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Photo Joël F. Volson

Sans droit fondamental

Le Haut Comité de la Santé Publique estime que " la souffrance psychique " est, actuellement, dans le domaine de la santé, le symptôme majeur de la précarité.

Les états dépressifs et anxieux nés d'un sentiment d'inutilité, voire de honte, s'associant à des troubles somatiques (tuberculose et dermatoses) toucheraient, selon l'HCSP, 20% de la population.

L'INSEE vient de recenser 3,5 millions de ménages pauvres.

" Est pauvre, celui qui perçoit 3800 F ou moins par mois ", c'est-à-dire tous ceux, entre autres, qui touchent les minimas sociaux (chômeurs en fin de droit, r.m.istes, allocataires handicapés, jeunes sans emplois) et salariés à temps partiel, ou étudiants sans aide parentale.

Devons-nous nous habituer à ces chiffres froids et monstrueux ?

Cette situation catastrophique d'une partie de la population est la conséquence de choix économiques et sociaux. En effet, notre société démocratique et libérale accepte, dans le fonctionnement de son système, que 10% de la population vive dans la précarité qui entraîne la rupture du lien social et la marginalisation.

Le sociologue Pierre BOURDIEU, dans son livre " La Misère du Monde " met en évidence la " dislocation sociale " et souligne la souffrance sociale des exclus.

Un certain nombre de rapports et d'études tels que " Psychiatrie et grande exclusion " de M. MINARD et E. PIEL, ou le rapport de P. JOLY, au Conseil Economique et Social, montrent qu'à côté de la population connue et suivie des malades mentaux coexistent des personnes souffrant de troubles psychiques ou même psychiatriques, en raison de la précarité de leurs conditions de vie.

En effet, les études montrent, à l'évidence, que ces troubles résultent d'un vécu douloureux lié à l'exclusion professionnelle, puis sociale.

La personne perd son emploi, sa famille, son logement, son identité. Elle n'a plus de repères, plus de lien social. Peu à peu, elle perd son identité et revêt l'habit de S.D.F.

Un S.D.F. n'a pas de futur, pas d'avenir, pas d'espoir. Il ne peut faire des projets à moyen et long terme. Il est dans la survie et concentre ses forces psychiques et physiques pour trouver un lit, un repas chaud. Pour " tenir le coup ", la personne S.D.F., le plus souvent, s'alcoolise et se drogue.

Malgré l'extension de certains droits (exemple : la généralisation progressive de la sécurité sociale), la complexité croissante des rouages administratifs et le manque de " lisibilité " des organismes sociaux empêchent les usagers de connaître et d'accéder à leurs droits : la " politique du guichet " de plus en plus développée, s'oppose souvent aux droits des citoyens.

Enfin, la réduction de certaines prestations AAH, RMI (au 61ème jour d'hospitalisation) et l'obligation de s'acquitter du forfait hospitalier, nous limitent dans les propositions de réinsertion.
Cette précarisation qui touche les patients amènent certains secteurs à les surprotéger, en les gardant à l'intérieur des structures psychiatriques. Qu'en est-il du retour dans la cité ?

Pour illustrer ce propos, nous vous présentons la situation de deux personnes hospitalisées, en très grande difficulté, pour lesquelles l'action du service social a évité qu'elles ne se retrouvent sans toit.

Monsieur Zabret, de nationalité française, célibataire, sans enfant à charge, est âgé de 44 ans. Il est isolé.

Il bénéficie de l'Allocation Adulte Handicapée (AAH). La COTOREP lui a reconnu un taux d'incapacité de 80%.

Il habite dans une chambre meublée d'hôtel dont le loyer s'élève à 3000 francs par mois. Les revenus mensuels (montant au premier janvier 1998) sont de 5536,91 francs.

Ce faible budget se compose de :

- AAH : 3470,91F

- Complément AAH : 555 F

- Allocation Logement : 1516 F

Monsieur Zabret fait l'objet d'une hospitalisation d'office. Les deux premiers mois, il continue à payer son loyer, mais à partir du 61ème jour d'hospitalisation, l'AAH est diminuée (législation en vigueur relative aux handicapés, loi de 1975). De plus, la mutuelle à laquelle adhère Monsieur Zabret limite le paiement du forfait hospitalier à soixante jour par an.

Vu le montant de ses ressources, Monsieur Zabret n'a aucune économie.

Il dispose de 590F par mois, après le règlement du forfait hospitalier qui s'élève à 70F par jour.

Il ne peut donc plus payer son loyer et perd son logement. Le complément AAH et l'allocation de logement sont supprimés.

Compte tenu de ses troubles de la personnalité, Monsieur Zabret a rompu tous les liens avec son environnement familial et social. Cette période d'hospitalisation pourrait accentuer sa désocialisation et sa marginalisation.

Mais une évaluation sociale de cette situation a permis d'aborder avec Monsieur Zabret admet, après plusieurs entretiens, qu'il ne retrouvera pas, forcément, une chambre meublée dans le même hôtel où il avait ses repères.

Après avoir envisagé avec lui les solutions possibles, du fait de son état de santé et de ses ressources, Monsieur Zabret ne les retient pas. Il choisit de rechercher une chambre meublée dans un hôtel, dans l'arrondissement qu'il connaît.

Nous l'aidons dans ses diverses démarches, tant au niveau du logement que de sa couverture sociale. En effet, Monsieur Zabret est affiliée à la sécurité sociale, dans une caisse de province. Il accepte de " faire muter " son dossier à Paris. Cela est indispensable pour demander la carte Paris-Santé auprès du centre d'action sociale.

En outre, nous sollicitons des secours pour régler le premier mois de loyer avant le rétablissement du droit à l'allocation de logement e au complément d'AAH.

La relation de confiance qui s'est établie pendant l'hospitalisation, entre Monsieur Zabret, l'assistante sociale et les membres de l'équipe pluridisciplinaire, a rendu possible un suivi médico-social sur notre CMP.

Nous tentons, dans ce cas, d'inscrire l'action sociale, à moyen et long terme, dans le domaine préventif.

Cette prise en charge sociale a permis, notamment, à Monsieur Zabret, de rester inséré lors de sa sortie de l'hôpital .

Monsieur Vallon est célibataire, sans enfant, hospitalisé pour un état délirant aigu. Il est toxicomane depuis de nombreuses années. Il est né au Laos et est arrivé en France en 1976 où il a obtenu le statut de réfugié politique.

Il s'installe en province et travaille comme manœuvre dans différents secteurs d'activité.
Il traverse une période de chômage à la suite d'un dépôt de bilan de l'entreprise dans laquelle il était salarié, mais retrouve vite du travail. Il accepte tous les emplois, même les plus durs, notamment, dans un abattoir.

En 1987, il apprend le décès de son père resté au Laos et relie cet événement au début de ses problèmes. Il sombre dans la toxicomanie et se marginalise progressivement.

En 1996, il perçoit le RMI et met en échec un projet d'hébergement.

Il quitte la province pour succomber aux charmes de la capitale, où il pense que tout ira mieux.

Quand le service social le reçoit, fin 1997, il ne perçoit plus le RMI depuis 3 mois, car il n'a pas retourné le questionnaire trimestriel de ressources.

Nous régularisons son dossier et procédons à son transfert sur Paris. La même chose est faite pour son dossier de sécurité sociale. Une aide médicale est demandée pour la prise en charge de son forfait hospitalier.

L'amie qui l'hébergeait résilie le contrat de location ; il se retrouve sans domicile.

Nous sollicitons donc une association qui héberge, en hôtel, des personnes avec des difficultés psychologiques. La prise en charge est de trois mois, moyennant une participation financière correspondant à 10 % des ressources. La candidature est retenue sous huitaine. Monsieur Vallon quitte l'hôpital et durant cette attente, sera hébergé en foyer d'urgence par l'intermédiaire du SAMU social que nous solliciterons à plusieurs reprises.

La relation de confiance qui s'est établie, durant l'hospitalisation, aura évité à ce patient d'être SDF et de sombrer dans une marginalité extrème.

Elle a permis de poursuivre la prise en charge sociale sur le CMP et d'engager un projet de réinsertion professionnelle.

Pour ces deux personnes, l'intervention du service social a permis d'éviter que la situation ne se dégrade davantage. Plus que des solutions qui pourraient paraître évidentes en théorie, il s'est agi de créer un lien, de soutenir les intéressés, en évitant qu'un sentiment d'impuissance et d'injustice ne leur fasse baisser les bras et ne les entraîne loin sur la pente glissante de l'exclusion. Actuellement, la précarité a pris une telle ampleur, touchant massivement une partie importante de la population, que les moyens mis à la disposition du service public et des associations caritatives pour répondre aux besoins de ces populations sont insuffisants et inadaptés. Il n'est plus question, pour nombre de patients, de les réinsérer, mais d'éviter l'aggravation de la marginalisation et l'exclusion définitive.

La loi d'orientation relative à la lutte conte les exclusions de Madame Aubry, Ministre de l'Emploi et de la Solidarité, rappelle que " l'hôpital est une institution concernée par l'accès aux soins des personnes les plus démunies pour lesquelles il constituent, non seulement un lieu de soin privilégié, mais aussi le premier, voire le seul contact avec un service public. "

Comment pourrait-on mettre en application cette loi alors que les durées d'hospitalisation de plus en plus courtes poussent les patients vers la sortie, compte tenu de la réduction des lits, pour que d'autres puissent être pris en charge ?

On connaît les difficultés de créer la relation qui permettra d'aider l'individu à retrouver une identité et à faire suffisamment confiance pour pouvoir envisager et accepter un soutien dans la durée.

Le projet élaboré avec le patient, long à mettre en place, devrait, dès qu'il a reçu son assentiment, avoir une conclusion rapide pour éviter que ne retombe la mobilisation qui s'appuie sur des motivations fragiles.

Le travail en partenariat qui devrait être un atout dans la réalisation du projet peut se révéler un frein par la complication des circuits, des délais, et surtout le manque de personnel. Chaque institution a les mêmes dysfonctionnements, qui, ajoutés, les uns aux autres, parviennent à donner l'impression que, pour obtenir le moindre droit, il faut entreprendre le parcours du combattant.

L'hospitalisation peut effectivement être une chance pour la personne qui a tout perdu : se poser un moment, arrêter l'errance et la dérive, et avec du temps, se rassembler, redevenir un citoyen : avoir une identité, des droits et des devoirs. Mais pour cela, il faut aussi pouvoir s'adapter au rythme de l'intéressé, tenir compte de l'affaiblissement de ses capacités, savoir le rendre à nouveau acteur de son devenir, développer ses potentialités latentes. Il est nécessaire d'aider le patient à intérioriser un projet qui se dégage de l'évaluation, à se l'approprier, faire renaître un désir si infime soit-il. Voilà ce que peut permettre, entre autres, l'institution si le temps consacré aux êtres humains est suffisant.

La loi contre les exclusions (généralisation de l'assurance maladie, droit au logement, exercice de la citoyenneté), fera-t-elle reculer la pauvreté et l'exclusion ?

L'exclusion relève d'un choix de société, puisque le P.I.B. (France : 4ème puissance mondiale) s'accroît, en même temps que le nombre de personnes en grande pauvreté.

Quel choix pour le service social ?

Le traitement de l'exclusion ne peut se faire uniquement, par le biais de l'orientation économique et politique. Il doit comprendre, aussi, le traitement social effectué par des professionnels qualifiés et en nombre suffisant.

Un des outils essentiel est l'accompagnement individualisé. Chaque personne doit pouvoir bénéficier d'un temps important et d'un soutien intensif pour avoir la force et l'énergie de recouvrer ses droits et sa citoyenneté.

Nicole BIHET
Carole CRIQUILLION
Annie ESTEOULE
Christine TELLIER

Assistantes sociales en santé mentale


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