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Les schizophrénies existent-elles ?

Edouard Zarifian
Professeur de psychiatrie et de psychologie médicale
CHU de Caen


Il y a exactement quatre-vingt dix ans (1911), E. Bleuler invente le mot schizophrénie, qui recouvre alors à peu près toute la pathologie mentale et prend en compte l'organisation de la vie psychique inconsciente. Il se situe dans la lignée de Kahlbaum qui, dès 1983, applique à la psychiatrie le modèle nosologique. Aujourd'hui où en est on ?

On feint de croire que le mot correspond à une entité autonome, spécifique et homogène par ses symptômes, son évolution, sa résolution, sa réponse aux traitements et son étiologie.

Or on sait qu'il n'en est strictement rien. On peut avoir, pour les statistiques et la recherche, la satisfaction de dire qu'en citant un tel diagnostic, on parle tous le même langage.

Mais il faudrait préciser que c'est avec un vocabulaire tellement imprécis qu'il bâtit une illusion, un objet théorique beaucoup plus qu'une réalité clinique. En effet, ce mot est incapable de nous aider à prédire une gravité, une évolution, une réponse au traitement, un avenir.

Il est utilisé indifféremment pour désigner le jeune adulte délirant et un malheureux "chronique" après trente ans d'institution. Le mot schizophrénie permet de satisfaire au PMSI mais pas de distinguer deux schizophrènes entre eux si on les compare à l'échelle du temps.

Les quatre études dont nous disposons sur l'évolution de malades étiquetés schizophrènes suivis pendant plusieurs dizaine d'années sont édifiantes (deux études suisses, une allemande et une nord américaine). Sans s'arrêter sur la disparité méthodologique de ces études (moments d'observation différents, évolution du concept de schizophrénie au cours du temps, introduction des neuroleptiques à partir de 1952...), force est de constater qu'elles aboutissent aux mêmes conclusions. on peut dire grossièrement qu'après 20 ou 30 ans, un tiers des malades considérés comme schizophrènes mène une vie normale, un tiers conserve des troubles psychiques d'un autre registre que la schizophrénie mais compatibles avec une autonomie et qu'un tiers n'a pratiquement connu que l'institution.

Quatre-vingt dix ans après Bleuler, nous n'avons toujours aucun moyen clinique, biologique, radiologique ou électrique de dire ce que deviendra quelqu'un que nous qualifions de schizophrène. Ce sont peut-être les gens diagnostiqués comme tels il y a vingt ou trente ans et disparus de la file active des secteurs -à condition de les retrouver- qui pourraient nous apprendre en quoi consiste l'hétérogénéité recouverte par le mot schizophrénie.

Pour le moment, sachons demeurer modestes et évitons d'être nocifs. Nous parlerons de progrès quand on publiera des chiffres sur les schizophrènes acquérant des diplômes, exerçant un métier et fondant des familles.
Nous ne pouvons nous satisfaire de leur docilité, leur calme et leur silence.

Un examen attentif de la fameuse "désinstitutionalisation doit nous montrer où sont et ce que font les schizophrènes sortis de l'asile. La pression économico-administrative obligeant à la suppression des lits où e jeu des vases communicants avec d'autres lieux de vie que l'hôpital ne doivent pas nous faire prendre pour des autonomies retrouvées ce qui n'est que déplacement de personnes.

Ne pas être nocifs est aussi une obligation à l'égard de ceux que nous nommons schizophrènes. Henri Ey disait : "Il faut êtrele dernier à faire le diagnostic de schizophrènie", tant l'étiquette est indélébile et conditionne l'attitude des soignants. On peut même traiter des symptômes délirants quand ils existent par des neuroleptiques sans pour autant émettre un diagnostic définitif et mettre en place un appareil de soiins contraignant et durable.
On évitera ainsi de confondre chez un jeune adulte une manie délirante inaugurant un trouble bipolaire de l'humeur avec un mode d'entrée en schizophrènie.

Limitons les durées d'hospitalisation qui désinsèrent et coupent du monde et les neuroleptisations interminables pour ceux qui auraient fait partie du tiers qui guérit. Mais créons des lieux de vie décents et adaptés pour le tiers de malades qui ne seront jamais autonomes.

(....)

le schizophrène n'est pas un objet à réparer.

Le meilleur gage d'efficacité est probablement l'établissement d'une relation durable dans le temps avec le même thérapeute, indépendament des autres aides rendues momentanément nécessaires parles viscissitudes de l'évolution. Tout doit être mis en oeuvre pour éviter les errances, les changements, les ruptures ou le tranquille enfermement.

La continuité d'une relation qui traverse le temps -nécessairement long dès qu'il s'agit de schizophrénie- et prend en compte la parole et le psychisme est la condition indispensable à une évolution favorable.

Paru dans Santé Mentale numéro 53 de décembre 2000


BLEULER Eugen : 1857-1939
C'était un psychiatre suisse. Il a été fort influencé par les travaux de Kraepelin sur la "démence précoce", puis proposera le concept de schizophrénie dont il verra dans la dissociation le symptôme principal.. Son assistant était C.G. Jung mais il sera un moment influencé par les idées psychanalytiques de celui-ci mais reviendra vite à une conception plus organogénétique des troubles psychiques.

KAHLBAUM, Karl Ludwig 1828-1899
C'était un psychiatre allemand connu pour avoir individualisé la catatonie. Il a écrit sur la catatonie une remarquable monographie. Il est l'auteur d'une classification des maladies mentales.
Il décrit l'hébéphrénie qui est une forme de démence précoce.


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