une dangerosité à soi ou à autrui.

Des quatre personnes reconnaissantes d'avoir été hospitalisées, tous des hommes, deux d'entre elles, Michel et Yvan, ce dernier hospitalisé pour une première fois, ont été fortement soutenues par leurs familles. Elles avaient toutes deux une courte expérience du dispositif de soins. Quant à Gilles et Michel, inscrits tous deux dans une " carrière de malade mental ", le retour du premier s'est déroulé dans le cadre d'un pattern de changement périodique de médication tandis que Carl, malgré ses critiques, apparaît comme un " gain " du système de soins, n'ayant pas fait l'objet d'hospitalisation depuis août 1998. Cette hospitalisation semble constituer un tournant dans une trajectoire qui avait déjà vu une douzaine d'admissions en milieu psychiatrique dont plusieurs involontaires. Lors de ce dernier séjour, par l'intermédiaire d'un ami, il a rencontré une femme qu'il fréquente depuis lors. Ceci a peut-être constitué un facteur aidant dans son changement de perceptions.

Des neuf personnes, les sept femmes et deux autres hommes, maintiennent leurs refus de la pertinence de l'aide thérapeutique apportée, cinq (Judith, Violaine, Lorraine, Ricardo, Dany) ont une expérience récente des soins psychiatriques; c'est-à-dire que la plus ancienne hospitalisation pour l'une d'entre elles remonte à 1999. De celles-ci, trois (Violaine, Dany, Lorraine) ont vécu une première hospitalisation et refusent tout suivi psychiatrique mais Violaine ne peut concrétiser ce refus suite à une ordonnance de traitement d'une durée de 3 ans. Au total, seules trois (Evelyne, Ricardo, Judith) des neuf personnes ayant une perception négative continuent volontairement un quelconque suivi thérapeutique. Il importe de spécifier que Judith est insatisfaite du lien thérapeutique avec son psychiatre et souhaite changer de thérapeute.

Des six personnes (Violaine, Dany, Pauline, Lorraine, Marie, Lise) refusant tout suivi et ayant une perception négative du dispositif d'aide, quatre (Marie, Pauline, Dany, Violaine) ont fait l'objet de mesures coercitives dites exceptionnelles, soit l'isolement et la contention. Trois autres personnes ont subi de telles mesures (Judith, Evelyne, Carl). À noter que des sept femmes, trois d'entre elles (Evelyne, Lise, Marie) ont été victimes de violence conjuguale ou autre sévice; lors de leur hospitalisation, Evelyne et Marie ont été l'objet de ces mesures coercitives.

Malgré le temps passé, l'on constate donc que seulement quatre des treize personnes interviewées ont changé d'idée. Selon la théorie du " Thank you " les personnes, rétrospectivement, seraient pourtant reconnaissantes d'avoir été hospitalisées contre leur gré car, ayant pris du recul, ils percevraient désormais la légitimité de la démarche. Elles n'ont donc pas évolué vers une vision positive de l`internement involontaire; au contraire leurs positions semblent s'être cristallisées. Cette recherche renforce donc le courant dans la revue de littérature (Stasny, 2000, Kaltiala-Heino, Laippala, Salonkangas, 1997, Gardner, 1997) qui estime que l'impact de l'utilisation de l'internement involontaire est tel qu'il réduit la qualité de la relation thérapeutique.

" …le traitement coercitif provoque des sentiments négatifs chez le patient, entraîne des attentives négatives quant à l'impact du traitement, et ne conduit pas à une relation de confiance entre le patient et les professionnels. " (notre traduction) (Kaltiala-Heino, Laippala, Salonkangas, 1997, p.317)

Que six personnes refusent tout suivi thérapeutique dont quatre ayant une expérience récente du système de soins devrait faire l'objet de sérieuses réflexions de la part des intervenant(e)s tout comme le fait que dix personnes sur treize émettent de sévères critiques envers les psychiatres. Évidemment, ceux-ci ont une tâche difficile puisqu'ils sont responsables légalement d'effectuer les évaluations psychiatriques quant à la dangerosité de la personne tout en essayant d'établir une alliance thérapeutique avec celle-ci. Cependant les modèles de meilleures pratiques de psychiatrie communautaire, de psychiatrie citoyenne (Roelandt, Desmons, 2002) développées en des lieux comme Birmingham (Angleterre), Armentières (France) et Trieste (Italie) démontrent que ce n'est pas une mission impossible. Ainsi à Trieste, pour l'année 2001, il y a eu seulement 17 personnes qui ont été obligées de suivre un traitement obligatoire suite à une hospitalisation involontaire; ces personnes ont totalisé seulement 31 semaines d'hospitalisation. Trieste a une population de 247,000 habitants. (Marsili, 2002)

Paraphrasant Gardner, nous pouvons affirmer qu'il n'y pas beaucoup d'évidence que les patients hospitalisés étaient plus tard reconnaissants de l'expérience d'hospitalisation. À fortiori ceci est d'autant plus vrai pour les personnes qui ont été l'objet de mesures d'isolement et de contention. Cette utilisation importante de mesures coercitives comme l'isolement et la contention envers des personnes hospitalisées contre leur gré semble s'inscrire dans une tendance où ces mesures sont plus appliquées sur des personnes hospitalisées contre leur gré. (Chandler, Nelson, Hughes, 1998) Cette même recherche a mis également en relief qu'entre 25% et 49% de ces mesures d'isolement et de contention n'étaient pas justifiées selon la loi californienne.

Cette utilisation de telles mesures coercitives contribue également à un processus de victimisation secondaire en milieu psychiatrique. Il s'agit d'une conséquence indirecte du fait qu'un nombre significatif de personnes, majoritairement des femmes, ayant des problèmes sévères de santé mentale ont été l'objet de sévices sexuels ou physiques dans leur enfance et continuent de l'être à l'âge adulte. La recherche, essentiellement anglo-saxonne, a analysé cette situation ainsi que ses implications pour les pratiques. (Everett, B, Gallop. R., 2001, Gallop, Pagé, McCay, Austin, Bayer, Peternelj-Taylor, 1998, Goodman, L, Rosenberg, S. Mueser, K. Drake, R. 1997) Ces disparités entre les hommes et les femmes dans le domaine de la santé mentale constituent un enjeu important qu'il importe de continuer à documenter. (Astbury, 2001)

Le nombre de personnes qui en sont à leur premier contact avec la psychiatrie dans cette recherche qualitative va également dans le sens des travaux de Kaltiala-Heino, Laippala, Salonkangas (1997) indiquant qu'une démarche involontaire caractérise de nombreux contacts initiaux avec le système psychiatrique. Sept hospitalisations involontaires, plus de la moitié, ont été effectuées suite à une démarche de la famille. Cet élément d'information est significatif quant à l'importance du rôle de la famille dans le processus d'admission en psychiatrie, rôle clairement identifié dans la recherche de Carpentier, Lesage, White. (1999)

En identifiant et en contribuant à clarifier la question du contrôle, du pouvoir exercé à l'intérieur d'un système de soins, nous sommes persuadés de contribuer à relever l'un des plus grands défis de ce système. (Curtis, L.C., Diamon, R. 1997) Au moment où les statistiques au Québec démontrent clairement (cf Annexe I) une augmentation significative du nombre de personnes hospitalisées contre leur gré en vertu d'une garde provisoire ou d'une garde en établissement et ce sans compter les gardes préventives qui ne sont aucunement comptabilisées, il y a en effet nécessité de mieux documenter ces pratiques d'hospitalisation involontaire. Selon les données recueillies par Me François Dupin (2002) du Curateur public auprès des greffes des différents palais de justice du Québec, en 1998, il y a eu 3,914 ordonnances de garde provisoire et de garde en établissement tout confondus, 4,506 en 1999 et 4,504 en 2000. Le Québec n'a jamais connu un tel nombre d'internements involontaires depuis qu'existe une loi spécifique ayant trait à ce type d'hospitalisation; l'augmentation sur trois années est de 14%.

De plus selon des données incomplètes, toujours recueillies par Me Dupin, il y a eu au Québec en 1998, 166 ordonnances de traitement, 227 en 1999 et 311 en 2000, une augmentation de 47% en trois années. Les mesures coercitives en milieu psychiatrique sanctionnées par l'appareil judiciaire sont donc en forte progression ces trois années. Pour mémoire la " Loi sur la protection des personnes dont l'état mental représente un danger pour elles-mêmes ou pour autrui " est entrée en fonction le 1er juin 1998.

Les coûts humains et financiers de telles pratiques justifient aisément la pertinence de nouvelles recherches quant au vécu des personnes ayant des problèmes de santé mentale et hospitalisées contre leur gré; pour " penser la souffrance sociale " (Blais, Vinette, 2002). Cela ne peut que contribuer aux changements de pratiques en mettant l'accent sur la qualité des liens entre la personne et les professionnels de la santé.

" Quand on chavire, parce qu'il n'y a pas d'autres mots…pour moi c'est important d'aller me chercher une ressource qui va m'accorder un soin et de l'affection un peu…Je veux dire : je suis " capotée ", mais ma mémoire a quand même emmagasiné même si, pour eux, je n'étais pas là, je n'étais pas présente. C'est cela qui est pénible parce qu'on on se souvient de ces détails et on ne veut plus jamais y retourner. " (Journal des débats, 1985)

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