L'Hystérie est une pathologie connue depuis l'antiquité. Les plus anciens des textes médicaux égyptiens connus qui datent de 2000 ans avant l'ère chrétienne, notamment les Papyrus de Kahun en parlent déjà.
Suivant les époques traversées, cette pathologie a passé par des théories très différentes, de l'utérus baladeur, de la supercherie, de la possession, de la suffocation, de la frustration sexuelle, du dysfonctionnement du système nerveux, de simulation, d'une dissociation, d'une névrose.
Étymologiquement, l'hystérie vient du grec hustera, "matrice".
L'idée alors prédominante voulait que l'utérus était un organisme vivant qui avait une autonomie et donc pouvait se déplacer. Les troubles sont alors rapportés à la migration de cet utérus.
Ces troubles étaient : la suffocation (l'utérus enfle ou les règles se putréfient) et les convulsions.
Hippocrate considère aussi que les troubles sont liés au déplacement de l'utérus et lui attribue comme origine le manque de rapport sexuels.
La maladie d'amour avec pour seul remède : l'amour qu'il faut consommer ! Mais attention, pas trop non plus sinon l'orifice vaginal s'agrandirait et laisserait passer plus de sang que nécessaire pendant les règles.
C'est au IIème siècle que Gallien abandonnera l'idée de déplacement d'organe. Déjà au 1er siècle, on évoquait déjà la possibilité que cet utérus ne migre pas mais se contracte...
Au moyen Age, l'hystérie se retrouve du côté des ferveurs mystiques. Elle sort donc du domaine de la médecine pour se fondre dans le religieux.
Pour Saint-Augustin, sexualité et péché sont associés donc on ne peut pas être hystérique si on est chaste !! Arrive donc l'idée de sorcellerie et de la chasse aux sorcières qui entraîne sur le bûcher les personnes "possédées" ! Nombre d'hystériques à l'époque ont du connaître le feu.
C'est à partir de Paracelse puis de Sydenham que les démons s'éloignent enfin et sont remplacés par la maladie avec des notions de "supercherie" et de "simulation". Ce concept va s'appeler : le concept d'imagination. Paracelse s'intéresse peu à la suffocation, il signale que la matrice est un organe magnétique et "électrique"
"La matrice est créée par Dieu pour attirer la semence"
Sydenham pense l'hystérie comme une maladie qui ne serait pas comme les autres puisqu'elle imite toutes les autres.
On va avoir à partir de ce temps là une mise en relation entre l'hystérie et la cure magnétique. Ambroise Paré parlera de la poudre aimantée pour guérir. Application d'une pierre aimantée pour inverser l'écoulement du sang.
La connaissance par imagination qui ne passe pas par la raison discursive continuera jusqu'au XVIIème siècle.
En 1859, Paul Briquet édite son traité clinique et thérapeutique de l'hystérie, dans lequel on s'aperçoit qu'il ne croit pas au rôle de la frustration sexuelle mais qu'il nous entraîne sur la piste des émotions sur des personnes dites "susceptibles". Il parle aussi d'hystérie masculine.
Pinel soulignera le rôle des facteurs moraux dans la genèse de l'hystérie.
A la fin du XIXème siècle, Charcot va donner à l'hystérie un statut plus précis de ce qu'il considère comme une maladie. Il va parler de l'origine traumatique de l'hystérie et y voit l'expression d'un dysfonctionnement du système nerveux ayant lui-même des conséquences psychiques. Il va créer le concept de névrose, terme introduit par l'Ecossais Cullen. Charcot a reproduit sous hypnose des symptômes hystériques pour en étudier les mécanismes.
A la fin de sa vie, il admettra l'hystérie masculine.
"Il n'y a pas une théorie de Charcot
sur l'hystérie mais un ensemble de points
qui évoluent avec le temps"
Pr Widlocher
Janet (élève de Charcot) pense que l'hystérie est une maladie liée à un rétrécissement du champ de la conscience accompagnée d'une "dissociation".
Babinsky ne voit aucun signes objectifs à cette maladie, il pense alors qu'il ne s'agit que de simulation.
A partir des travaux de Janet puis de Breuer, Freud qui est venu faire un séjour dans le service de Charcot va renoncer à l'hypnose "J'ai très vite renoncé à la technique par suggestion, et avec elle à l'hypnose, parce que je désespère de rendre les effets assez efficaces et assez durables pour amener une guérison définitive"
Mais c'est toutefois à partir de son expérience de l'hypnose qu'il va comprendre que les symptômes prennent leur source et leur sens dans l'inconscient.
Il va publier en 1895 les études sur l'hystérie avec son confrère Breuer.
C'est le texte fondateur de la psychanalyse.
Nous pouvons voir au travers de cette longue histoire ce que chaque époque en fonction de ses croyances a marqué l'approche de cette maladie.
Quand est il aujourd'hui ?
L'hystérie disparaît à la fin du XX° siècle comme entité nosographique, comme maladie. Les troubles qui étaient regroupés sous le terme d'hystérie sont désormais répartis dans deux cadres : troubles somatoformes ou de conversion et troubles dissociatifs.
Les troubles somatoformes se décomposent en :
- troubles de somatisation (ensemble de plaintes somatiques multiples et récurrentes comprenant notamment des douleurs, des symptômes gastro-intestinaux, sexuels, génitaux)
- troubles de conversion (symptômes ou déficits touchant la motricité volontaire ou les fonctions sensitives ou sensorielles suggérant une pathologie neurologique ou générale)
- troubles douloureux (les éléments psychologiques sont considérés comme jouant un rôle majeur dans le déclenchement, l'importance, la persistance ou l'aggravation du tableau algique).
Les troubles dissociatifs comprennent :
- l'amnésie dissociative
- la fugue dissociative
- les troubles de l'identité ou personnalité multiple (qui ne sont pas admis par tous les auteurs de psy)
- le trouble dissociatif non spécifié dont l'état de transe.
Les DSM IV ne lie pas non plus le diagnostic à la coexistence des troubles sus-jascents et d'une personnalité hystérique qu'il ne reconnaît d'ailleurs pas. Mais il observe que fréquemment, les troubles de ces grands cadres pathologiques sont associés à une personnalité histrionique (théâtralisme, comportements de séduction, tendances à attirer l'attention sur soi) ou à une personnalité dépendante (difficultés à assumer ses responsabilités dans la plupart des domaines importants de la vie, recherche permanente du soutien d'autrui, difficultés à exprimer un désaccord) ; dans certain cas, il s'agit d'une personnalité borderline .
Le mot "
Hystérie " est aussi sorti du monde médical et psychiatrique pour aller dans le grand public où il est rapidement banalisé. Tout le monde parle alors de l'hystérie, tout le monde se traite ou se fait traiter un jour d'hystérique ( ne souriez pas, pensez aux cris de rage de l'automobiliste qui se sent gêné par une voiture conduite par une femme !!!).
Pour le grand public, Hystérique recouvre :
- à la fois une dimension sympathique : on est tous des hystériques c'est bien connu, près à tout pour attirer l'attention des autres, près à toutes les folies pour fêter comme il se doit la victoire du XV de France, ou celle des barjots en Hand-Ball.
- à la fois une dimension anti-féministe primaire, l'hystérique serait alors toute femme belle, désirable et libérée mais " pas touche ". L'hystérique ne se donne pas, ce n'est qu'une allumeuse.
- En tout cas, il est hors de question qu'un homme puisse être hystérique. Ce n'est pas de l'ordre du possible puisqu'il n'a pas d'utérus : argument imparable pour l'homme de la rue.
Quand est-il de la représentation de l'hystérie chez les infirmiers ?
Nous avons voulu le savoir, et pour ce faire nous avons adressé un petit questionnaire dans toutes les unités de notre service. Peu de réponses nous sont parvenues….
Il n'est peut-être pas si facile que cela de parler de l'hystérie. Pourtant il n'est pas rare d'entendre parler du comportement hystérique de telle ou tel patient. De quoi parlons-nous alors ? Restons-nous, nous aussi dans le langage populaire ?
Si on demande aux infirmiers de définir spontanément l'hystérie, quatre mots ressortent et sont présents d'une manière quasi-systématique : souffrance, théâtralisme, cadre et séduction.
C'est à partir de cela que nous allons essayer d'aborder les difficultés que nous rencontrons dans la prise en charge de personnes hystériques ou ayant des comportements hystériques en institution.
La première constante de ces questionnaires,
le théâtralisme.
Cette tendance marquée aux manifestations spectaculaires, pour attirer l'attention, avec pour but de séduire ou d'émouvoir le public.
Il s'agit là, non pas d'un théâtre traditionnel mais d'un réel théâtre interactif où parfois l'on peut se poser des questions : qui en est vraiment l'acteur ? Y aurait-il un metteur en scène ? Que faire du public, des spectateurs qui voient la pièce et y prennent part ?
La seconde chose qui revient régulièrement est la notion de souffrance ? La souffrance de la patiente, mais aussi la souffrance de l'équipe. Qu'en est-il de la belle indifférence ?
Pour le troisième point, nous aborderons la séduction. Séduction, manipulation, mais aussi risque de rejet en réponse. Et la sexualité dans tout cela ?
Enfin, parce qu'il nous faut bien travailler, et qu'une patiente ne peut nous accaparer des journées entières, nous avons relevé tout ce qui est de l'ordre du cadre. Nous aborderons donc les limites, les nôtres, celles de l'institution, et nous ferons un petit détour par une autre pathologie où il est souvent question du cadre pour aborder la cohésion dans le soin.
Dans une unité de soins en psychiatrie, l'équipe soignante est souvent mise en difficulté par la prise en charge de patients qui montrent peu de symptômes psychiatriques identifiables ou alors qui présentent des troubles polymorphes et trompeurs ce qui nous déstabilisent en tant que soignant.
Nous illustrerons notre propos de quelques souvenirs qui ont trouvé un éclairage nouveau à la préparation de cette présentation. Le fil en sera le cas de Mlle Ramy, Mme Oréade, et M. Racage .
Mlle Ramy, au caractère particulièrement infantile, exigeante, insatisfaite et émotive effectue des TS lors d'événements de vie contraignants ou frustrants.
Elle fait de multiples reproches à ses parents, dit s'ennuyer à mourir
et se dit constamment déçue par les gens. Les reproches sont toujours adressés à tous ceux qui ont tenté de l'aider et qui n'ont pas su comprendre.
Lors d'une TS grave, elle avait laissé une lettre testament disant : "je ne suis plus malade, je ne suis plus là…. mais mon âme vous enverra des souvenirs éternels (…) Je donne mon corps … car aucun centre ne veut me prendre". Mais qui, lira ces mots pour ce qu'ils veulent dire?
Elle me raconte un jour que lorsque ses parents viennent de province, elle s'amuse à faire dormir son père sur un vieux matelas percé, quant à sa mère, elle dort avec elle dans son lit.
Il faut préciser que son père n'est pas son père biologique.
Elle a de nombreuses plaintes concernant son genou qui l'amènent à consulter de nombreux spécialistes.
Beaucoup d'éléments pèsent en faveur d'un diagnostic d'Hystérie.
Elle est théâtrale, hyperactive, égocentrique, avec une grande labilité émotionnelle (elle passe du rire aux larmes, de la bonne humeur à la colère.)
Elle ne tolère pas la solitude ni la frustration.
Elle est dans une grande quête affective vis à vis de l'entourage avec un comportement de séduction mais parfois aussi de manipulation.
Nous sommes aussi face par exemple, à une autre patiente dont la conduite semble "hyper-adaptée", mais finalement ce serait cette hyper-adaptation qui serait problématique.
Mme Oréade se montre séductrice, manipulatrice, très familière, parfaitement à l'aise, pouvant organiser ou désorganiser la vie quotidienne d'une unité. Elle accueille, conseille, décore… Elle est tout à la fois. Son comportement finit par semer le doute sur son statut. Cette attitude génère un sentiment de malaise dans l'équipe soignante. Mme Oréade transgresse souvent les règles, pose les problèmes de limites.
En déstabilisant constamment l'autre en disant par exemple " l'infirmier d'hier m'a laissé téléphoner, lui : pas vous ! Il est plus sympa, plus humain ".
Au début, elle est très coopérante parfois exagérément, puis de plaintes en critiques, elle devient agressive verbalement et met en échec la prise en charge que nous proposons.
Nous réagissons petit à petit par de l'agacement qui risque de devenir rapidement du rejet.
Il est vrai qu'elle arrive à trouver une faille dans la cohésion de l'équipe ce qui met tout le monde en difficulté voire en danger, c'est semble-t-il un problème de non limites.
Que peut faire l'équipe soignante, sinon lui donner des repères, des limites, un cadre ? Comment faire en sortes de concilier le soutien et la nécessaire distance thérapeutique sans cesse mise au défi par ces patientes ?
Ne serait-ce pas la cohésion du projet de soins et des différents intervenants impliqués qui semble primordiale et qui permettrait de poser le cadre ?
Le théâtralisme donc.
Le problème avec le théâtralisme, c'est que si l'on s'arrête à cela on ne voit qu'un comportement exubérant voir inadapté. Du coup la réponse est forcément en terme de comportement. Pourtant, si l'on prend la peine d'écouter ce qui se dit, d'analyser ce qui est montré, nous pouvons parfois associer et dépasser la simple réponse immédiate.
" Un jour au moment de la prise de traitement, la patiente se jette par terre dans le couloir, abandonnant ses béquilles. "
Que devions-nous entendre ? Ne me laissez pas tomber ?
D'accord, associons… mais n'oublions pas non plus la scène. Lorsque Mlle Rami se laisse tomber, ce n'est pas dans sa chambre discrètement, c'est dans le couloir, au moment de la distribution des médicaments, quand la plupart des patients sont là. Je décide lors de ces chutes de ne pas me précipiter, de ne pas répondre à la chute par le " relevage ", mais de proposer une aide sans m'approcher… et bien Mme Moundi vole à son secours me traitant d'incapable et de bourreau qui n'a aucune pitié pour les difficultés de Mlle Rami ! Et toc, prends ça. Et Mlle Rami se relève seule, sans rien dire mais avec un regard aux infirmières qui en dit long sur le plaisir qu'elle a eu à entendre une autre dire cela.
Que faire ? Je ne peut pas expliquer à Mme Moundi les raisons de mon immobilisme.
Si ces attitudes nous déconcertent c'est aussi parce que souvent, nous ne décollons pas de ces moments. Quand un symptôme ne nous parle pas, on a tendance à ne pas le prendre au sérieux, à le disqualifier. Quel rapport entre une plainte somatique et les raisons de l'hospitalisation de tel ou tel patient ? Quand nous ne savons plus où donner de la tête entre le somatique et le psychique la plainte sera cataloguée "d'hystérique ", ce qui pourrait être une manière de prendre du recul par rapport au symptôme, mais ce qui est le plus souvent une manière de déconsidérer le symptôme.
Or, quelle est la valeur symbolique du symptôme ? Nous devons essayer de comprendre ce que recherche la personne hystérique afin d'aider à un aménagement affectif, existentiel et social qui a valeur thérapeutique. Il faut être là, présent, mais pouvoir changer de point de vue, sortir de la scène, c'est à dire replacer le moment dans l'histoire du patient. Parfois alors, nous en comprenons un peu mieux le sens, parce que ce moment est souvent aussi une réactualisation de l'histoire du patient.
L'hystérique cherche à jouer un rôle, elle joue un rôle qui masque sa vraie personnalité, elle esquive alors complètement une relation authentique à l'autre.
Nous pouvons tout aussi bien nous poser la question par rapport à ces patients dont on dit qu'ils " hystérisent ". Ce qualificatif ne nous fait-il pas plutôt l'économie d'entendre ce que nous dit le patient ? A partir de là, n'aurons nous pas tendance à fermer les " écoutilles " ?
Ainsi monsieur Racage qui a une plaie infectée au pied, fait des allers retours en chirurgie, pansements dans les règles de l'art, le pied guérit, puis de nouveau s'infecte. En réunion il est précisé que nous si nous en sommes là, ce n'est pas faute de soins adaptés, mais parce que le patient fait " exprès " de défaire son pansement, de marcher pied nu sur le sol souillé. De plus il refuse de prendre le traitement antibiotique. Bref, il fait tout pour nous "embêter". Puis pendant quelques mois il n'est plus question de son pied en réunions…
En prenant un peu de recul sur son histoire, en décollant le nez de son pied que voit-on ? Monsieur Racage était relativement stable sur le plan de la symptomatologie psychiatrique depuis quelques mois quand il est fait pour lui un projet de maison de retraite à … 200 kilomètres de chez son père !
Et c'est dans cette période que M. Racage à un gros problème au pied qui nécessite des allers et retours en chirurgie. Il fait même exprès de ne pas guérir ! Résultat, il ne peut partir en maison de retraite, il reste près de son père, il ne nous quittera pas, et en relisant son histoire on se rend compte qu'il en est ainsi chaque fois qu'une séparation se profile.
Et encore une fois il nous a montré toute notre impuissance, et c'est bien là que le bât blesse.
Théâtre d'accord, devant les autres patients, spectateurs plus ou moins assidus, et c'est là une de nos difficultés, quels retentissements toutes ces scènes ont elle sur les autres ? Et les soignants, de quel côté sont-ils ? Acteurs sans aucun doute aussi. Et qui plus est, acteur dans le style de l'Actor studio, ils ne connaissent pas la pièce qui se joue mais se trouvent obligés de donner la réplique, qu'ils s'y refusent et c'est l'escalade, qu'ils acceptent et c'est l'escalade … et comme nous ne sommes pas des alpinistes, l'escalade nous fatigue vite. Nous nous sentons tellement impuissants que nous finirions par devenir agressifs et on sait qu'il existe bien des moyens pour être agressif.
Bien souvent nous nous retrouvons projetés dans une mise en scène où chacun pourrait y perdre son rôle, ne se retrouverait plus en qualité de soignant ni de soigné.
Il y a dans ces échanges une grande agressivité. Quand Mlle Rami se présente pour prendre ses médicaments devant d'autres patients, encombrée de ses béquilles, qu'elle ne nous demande pas d'aide, pose ses béquilles et dans une position instable essaye de trouver un équilibre précaire pour recevoir ses comprimés, les autres patients regardent sans mot dire. Si les infirmières se sentent appelées à l'aide font un pas pour l'aider, Mlle Rami trouve soudain la position qui rend le mouvement de l'infirmière d'autant plus inutile. Comment lire cette scène en étant dedans ? Est-il possible de faire le mouvement de sortir de la scène pour nous voir agir ? Contorsion risquée mais indispensable au soignant pour voir dans un premier temps ce qui se déroule et peut être comprendre ce qui se passe .
La souffrance
Mais ce théâtralisme est-il seulement un objet de jouissance de la part de la patiente ?
Dans les questionnaires qui nous ont été retournés, tous s'accordent à parler de la souffrance.
- L'hystérique ressent une grande souffrance
- C'est une grande souffrance morale
- Il est difficile de mettre des mots sur leurs souffrances
- C'est un appel au secours, une souffrance
L'arrivée d'un(e) patient(e) hystérique sera une épreuve pour une équipe qui va devoir travailler autour de sa cohésion et faire régulièrement le point sur cette prise en charge pour pouvoir se remobiliser. Il s'agit là d'un important travail à faire, car l'équipe a généralement l'impression que cette arrivée va désorganiser le service et être difficile.
Souffrance tout d'abord du patient.
Mlle Rami ne s'amuse pas de son genou. Elle en souffre. Heureusement, parce que pour une fois nous savons quoi faire. Il faut consulter des spécialistes du genou.
Nous fixons donc un 1er rendez-vous en rhumatologie. A ce moment et jusqu'à l'attente du rendez-vous, Mlle Rami, se montrera plus coopérante aux soins, son humeur est moins sombre, elle paraît mieux mais ne cessera d'évoquer aux entretiens médicaux et infirmiers les douleurs de son genou qui l'invalident et l'empêchent de vivre sa vie.
Le jour J arrive. Le spécialiste du genou ausculte la partie malade et rassurera Mlle Rami car son genou n'a pas de signes somatiques graves qui pourraient l'invalider à long terme.
Malgré ce diagnostic médical, le rhumatologue veut revoir la patiente avec des radios .
Et nous voilà partis à nouveau chez le radiologue. Mlle Rami est rassurée car grâce à ces documents on va enfin trouver ce mal qui est en elle. Nous refixons un rendez-vous chez le même spécialiste du genou. Pendant cette période d'attente, Mlle Rami nous montre sa douleur par sa difficulté à se mobiliser, au moment des repas, elle est prise en charge par Mlle Moundi qui se fait le plaisir de lui préparer son plateau repas en nous jetant des regards accusateurs " vous n'êtes même pas capable d'aider cette pauvre Mlle Rami ! "
Nous assistons à des hauts et des bas chez Mlle Rami qui ne perd pas espoir d'un diagnostic médical qui l'aidera à vivre enfin sa vie.
Mais une fois de plus le spécialiste du genou a dit qu'il ne trouvait rien, Mlle Rami est au plus mal. Elle parle alors de son " genou psychologique ", elle veut abandonner ses béquilles… victoire, on va enfin pouvoir parler d'autre chose en entretien médical… et le lendemain elle fait un cours sur les douleurs réelles situées dans le cortex ayant une origine réelle que nous ne savons pas diagnostiquer… Bien sûr, connaissant un peu son histoire nous ne pouvons nous empêcher de faire des liens, nous avons lu ou écouté d'éminent psychanalyste. Et lorsque au cours d'un entretien sa mère lui demande " mais pourquoi n'as-tu rien dit quand tu as su que ton père n'était pas ton père ? ", les fameux "genou", "je-nous", "je noue", nous reviennent en mémoire. Et après ? Nous n'allons pas voir le genou de Mlle Rami de la même manière, nous n'allons pas non plus lui balancer nos interprétations. Or, même si nous étions dans un cabinet, avec un divan nous ne le ferions pas.
Encore une fois, nous nous épuisons devant ces allers retour entre le genou psychologique et l'autre. Devons-nous pour autant mettre de côté les plaintes somatique ?
Et alors, comment trouver un équilibre entre la banalisation et la sur-médicalisation.
Mme Maret, "
Névrose hystérique " comme le précise son dossier médical est en maison de retraite. Elle y est charmante et insupportable. Elle n'y reste qu'au prix de quelques jours par an à l'hôpital le temps de laisser souffler le personnel de la maison de retraite Ce jour là quand je vais la chercher, la Directrice me dresse le tableau habituel, elle refuse de se nourrir se plaint sans arrêt de toute sorte de maux, elle refuse de quitter son lit et se laisse tomber si on veut la mettre au fauteuil.
Deux jours plus tard, le bilan biologique est terminé, Mme Maret est transférée dans un hôpital général pour une fracture du fémur dont elle souffre depuis … cinq jours !
Nous avons appris que dans l'hystérie existaient des liens inconscients entre un conflit psychique et les symptômes somatiques. Mais qu'en faire, faut-il en faire quelque chose ?
Le cadre
Au-delà de cette sensation de souffrance, on peut aussi retrouver un sentiment de danger face aux hystériques : les phrases prononcées en réponse à notre questionnaire sont sans appel :
- ça va être le bordel
- Ils sont très demandeurs, épuisants
- Ils inquiètent
- C'est une prise en charge lourde
- Ils sont envahissants, débordants
- Ils nous mettent en difficultés par rapport au regard des autres patients
Nous vous avons prévenu, nous parlons de l'hystérie ou des manifestations hystériques au sein d'une institution de soin.
Et souvent quand on pense institution, on pense cadre. Le cadre permettrait donc de donner des limites aux débordements.
Mais nous pouvons aussi piocher dans l'étymologie comme tout le monde et tirer doucement le fil d'un mot mathématique, géométrique même qui au départ voulait dire carré. C'est ensuite une idée de délimitation, ce qui va structurer ce qui sera à l'intérieur.
Le cadre serait une série de dispositions qui permet d'écouter, de réfléchir, d'élaborer au sein d'une équipe pluridisciplinaire.
Nous allons donc, par notre présence, par nos réponses, par nos positions aider à la structuration de la personne.
Il n'est pas question de fermer, d'empêcher, de contrôler. Il est question d'entourer, de mettre en valeur ce qu'il y a à l'intérieur….
Et si le cadre est un carcan, s'il n'est plus ce lieu d'élaboration que nous venons de dessiner, il va devenir l'objet de la plainte, de la revendication. C'est contre lui que va s'organiser la mise en mouvement du patient. Celui-ci va interpeller la loi que représente alors le cadre, y chercher les failles pour s'y engouffrer ou les colmater.
L'institution ne serait pas seulement une question de cadre.
C'est ainsi que se constitue à l'intérieur de l'hôpital, un réseau précis dont les caractéristiques doivent être la souplesse la mouvance et parfois aussi et c'est très bien je crois la précarité, pour qu'il s'adapte aux demandes qui se font jour.
Et si nous avons entendu récemment que l'institution, c'est un système d'échange permettant de s'ouvrir sur le symbolique, encore faut-il savoir qui est dans ce système d'échange.
Dans une institution, il y a des acteurs, des professionnels, les uns au cours d'entretiens essayent d'évaluer place du symptôme, évolution de la pathologie, ajustement du traitement et de la prise en charge, et j'en passe, d'autres à qui la patiente adressera volontiers ses plaintes contre une équipe forcément incompétente, ceux qui représenteront le " dehors de l'unité " vers qui on ira trouver " autre chose ", ou qui se coltineront les demandes qui n'ont pas obtenu de réponse dans le pavillon, d'autres encore qui devront replacer plaintes et demandes dans leur contexte, et forcément articuler leur travail les autres, il y celle qui pourra répondre aux problèmes du corps pour aller plus loin, d'autres encore qui entendront ce qui ne se dit pas en entretien médical, et ceux qui se relayent 24 heures sur 24 auprès des patients, qui touchent, qui parlent, qui écoutent, ce sont différents professionnels qui, chacun œuvrent auprès des mêmes patients.
Or ce n'est pas que cela l'équipe pluridisciplinaire, car sinon on voit mal se dessiner le patient au travers ce qu'il dépose chez chacun d'entre nous. C'est Jean Oury qui nous dit que le travail en équipe pluridisciplinaire ça sert à ce que les gens sortent de leur statut, qu'il y ait du "je", du "jeu" entre les uns et les autres. Et ce sont ces interstices qui vont donner de l'espace au patient pour se "mobiliser" à tous les sens du terme.
La séduction
On ne pouvait parler de l'hystérie sans parler de la séduction, ni parler de séduction sans parler de sexualité.
Sourires, boutades, changement de sujet, voilà bien notre difficulté à l'hôpital pour parler de sexualité. Les patients ne sont-ils pas asexués, forcément asexués, au moins durant leur séjour dans nos murs.
Et pourtant, dans l'hystérie il est aussi question de ça et pas toujours de manière détournée.
Quand une patiente se roule par terre en saisissant la jambe de l'infirmier en disant "fais-moi un enfant", de quoi parle-t-elle ?
Si le mot histrionisme n'est pas prononcé dans les questionnaires, nous en retrouvons bien la description : les attitudes infantiles, la sensibilité exacerbée, la représentation théâtrale et exhibitionniste, les plaintes multiples, bref la description de personnes envahissantes et débordantes.
L'histrionisme est un trait de la personnalité hystérique qui se caractérise par la co-existence d'au moins 4 des 8 manifestations suivantes :
- recherche des éloges
- comportements de séduction inadaptés
- préoccupation excessive par le souci de plaire physiquement
- exagération inadaptée dans l'expression des émotions
- sensations de malaise dans les situations ou il/elle n'est pas au centre de l'attention d'autrui
- versatilité de l'expression émotionnelle
- égocentrisme et intolérance aux frustrations
- manière de parler trop subjective et pauvre en détail
Un jour, au moment où l'infirmière recevait dans le bureau le beau-père d'un patient, Mlle Rami entre sans frapper faisant irruption dans la conversation. Elle tutoie l'infirmière pour la première fois et lui dit en lui caressant les cheveux "j'aimerai bien avoir tes cheveux". Stupéfaite par cette entrée "théâtrale", l'infirmière recule d'un pas. Cette érotisation soudaine était insupportable pour la soignante, mais pour la patiente ce mouvement de recul l'était tout autant. Elle y répondit par "ça ne doit pas être votre couleur naturelle".
C'est ce qui se passe très souvent, répondez à la séduction c'est une grande angoisse que vous faites naître, résistez et vous provoquez l'agressivité. Encore une fois il s'agit de ne pas rester à ce qui est dit, cette séduction, cette érotisation de la relation masquent en fait une vraie pauvreté affective et une intolérance à la frustration. Elle ne supportait pas de ne pas être au centre des préoccupations. La séduction c'est peut être ce que le soignant ressent, mais est-il question de séduction?
De quoi parle-t-on ? Là encore il est question de langue qui divergent. Lorsque nous parlons sexualité n'entendons-nous rapports sexuels alors que dans l'hystérie il serait question de sexualité infantile, de celle dont Freud nous disait qu'elle structurait la personnalité ?
Conclusion :
Pour terminer, ce travail nous n'en sortons pas avec des affirmations péremptoires sur l'hystérie, mais plutôt avec d'autres interrogations:
A quoi servent les interprétations ou les hypothèses que nous formulons puisque nous n'allons pas les livrer à la patiente? Simples jeux de mots, associations stérile, psychanalyse de comptoir ? Associer à partir de ce que nous montrent ou nous disent les patients est une première attention à ce que nous ne comprenons pas toujours, dont le sens nous est à ce moment caché. Caché à nous mais pas aux patients. Les patients savent et ils nous disent. Seulement ils n'emploient pas le bon langage. A partir de ce que nous aurons interprété (et là le mot est à prendre dans sa définition première, "chercher à rendre intelligible un texte, lui donner un sens") nous devons essayer de traduire.
Or le seul fait d'avoir interprété ne nous amène-t-il pas à approcher le sens, et alors nos attitudes s'en trouvent changées et peuvent permettre aux patients de "parler une autre langue".
La première fois où nous avons abordé dans l'unité l'idée de l'intervention d'aujourd'hui sur l'hystérie, une infirmière disait " c'est une bonne idée, on pourra enfin savoir comment faire avec les hystériques, parce que c'est vraiment difficile ". Après les brillants exposés qui nous ont précédés, nous en savons indéniablement plus sur l'Hystérie, mais certainement pas sur ce qu'il faut faire et c'est tant mieux.
Plus que de savoir-faire, nous avions besoin de savoir comprendre, et en cela, ceux qui auront pu participer à ces séminaires (qui se poursuivent les prochains mois) auront progressé.
Oui, mais comment faire avec les hystériques ?
Nous emprunterons à Lucien Israël quelques extraits de son " initiation à la psychiatrie ". La première chose qu'il nous rappelle est que le névrosé est notre semblable, et qu'à le contester, on s'interdit de trouver le langage qui lui permette de reprendre le cheminement, un temps interrompu par la survenue de ses symptômes.
A sa manière, il pose aussi la question " que veulent les hystériques ?", et de répondre " ils ne veulent pas notre confort, nos objet, ils veulent ce que nous n'avons pas, c'est à dire notre manque. Comment y aurait-il chez nous une place pour autrui si de tels manques n'existaient pas ? ", l'hystérique " cherche un homme ayant le courage de reconnaître en lui un vide, un manque où elle pourrait au moins un temps prendre place. Autrement dit, elle recherche, elle désire le manque de l'autre. Si à cette recherche, l'autre répond par l'offre d'un objet, la mobilité permise par la recherche d'un lieu vide se fige, et l'hystérique bascule dans un état fixé, trop souvent définitif ".
Alors cessons peut être de vouloir " savoir répondre " aux hystériques, et gageons que nos réunions cliniques, réunions de synthèse, flashs dégagés des soucis d'hôtellerie nous permettent de surmonter cette frustration.