Historique de l'hôpital ESQUIROL
I° La création de la Maison de Charenton
Les documents relatifs à l'origine de la Maison de Charenton en déterminent la création et la mise en place entre 1641 et 1645 sous le nom "d'hospice de Charenton-Saint-Maurice" tenu par les Frères de la Charité de l'ordre de Saint Jean de Dieu. Sébastien Leblanc, conseiller de Louis XIII et contrôleur des guerres leur fait donation le 13 septembre 1641 de maisons et de terre sur la paroisse de Charenton, Saint-Maurice . à charge pour les religieux de s'y installer et d'y recevoir les pauvres malades en un hospice de cinq lits sous le titre de la Charité Notre Dame de la Paix.
L'ouverture de la Maison de Charenton se situe donc dans le contexte général du "Grand renfermement" de l'âge classique tel que le définit Michel Foucault(1), attitude de politique d'assainissement policier qui prend une forme institutionnelle avec la création de l'hôpital général par Louis XVI en 1656 (2).
Des donations successives viennent augmenter la première, et par acte du 4 mai 1662, une première augmentation de la capacité d'hébergement de l'hôpital est prévue : "sept en l'honneur des sept angoisses de la Vierge et des sept œuvres de miséricorde spirituelle et corporelle".
L'installation dans l'hôpital des Frères de la Charité, appelés en France par Marie de Médicis, le 16 mai 1645 marque le début de l'occupation religieuse de Charenton qui se poursuivra jusqu'à la révolution.
Il ne semble pas que Charenton ait été destiné, au départ, à recevoir une population locale. La maison s'insère donc dans le contexte général de Paris.
En septembre 1660, un arrêt du Parlement de Paris ordonne que les aliénés soient reçus à l'Hôtel-Dieu pour y être traités dans des locaux spécialisés. Les insensés, ainsi hospitalisés étaient rapidement transférés, les plus favorisés aux Petites maisons de la rue de Sèvres et à Charenton. Cet arrêt du Parlement est la première trace législative visant à l'hospitalisation spécialisée des malades mentaux.
Ainsi Charenton accueillait non pas des pauvres, mais des pensionnaires d'origine moins modeste.
L'enfermement des insensés va se développer durant la seconde moitié du XVIIème siècle. A la fin du siècle est édifié dans l'hôpital un bâtiment séparé des locaux d'origine, et consacré à l'enfermement des hommes atteints de troubles mentaux.
L'activité de l'établissement croît tout au long du XVIIIème siècle: l'enrichissement de la communauté aboutissant, en 1768, à l'acquisition par les religieux de la Charité de la seigneurie de Charenton-Saint-Maurice et des fiefs de la Rivière et de la Chaussée.(3)
II° La Maison de Charenton sous l'ancien régime
"Ce qui ressort à l'évidence, c'est que les mesures d'internement n'étaient soumises à aucune règle et que cet acte, si grave en lui-même, échappait à toute constatation légale. Les "fous" étaient reçus sans autorisation spéciale, aucune garantie n'établissait la nécessité de l'admission ; c'était l'arbitraire qui régissait la suppression de la liberté individuelle" (4)
La coexistence des malades mentaux et des réclusionnaires semble être le trait dominant de la vocation de Charenton jusqu'à la révolution. Il est difficile, là encore, de cerner la date inaugurant l'accueil des personnes adressées par lettre de cachet à l'établissement : seul un capitulaire de 1720 fait état de la présence de ces prisonniers. GAUSSENS estime que la pratique remonte au début du XVIIIème siècle, qu'elle se développe progressivement, pour diminuer à nouveau sous le règne de Louis XVI.
Au XVIIIème siècle la communauté était composée de 10 membres :
- un Prieur, dirigeant de la Communauté
- un frère directeur de la Maison des Fous
- un frère régissant les cuisines
- un frère gérant la dépense
- un frère médecin
- un frère gérant la pharmacie
- les autres religieux se répartissant la direction des soins infirmiers, les tâches du service hôtelier étant assurées par une cinquantaine de servantes et serviteurs.
Le Prieur convoquait et présidait les réunions du chapitre, au cours desquelles les frères "délibéraient sur les intérêts de l'hôpital et de la communauté, sur les améliorations à introduire en faveur des malades, des pensionnaires et des détenus, sur les réparations, sur les constructions nouvelles. Tout était décidé à la majorité des suffrages : il en était de même pour les dons que recevait la communauté et pour ceux que celle ci envoyait aux différentes maisons du même ordre, établies dans différentes villes de France" (5)
Un capitulaire de 1701 évoque pour la première fois la construction d'une chapelle séparée des fous. Cette chapelle fut bénite cette même année.
Un capitulaire de 1720 précise le nombre de réclusionnaires : outre les pauvres malades de l'hôpital, il y avait habituellement dans la maison 120 pensionnaires la plupart retenus par ordre du Roi, souvent par évacuation de la Bastille ou autres lieux.
Un capitulaire du 2 février 1722 fait état de la recommandation faite au Prieur de visiter au moins une fois par semaine tous les pensionnaires "tant pour les consoler que pour connaître leur situation, leurs besoins et pour s'assurer qu'ils sont bien traités." Il est décidé par le même acte de doter "l'apothicairerie" des "drogues simples et composées" nécessaires à l'usage des religieux, des malades pauvres et des fous.
Les Frères de Saint-Jean de Dieu suivaient des règles générales définies par l'ordre lui-même. "Les frères qui desservaient les hôpitaux de la Charité étudiaient au cours de leur noviciat la médecine, la chirurgie, la pharmacie, l'administration, puis se spécialisaient dans une de ces branches... Les malades étaient répartis en plusieurs catégories suivant la nature et la gravité de leur mal ; c'était la force, la demi-liberté, la liberté comportant chacune des subdivisions.
Selon le Dr LEHALLE (6) les insensés étaient traités à l'aide de médicaments, de saignées et d'action consolatrice et d'assistance. Les malades récalcitrants étaient condamnés à l'isolement complet et au cachot.
III° La période révolutionnaire (7)
L'hôpital n'échappera pas à la tourmente mais la transition débuta sous des auspices favorables. Un rapport établi à la demande du comité de mendicité s'achève par une appréciation très laudative : "cet établissement mérite la plus grande faveur". On pouvait alors croire qu'il ne connaîtrait pas le sort réservé aux autres institutions.
En 1792, la loi du 18 avril qui ordonne la suppression des ordres religieux entraîne la fermeture de l'établissement. Le comité de Salut public, par un arrêté du 30 juillet 1795 ordonne l'évacuation définitive de la Maison : les pensionnaires sont dispersés, la maison est pillée avant d'être transformée en prison d'état, annexe de Vincennes.
Le 19 frimaire AN VII prescrit de ne plus accueillir les aliénés à l'hôtel-Dieu de Paris mais de les envoyer à Charenton. Le 15 juin 1797 (Prairial an V) le Directoire décide la réouverture de l'établissement.
L'hôpital bénéficie d'un nouveau statut, administratif et laïc, il est placé sous la tutelle du Ministre de l'intérieur.
La direction de l'établissement est confiée sous le titre de Régisseur général à l'Abbé de Coulmier, ancien supérieur des Prémontrés. En 1810, la Maison de Charenton accueille 328 pensionnaires.
Cette période va être marquée par l'absence totale de réglement intérieur, ce qui va permettre au directeur d'exercer un pouvoir despostique tant au plan de la gestion qu'au plan médical.(8)Lui succédera un ancien avocat, Roulhac du Maupas qui, avec l'appui du médecin-chef de la Maison de Charenton, inaugure une décennie de transition où commence à se dessiner les réformes que la promulgation de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés entérinera.
L'arrivée de Jean-Etienne ESQUIROL, en 1825, en tant que médecin-chef ouvre une période d'intense activité qui contribuera à la renommée internationale de l'établissement et verra se succéder les plus célèbres aliénistes : Moreau de Tours, Archambault, Ritti....
Esquirol, natif de Toulouse, est disciple préféré de Pinel ; il croit profondément à la nécessité d'améliorer les asiles au profit des malades, souhaitant que les maisons d'aliénés deviennent "un instrument de guérison" et non plus seulement un lieu de contention.
En juin 1883, il dresse le programme d'un nouvel asile destiné à accueillir 300 malades. Il décrit sur le plateau, un bâtiment symétrique et régulier aux lignes parallèles dont la masse imposante doit agir sur le patient et favoriser le "traitement moral" de la maladie.
L'architecte Emile Gilbert, réalise durant sept mois deux variantes du projet de reconstruction, dont l'une restera à peu de chose près le plan définitif de l'hôpital. La première pierre du nouvel édifice est posée le 30 octobre 1838.
Les travaux dureront 6 ans et seront interrompus, faute de crédits. Ils reprendront en 1865 et s'achèveront enfin en 1886.
Cette réalisation est perçue selon l'expression de Pierre Pinon (architecte) soit comme "un temple de la raison" soit comme "une folie de l'archéologie".
En 1870, STRAUSS (9), indique que la population s'éleva à 800 personnes non compris les blessés militaires évacués à la suite du bombardement de Ste Anne et les 137 réfugiés qui avaient fuit leurs demeures. Comme les infirmiers étaient appelés sous les drapeaux, les "fous" remplacèrent leurs gardiens auprès des patients plus atteints.
Au lendemain de la première guerre mondiale, dans un contexte démographique bouleversé où le relèvement de la natalité devient un mot d'ordre national, le Ministre de l'Hygiène, de l'Assistance et de la Prévoyance sociale arrêta le projet inspiré par le professeur Pinard et une loi du 13 juillet 1920 fixe le projet de transformation de l'hôpital en Maison Maternelle Nationale.
Ce projet n'aboutit que partiellement, sans remettre en cause la vocation psychiatrique de l'établissement. Il est à l'origine d'une cohabitation originale et parfois complémentaire.
La partie de l'hôpital abritant les malades mentaux n'eut plus d'existence juridique (les familles aisées transférèrent leurs malades dans d'autres établissements, il resta à Charenton les pensionnaires les plus démunis.
Pendant la deuxième guerre mondiale, la section maternelle est évacuée pendant u ne année environ en Anjou. Les infirmiers sont mobilisés. Les infirmières qui restent à l'hôpital s'occupent des malades mentaux. Un grand nombre de ceux-ci mourront de malnutrition pendant cette période.
En 1958, une maternité cantonale est aménagée et deviendra le service de Gynécologie-Obstétrique.
VI°La naissance du syndicalisme infirmier à Saint Maurice
(10)Il faudra attendre le début du XXème siècle pour qu'il soit mis fin progressivement à l'absence de séparation entre vie privée et vie professionnelle... Au fur et à mesure des évolutions de la législation sociale, l'écart entre les personnels asilaires et les salariés est devenu intenable. Dans de grands établissements, les infirmiers ont commencé à manifester leur souci de se regrouper autour d'objectifs spécifiques : la première pétition connue d'infirmiers à l'ancienne maison de Charenton, à propos des gages et des avantages en nature, date de 1888.
Il a fallu néanmoins attendre le 18 avril 1906 pour que se crée l'Association des employés de la maison nationale de Saint Maurice, qui adhère, l'année suivante, au Syndicat du personnel non gradé des asiles nationaux. Les adhérents de cet asile sont au nombre de 140 (80 hommes et 60 femmes) soit les 3/5 du personnel dit subalterne. L'administration parle de "syndicat infirmier" et s'inquiète d'un cahier de réclamation rédigé en 1908.
En 1970, l'hôpital perd son caractère d'établissement national, il devient Etablissement Public hospitalier autonome du département de Paris.
En 1973, l'hôpital devient l'hôpital Esquirol de Saint-Maurice.
En 1991, l'hôpital devient établissement public de santé.
L'ensemble architectural est inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques ; tout projet concernant les murs ou les espaces verts nécessite l'aval de Ministère de la culture puisque l'hôpital relève du régime des monuments historiques et de la Délégation régionale à l'aménagement et à l'équipement qui ont pour fonction de préserver et de maintenir le patrimoine architectural ainsi que les espaces verts des sites classés.