Cher Manu, chère Anne-Marie,


Je remercie cette dame pour sa réaction qui pour une fois est autre chose que passionnelle. Je m'étonnais que ça tarde autant à venir. Pour l'heure, je n'avais reçu que des messages scandalisés, déniant cette réalité quotidienne ou à l'inverse, des réactions de sympathie larmoyante.

Aujourd'hui, si on décide de raconter ce qui se passe d'un côté ou de l'autre dans ce pays, on est forcément taxé de pro ou anti, sans autre forme de procès. Certains de nos propos sont sortis de leur contexte, on oubli des pans entiers de nos écrits ... Que ce soit dedans ou dehors, en famille ou en société. Il est devenu tabou de parler de ce qui se passe en Israël comme en Palestine. Quiconque prend la parole est pris dans ce que nous appelons dans le jargon psy, un double lien scindé. Quoi qu'il dise, ça se retourne contre celui qui parle.

Médecin du Monde vient de sortir la seconde partie d'un rapport sur les effets dévastateurs sur le plan physique comme sur le plan psychique du conflit sur les civils de part et d'autre. La méthode, les propos, l'analyse laissent sans doute à désirer. Il n'empêche que l'idée était de se décentrer du conflit en se centrant sur les victimes quelles qu'elles soient. La première partie était fondée sur une enquête faite pendant une opération militaire en Cisjordanie. La seconde porte sur une enquête faite en Israël après une série d'attentats suicides (cette dernière partie est sortie cette semaine et vous pouvez trouver l'intégralité de ce rapport sur le site de médecins du monde). Chaque sortie de rapport a été accompagnée de réactions extrêmement virulantes de chaque côté. A chaque fois, nous avons été taxé de pro ou d'anti par les uns ou les autres. Aucune discussion n'a été possible. Comme si nous étions en terre brûlée. Toute tentative de reconnaissance de souffrance et de décentrage semble stérile et vouée à l'échec.

Le ton, les propos et donc le positionnement que j'ai tenu dans ces chroniques sont ce qu'ils sont et je peux tout à fait comprendre que ce soit choquant à plus d'un titre. Cela dit, je travaillais à Naplouse et c'est de là d'où jécris. C'est la vie de tous les jours et de ça, on ne parle pas dans les médias. Dire que dans le monde on ne se doute pas de ce qui se passe là-bas au jour le jour est un euphémisme. Par ailleurs, sur place, beaucoup d'Israéliens n'ont aucune connaissance de cette mort lente distillée de manière "homéopathique".
Cela dit, les chroniques ne sont pas terminées et j'ai dans ma besace d'autres histoires, celles de certains Israéliens (groupes ou individus isolés) qui tentent de résister et continuent à leur manière à lutter pour la paix, au risque de leur vie pour certains.

Voilà, pour aujourd'hui ce que je peux répondre pour ouvrir un dialogue si c'est possible. Certes j'ai raconté ce que je voyais mais je crois avoir écrit également qu'à aucun moment je ne faisais corps avec l'un ou l'autre parti. Il me semble important que nous essayons de nous utiliser à tisser des liens de part et d'autres.

Avec tout mon respect pour cette dame.

marie