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PSY DU BOUT DU MONDE

Après le blé vient l'automne … n°22




En ce mois de juin la campagne palestinienne ressemble à un vaste tableau champêtre de Millet. Partout dans les champs, hommes, femmes et enfants s'affairent à leurs cultures. Le blé et le fourrage coupés sèchent sur place ou dans les greniers. Le maïs et le sorgho forcissent. Les légumes de toutes les couleurs, acheminés vers la ville, vont fleurir les étals des souks. Des tonnes de pastèques déferlent dans les rues de Naplouse sur les carrioles ambulantes. " L'été se passe toujours à manger les récoltes comme à l'époque " nous dit Hadje Fatme en riant. Dans les jardins, les arbres croulent sous les figues et les pêches. L'ambre des raisins nous nargue sous les tonnelles. La chaleur est écrasante. Imaginez l'effort qu'il nous faut faire pour tendre la main jusqu'aux fruits gorgés de soleil... Allez, plaigniez-nous un peu !

C'est en septembre que la pleine activité reprend, autour des olives. La cueillette dure environ deux mois. " Dans le temps, il n'y avait pas de machine pour sortir l'huile. On faisait tout à la presse. On mettait les olives entre deux pierres et pendant deux heures environ, on les concassait en mouvements réguliers". Pendant que Hadje Fatme nous raconte la fabrication de l'huile, les femmes s'agitent dans la maison voisine et reviennent avec la fameuse pierre à concasser. " Les jarres ou bidons d'huile étaient ensuite chargés sur les ânes ou les chameaux et on allait les vendre à Naplouse ou les échanger contre de la nourriture ou d'autres choses nécessaires ". Un coiffeur s'est ainsi fait une grande réputation à Naplouse : " il faisant crédit pendant plusieurs mois ... oui, il demandait à être payé en huile le jour venu ! ". En dehors des conserves, l'huile d'olive était déjà peu utilisée pour la consommation courante locale. Par contre, elle était appréciée pour l'exportation tout comme ses produits dérivés et les savonneries de Naplouse étaient les plus réputées de Palestine. Aujourd'hui, de ces magnifiques bâtisses ne restent plus que des ruines. Seules quelques villageoises continuent à fabriquer les savons pour leur usage domestique.

Si la règle de notre groupe est de ne parler que des doux moments du passé, en abordant la cueillette des olives le douloureux présent fait irruption dans chaque anecdote. Il faut dire qu'il ne se passe pas un seul jour où un paysan ne voit ses arbres arrachés, ses terres annexées. Si l'olivier est le symbole de la Palestine, il est aussi celui de toutes les injustices. Aujourd'hui à Azmut, les champs d'oliviers sont balafrés de tranchées pour permettre aux chars de circuler. Ici les soldats, ailleurs les colons. Qariut (1) est un petit village, situé au pied d'une colline sur laquelle vivaient trois colonies. La cohabitation était tranquille à condition, bien entendu, que chacun reste chez toi. Trois nouvelles colonies sont actuellement en construction et le dernier chantier a ouvert la semaine dernière. Là, l'équilibre a totalement été rompu. L'installation de colonie nécessite du terrain. Aussi, cette semaine trois cents oliviers ont-ils été arrachés en une nuit. Jamal montre à Henriette les terres que son père, son grand-père et son arrière-grand-père lui avaient transmises. Un véritable saccage. Il y a quelques semaines les chars ont écrasé les blés naissants. Plus rien ne lui appartient pas plus qu'à ses voisins. Les colons veillent nuit et jour dans leur mirador et tirent sur tout ce qui bouge. N'écoutez pas les médias …

Digression un peu longue, à la mesure de la douleur lorsqu'on aborde ce sujet. Mais de champs saccagés, nous passons à champs labourés et nous retombons sur nos pieds !
Octobre c'est la saison des labours : " On n'avait pas peur du travail. On retournait les champs à la pioche ! ", raconte Hadje Fatme. " Mais maintenant on est plus riche, regardez ! " continue-t-elle en éclatant de rire. Les femmes sont allées nous chercher ce qui leur sert d'araire. Rien d'autre qu'une branche tordue d'olivier, sur laquelle est fixé un coin en ferraille. Et les voici mimant le geste du laboureur. Chacun corrige, naturellement, qui l'inclinaison du dos, qui la position des jambes… C'est reparti pour la bonne humeur. " Aujourd'hui les animaux ont remplacé l'homme. Ce sont les ânes, les chevaux ou les vaches qui tirent l'araire "
L'hiver s'étire ainsi tout tranquillement autour des derniers travaux des champs : greffes et tailles des fruitiers, coupe du bois… et des travaux d'intérieur : réparation des outils, vannerie, broderie... Viendra ensuite le temps des semailles. Ainsi allait la vie en Palestine, ainsi va-t-elle en apparence aujourd'hui.



Marie Rajablat 30 juin 2003


Notes :

1 Village palestinien situé ente Naplouse et Jérusalem