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Photo Joël F. Volson reproduction interdite
Photo Joël F. Volson


JOURNÉE SCIENTIFIQUE D'ESQUIROL
1er 2 Décembre 1998
CLINIQUE ET PRECARITE

Réflexions sur quelques modifications induites au sein d'une équipe de secteur dans l'approche des situations de précarité .

Dr. Patrick Bantman

Le sujet de mon intervention et de réfléchir sur les modifications nécessaires au sein du fonctionnement des équipes de secteur dans l'approche de certaines situations où intervient le facteur de précarité.

La question de la précarité n'est pas pour la Psychiatrie de secteur une question nouvelle même si elle prend , compte tenu de la situation de très nombreuses personnes engagées dans la misère , de plus en plus d'importance dans notre pays . Cette notion de précarité accompagne à la fois le sens de nos interventions , ainsi que souvent la manière dont est pris en compte dans notre société la maladie mentale . Il me semble important en Psychiatrie d'admettre la précarité de toutes les entreprises institutionnelles qui sont confrontées à la folie . Même si la maladie mentale voit ainsi sa place reconnue parmi les pathologies médicales et si des thérapeutiques modernes peuvent en modifier les processus autrefois irréversibles , dans les domaines d'insertion et de réadaptation bien des progrès restent à faire.

Le malade mental même s'il est sortit , en partie seulement , du domaine excluant de la folie , est lui aussi exclu du champ social.

La situation de nombreux patients dans les services , la pratique du secteur dans des banlieues très défavorisées nous à confronté aussi depuis longtemps à l'intrication de troubles psychiatriques et à la souffrance sociale que représente la situation d'exclue du malade mental . Ce qui est nouveau c'est de voire des personnes en situation d'exclusion et de précarisation sociale présentée une souffrance "qu'on ne peut plus cacher" .

En ce qui concerne ces personnes , une première remarque souvent faite est la réticence de nombreux collègues à se jeter dans la bataille contre l'exclusion.

Le psychiatre de Secteur est en général peu désireux de s'embarquer du côté de la galère avant d'avoir réfléchit à tous les enjeux de son intervention dans le champ de la misère . Il a déjà bien assez des "vrais" malades pour susciter d'autres patients qui en plus ne demandent rien. Le psychiatre ne peut pas ignorer la situation sociale du patient.

Les difficultés liées aux problèmes sociaux et familiaux se répercutent sur l'évolution de la maladie et en fonction des situations la mobilisation du réseau social peut varier.

Il nous semble actuellement indispensable que l'évaluation sociale soit pris en compte dans le projet thérapeutique , d'une équipe de secteur . Evaluation sociale qui prend en compte :

La mise en relation de l'évaluation sociale et du projet de soin permet l'élaboration d'un projet thérapeutique en adéquation avec la réalité sociale du patient .Ce travail ne peut se faire sans concertation avec les partenaires sociaux qui ont accompagné le patient dans un parcours où l'hospitalisation n'est qu'une étape .

C'est vrai que depuis quelques années un progrès sensible s'est accompli au sein de nos dispositifs afin de les transformer en structures de soins à l'attention des "malades mentaux" Sur le plan du secteur la mise en place récente de structures à bas niveaux d'exigence comme les Centres d'Accueil thérapeutique à temps partiel, la pratique des Centre d'Accueil et de Crise sont les instruments de pointes du Secteur pour l'approche des situations de souffrances psychiques et de précarité. Par bas niveau d'exigence, j'entends que tout sujet peut s'y présenter sans rendez-vous .

Mais il faut aussi que les équipes de Secteur soient présentes là où la souffrance psychique s'exprime , aux urgences des hôpitaux généraux , en centres d'hébergement, dispensaires de villes , CCAS, Centre de Médiation Social . Le travail de Secteur se trouve là dans un travail de proximité avec d'autres partenaires dont nous n'avons pas à juger leurs pratiques à l'aune de notre idéologie soignante ( je pense à une récente rencontre à Nogent avec des associations caritatives qui effectuaient un travail d'aide vis à vis d'exclus et dont les propos avaient choqué par la manière abrupt voire raciste de décrire leur mode d'assistance aux "miséreux").

Je voudrai pour illustrer mon intervention évoquer deux observations qui montrent chacune à sa manière l'importance de ce travail de mise en lien et de réseaux quand se mêle souffrance psychique et précarité.

Dans le cas de Mlle N. retrouvé errante sur la voie publique et transférée dans le service, ce qui nous frappe d'emblée quand nous l'avons rencontrée c'est sa situation d'errance. Elle rentre dans le service avec un tas de journaux ,quelques vêtements et nous resterons quelques temps dans l'ignorance de sa situation sociale et familiale .. L'équipe doit faire violence à Mlle N. pour qu'elle accepte de se laver, de prendre un traitement et consente à déposer son "fardeau" à l'hôpital. Elle ne comprend pas notre insistance à s'occuper d'elle, veut retourner à la rue. Nous apprendrons d'elle qu'elle vit en marge depuis 3 ans et est accueillit épisodiquement par un foyer social protestant. Elle semble avoir rompu tous les ponts avec sa famille, elle nous précisera bien longtemps après la condition de sa "rupture" avec sa famille.

Elle semble avoir "choisit" l'errance, marchait du matin au soir, dormait dehors depuis 1 an, parfois dans une église le soir. Abordait les gens pour fumer mais les fuyait rapidement. Elle faisait toute la ligne du RER et du Métro, se fixait comme objectif des endroits qui lui plaisaient. Ne voulait plus de contraintes , ni se trouver à la charge de ses parents. Elle a connu l'Association Sociale Protestante qui lui a proposé un hébergement et des repas. La prise en charge de elle N. s'organisa autour de la reconstitution de repères sociaux aussi bien que sur le plan psychothérapeutique et médicamenteux. On reconstitua son identité sociale, mise en place d'un RMI qui auparavant avait été abandonnée par elle, nouveaux papiers...

Mlle N. a une famille, des parents, des enfants. Au début fou de joie d'avoir de ses nouvelles, puis anxieux à l'idée de se retrouver. Des contacts s'établissent au CMP, puis N. se rétablit et est à prête à passer de plus en plus de temps en famille en permission . L'équipe pluridisciplinaire accompagnait Mlle N. dans ce retour vers une identité sociale et familiale, vint le jour où Mlle N. nous demande sa sortie en promettant de continuer ses soins en CMP.

Elle vint effectivement nous voir en CMP un peu au début, la famille nous donnait aussi de ses nouvelles puis Mlle N. disparut. Quelques mois après les parents nous signalisent sa disparition. Mlle N. sera réhospitalisée six mois après dans les mêmes conditions que la première fois.

A nouveau elle avait tout perdu, à nouveau l'errance, la misère mais aussi le refus de nos soins .

Nous avons dû à nouveau recommencer à reconstituer toute son identité sociale qu'elle avait à nouveau perdu. Le projet cette fois intégra un foyer de post-cure qui est sur notre secteur. Mlle N. s'y trouve actuellement, elle a eut du mal à s'y installer, elle le quittait le matin jusqu'au soir.

Mais il nous semble que cette fois peut-être quelque chose est en train de se passer avec elle . Mlle N. commence à relater sa vie et la raisons du choix de son errance. Elle a voulu rompre avec un type de vie d'alcoolisme et de souffrance en quittant un ami avec qui elle se détruisait.

Elle raconte à quel point elle a souffert dans cette errance, les agressions constantes, la souffrance psychique ; les poux… Elle consultait la consultation de Médecin du Monde mais vue sa situation sociale, le traitement ne pouvait pas réussir. Elle n'acceptait pas sa déchéance sociale et professionnelle après un licenciement, le naufrage de son couple. Elle refusait les travaux dégradants.

Chez elle la précarisation de sa situation est venue brutalement lorsqu'elle a rompu ses liens professionnels, sentimentaux et familiaux. Elle parle d'un "choix" mais s'agit-il vraiment d'un choix quand on sait l'emprise qu'a exercé sur elle le désir de rompre, où se mêlent des rationalisations aux limites du délire.

Nous avons choisit de relater cette observation clinique pour insister sur l'articulation conjointe du thérapeutique et du social dans des cas comme celui de Mlle N.

Il nous a fallu dans cette prise en charge travailler avec d'autres partenaires, la famille , le foyer social protestant, un psychiatre de secteur interpellé par les troubles de Mlle N. , une généraliste .

Le travail avec le foyer social et le centre d'action sociale protestant ont permis une réelle passation avec les services psychiatriques , du fait de ce travail de concertation et non de réactions de rejet , où d'exclusion de ce circuit , qui reste à sa disposition et qu'elle peut toujours utiliser .

La place d'une structure à visée de réinsertion dans le secteur rend également possible le retour vers une vie sociale et familiale.

Probable solution de compromis entre être au sein de la famille tout en se situant soi- même en dehors , en se donnant le temps de récupérer, de reconstituer le bagage indispensable pour sa confrontation responsable avec les situations de la vie en société.

La question de la relation thérapeutique où le sujet peut déposer son histoire , après la réponse à l'urgence psychiatrique et sociale est aussi centrale . Elle permet de mettre en place une écoute pour comprendre la détresse psychique que la situation objective de son errance avait masquée.

Cette relation thérapeutique constitue aussi un repère structurant dans l'errance psychique de Mlle N. Il nous a fallut aussi du temps pour que s'installe une relation de confiance avec une certaine fidélisation de la relation .

Le regard et l'écoute du thérapeute doivent s'associer à celui des infirmiers et des travailleurs sociaux pour mener à bien l'accompagnement sous toutes ses formes.

Il est dangereux de cliver les fonctions entre soin et réinsertion, et il est nécessaire de bien mesurer combien la vie sociale peut-être redoutée par nos patients . Il s'agit pour nous d'établir une relation de parole qui va permettre un dégagement et de pallier au manque à être. Elle aide l'expression de sa souffrance ancienne et facilite un travail d'étayage permettant de reprendre ce qui fait lien social pour le sujet. Cette approche thérapeutique individualisé s'articule à un accompagnement social qui prend en compte le travail de ré-affiliation nécessaire de la personne à son environnement social.

Ce travail se poursuit toujours...

A côté de la nécessité plus que jamais d'une ouverture dans nos pratiques , nous voudrions aussi aborder à travers une deuxième observation , la question de la spécificité des intervenants et de leur connaissance au sein du secteur.

Dans une même équipe , il est nécessaire de clarifier le rôle de chacun , c'est ce qui permet les passages indispensables à chaque professionnels des équipes psychiatriques : infirmier psychiatrique dans le travail d'accompagnement au quotidien , l'assistante sociale dans l'accès et le maintien des droits , la mise en place du projet et sa faisabilité .Tout ce travail permet aux cliniciens de ne pas être embolisés par les problèmes sociaux et financiers .

Sur le secteur la mise en place d'un réseau d'intervenants ne se décréte pas seulement , il faut du temps pour que des services , des acteurs ,de statuts et d'histoires différents acceptent de travailler ensemble . Dans ce domaine l 'impulsion donnée à la Psychiatrie de secteur quant à elle , et en particulier au travail extra-hospitalier ces vingt dernières années a permis sans doute aux acteurs concernés de se connaître et de développer des complémentarités.

C'est au niveau local que se sont développés surtout ces réseaux de prise en charge, avec des différences notables en fonction des équipes, des particularités locales, des personnalités.

Quand les réseaux d'acteurs se connaissent, cela évite souvent les blocages institutionnels, parfois suscités par des règles spécifiques incompatibles entre structures.

La communication dans le réseau constitué ne concerne, le plus souvent, que les individus, mais dans certains cas aussi les institutions. Pour qu'une telle collaboration puisse se mettre en place, il faut bien sûr du temps, afin que les différents acteurs apprennent à se connaître, mais également pour permettre l'instauration d'un échange dialectique entre l'institution et les divers protagonistes intéressés. Voici , très résumée l'observation que je voulais présenter :

Elle aurait souhaiter que l'Assistante sociale de l'hôpital puisse aider la fille de cette patiente pour ses soins médicaux . Mme G. du fait surtout de sa pathologie a perdue tous ses droits , sa fille vit de quelques aides , mais en fait la question qui se pose , c'est qui doit s'occuper de Mlle G.? .

L'éducatrice dont l'action relève d'une mesure de protection de la jeunesse en milieu ouvert ne comprend pas qu'elle doive débloquer des fonds pour des examens médicaux .

L'assistante sociale de notre patiente , pour sa part , regrette qu'il n'y ait pas eut dans ce cas comme dans d'autres , d'évaluation de base sur l'ensemble de la situation sociale de la famille . L'éducatrice ne comprend pas non plus que l'assistante sociale n'ait pas pu rouvrir les droits de Mme G depuis le temps où elle était hospitalisée .

Cet imbroglio classique en pratique de secteur repose la question de la réponse sociale à adopter face à des questions où s'intriquent problèmes psychiatriques - précarité - interventions de services différents , et que plusieurs personnes d'une même famille sont touchées comme c'est de plus en plus le cas .

Cela impose un certain nombre de changements dans la pratique de nos interventions . Qui fait quoi , comment s'articule dans la prise en charge psychiatrique les éléments contextuels ?

Il est très important qu'intervienne à ce moment la notion d'équipe pluridisciplinaire et d'objectifs thérapeutiques dont fait partie la réhabilitation où si on préfère la réinsertion du patient . Beaucoup d'incompréhension au sein des équipes proviennent de l'absence de communication entre les membres d'une même équipe , à laquelle s'ajoute souvent les difficultés d'articulation extérieure à l'équipe de secteur .

Plus que jamais , il nous semble important de réintroduire la notion de PROJET , qui inclut une dimension globale dans l'approche de la personne . Il est également essentiel que les personnes concernées puissent se rencontrer à la fois dans des cadres institutionnelles précis afin d'ajuster les projets envisagés .

J'ai l'impression de dire là des banalités , mais face à la massivité des problèmes auxquels nous sommes confrontés vis à vis de certaines situations , rappeler l'importance des conséquences sociales de nos interventions n'est pas inutile .

A l'ouverture évoquée plus haut , il faut rajouter la prise en compte indispensable de la famille dans nos évaluations . Il est banal de constater dans ces situations que plusieurs membres sont touchés , et il nous semble problématique que les intervenants interpellés se limitent comme c'est encore beaucoup l'usage à leur champ de compétence , à leur mission .

Certes ces actions doivent être très individualisées mais on ne peut rester insensible quand la souffrance psychique et sociale concerne plusieurs membres.

Je suis bien conscient cependant que nos dispositifs institutionnels et la réglementation ne facilite pas les choses .

En conclusion :

L'approche des situations de précarité nécessite une réflexion sur la nature de nos interventions avec l'ensemble de nos partenaires institutionnels et dans le champ social . Plus que jamais il s'agit d'articuler l'ensemble des interventions intriquant la prise en compte du soin et l'abord social de l'exclusion à l'œuvre dans la société .

L'abord clinique et thérapeutique doit s'associer à une approche globale des situations des personnes en voie de précarisation du fait du processus d'exclusion où se mêle toujours des facteurs individuelles et collectifs .

Une Psychiatrie d'accueil au plus près de la communauté de vie est pour nous le cadre idéal pour ce type d'approche . Cependant cela nécessite une vigilance constante sur la souplesse du dispositif et son ouverture sur la cité afin d'éviter de s'enfermer dans des pratiques excluantes pour les personnes prises en charge .

DÉCEMBRE 1998


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