L'encoprésie


L'encoprésie des enfants et adolescents est un sujet peu abordé, sans doute trop méconnu de la majorité de la population et même des milieux soignants. On pourrait penser qu'il s'agit d'un symptôme exceptionnel s'inscrivant parfois dans le cadre d'une pathologie psychiatrique, hors il n'en est rien. Il ne vient pas naturellement à l'esprit que nombre d'enfants sont suivis pour cette pathologie plus ou moins récurrente et handicapante, par les médecins de famille et les pédiatres. On dit de ces enfants qu'ils sont encoprétiques et ce problème s'il n'est pas traité peut durer trop longtemps, à notre connaissance jusqu'à l'accès à la vie d'adulte chez certains individus et, peut-être au-delà. Il est difficile de dire si on peut classer cette pathologie dans les maladies orphelines mais le silence pratiqué autour de ce symptôme même au sein des familles, en fait à coup sûr, un sujet tabou. Dans certaines familles, le symptôme est intergénérationnel.

De quoi s'agit-il ?

Le petit Franck est repéré à l'école comme sentant régulièrement mauvais ce qui suscite les moqueries et le rejet des autres élèves. L'enseignante s'énerve et le réprimande lorsqu'il lui arrive de faire ses besoins dans sa culotte. Franck n'a pas de copains et navigue seul dans la cour de l'école et d'ailleurs au fil du temps, il dit préférer être à distance des autres. La maman attentionnée de ce petit garçon l'a pourtant sans brutalité initié à aller régulièrement aux toilettes mais jamais, rien ne vient. C'est toujours au moment où il s'y attend le moins, souvent dans les moments d'excitation liés aux jeux qu'il se lâche et fait alors sous lui. Le papa a fait un temps preuve d'autorité et la malpropreté de Franck a été l'objet de réprimandes ; mais rien n'y a fait. Dans les moments de disputes dans la fratrie, son frère aîné imité du plus jeune, utilisent à son encontre des surnoms peu reluisants en lien avec sa pathologie. Face à l'adversité, Franck a tendance à se réfugier auprès de sa maman qui le nettoie et le change régulièrement. Celle-ci ressent une forte ambivalence à l'encontre de son enfant qu'elle materne comme un petit et dans le même temps, contient son agressivité par rapport à lui. Franck ne participe jamais aux sorties scolaires, ne se rend jamais à la piscine, ne reçoit jamais un copain chez lui de crainte d'être pris à défaut. Sa souffrance morale en lien avec le symptôme d'encoprésie reste à l'intérieur de lui et d'ailleurs, il ne communique globalement qu'assez peu. Après avoir acquis normalement la propreté, le symptôme est apparu chez lui quelques semaines après la naissance de son jeune frère qu'il a, aux dires de la maman, apparemment bien vécu. Différents lavements laxatifs ont été essayé qui n'ont pas résolu le problème sur le fond. Franck est très souvent ballonné et a parfois des douleurs abdominales qui le clouent au lit, l'empêchent de se rendre à l'école. Sur les conseils du médecin traitant, la famille consulte finalement une pédiatre de l'hôpital au fait de ce type de pathologie. Celle-ci ne peut que constater, les risques importants d'occlusion et met immédiatement en place un traitement globalisé plus soutenu.

Contrairement aux apparences, l'enfant encoprétique ne se lâche pas en n'importe quelles circonstances mais au contraire essaie de tout garder en lui, jusqu'à ce qu'il ne puisse plus faire autrement. On peut dire que " çà lâche " malgré sa volonté consciente dans des moments où il ne souhaiterait pas que çà arrive. Les enfants atteints de ce type de trouble peuvent ainsi rester plusieurs jours sans faire leur besoin ce qui entraînent progressivement une dilatation des intestins les amenant à faire de plus en plus avec cet inconfort. Ces enfants sont toujours dans une grande souffrance morale en lien avec ce symptôme, éprouvent toujours de la culpabilité et tout comme leurs familles, de la honte, lorsque l'incident survient. Il est évident aussi que cette situation perturbe grandement leurs relations et ils tentent tant bien que mal, d'aménager leur vie autour de ce phénomène. C'est la plupart du temps à leur corps défendant que les parents viennent consulter et sont généralement convaincus d'une étiologie somatique.

Les causes de telles difficultés du transit intestinal sont variées et peuvent effectivement être d'origine somatique. Il peut s'agir d'un dysfonctionnement intestinal ou d'une malformation anale. Parfois, des antécédents de fissure peuvent amener un enfant à être angoissé par peur d'une douleur éventuelle qui pourrait se réveiller au moment de faire ses besoins. On retrouve également souvent dans ces familles, une fragilité somatique au niveau du transit intestinal qui tend à devenir un mode d'expression des perturbations psychiques, des antécédents de constipation chronique chez l'un des parents. Ce type de pathologie demande aussi souvent une exploration du fonctionnement du système nerveux car certains enfants ne ressentent pas le besoin et/ou les muscles appropriés à la défécation dysfonctionnent.

Il n'en demeure pas moins que même lorsque l'origine du trouble est somatique et surtout si cela perdure dans le temps, ce phénomène entraîne inéluctablement une souffrance morale.

On peut dire qu'il existe deux types d'encoprésie à savoir :
- l'encoprésie primaire au cours de laquelle l'enfant n'a jamais acquis la propreté
- l'encoprésie secondaire après un temps où l'enfant a au contraire, acquis un moment la propreté.

En ce qui concerne le petit Frank, les examens ne révèlent aucune cause somatique que les parents rechignent à admettre et l'étiologie s'oriente vers une origine psychique du trouble.

Les pédiatres s'occupant plus particulièrement de ce type de pathologie ont fait appel à l'unité de pédopsychiatrie de liaison que nous sommes, dans l'objectif d'une prise en charge globalisée de ces patients. A l'origine, leur demande de collaboration est partie d'un constat d'une souffrance morale exacerbée de la plupart de ces patients et de difficultés à impliquer les parents dans le processus de soins.

La palette des soins pour les enfants et adolescents encoprétiques est variée et adaptée à chaque situation particulière :
- le soin somatique se fait en hôpital de jour dans le service de chirurgie pédiatrique par le biais de lavements sous forme de goutte à goutte, 1 fois/3 semaines environ et évolue en fonction des résultats obtenus vers un allègement de la périodicité des lavements et la mise en place de traitements médicamenteux associée à des consultations de suivi, régulières. Entre les journées d'hospitalisation, il n'est pas rare que soit aussi prescrit des soins de lavements pratiqués par les infirmières libérales, au domicile des patients. On peut dire que généralement, la partie la plus intensive des soins somatiques dure en moyenne entre 4 et 6 mois, cependant qu'il y a toujours des situations particulières. L'objectif d'un traitement aussi intensif vise bien évidemment en une régression et une disparition totale du symptôme d'encoprésie.

- Le volet éducatif indispensable vise d'abord en une évaluation du mode de vie de l'enfant et de la famille qui a toujours une forte influence sur le symptôme. En fonction des résultats de cette évaluation, la pédiatre prodigue des conseils simples en termes d'habitude de vie, plus particulièrement alimentaires. Parfois, l'intervention d'un diététicien s'avère nécessaire. Quelquefois, les services éducatifs sont sollicités. Toujours, les parents sont invités à évoquer les difficultés de leur enfant avec les enseignants de l'école, à penser ensemble des aménagements possibles en lien avec la difficulté du moment, à vérifier par eux-mêmes parfois, l'état des toilettes scolaires. Les médecins scolaires ont relevé depuis quelques temps déjà, une détérioration de l'état des toilettes des écoles dans nombre d'établissements, parfois un manque d'intimité indispensable. Ces états de fait sont bien évidemment préjudiciables au maintien d'un bon état de santé. Il y a toujours aussi une évaluation indispensable à faire, au moins dans les échanges que nous avons avec les parents, à ce que les toilettes familiales ne soient pas un lieu sordide ne permettant pas une prise de distance par rapport à la promiscuité.

- La phase aiguë du symptôme avec les risques importants d'occlusion passée, le pédiatre prescrit au cas par cas des séances de kinésithérapie visant à un apprentissage de la maîtrise des sphincters et en massages visant à assouplir l'abdomen. Les kinésithérapeutes intervenant autour de ce symptôme sont en liens avec les pédiatres référents. A l'initiative des pédiatres préoccupés pat cette pathologie, se constitue d'ailleurs et progressivement un réseau avec les médecins de famille parfois désemparés face à la résistance du symptôme et les kinésithérapeutes qui ont envie de se tenir au fait de la prise en charge de cette maladie tabou.

- L'intervention de l'équipe de pédopsychiatrie de liaison pour des suivis en partenariat de ces patients a débuté il y a 2 ans, à la demande des pédiatres. Notre rôle d'infirmier(e) de pédopsychiatrie dans l'accompagnement de ces patients se déroule en 3 temps :
- a)- prise de contact avec le patient et sa famille dans le cadre d'une consultation avec le pédiatre
- b)- rencontres dans l'intervalle des temps de soins somatiques en chirurgie
- c)- au cas par cas ensuite, suivi au plus long cours dans le service de pédopsychiatrie.

a)- : notre présence aux consultations pédiatriques permet d'orienter les soins au-delà du suivi somatique sur lequel se focalisent très souvent les parents et de commencer d'aborder avec eux les enjeux psychiques, autour du symptôme qui motive la demande de soins.

b)- : notre intervention dans le service de chirurgie pédiatrique vise à permettre au patient de verbaliser sa souffrance en lien avec les soins presque toujours vécus de manière intrusive par ceux-ci. Cet espace de temps limité permet aussi bien évidemment de parler ensemble de leur vécu du symptôme avec les conséquences notamment en terme de difficultés relationnelles qu'il entraîne et plus largement leur vécu personnel et familial.

Notre observation de deux ans de cette expérience de travail nous a permis de constater combien ces enfants rechignent à s'exprimer. Il faut du temps pour laisser naître et croître une certaine confiance leur permettant de dépasser la honte éprouvée et le lâcher prise au niveau du transit intestinal va souvent de pair avec lâcher prise dans l'expression verbale. Nous nous devons aussi de tenir compte dans l'apprivoisement nécessaire, de l'aspect forcément intrusif des soins somatiques et de ne pas reproduire parce que nous pouvons nous le permettre, cette même attitude.

Le travail avec les parents est aussi axé autour de la verbalisation de leur vécu en lien avec la pathologie de leur enfant. Ce sont parfois des parents dans la détresse parce que le symptôme a perduré dans le temps. Autant ils éprouvent bien souvent de l'empathie pour leur enfant autant ils ressentent aussi très souvent de l'agressivité voir ont des attitudes de rejet ou d'autoritarisme à son encontre et la honte fait aussi quotidiennement partie de leurs préoccupations. Les contre attitudes parentales font parfois que l'enfant est couvé comme un bébé. Les réactions et contre attitudes parentales sont globalement moins intenses lorsque l'origine du trouble a été déterminé clairement comme étant d'origine somatique. Pour autant, la souffrance psychique est toujours présente et demande à être prise en compte.

c)- : lorsque les examens fonctionnels se révèlent pas de cause somatique, nous choisissons de suivre ces enfants et adolescents sur le plus long terme dans la cadre du service de pédopsychiatrie pour d'une certaine manière affirmer et confirmer l'origine psychique du trouble en question. Malgré les affirmations des différents intervenants d'ailleurs, certains parents continuent dans le temps, de remettre en cause les résultats d'examens et les compétences des pédiatres.

Lors de ses venues à la journée dans le service de chirurgie, Franck a des soins de lavements sous forme d'un goutte à goutte la matin, suivis d'un moment de nursing et d'un temps de pause après le déjeuner servi en chambre. Le goutte à goutte en question nécessite malheureusement une atteinte à son intimité et la mise en place d'une sonde. Pour sa part, Franck a la chance de ne pas être malade après les soins, ce qui arrive souvent sous forme de nausées et/ou vomissements. Quelquefois ils sont dans un grand état de fatigue. Il y a parfois nécessité pour l'équipe de contenir un patient pour effectuer le sondage, ce que les infirmières de l'équipe vivent assez mal et suscitent ensuite des discussions. Les lavements amènent la plupart du temps des évacuations de matières dont parle Franck avec gène. Il s'est enroulé dans un drap comme pour se protéger et protéger son intimité. Comme pour la plupart des autres patients atteints par cette pathologie, il faudra plusieurs rencontres avant que Franck ne parvienne à évoquer un tant soit peu sa souffrance en lien avec les moqueries de ces petits camarades et l'image abîmée qu'il a de lui-même. Sa maman nous décrit un enfant plutôt à l'aise à la maison mais souvent après elle et rechignant toujours le soir à aller dormir seul dans sa chambre. Avant la naissance du dernier né, il venait très régulièrement dans le lit conjugal. Au-delà de quelques disputes passagères entre frères, Franck paraît bien s'entendre avec son puîné. Le symptôme dure depuis 3 ans avec des périodes de rémission peut-être en lien avec des prescriptions régulières de lubrifiants mécaniques de type normacol. Mais ce type de traitements a le désavantage de rendre les intestins paresseux lorsqu'il est utilisé trop souvent et sur le long terme et ne traite pas la globalité du problème. Les parents de Franck ont perdu l'habitude de lui demander d'aller aux toilettes parce que cette démarche est stérile mais ce faisant, le maintiennent aussi dans un statut de petit. La maman nous apprend aussi que suite à la naissance du dernier enfant, celle-ci a connu pendant une période de quelques mois le baby-bluzz. Nous apprenons enfin par la maman, que le papa est régulièrement victime de période de constipation notamment lorsqu'il est contrarié par son travail mais que ce sujet ne doit en aucun cas être évoqué avec lui car il ne supporte pas d'en parler. Peut-être en lien avec l'éducation qu'il a reçu, les pêts en famille sont sujets de réprimandes et/ou de punitions immédiates.

Les soins de lavements absolument nécessaires finissent plus ou moins par être acceptés, moins mal subis plutôt par Franck, dans l'espoir grandissant chez lui de la disparition d'un symptôme qui s'était chronicisé. Après 3 rencontres dans le service au moment des soins somatiques, nous recevons Franck en ambulatoire dans le service de pédopsychiatrie. Au fil des séances nous évoquons ensemble et sur un plan plus large dans lequel s'inscrit le symptôme, différents aspects de sa vie. L'existence de ce symptôme prend progressivement sens et Franck nous évoque sa souffrance lorsque sa maman n'avait pas le moral après la naissance de son frère, ce qui lui a donné l'impression d'avoir perdu sa place. Franck a sans cesse besoin d'être rassuré quant à savoir si ses parents, tout particulièrement sa maman, l'aiment. C'est une quête sans fin qui ne le rassure pourtant pas. Franck se vit comme n'étant guère revalorisant pour ses parents parce que dans le même temps il s'adapte mal à l'école. Il a tendance dans la classe à se faire tout petit pour essayer de passer inaperçu par crainte de faire dans sa culotte et n'avait jusqu'à présent personne pour parler de tout çà. Le papa qui vient à quelques entretiens finit par évoquer un peu gêné mais avec humour, ses problèmes récurrents de constipation ce qui amène une discussion autour d'une certaine rigidité de sa part. Cet entretien " soulagera " toute la famille et c'est à qui ensuite prend la parole. Parallèlement et après 4 mois de lavements réguliers, une nette régression du symptôme se fait jour ce qui rend Franck beaucoup plus optimiste. D'ailleurs son visage change aussi pour devenir plus ouvert et il se permet maintenant de prendre quelques initiatives à l'école. Plusieurs éléments convergents ont amené à l'installation de ce symptôme c'est pourquoi il a été essentiel d'inscrire le suivi sur le plan psychique, dans la globalité du vécu de Franck.

Pour Franck comme pour la plupart des patients que nous sommes amenés à suivre, l'association des soins somatiques et psychiques amènent généralement à une disparition totale de ce trouble après 9 mois à un an de soins relativement intensifs. De l'avis des pédiatres, la convergence des deux types de soins associés, a permis un net raccourcissement des durées de prise en charge avec une meilleure participation des parents au processus de soins. Chaque situation est véritablement un cas particulier notamment quant à la représentation qu'ont les parents de leur enfant. Dans la situation de Franck, les enjeux ont été assez aisément repérables, les parents plutôt empathiques, ce qui est loin d'être toujours le cas.

Sur la zone géographique couverte par le CHU où nous travaillons, nous avons découvert avec surprise que nombre d'enfants et d'adolescents sont atteints de ce trouble. Pour notre part nous suivons en moyenne entre 20 et 30 situations à l'année et nombre de patients sont suivis par les médecins de famille parce que l'ampleur du symptôme est heureusement moins critique. On comprend bien dans l'ensemble que ces enfants peinent à grandir, ont des difficultés d'adaptation scolaire, des conduites d'évitement, sont plutôt renfermés, ont souvent une image d'eux-mêmes détériorée et que l'évocation de leurs troubles est pour eux difficile parce qu'empreints de culpabilité et de honte. Lorsque le symptôme n'est pas d'origine somatique, il est toujours l'enjeu d'une quête affective et de reconnaissance, souvent aussi l'expression de problèmes psychiques chez l'un des deux parents, voir dans l'ensemble de la famille. Pour autant, les soins somatiques et son versant éducatif et de conseils sont indispensables et c'est véritablement l'association d'un double suivi qui est susceptible d'améliorer le vécu quotidien du patient. Il nous paraît aussi essentiel dans la prise en charge de ce type de patient d'être vigilent à des maltraitances éventuelles suscitées par ce type de trouble. Ce symptôme est aussi parfois l'expression de maltraitance sexuelle, d'attitudes incestuelles, de comportements fusionnels.

En tant qu'infirmier psychiatrique, j'ai souhaité témoigner au sujet de cette pathologie trop méconnue, ne sachant si par ailleurs en d'autres lieux des prises en charge globalisées ont pu se mettre en place, espérant pour ces patients une toujours meilleure prise en compte de leur souffrance.

J.Héno (ISP) - Le 04/01/2007.






nous contacter:serpsy@serpsy.org