Le champ de la santé a fortement évolué durant les dernières décennies : augmentation relative des maladies liées aux modes de vie et aux comportements « à risque » pour la santé, développement de l’espérance de vie et, parallèlement, du nombre de maladies « chroniques », inflation des problématiques liées à la santé mentale et banalisation du recours aux services spécialisés, mais aussi technicisation de la médecine, explosion des coûts de la santé et développement de programmes de prévention. Toutefois, le bouleversement essentiel réside dans les suites du séisme des catastrophes sanitaires des années 80-90 (épidémie de Sida, sang contaminé puis, infections nosocomiales) : la modification radicale de la donne entre le patient et son médecin, grâce à la prise de pouvoir des associations de patients et l’accélération de la demande sociale de prise en main par chacun de sa propre santé. Le cadre juridique de cette (r)évolution s’est consolidé en 2002 avec la loi dite des « droits du malade » ou Loi Kouchner, qui redéfinit les règles de la relation entre le citoyen malade et le système de soins, en introduisant le concept de démocratie sanitaire. Ses conséquences, encore balbutiantes, se pérenniseront dans les années à venir.
Dans le champ de la psychiatrie, cette Loi met en lumière la reconnaissance même, par les professionnels, de la place de citoyen du patient.
LES NOUVELLES NORMES DE SANTE : LE
ROLE DES SAVOIRS PROFANES
Le rapport des professionnels de santé à « leurs malades » et les relations entre le patient et « son médecin » sont redéfinis de manière irréversible, par l’autonomisation accrue de la personne malade vis-à-vis de sa santé. Cette évolution repose sur plusieurs leviers. Les progrès de la médecine ont permis l’augmentation de l’espérance de vie et de la consommation de soins au cours de la vie. En conséquence, deviennent plus nombreuses les personnes souffrant au long cours de pathologies chroniques (sida, diabète, asthme), et auxquelles les médecins demandent de se prendre en charge, valorisant la coopération et la prise de responsabilité (gérer ses médicaments, prévenir les rechutes, etc.). Les associations de patients, en première ligne historiquement, celles de lutte contre le Sida, ont ouvert la lutte pour les droits des patients, renversé le paternalisme médical et valorisé l’autonomie thérapeutique des patients, devenus usagers du système de santé. Enfin, tout ceci dans un contexte d’accès à l’information dans le domaine de la santé, rendu facile par le développement des technologies de l’information et la vulgarisation du savoir médical par presse écrite et audiovisuelle.
Nous assistons
donc à une remise en cause des normes de bonne santé, qui ne se réduisent plus
à une vision médico-centrée (« pour être en bonne santé il me suffit de
bien suivre les conseils de mon médecin, qui sait ce qui est bon pour
moi »), mais qui fait la part belle aux constructions profanes sur la
santé (« pour être en bonne santé, j’ai recours à ce que j’estime positif
pour moi, que la solution soit médicale ou pas : allopathie, homéopathie,
soutien social, consommation de toxiques voire prières »). Même si la
norme médicale continue d’influer sur les comportements liés à la santé, elle
n’est plus l’unique référence (Fainzang, 2004).
Les personnes vivant avec une pathologie, et leurs proches, développent un savoir profane sur la maladie, les traitements et le système de soins, fruit de l’observation individuelle, qui, rendu collectif, constitue la base des actions des associations : information, entraide, accompagnement, soutien par les pairs, décryptage et diffusion de l’information médicale et réassurance. En ce sens, elles ne se substituent pas aux professionnels de santé, mais occupent un espace intermédiaire, entre le soin et la vie quotidienne. Positionnées entre sphère privée (vécu de la maladie) et sphère publique (défense des patients, accompagnement social) elles assurent une fonction de production de services à moindre coût pour la société, de réfection du tissu social et d’accompagnement des personnes démunies et exclues (Bloch-Lainé, 1999).
Ces savoirs profanes peuvent compléter le savoir expert, comme une « force d’appoint », dans une relation thérapeutique qui reste asymétrique. On se trouve alors dans un modèle supplétif, où « le profane doit rester un palliatif du professionnel, il ne peut prétendre à l’égalité » (Lascoumes, 2004). Dans un modèle véritablement coopératif, on peut imaginer une symétrie du savoir et du pouvoir profanes et professionnels, chacun étant reconnu, transmis et ajusté, afin de construire en commun la décision thérapeutique. Ce n’est possible que par un « rééquilibrage de la relation thérapeutique, au sens où sur plusieurs plans, le profane apprend au professionnel et le professionnel accepte d’apprendre du profane » (Lascoumes, ibid cit.).
LA NAISSANCE DE LA DEMOCRATIE SANITAIRE
C’est dans ce
contexte sociétal mouvant que s’est cristallisé le concept de démocratie
sanitaire. En juin 1999, les Etats généraux de la santé se concluaient autour
des mots-clefs du message délivré par les citoyens : information et
transparence, relation et respect de la personne, prévention, accessibilité, participation.
Le rapport Caniard qui suivra, va frayer la voie au concept de démocratie sanitaire, qui se déploie du
droit individuel à être informé sur son état de santé, au droit de participer
aux choix collectifs en matière de santé, en passant par toutes les étapes de
définition de la médiation, de la conciliation et de l’indemnisation de l’alea
thérapeutique (Caniard, 1999).
La synthèse du
Haut comité de santé publique « L’usager, acteur du système de
santé » (HCSP, 2002), explicite le concept de démocratie sanitaire, son
évolution et le vocabulaire y afférant (en particulier les usages flottants des
termes : malade, patient, usager, client, consommateur). Le texte qui
officialise la naissance de la démocratie sanitaire en France est
1. Reconnaître et préciser les droits des personnes malades et plus largement de toute personne dans ses relations avec le système de santé (chapitre Ier, droits de la personne),
2. Rééquilibrer les relations entre le professionnel de santé et le malade, en faisant de ce dernier un véritable acteur de santé (chapitre II, droits des usagers),
3. Mettre en place les bases de l'expression et de la participation des usagers du système de santé (chapitre III, participation des usagers au fonctionnement du système de santé),
4.
Renforcer la démocratie sanitaire en
redéfinissant les conditions d'élaboration et de concertation des politiques de
santé tant au niveau national (chapitre V, orientations de la politique de
santé) qu'au niveau régional (chapitre VI, organisation régionale de la santé).
Cette Loi situe clairement la personne malade d’abord comme une personne, un citoyen utilisateur de service de soins, avant de le considérer comme un patient. En conséquence, une personne relevant du système de soins ne devrait pouvoir subir aucune aliénation de ses droits fondamentaux, qui doivent pouvoir être respectés par l’ensemble des acteurs de santé. Ce principe s’applique à tous, quelle que soit la pathologie ; il s’agit donc d’un texte aux implications essentielles en psychiatrie, où la question du respect des droits fondamentaux de la personne est sans cesse questionnée par certaines pratiques : isolement, contention, restriction de libertés, confiscation des biens personnels, difficulté d’accès à l’information, atteintes à la dignité et l’intimité des personnes.
C’est une grande victoire pour les associations d’usagers et de proches qui luttent depuis des années pour cette reconnaissance de la personne malade.
L’EVOLUTION DE LA PLACE DES ASSOCIATIONS
D’USAGERS ET DE PROCHES EN PSYCHIATRIE.
Historiquement, ce sont d’abord les parents des personnes souffrant de pathologies psychiatriques chroniques et invalidantes qui se sont organisés en association il y a plus de 40 ans. L’Unafam[1] compte aujourd’hui 12.000 familles adhérentes, ayant pour objectifs de « s’entraider, de former, et d’agir ensemble dans l’intérêt général ». Les adhérents sont répartis dans 97 sections départementales, animées par 900 bénévoles qui font de l’accueil dans les permanences locales, informent les familles, orientent vers les lieux de soins ou de réinsertion, participent aux instances consultatives et représentent les familles.
Dans un deuxième
temps, dans le climat de remise en cause générale de l’autorité des années 1970,
sont nés des mouvements de contestation radicale de la psychiatrie et de l’asile
(mouvement dit de l’antipsychiatrie), dont le Groupement information asile
(GIA) est le principal héritier aujourd’hui.
Enfin, en 1992 est créée la Fnap-psy, par l’union de trois associations de patients qui décident de créer un mouvement où le patient en psychiatrie soit enfin considéré comme une personne. Elle réunit en fédération une trentaine d’associations de patients ou ex-patients, locales ou nationales. Certaines associations oeuvrant dans le champ de la santé mentale et constituées d’(ex)patients et de professionnels de santé, ne sont pas affiliées à cette Fédération, qui revendique fortement une représentation des usagers par les usagers. Ses objectifs sont de « regrouper les associations françaises de patients ou ex-patients en psychiatrie, d’oeuvrer dans les domaines de l'entraide, de la protection et de la défense des intérêts de leurs adhérents, d’orienter les personnes ayant été soignées en psychiatrie, vers les associations de patients ou ex-patients, capables de les aider et de faciliter le développement et l'action de ces associations, et de démystifier la maladie mentale auprès de l'opinion publique et de l'entourage des malades, par la diffusion d'information auprès du public par tous les moyens appropriés ».
Pendant longtemps, Fnap-Psy et Unafam se sont opposées, ce qui a en partie entravé la portée de leurs actions et la force de leurs messages. Plusieurs raisons à ce conflit : les rancunes personnelles et les incompréhensions réciproques interférant dans le combat associatif, le « pouvoir » des familles sur les patients (par le biais de l’hospitalisation à la demande d’un tiers), le fort désir d’autonomie et d’expression libre de (ex)patients émergeant à peine du règne de l’enfermement asilaire, la difficulté d’entendre la parole de personnes longtemps considérées comme aliénées, donc hors citoyenneté, mais aussi la forte culpabilisation des familles par les professionnels de la psychiatrie.
Finalement, en
2001, l’Unafam et
L’année 2001 marque,
à plusieurs titres, un tournant important. Pour la première fois dans son
histoire, l’Organisation Mondiale de
Cette reconnaissance, au niveau d’un organisme international, de l’importance des problèmes de santé mentale dans le monde et du respect du à l’être humain souffrant de troubles psychiques, a étayé de manière solide les actions de tous ceux, individus ou organismes, qui luttent pour cette évolution, et parmi eux les associations d’usagers et de proches.
L’année 2001
s’avère décisive pour la santé mentale en France également. Suite au rapport
implacable de
De 2001 à 2005,
pas moins de onze rapports officiels sur la psychiatrie et la santé mentale ont
été rendus publics !
LES PRINCIPALES REVENDICATIONS DES
ASSOCIATIONS D’USAGERS ET DE FAMILLE
La pierre
angulaire de la lutte des associations est sans conteste le respect des droits fondamentaux de la personne malade, tels
qu’énoncés dans
« Pour
accompagner le mouvement de retour vers
Les six objectifs du plan d’accueil et d’accompagnement se déclinent comme suit :
L’union Fnap-Psy/Unafam
autour de ses objectifs a connu deux nouvelles victoires récentes avec la
reconnaissance du handicap résultant de
troubles psychiques (Loi du 11 février 2005) et son inscription pour la
première fois dans le code d’action sociale (donc l’ouverture de droits communs
pour des besoins spécifiques) et le soutien financier à la création de clubs ou groupes d’entraide mutuelle (Circulaire
du 29 août 2005). Outils d’insertion
dans
C’est
indéniablement l’émergence de la notion d’usager et la prise de pouvoir des
associations qui ont le plus contribué à l’évolution récente du champ de la
santé en général et de la santé mentale en particulier. Les usagers des
services de psychiatrie sont maintenant représentés dans les instances
officielles (conseils d’administration, conseils de santé mentale), parties
prenantes dans l’amélioration des soins (Caria, 2001) et protégés par
Si d’indéniables
progrès ont déjà été faits, comme le souligne cet article, des difficultés
persistent. L’unanimisme des recommandations et revendications officielles ne masque
pas la grande diversité des pratiques soignantes, dont certaines sont très peu respectueuses
des droits élémentaires de la personne. Citons aussi : la faiblesse de la
représentation des usagers par les usagers eux-mêmes (la place est souvent
occupée par les associations de familles, dont les représentants sont beaucoup
plus nombreux et structurés) ; la difficulté des associations d’usagers à
fonctionner en collectif et à être reconnues comme « méritant » un
financement public pérenne (contrairement à d’autres pays comme
Ces évolutions fragiles sont à consolider sans cesse, car elles demeurent fortement tributaires du regard porté par la société, les professionnels de santé et les usagers eux-mêmes, sur la personne ayant des troubles psychiques.
Elles posent incessamment la question de la place du citoyen, là où on ne voyait qu’un aliéné.
BIBLIOGRAPHIE
BLOCH-LAINE F, Faire la société ; les associations au cœur du social, Paris, Syros, Alternatives sociales, 1999.
CANIARD E. La place
des usagers dans le système de santé : rapport et propositions du groupe de
travail animé par Etienne Caniard, Paris, La documentation française, 61
pages, 1999.
CARIA A., KERGALL A. RYBAK C., et al Les usagers des services de psychiatrie sont-ils satisfaits ? in Démarche qualité en santé mentale, une politique au service des patients, CARIA A (sous la direction de), Paris, Inpress, 2003.
FAINZANG (S.), Les normes en santé. Entre médecins et patients, une construction dialogique, Inserm U444, Communication aux rencontres du SIRS (Santé, inégalités et ruptures sociales), Paris, Novembre 2004.
Haut comité de santé publique, La santé en France 2002, Paris,
LACOUMES P., L’usager, acteur fictif ou vecteur de changement dans la politique de santé ? Paris, Revue Sève, hiver 2003, pp59-70
Ministère de
Ministère de
Ministère de la santé et des solidarités, Circulaire n° DGAS/PHAN/3B 2005 du 29 août 2005 et ses annexes, relative aux modalités de conventionnement et de financement des groupes d'entraide mutuelle pour personnes souffrant de troubles psychiques. (http://www.legifrance.fr)
Organisation Mondiale de la Santé, Atlas et rapport sur la santé dans le monde, Genève, 2001 Tous les documents http://www.who.int/mental_health/
Rapports
par ordre chronologique / Recommandations communes et convergentes avec les
revendications des usagers |
CC 2000 |
OMS 2001 |
IGAS 2001 |
DHOS 2001 |
Piel et Roelandt, 2001 |
Plan Santé Mentale-1, 2001 |
Livre blanc
2001 |
Roelandt 2002 |
Charzat 2002 |
DGS 2002 |
Clery-Melin, 2003 |
Plan Santé Mentale-2, 2005 |
1.
Mettre
l’usager au centre du dispositif de soins |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
2.
Assurer
la représentativité des usagers et familles à tous les niveaux du dispositif
de soins |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
4.
Lutter
contre la stigmatisation et l’exclusion des personnes souffrant de troubles
mentaux, |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
5.
Améliorer
l’information des patients, des familles et du grand public, changer le
regard de la société |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
6.
Soutenir
et impliquer les familles, aider les aidants |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
7.
Réduire
les disparités régionales d’accès aux soins, d’offre de soins et de qualité
des services |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
8.
Faciliter
et garantir l’accès aux soins |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
9.
Développer
l’évaluation de la qualité des services |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
10.
Garantir
la continuité de la prise en charge |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
11.
Décloisonner
des champs sanitaire, social et médico-social |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
12.
Travailler
en réseau avec les soins de ville |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
13.
Impliquer
les élus locaux dans la santé mentale |
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
1.
Rapport
annuel de
2.
La
santé mentale dans le monde, Organisation Mondiale de
3.
Les
institutions sociales face aux usagers, Inspection Générale des Affaires Sociales,
2001.
4.
Recommandations
d'organisation et de fonctionnement de l'offre de soins en psychiatrie pour
répondre aux besoins en santé mentale, Direction de l’hospitalisation et des
soins, 2001.
5.
De
la psychiatrie vers la santé mentale, Piel et Roelandt,
6.
Plan
Santé mentale, L’usager au centre d’un dispositif à rénover, Ministère de la
santé, novembre 2001
7.
Le
livre blanc des partenaires de Santé mentale France, Unafam, Fnap-Psy et al., 2001
8.
La
démocratie sanitaire dans le champ de la santé mentale : la place des usagers
et le travail en partenariat dans
9.
Pour
mieux identifier les difficultés des personnes en situation de handicap du fait
de troubles psychiques et les moyens d'améliorer leur vie et celle de leurs
proches, Charzat 2002
10. L'évolution des métiers en santé mentale
: recommandations relatives aux modalités de prise en charge de la souffrance
psychique jusqu'au trouble mental caractérisé, Ministère de la santé, 2002
11. Plan d'actions pour le développement de
la psychiatrie et la promotion de la santé mentale, Clery-Melin, Kovess et
Pascal, 2003
12. Plan Psychiatrie et santé mentale
2005-2008, Ministère de la santé, avril 2005