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Retour à Psy bout du monde


" A passage to India "
PSYCHIATRES ,PSYCHOTHERAPEUTES ET CHAMANS EN INDE


DOCTEUR PATRICK BANTMAN
DOCTEUR DIDIER SABATIER

Psychiatres des Hôpitaux Paris


Nous avons effectué en août 2005 un séjour dans le nord de l'Inde .Il faisait suite à un premier voyage qui avait eu lieu en novembre 2004, à la rencontre de Psychiatres , psychothérapeutes et thérapeutes traditionnels afin d'évaluer la situation de la Psychiatrie et de la Psychanalyse ainsi que la part de la spiritualité et des traditions dans le traitement des maladies mentales .Les impressions de ces deux voyages ont été enrichies grâce à une active correspondance des représentants de la communauté Psychiatrique indienne .

L'Inde est un pays grand comme 6 fois la France , de plus d'un milliard d'habitants .On estime qu'il devrait dépasser la Chine au milieu du XXIé siècle. Souvent vécue comme difficile , voire incompréhensible et insupportable par sa pauvreté et ses foules , l'Inde réserve bien des surprises si on veut s'en donner la peine …. Multiple dans sa diversité, unique parmi les nations,elle rêve d'unité. Nous avons décidé d'y réunir en novembre 2006 français et indiens qui s'interrogent et travaillent sur le psychisme .

Un voyage s'imposait, un passeur aussi.Qui d'autre que le Dr Jacques Vigne , psychiatre français vivant en Inde depuis plus de vingt ans ?
De l'hôtel cinq étoiles de New Delhi à l'ashram de Ma Anandamayee il y a une nuit de train ;et c'est le monde qui bascule.

Comment ce pays qui fascine et repousse en même temps aborde-t-il la souffrance psychique , la maladie mentale ?
Existe-il des Psychanalystes et comment exercent-t-ils . ?
Ces questions seront abordées l'année prochaine à New-Delhi lors d'une Conférence sur la place de la croyance dans l'approche des troubles Psychiques1.
L'inde dispose d'une infrastructure Psychiatrique " suffisante " et de " bonnes conditions de soins et d'assistance psychiatrique ", selon le Dr Nehru ,Président de la Société Psychiatrique de Delhi. Par contre il n'y a pas assez de Psychiatres pour faire fonctionner ces infrastructures (300 Psychiatres à Delhi et 3000 pour tout le pays dont 500 au Royaume - Uni contre 13000 en France !!!). Beaucoup de ces psychiatres sont partis s'installer au Royaume -Uni ou aux USA .Le nombre d'étudiants en Médecine intéressés par la Psychiatrie est important mais ces derniers ne peuvent pas recevoir une formation suffisante du fait de la pénurie d' enseignants partis à l' étranger . Les références utilisées par les Psychiatres indiens sont dans la grande majorité les références anglo-saxonnes en usage dans le reste du monde dont la France (DSMIV). Ils essayent cependant de garder une certaine distance vis à vis cette " bible "internationale en l'adaptant avec d'autres classification telle la CIM10 dont l'usage s'est généralisé en France contre l'extension du DSMIV.

Il y a 600 psychologues et autant de travailleurs " socio-psy "en Inde.En 1986 36 psychanalystes affiliés à la Société Psychanalytique Indienne membre de l'IPA (International Psychoanalytic Association )étaient recensés.Le Centre de Psychothérapie et de Psychanalyse dirigé par le Dr Ashok Nagpal à New-Delhi développe, à partir de l'université, l'enseignement de Freud pour une dizaine d'étudiants qui partiront en stage au Royaume -Uni ou aux Usa. C'est la première institution de ce type en Inde .Le Dr Nagpal évoque le fossé (gap) entre Psychiatres et Psychanalystes .La vieille société psychanalytique de Calcutta née en 1922 ne comptait en 1987 que 34 membres .

Comme nous le dira Ashok Nagpal , l'expérience du Tsunami ,où l'Inde refusa l'assistance étrangère ,fut aussi le moment où se posèrent des questions sur des " besoins autres "ressentis par la population à côté de l'aide matérielle.En France,dans de telles circonstances catastrophiques, le " spécialiste psy "est interpellé sur le traumatisme physique et psychique afin de donner du sens à l'événement .Pour Ashok Nagpal cela représente un moment d'intégration de la dimension traumatique et du besoin d'une société pluraliste qui associe la dimension psychique aux besoins vitaux d'une population . L'actuel président de la société psychiatrique de Delhi, le Dr Ravi Nerhu ,est un ami d'enfance du Dr Ashok Nagpal ,directeur du centre des études psychanalytiques de l'université de Delhi. Ils savent parfaitement tous deux que la quasi-totalité de leurs compatriotes s'en remet aux Gourous ou aux innombrables shamans afin de les aider à régler leurs difficultés existentielles. Cela leur pose d'irritantes et incessantes questions.

Le religieux, la croyance et la superstition imprègnent la vie quotidienne et en sont indissociables.Toutefois,comme nous l'expliquait un membre du Parti Communiste Indien, avec l'éclatement de la famille indienne lié aux bouleversements de l'économie, le changement est en marche.Vers ou ?

La Famille,facteur de cohésion sociale et d'intégration de la folie,tend à se fissurer.
Et le flot humain s'écoule inlassablement dans villes, villages et campagnes, sans début ni fin, à l'image du fleuve sacré.

Kankhal,gros village des contreforts de l'Himalaya,aux rues défoncées survit au bord d'un Gange en furie pour cause de mousson. Malheur à qui glisse sur une marche des " gaths " et périra emporté par les flots sacrés ! Ou félicité ? Kankhal porte en son sein un curieux personnage :Vijayananda, gourou vénéré né d'une famille alsacienne il y a plus de 90 ans,qui se définit lui-même comme un homme ordinaire. Ici on invoque " l'Un "mais au quotidien on vit un polythéisme coloré. Notre guide nous dirige le long du Gange en direction de sa source. Nous rencontrons, en son ashram de Shivananda , Swami Yogswarupananda ,maître de yoga qui évoque en souriant la conscience,état subtil de l'espace.

En Inde plus qu'ailleurs semble exister une dimension spirituelle , dont nous saisissons la force dans les villes religieuses du nord du Gange et dans les propos des gourus rencontrés . A l'ashram , la " guérison psychique " peut-être considérée comme un acte " d'amour ", de fusion avec le malade, nous dit le yogi thérapeute de Rischikesh , mais le gouru n'hésite pas à adresser au Psychiatre si la maladie psychique est trop grave . Dans ce pays se côtoient sans toujours se rencontrer tradition et modernité , singulier et pluriel, mondes rural et urbain. Ce fossé entre modernité et traditions culturelles et religieuses existe aussi entre Psychiatres et Psychothérapeutes , les seconds plus sensibles que les premiers aux conditions sociales et contextuelles des manifestations pathologiques .. Ecouter le gouru nécessite un effort pour mettre de côté notre rationalisme et accepter d'autres catégories psychologiques auxquelles notre esprit, qu'on soit Psychiatre où Psychanalyste n'est pas habitué .Dans cet univers ou le silence et la méditation ont toute leur importance , il est question de paix intérieure, de joie , d'harmonie .Il est difficile de comprendre- pour un occidental- l'expérience mystique et la spiritualité qui sont profondément inscrits dans la culture indienne. L'expérience des gourus , maîtres spirituels , sadhus , pirs et autres sages du sous continent en matière de Psychologie et les pratiques des guérisseurs dans les cultures indiennes et occidentales ont été bien étudiées par Jacques Vignes et Sudhir Kakar , entre autres . La famille est aussi une référence centrale autant que la référence religieuse et culturelle . Des temples comme Balajji fonctionnent comme un lieu de guérison pour les familles qui accompagnent les patients et participent aux rituels .Dans ce cadre les principes thérapeutiques sont concernés par le contexte de la maladie et impliquent les proches du patient.La guérison individuelle est liée autant aux rapports harmonieux de l'individu avec le groupe qu'à son rapport avec la tradition religieuse .

Les liens qui unissent corps et psychisme , mais aussi société et cosmos ne font pas partie de la philosophie occidentale alors qu'ils sont très prégnants dans la tradition indienne .Le corps pour l'Ayurveda est le lieu de rencontre d'une conjonction d'éléments en lien avec le cosmos et qui échange en permanence avec l'environnement. Entre le contexte et l'objet , le non-soi et le soi , il y a une continuité , un flux constant de substance dans la nutrition , la respiration , la sexualité , la sensation , la pensée …. Ces éléments constituent le prisme culturel à travers lequel on considère la personne en Inde .Comme le dit S.Kakhar , l'homme est percu comme un microcosme , tout ce qui fait partie du cosmos a son homologue dans la personne .La séparation entre soma et psyché est beaucoup plus nuancée que dans la conception occidentale moderne .Au cours de ces discussions avec les gourus ou avec Jacques Vignes ,( notre guide , interprète , lui-même gouru et totalement versé dans la spiritualité indienne) nous avons découvert la richesse de ce patrimoine aux confins du Gange et de l'Himalaya, dans des paysages sublimes de montagnes et de vallées où le fleuve est au plus haut niveau en cette période de l'année … Mais l'essentiel de cet apport vient sans doute du trésor de sagesse humaine et de spiritualité qu'il renferme …

AÔUT 2005