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VOUS AVEZ DIT VIOLENCE ?

Ce texte à fait l'objet d'une première communication à l'hôpital de Villejuif le 20/03/99 à la journée du CERAPP dans le cadre de la semaine de l'information sur la santé mentale puis dans cette version aux journées "Vidéopsy" de Montpellier le 23/03/99.

Un sujet à la mode

La violence est un sujet à la mode. On ne compte plus les séminaires, symposium, conférences, articles, ouvrages qui lui sont consacrés. La télévision fait frissonner le bourgeois qui sommeille en chacun de nous à chaque journal télévisé. La violence est partout. Dans nos " étranges lucarnes ", les conducteurs de bus lapidés dans les banlieues succèdent aux mères de famille dont les enfants ont été violentés par d'affreux pédophiles. L'interview d'enseignant martyrisé par des hordes de collégiens sans repères devient l'exercice obligé pour journaliste débutant. La ménagère de moins de cinquante ans doit en avoir pour sa redevance. L'information n'est plus qu'un feuilleton américain à la française : un peu plus lent, un peu plus psychologique.

Les sociologues invités au Journal Télévisé comme experts expliquent doctement que plus qu'une flambée de violence, nous assistons à une multiplication de manifestations d'incivilité. Ils en rendent responsable la rupture du lien social, la faillite des institutions. Il suffirait donc d'introduire l'éducation civique à l'école pour que le problème soit en partie résolu.

Le mot Violence a été emprunté au latin classique : violentia, caractère emporté, farouche. Il désigne aussi la force brutale employée pour soumettre et par métonymie et d'abord au pluriel un acte brutal. De là, l'emploi sorti d'usage : faire violence à une femme qui est devenu violer. Violence prend ensuite le sens latin de force irrésistible, néfaste ou dangereuse. Faire violence à quelqu'un serait le contraindre en le brutalisant ou en l'opprimant.

Nous pourrions facilement trouver un consensus autour de cette définition du mot " violence ".

Et pourtant ...

En définissant la violence de cette façon nous adoptons sans réflexions le point de vue des institutions. Les institutions, c'est bien connu ne sont jamais violentes, ce sont les individus qui le sont.

Si nous suivons Bergeret, nous ferons un petit saut de côté et remarquerons que " l'étymologie nous oriente cependant vers un sens initial assez précis et assez fondamental. " Violence " découle en effet de la lignée des radicaux indo-européens, grecs et latins qui correspondent à l'idée de " vie ", de vital, de naturel chez tout être vivant. La violence apparaît donc comme liée à la notion même de vie. La violence en quelque sorte, c'est la vie. "

Le saut de côté n'est pas mince. Ainsi, les médias, les bourgeois, les institutions, les enseignants, les flics, les infirmiers ne se plaindraient que des manifestations de vie de ceux qui dépendent d'eux.

Farfelu ?

Voire.

Brecht ne dit-il pas la même chose ?

On dit d'un fleuve qu'il est violent parce qu'il emporte tout sur son passage, mais nul ne taxe de violence les rives qui l'enserrent ".

Les rives institutionnelles, les rives hiérarchiques ne sont-elles pas cette force contraignante qui enserrent le citoyen-patient, le poussent à l'abandon, à la soumission ou à affirmer au contraire l'irrépressible force de la vie qui déborde des protocoles, des prêt-à-panser ?

 

 

 

Mr Bedzawsky

Mr Alain Bedzawsky arrive dans le service accompagné par une ambulance. Il est d'accord pour être hospitalisé. Il arrive à 18 h 30, l'heure où les infirmiers sont mobilisés pour le repas des 20 patients de l'unité de soin. Un infirmier l'accueille, c'est à dire prend le courrier du médecin traitant et lui demande de patienter dans le couloir en attendant le médecin de garde.

C'est incroyable comme les patients se donnent le mot pour arriver toujours au moment où chacun vaque à ses tâches quotidiennes...

Appel du médecin qui passera après les trois autres visites qu'il doit effectuer dans l'hôpital.

En attendant, l'infirmier pratique un inventaire des effets personnels du " pas encore patient ". Rasoir, after shave, coupe-ongles, ciseau, sont mis de côté par sécurité. Un petit bout de shit est également retrouvé et jeté immédiatement dans les toilettes. L'argent, la carte de retrait sont retirées suivant la note de service n° 25 et l'infirmier appelle le cadre de garde pour les lui remettre.

Au bout de 2h, le médecin de garde fait un entretien d'accueil. Le patient est tendu et délirant. Un traitement est instauré, pas réellement expliqué : " je vais vous donner un traitement pour vous détendre. Haldol, Nozinan et Lepticur + un somnifère si besoin, vous allez dormir et on verra demain ".

Après le départ du médecin, le " enfin patient " demande à téléphoner : premier refus, le médecin ne l'a pas prévu.

Un infirmier l'accompagne jusqu'à sa chambre, tandis qu'un autre, du bout du couloir, lui demande s'il a un régime alimentaire particulier : " Vous mangez du porc ? "

A l'heure du traitement du soir, le patient demande ce qu'il a comme traitement : " c'est ce que le médecin vous a prescrit ".

Constantes prises : " pas très propre votre bras, faudra vous laver, il y à des douches ici ".

Certes, il y a des douches mais le patient n'a pas de savon : " On n'est pas à l'hôtel ici ! "

Impossible de s'endormir, à la télévision, le programme est intéressant mais il se termine à 22h45 et à 22h30, l'infirmier de nuit éteindra la télévision : " il faut dormir maintenant ".

Alain s'énerve un peu, il est noté sur le dossier de soin : " agressivité verbale, intolérance à la frustration, demandes incessantes (savon, télévision), réticence à la prise du traitement, patient adhésif. "

Enfin, il se couche.

A 2h du matin, il vient taper à la porte de l'infirmerie car il ne retrouve pas les toilettes. Pour cela, il allume la lumière du couloir et se fait rabrouer vigoureusement par l'infirmier présent. Il claque une porte et retourne se coucher.

A 7 h 45, réveil tonique, lumière en grand, " Ça pue là dedans, j'ouvre la fenêtre pour aérer un peu ". Il ne fait que 5° dehors.

Alain totalement endormi par le traitement, vient en titubant déjeuner. Il renverse son bol de café (2 sachets pour deux morceaux de sucre, c'est le règlement économique interne), se fait houspiller par l'ASH qui trouve que les patients ne respectent pas son travail.

En sortant du self, il a envie d'aller aux toilettes, mais il est impossible de passer par le couloir, il vient d'être lavé. Cris de l'autre bout, " Attendez que cela sèche, j'ai ouvert les fenêtres, ça ne va pas tarder" ". De fait, il fait froid, Alain claque des dents et le dit à l'infirmier présent. " Ben oui mais on ne va pas déjeuner en pyjama ".

L'ambiance est à son comble, L'ASH crie que " les gens sont vraiment dégueulasses de laisser leur chambre dans cet état, même un porc n'y vivrait pas ".

Vers 9h, Alain vient voir les infirmiers qui déjeunent pour leur demander à quelle heure il pourra sortir pour téléphoner. " Quand le médecin sera passé "

Est-ce qu'il pourrait avoir une serviette pour sa douche. " Vous voyez bien que ce n'est pas le moment, on déjeune, attendez un peu ".

A 10h30, toujours en pyjama et pas douché, notre patient s'est rallongé sur son lit. L'infirmier qui vient le chercher pour l'entretien médical lui en fait la remarque. Alain n'est pas très content.

Petit bureau, le médecin, l'infirmier, l'étudiant en soins infirmiers, une stagiaire psychologue. Alain a déjà rencontré l'étudiante, elle est venue le voir tout à l'heure dans sa chambre pour des renseignements qu'elle a noté pour sa démarche de soin qui validera son stage. Tout un tas de questions parfois indiscrètes, parfois étonnantes, que les voisins de chambre ont commenté.

Alain ne se sent pas très à l'aise, il est un peu tendu, d'autant que son histoire, il l'a déjà raconté trois fois.

Il demande à aller se promener dans le parc, ce qui lui est refusé, il n'a pas le droit d'avoir la visite de sa famille pour l'instant. Par contre, il peut donner un appel téléphonique du service au " moment où ça gênera le moins ".

Pour la messe du dimanche, si l'équipe est en nombre, il pourra y aller. Mais le médecin ne précise pas que l'équipe le dimanche n'est jamais en nombre…

Pas satisfait de la tournure de l'entretien Alain sort en claquant la porte. Il dit à l'infirmier qui vient voir ce qui se passe " Je veux changer de médecin". Réponse "Mais, c'est le seul médecin de l'unité "

Et le temps passe…

Les jours se succèdent, toujours un peu pareil.

Il demande alors que l'on joigne son tuteur pour avoir un peu d'argent pour ses cigarettes.

Le tuteur est OK : il envoi un mandat qui va mettre une quinzaine de jours à arriver. Le patient se souvient qu'il a une carte de retrait : "  Ne peut-on l'accompagner jusqu'à la poste et retirer 100f ? ". L'idée était bonne, mais la recette ne distribue les cartes qu'un seul jour par semaine et ce n'est pas le bon.

Enervement, cris, Alain tape dans les portes, casse une vitre et veut quitter l'hôpital contre avis médical. L'interne appelé prescrit une injection et, si besoin, signe un protocole de mise en chambre d'isolement " On ne sait jamais ". Pour être respectueux de la loi, il signe aussi une demande d'hospitalisation en péril imminent.

L'infirmier appelle des renforts, l'IM est faite. Le patient menace tout le monde de représailles, veut porter plainte, reste collé aux talons des infirmiers qui finissent par le mettre momentanément en chambre d'isolement.

L'institution n'est pas violente

L'institution psychiatrique serait-elle vécue comme violente malgré les efforts considérables qu'elle a fait depuis quelques années pour améliorer les conditions d'accueil et de séjour des patients ?

Non. L'institution ne saurait être violente au sens où Bergeret l'entend. Pour être violente, l'institution devrait être vivante, c'est à dire non pas un lieu de vie mais un lieu où il y a de la vie.

Que voit-on ? Une série de règles qui s'oppose à la vie, des protocoles appliqués sans réfléchir pour se couvrir, pour respecter la lettre de la loi. Au fait depuis quand interdit-on les appels téléphoniques dans les hôpitaux psychiatriques ? La loi de 1838 a été remplacée par le loi du 27 juin 1990, qui prévoit le maintien de la liberté de communiquer et donc de téléphoner.

Non l'institution n'est pas violente Elle s'oppose à la vie, à la fantaisie, à tout ce qui n'est pas rangé, ordonné, à tout ce qui remet en cause ceux qui ont le pouvoir : les ASH, les soignants, le médecin. Tous ligués pour défendre leur organisation, l'institué.

Le patient, lui, est violent, et c'est ce en quoi il réagit, ce en quoi il est vivant Il ne fait pas bon être vivant au pays du consensus. On se retrouve isolé, neuroleptisé, abaissé au rang de consommateur passif de molécules au nom barbare, au rang d'objet manipulé par les uns et les autres.

Alain en Hospitalisation Libre est privé de ses droits légitimes à circuler, de ses droits à communiquer avec l'extérieur, à être soigné dans le respect de sa dignité. L'institution sécrète ses propres lois qui ont peu à voir avec la Loi.

A l'intérieur de l'institution écrivait Goffman il y a celui qui décide et celui qui subit. Le personnel représente les normes, les mythes et les pouvoirs de la vie normale pour des sujets définis par l'abolition de tous les privilèges d'une existence libre. Le " soignant " par rapport au " soigné ", c'est aussi l'homme libre par rapport au prisonnier, le nanti par rapport au pauvre, le savant par rapport à l'ignorant, celui qui détient une position sociale définie par son travail à l'hôpital, tandis que l'absence de statut autonome caractérise la situation du malade, celui qui existe dans sa propre durée et agit en fonction de ses propres décisions, alors que le malade vit dans une temporalité figée et n'a aucune initiative personnelle.

L'hôpital fonctionne sur un mode hiérarchique, c'est une organisation sociale dans laquelle chacun se trouve dans une série ascendante de pouvoirs ou de situations. Si des rapports de pouvoir sont instaurés dans le service, le patient peut être un des maillons de la chaîne et se situer à la plus basse position de la hiérarchie. La position de domination du soignant sur le patient " s'aggrave de cet autre système de domination où s'inscrit nécessairement la position hiérarchique du soignant dans son milieu professionnel. "

La domination vis à vis du patient y prend alors la forme d'une revanche sur sa propre position de dominé... Une équipe hospitalière est un lieu d'exercice de pouvoirs, petits ou grands... Et nul n'est insensible aux frustrations que génère la soumission. Ainsi la hiérarchie hospitalière apparaît-elle comme un facteur pathogène supplémentaire, induisant nécessairement des positions réactives par les souffrances qu'elle provoque. En poussant le soignant à privilégier son auto-protection, elle le conduira à inférioriser le patient pour s'assurer un pouvoir dont il ne cesse d'être frustré.

La praxis de l'hôpital psychiatrique, fondée sur le pouvoir et la force, apparaît en contradiction avec les principes proclamés sur lesquels elle s'appuie : l'aide, le soin, la guérison. La sensibilité accrue à l'égard du statut du malade hospitalisé, le respect des libertés individuelles se heurtent dans la réalité à une organisation institutionnelle qui cherche à se maintenir. La plupart des services de psychiatrie sont hors la loi : le principe de liberté de circulation à l'intérieur de l'établissement de soins pour les patients admis en hospitalisation libre n'est généralement pas respecté. La notion de service a du mal à s'appliquer au dispositif de psychiatrie : le malade n'a ni le choix de " l'atelier de réparation " ni celui du spécialiste.

Notre rôle de soignants est ambigu. Mandatés par la collectivité pour garantir le maintien à l'écart de ceux qui en troublent l'ordre, nous prétendons à l'aménagement d'un espace thérapeutique.

L'institution psychiatrique génère de multiples situations qui mutilent ou suppriment le libre arbitre, l'autonomie, le potentiel de développement des personnes (celles que Goffman qualifiait de "techniques de mortification" ).

Le territoire personnel, l'image de soi, la personnalité sont souvent menacés dans l'institution et la violence peut alors correspondre à une tentative de restauration de l'identité menacée. Les conduites de négligence, de mise à l'écart, de dérision, de mépris parfois, du personnel soignant envers les patients demeurent une réalité, fomentent la violence et en appellent en retour. Ces attitudes, que l'on peut qualifier de " sur-violence " ne font pas l'objet de dénonciations tapageuses, elles sont rationalisées, parfois justifiées par le discours institutionnel qui insiste sur les difficultés, voire les dangers de certaines prises en charge ou par le " burn out syndrome ".

Le burn out apparaît comme entité clinique pour la première fois en 1974 dans les écrits de Herbert Freudenberger, psychanalyste américain. Il choisit cet expression qui signifie s'user, s'épuiser, brûler jusqu'au bout pour parler de cet état particulier de détresse qu'il observe chez certains soignants qui travaillaient avec lui.

En 1982, le burn out est définit comme un syndrome d'épuisement physique et émotionnel, qui conduit au développement d'une image de soi inadéquate, d'attitudes négatives au travail avec pertes d'intérêt et de sentiments pour les patients.

Estryn-Behar, docteur en ergonomie tend à relier le phénomène aux conditions de travail qui génèrent des facteurs de stress trop importants. De son point de vue, le burn out n'est pas un état constitutionnel, mais il est acquis et doit trouver sa cause et ses remèdes dans la structure même de l'institution.

Le soin sous contrainte, une violence de fait

Il nous a été donné d'observer des situations où le soin a du être réalisé sous contrainte. Nous mettrons volontairement de côté les crises d'agitation clastique au cours d'un accès délirant ou contemporaines à un état d'alcoolisation ou encore d'intoxication aiguë.

Les soins spécialisés exigent un travail préalable d'information, d'explication et de médiation envers le patient. Dans les situations aiguës, l'instauration d'un espace de négociation entre les infirmiers et le patient est un préalable au bon déroulement du soin. Si la consigne, la prescription, cherchent à être appliquées rapidement, sans qu'elles n'aient été comprises, ou en tout cas expliquées, elles peuvent heurter le patient qui s'y opposera tout naturellement. Dans ce cas, le soin lui fait violence, en cela que les soignants agissent contre sa volonté, en employant l'intimidation, ou la force, pour le soigner…

La recherche du consentement du patient est un acte complexe, notamment dans le domaine des soins psychiatriques (cf. Charte du patient hospitalisé, circulaire DGS-DH n° 95-22 du 6 mai 95 et décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale, Titre II, Art.36).

L'infirmier de secteur est particulièrement exposé en matière d'agression lorsqu'il réalise l'acte prescrit, applique la consigne, dans le cadre de soins non consentis.

Les deux protagonistes, soignant et soigné, agissent et subissent alors de la violence, telle que définie par Y. Michaud : "Il y a violence quand, dans une situation d'interaction, un ou plusieurs acteurs agissent de manière directe ou indirecte, massée ou distribuée, en portant atteinte à un ou plusieurs autres à des degrés variables soit dans leur intégrité physique, soit dans leur intégrité morale, soit dans leurs possessions, soit dans leurs participations symboliques et culturelles."

Dans ces situations particulières de soins, il apparaît que l'usage de la force, ou de la menace, est légitime pour chacun des acteurs :

Pour l'infirmier, qui applique une prescription médicale qui n'a pas recueilli le consentement du patient. L'usage de la violence, au sens courant du terme, est admis ici comme un moyen nécessaire visant à atteindre un effet thérapeutique.

Pour le patient, en réaction à une violence subie, à l'agression dont il se sent victime. Cette contre-violence s'inscrit pour ce dernier dans le champ de la liberté.

Les bonnes intentions : la pire des violences ?

"L'agression, comme tout don, ne se développe pas dans le vide mais en rapport avec un milieu"

Arrivée à l'hôpital c'est l'arrivée dans un lieu de sanction. Sanction de la famille pour l'avoir troublée, sanction de la société pour ne pas en avoir respecté les règles, sanction par rapport à soi même pour avoir rechuté, donc c'est forcément lieu un hostile.

La violence provoque l'institution, la déstabilise mais elle est elle-même génératrice de violence. Sa violence ne se manifeste cependant pas toujours dans des conduites d'irrespect, d'indisponibilité ou de privations, telles que nous les avons observées dans la présentation de l'hospitalisation de M. Bedzawsky.

L'idéal de l'institution psychiatrique est d'élaborer un nouvel espace dans lequel des relations, diversifiées, médiatisées, pourront se nouer tout en restant tolérables pour le patient. ("auxiliaire de l'appareil psychique").

Ce "rapproché relationnel", comme le nomme P. JEAMMET , n'est pas dénué de risque de violence. La violence naît du sentiment de n'être plus considéré comme un sujet, qui désire et qui est capable de jugement. Le patient peut se sentir objet, n'ayant d'intérêt qu'au service du désir du soignant. Au nom de l'intérêt du patient, un projet thérapeutique est organisé, qui le contraint à "adopter pour lui-même les positions normatives d'autrui"

Les décisions concernant les projets de soins ou de vie, les modalités d'hospitalisations, l'arrêt des soins se prennent trop souvent à l'écart de l'intéressé. Le désir du soignant, sous couvert de bonnes intentions, peut constituer une menace d'envahissement. La position de dépendance du patient, à l'égard des soignants ou de l'institution, le diminue. Le besoin qu'il a des autres peut se métaboliser en pouvoir des autres sur lui et déclencher un passage à l'acte violent, dans une tentative de reprise de contrôle.

Quant au refus de soin qui met en échec le désir de soigner ou l'échec du soin, qui disqualifie la compétence du soignant, il active la déception en rapport à l'idéal soignant et au projet formé par le patient.

L'équipe, qui vise à un investissement relationnel positif du patient, ne doit jamais négliger le maintien de l'indépendance du patient. La bonne distance relationnelle oscille entre l'angoisse d'intrusion et l'angoisse d'abandon, toutes deux intolérables pour les patients.

L'institution, un ensemble d'individus hétérogènes

Ce n'est pas le soignant qui est violent (c'est exceptionnel) c'est l'institution en tant qu'elle est une chose floue derrière laquelle chacun s'abrite pour fuir la confrontation directe, la relation duelle qui l'effraie. Une institution est la forme que prend une institution pour durer. Elle édicte donc tout un mode de fonctionnement destiné à maintenir sa pérennité. L'individu avec ses demandes précisément individuelles remet en cause cette volonté de durer. Pour lutter contre ces demandes l'hôpital psychiatrique, comme toute institution formelle ou informelle, assure le contrôle de l'agression. L'institution emploie les agressivités individuelles, énergie inhérente à l'homme s'exprimant à l'origine par l'activité, de manière productive, altruiste et - si possible - sans violence.

L'agressivité individuelle est ainsi niée et refoulée hors du champ de la conscience d'autant plus qu'elle est soumise au contrôle collectif, grâce à l'ensemble des règles institutionnelles. L'institution autorise l'agression dans ses propres règles, qui s'opposent aux émotions individuelles. Les réflexes moraux ne nous révèlent pas que nous sommes agressifs, excepté sous l'emprise de la nécessité (légitime défense). C'est toujours l'autre qui est véritablement agressif. Et cet autre voit en nous ce que nous voyons en lui : une menace, un danger, une agression. Ne pas reconnaître en soi un potentiel d'agression expose à la spirale de la violence : l'agression niée est projetée sur l'autre, alors promu au rang d'agresseur, déclenche notre contre-violence et provoque une agression.

La prise en compte de cette dimension reste très marginale dans la formation initiale des personnels soignants. Ainsi la violence des soignants est-elle le plus souvent niée, sauf accident exceptionnel d'une particulière gravité.

Penser le patient quelque soit son état, y compris apragmatique, comme acteur, comme prenant partie dans ce qui se joue dans les relations interpersonnelles, permet au soignant de lui donner une place dans le soin, un rôle dans sa prise en charge. L'histoire du sujet et son appareil psychique sont engagés en totalité dans cette affaire.


L'infirmier

Finalement, l'institution comme nous l'avons décrite, devrait générer bien plus de violence. Si les soignants et les médecins sont comme nous les avons présentés, comment expliquer que des patients n'explosent pas plus souvent. C'est sans doute que malgré tout l'institution est faite d'individus avec leur savoir faire, leur savoir être. La prévention de la violence de l'institution passerait donc par une reconnaissance de ce savoir, de ce travail. Ce que Monceau appelle " les savoir-faire discrets "

Certes, les protocoles ont l'avantage de renforcer la cohérence de l'équipe mais figent le soin et les pratiques, ils gomment la prise en compte de " la notion d'imprévisibilité dans les soins. L'imprévisibilité du sujet de soin appelle l'observation, l'adaptation, l'anticipation, tout ce qui est écarté de la fonction soignante dans son optique actuelle. "

Suite à la réforme des études d'infirmières de 1992 et la mise en place du diplôme unique, on assiste à une valorisation du soin et de la compétence technique en opposition aux savoirs oraux, profanes, non reconnus.

Savoir accueillir l'angoisse d'un patient, savoir accueillir des revendications sans les faire monter d'un cran, savoir déceler la tension chez un autre proche du passage à l'acte, tout ceci n'est pas écrit dans les manuels ou les protocoles. Il s'agit là de savoir être plus que de savoir faire.

La régulation, dans son aspect préventif, appartient au registre des " savoir-faire discrets ". Invisibles, ils sont exempts de reconnaissance et donc sans valeur aux yeux des protagonistes. La hiérarchie ne s'intéresse qu'à la partie de travail prescrit, pas aux petits gestes de base de l'activité infirmière dont la médiation. Il faut que les infirmiers parlent de ces gestes, écrivent et essayent de les théoriser pour qu'ils deviennent transmissibles, et reconnus. Et pourtant, il n'est qu'à voir ce que nous appellerons la théorie du dimanche soir à 17 heures. Il faut fréquenter les services de psychiatrie le dimanche en fin d'après midi pour palper l'intensité de l'activité infirmière dans sa capacité à éponger, à absorber et à canaliser les montées d'angoisse diffuse. Tout ce qui s'exprime là est potentiellement source de violence, de passage à l'acte si l'infirmier ne tenait pas ce rôle.

Pourtant, personne ne saura jamais ce qui s'est réellement passé ce dimanche à 17heures, le service aura été calme, l'infirmier repartira chez lui chargé de ces instants. Un jour saturé, il n'aura plus l'écoute nécessaire et le soin du dimanche à 17 heures s'en trouvera modifié.

Si les angoisses, les questionnements, les peurs des patients ne sont plus reçus, s'ils se déversent sans être canalisés, s'ils coulent sur des infirmiers fatigués et imperméables, alors le fleuve n'aura plus qu'à s'attaquer à ses rives.

La demande pressante des patients sera vécu comme une agression et générera des contre-attitudes de la part d'un soignant fatigué et se sentant coupable de ne pas " aimer ".

Que pouvons nous proposer à ces équipes pour résister à l'usure, au burn out que nous évoquions, pour qu'elles soient plus à même d'accueillir l'autre, de lui laisser toute la place dont il a besoin ? Ne faut-il pas penser des lieux où l'équipe, c'est à dire ceux qui baignent dans l'ambiance mais aussi ceux qui en sont plus éloignés, plus distants, puissent s'exprimer. Des lieux de paroles où les affects et les représentations puissent se dire, se travailler, se modifier, afin que l'institution ne se perçoive plus comme violente.

Peut-être ne faut-il surtout rien proposer mais constamment dynamiter l'institution de l'intérieur, faire en sorte qu'il y ait un minimum d'institué, introduire le principe d'incertitude, être des nomades dans nos têtes, des fabricants d'inattendu, des trafiquants d'interstices pour que toujours la vie puisse se faufiler dans les trous de l'institution.

Une institution qui contrôle tout n'est pas qu'une institution violente, c'est surtout une institution morte.

Références bibliographiques:
- BERGERET (J), La violence et la vie, La face cachée de l'œdipe, Payot, Paris 1994
MARESCOTTI (R) mémoire consacré aux sévices en institution pour personnes âgées. Diplôme universitaire de psycho-gérontologie. Site internet www.ygineste.claranet.fr
VOLLAIRE (C) Y a t'il une vie pendant les soins, La Gazette Médicale, tome 103, n°16.
GOFFMAN (E), Asiles, Editions de Minuit, 1961.
MICHAUD (Y), Violence et politique, Coll. Les essais, Paris : Gallimard, 1978
JEAMMET (P), Passage à l'acte et institution de soin, dans Le passage à l'acte, MILLAUD (F), Masson, 1998.
LANTERI-LAURA (G), Le voyage dans l'anti-psychiatrie anglaise, L'évolution psychiatrique, 61, 3, 1996, 621-633.
N. PRIESTO et J.P.VIGNAT in soin n° 624 Avril 98, p 21 à 23 .
MONCEAU (M), Soigner en psychiatrie, entre violence et vulnérabilité, G. Morin, Coll. Des pensées et des actes en santé mentale, 1999.

 

 

Nelly Derabours, Emmanuel Digonnet,

Anne-Marie Leyreloup, Dominique Friard.


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