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Photo Joël F. Volson

PSYCHIATRIES ET PRECARITES SOCIALES

Intervention du 5 février 1998

Mairie du 18e arrondissement

Dr J.P. MARTIN

 

A la suite du numéro de " M ", " Psychiatries et Précarités ", nous avons voulu prolonger le débat dans le cadre d'une mairie d'arrondissement particulièrement sensibilisée à ces problèmes. C'est ce que nous faisons aujourd'hui et nous en remercions ses élus.

Cette soirée-débat sur la place de la psychiatrie publique dans la politique de la ville survient alors que le mouvement social se développe, entre autres, à partir des actions des comités de chômeurs, posant clairement la dimension de souffrance psychique que la précarité produit au quotidien, souffrance faite de perte, d'altération du statut de la personne sociale, de désespérance.

Ce lien entre la dimension sociale de la souffrance psychique et l'action thérapeutique de proximité n'indique pas un rôle de la psychiatrie comme psychiatrisation de la précarité et de la misère. Elle indique un besoin de présence, d'écoute et d'aide, au plus près des personnes en difficultés.

C'est le sens profond de la politique de secteur psychiatrique d'être dans la proximité des lieux de vie et de travail, dans une relation de soins, pour ceux qui " craquent " psychiquement ou psychologiquement.

A - Il y a aujourd'hui une série de paradoxes historiques à vouloir faire de la psychiatrie un monde technicien enfermé dans le cadre médico-hospitalier ou des urgences

  1. Le premier est que la psychiatrie de secteur, qui s'est développée à partir d'une critique des institutions asilaires, dans une perspective de santé publique (rappelons-nous les premières consultations dans les dispensaires d'hygiène sociale dans les années 40), est soumise aux restrictions budgétaires qui frappent les hôpitaux, alors que sa fonction est de décloisonner l'hôpital et les équipes de soins par rapport aux problèmes de terrain.
  2. Le deuxième est que la notion de souffrance psychique qui va bien au delà de la pathologie avérée, est traitée non comme un problème social global, mais comme un problème de techniques médicales ou psychologiques.
  3. Le troisième est que la notion de coût devient le paradigme de l'action sanitaire, au moment même où la psychiatrie de secteur, née du mouvement de la Libération comme dispositif municipal, est reconnue comme dispositif de terrain par les textes des 31.7.85 et 31.12.85, dans ses qualités de clinique de proximité à développer.

Les effets concrets de ces paradoxes s'expriment dans la baisse des budgets hospitaliers de 2% pour l'année 1997, qui tarit les possibilités de redéploiement des moyens hospitaliers vers le territoire au projet d'une planification autoritaire vers les départements de la périphérie et d'autres programmes médico-sociaux, pour lesquels des créations de moyens s'avéraient nécessaires.

La fermeture des grands asiles et des lits hospitaliers, se déroule, de ce fait, sans prendre en compte la dimension des moyens de proximité nécessaires au secteur psychiatrique (en particulier sur le plan épidémiologique), aux spécificités d'une grande ville comme Paris, dans une perspective d'équipement de la région parisienne au moindre coût.

En quelque sorte on risque de fermer des structures de soins qui ont fait la preuve de leur efficience à Paris (le schéma régional prévoit la disparition de 12 secteurs adultes et 2 intersecteurs enfants) pour créer quelques postes disséminés en Seine et Marne et dans le Val d'Oise, qui, du fait de leur pénurie de moyens, nécessiteraient une véritable politique d'investissements à terme.

 

B - Mais quelles sont les réalisations concrètes menacées, qui le plus souvent, se sont construites par un travail patient, de longue durée, par redéploiements de moyens hospitaliers vers le terrain ?

Ces réalisations ont une caractéristique générale, celle d'avoir dépassé la notion de suivi de post-cure après une hospitalisation, pour aborder celle d'accès aux soins et de continuité thérapeutique au plus près du lieu de vie des patients.

 

 

Elles sont à un moment de leur histoire, où le lien avec la dimension sociale est posé, et nécessite un développement des moyens dans ce sens. Le débat sur l'approche des exclus, SDF, adolescents en galère, et sur les manquements du secteur psychiatrique dans cette approche, en indique la dimension d'actualité.

Or il s'agit de développer une réponse généraliste qui ne se satisfait pas de programmes limités dans le temps, ou de l'action humanitaire, comme substituts, partenaires particulièrement utiles.

 

C - J'aborderai ici l'expérience de secteur du Centre de Paris où nous avons créé en 1990, un centre d'accueil et de crise, ouvert 24 H/24 H, toute l'année, qui permet de recevoir toutes les demandes de soins, d'écoute et d'aide, sans rendez-vous préalables.

Ce centre sectorisé sur les 1er et 2e arrondissements, qui a reçu en 1997 plus de 600 personnes, est donc le lieu d'accueil de tous ceux qui ressentent dans le sentiment d'urgence, l'action d'être entendus, dans leur angoisse, leurs dépressions, leurs vécus de dépersonnalisation, leurs délires.

Le lieu possède 5 lits qui permettent de réaliser des  " hospitalisations " sur place, temps d'élaboration et de mise en oeuvre d'un projet thérapeutique.

Ce travail d'accueil soignant, préliminaire à l'engagement dans une thérapie prolongée, est une caractéristique clinique innovante, car elle est centrée sur l'accès aux soins comme outil de travail thérapeutique, dont le patient et ses proches en sont les sujets, et non pas seulement des symptômes à traiter.

De ce fait, ce temps permet de recevoir les familles ainsi que les autres intervenants médico-sociaux et d'aborder ainsi, les problèmes globaux de la personne en souffrance.

Il s'avère donc comme un temps décisif pour la construction d'un travail en réseau, avec les médecins généralistes et surtout les travailleurs du social. Il y a ainsi mouvement d'intégration à une politique locale de santé publique.

Une telle structure a permis, en conséquence, d'aborder les problèmes liés à la précarité, comme lieu interface entre le soin et le social.

Un travail auprès des sans abris, en se déplaçant vers eux sur le terrain, a commencé, ouvrant des modes d'intervention collectifs, comme des groupes de parole où s'établissent des relations de confiance dépassant la méfiance des institutions. C'est donc à partir de cette dimension communautaire, que l'équipe psychiatrique offre ses compétences à l'écoute, à l'échange intersubjectif, à l'opposé de ce que serait une psychiatrisation de la misère.

Nous partons en effet du constat qu'il n'y a pas de pathologies spécifiques de l'homme à la rue, mais des souffrances multiples liées à l'altération de l'image de soi, aux frustrations et aux sentiments de honte. Ces souffrances nécessitent d'être abordées de façon collective, travaillant la notion d'appartenance, et, dans le même temps une approche personnalisée, pour redonner un sens à un projet d'existence digne et reconnu.

L'ensemble de ce travail et de cette expérience est aujourd'hui menacé dans sa continuité, au nom d'une idéologie de l'urgence, qui privilégierait les réponses immédiates et à moindre coût.

C'est pourquoi je terminerais en appelant les acteurs sociaux et les élus à l'aide pour que ces outils soient défendus et développés, dans le cadre des arrondissements parisiens,.

Fait à Paris, le 8 avril 1998


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