Agressivité-Violence
Prévenir, gérer, accompagner, reprendre
" Quand Léon vient me serrer la main aujourd'hui, c'est sereinement que je réponds à son salut. Sans arrière pensée et cependant ...
Jeune Laragnais d'une vingtaine d'années, Léon a suivi une scolarité quasi normale à part le redoublement du Cours Préparatoire, et quelques troubles d'élocutions qui entraîneront quatre ans de suivi en orthophonie. Il décompense l'année de son bac professionnel, ce qui entraîne une première hospitalisation pour repli, inhibition et délire mystique. Un traitement par neuroleptique retard est instauré, doublé d'une prise en charge au Centre Médico-Psychologique à sa sortie. La deuxième hospitalisation pour troubles du comportement permet un réajustement du neuroleptique. Il sort avec un projet de stage à une centaine de kilomètres de chez lui. Il continue de voir son psychiatre qui le trouve plutôt bien. L'injection retard est arrêtée à sa demande depuis quelques mois lorsqu'il est transféré en Hospitalisation sur demande d'un Tiers, depuis Grenoble.
C'est à ce moment-là que je fais sa connaissance. Physiquement, Léon n'est pas très grand, il est plutôt mince. A Grenoble, il errait et divaguait sur la voie publique, ne s'alimentait pas. Halluciné, il faisait des prières les mains peintes en rouge. Le diagnostic de schizophrénie hébéphréno-catatonique a été posé.
Dans le service, il reste en pyjama. Il faut le protéger De ses hallucinations, des fugues. Mais peu importe le vêtement, rien ne l'empêche de se retrouver dans la piscine en ville pour tenter de s'y noyer ! Sauf un bassin vide. La course pour aller se jeter sous le train est arrêté par des soignants Ils sont présents encore quand il se saisit d'une paire de ciseaux pour la retourner contre lui.
Au début de son séjour, il restait de longs moments prostré dans sa chambre. Son regard inquiétant nous indiquait qu'il était sous l'emprise du délire. Tout son corps tendu traduisait l'angoisse qui l'envahissait. Léon parlait peu, jetant des regards inquiets alentours Plus tard, il expliquera comment il contaminait les autres par la parole, sauf ceux qui étaient vaccinés, comme nous les soignants. Il exprime son délire par bribes. De façon peu précise parfois. Il ne se souvient pas, il cherche. J'ai moi-même eu du mal avec mes souvenirs. J'ai recherché la synthèse de l'hospitalisation sur les éléments de son délire. Idées de persécution, plaintes hypochondriaques, craintes de morcellement, empoisonnement ... J'avais oublié de nombreux points importants Je cherchais des notes où Léon s'exprimait sur la fin du monde. Il disait que tout le monde y passerait. L'annonce lui avait été faite par des statues immenses et effrayantes. Elles le menaçaient, brillaient, rayonnaient et l'éblouissaient. C'est tout ce qui me reste en mémoire Ce ne sont que quelques mots peut-être sans intérêt dans l'histoire de Léon mais ils sont très important pour moi. C'est peut-être à cause de ces statues qu'il m'a agressée.
Un jour à midi, il prenait son repas à sa table. Il était le dernier. J'avais commencé à manger à mon tour en compagnie de deux stagiaires. Tout était calme. Nous échangions. Je pouvais voir Léon en face de moi, à quelques mètres de notre table. Soudain, il se lève, le bras en l'air armé de sa fourchette, hurlant :
"Je vais te crever "
Je ne bouge pas dans un premier temps.
"'Qu'est-ce qui vous arrive ? "
Il continue à avancer droit sur moi d'un pas rapide. Je peux apercevoir ses yeux exorbités. Son regard semble être sous l'emprise d'une hallucination. Ce n'est pas mon image qu'il voit. Il ne doit pas entendre ma voix non plus. Il ne répond pas à ma question et répète :
"Je vais te crever "
Il est tout près, danger. Je me lève de la chaise à mon tour. Ca va très vite ensuite. Les stagiaires se sont éloignées d'environ deux mètres. Je recule devant lui. Je continue à parler. En vain, mes paroles n'arrive pas à l'interpeller. J'ai déjà fait un tour de table. J'ai peur. Je fuis. J'évite, je mets de la distance entre cette arme improvisée et moi-même. Je me sens alors fragile, vulnérable et terriblement seule face à ce sentiment de peur qui me submerge. Je continue à parler dans le but de rétablir un contact. Qu'en est-il du soin à ce moment précis ? Je fuis mais je suis toujours autour de cette table pour un deuxième tour. Peut-être le temps de la réflexion nécessaire pour analyser la situation il faut le contenir physiquement puisque la parole ne suffit pas. Quelques secondes qui m'ont paru interminablement longues. Je demande de l'aide aux filles qui nous regardent, impuissantes. "Comment faut-il faire " Rapidement le contact physique s'établit : tenter de lui immobiliser les bras pour lui faire lâcher prise de la fourchette tandis qu'il porte des coups dans le vide et dans notre direction, le déséquilibrer et le mettre à terre allongé pour le contenir malgré son agitation psychomotrice, pas facile. Toutes nos actions sont simultanées pas très précises, ni coordonnées mais à trois nous y parvenons. Léon continue ses menaces verbales. L'agitation cède puis reprend. Je suis moi-même allongée sur lui, à terre, épuisée par la lutte mais je le contiens encore jusqu'à l'arrivée de deux collègues qui prennent le relais et relèvent Léon pour l'accompagner à sa chambre. L'agitation est terminée. Je me lève moi aussi pour retourner à table. Je me sens vidée, remuée émotionnellement. De nombreuses questions parviennent à mon esprit sur le moment. Comprendre pourquoi, comment Je n'étais plus en mesure d'y répondre. Quelle erreur avais-je commise ?
La psychologue de l'unité est venue nous rejoindre à ce moment-là. Debriefing bienfaisant J'ai pu raconter l'épisode délirant, mettre des mots, préciser ma place à table. Il y avait du soleil. Une hypothèse a été énoncée concernant les statues brillantes. Il se peut que Léon m'ait prise pour l'une d'entre elles dans le contexte. Plutôt rassurante l'interprétation m'a permis de continuer les soins avec Léon. Elle m'ôtait un poids non négligeable celui de la culpabilité que je ressentais et me permettait enfin d'envisager la relation future avec moins d'appréhension.
J'ai pensé un bref moment que j'avais été violente en pratiquant la contention à même le carrelage au milieu de la salle à manger. Non C'était du soin. Une relation de confiance s'établissait ou se vérifiait par ce contact.
Comment me remettre en relation avec Léon L'aide apportée par mes collègues qui ont repris le passage à l'acte le jour même dans un premier temps, puis le lendemain en ma présence, a facilité la reprise de la relation. Echanges de paroles, excuses de Léon la relation de soin semblait toujours présente.
Aujourd'hui, je pense que cette tentative d'agression dirigée contre ma personne est bien minime par rapport à la violence que subissait quotidiennement Léon. J'avais pu me rendre compte en première ligne de l'angoisse massive qui s'exprimait dans ses yeux, sur son visage lors de l'explosion du délire. Quelle souffrance, quelle violence pour lui Quel combat pour ne pas mourir il devait mettre en actes par moments alors que parfois des impulsions le poussaient vers la recherche de la mort plutôt que d'affronter le délire ou la réalité dont il le protégeait.
Aujourd'hui, Léon est stabilisé. Sorti de l'unité depuis longtemps, il est en voie de réinsertion et je le croise parfois quand il va prendre ses repas au self, nous nous serrons la main, nous gardons le contact. " (1)
Ce récit de Marylène Martin, nous introduit à la question de la violence dans les lieux de soin. C'est une réflexion qui ne peut s'effectuer qu'à partir de récits cliniques, longuement dépliés et discutés. C'est à partir de ces récits, de leur mise en question que peut se forger une expérience et une façon de prévenir, de gérer, de réguler l'agressivité et la violence dans l'institution soignante.
Situer la problématique
Le mot " violence " n'est pas neutre. Il véhicule en lui-même des représentations négatives qui nous empêchent souvent de penser. Il est vrai que les médias qui nomment " violence " toute conduite agressive contribuent à ce méli-mélo. Définir l'agressivité et la violence est complexe tant les approches sont plurielles et les champs concernés multiples. Il est probable que c'est l'objet des sciences humaines sur lequel on publie le plus aujourd'hui.
Dans une première approche distinguer agressivité et violence ne change pas grand chose pour la personne qui y est confrontée directement. Que les coups reçus ou les brimades infligées soient une manifestation d'agressivité ou de violence n'enlèvera rien à la sensation de vulnérabilité ni à la blessure physique et/ou psychique.
Le lieu de soin est inscrit dans un moment social où l'insécurité, réelle ou fantasmée, est devenu un enjeu politique essentiel. Les représentations des soignants quant aux fous et à leur dangerosité complexifient encore la prise en compte de ces phénomènes et nous interdisent souvent de penser. La tentation est parfois grande de pacifier les lieux de soins en enfermant les fauteurs de troubles potentiels ce qui produit en retour des manifestations violentes.
F. Marty note que le mot violence est importé de la criminologie, de la sociologie, et d'une façon plus large des sciences de l'éducation, notamment celles spécialisées en matière de justice. " Ce terme n'appartient pas directement au vocabulaire de la psychologie ou de la psychanalyse. On le trouve de façon sporadique dans les écrits de certains pédagogues qui se sont occupés d'adolescents au début de ce siècle, mais il n'apparaît de façon massive que dans les années cinquante avec les écrits consacrés à la délinquance juvénile. La violence est d'abord repérée comme un comportement.(1) " Ce n'est que depuis les années soixante-dix, et plus récemment encore que l'on constate une " inflation des références à la violence ". " L'apparition massive du terme de violence pourrait être liée à une capacité collective, issue d'une maturation psychique, mais aussi à une évolution des mentalités. En effet, notre société, devenue très policée, supporte de moins en moins la violence, sous quelque forme que ce soit.(2) "
La violence apparaît ainsi comme un arbre qui cacherait la forêt. Il apparaît donc important, pour nous soignants, dans un premier temps, de penser le phénomène à partir de l'agressivité. Tout en sachant que depuis Bergeret, existe une autre forme de pensée du concept qui pose que la violence c'est la vie.
1-Définir l'agressivité
1-A- Etymologie
Si en français le même mot exprime à la fois la combativité (exemple celle du cadre dynamique) et la violence il n'en va pas de même pour l'anglais. Si le terme Aggressiveness fait référence à une agressivité positive, à la base du dynamisme général de la personnalité et des comportements adaptatifs celui d'aggressivity traduit l'agressivité dans son sens négatif habituel. Il y aurait ainsi deux formes d'agressivité : l'une qui serait une tentative plus ou moins réussie d'adaptation à l'environnement et l'autre qui serait la projection d'une énergie interne destructrice.
Si nous nous intéressons aux termes forgés sur le radical agression nous nous rendrons compte que si le verbe agresser suivi par le nom agresseur apparaît en France dès la fin du XIIIème siècle, il disparaît de la langue du XVIème siècle au XIXème siècle (1892), comme si ce qui comptait c'était de définir non pas l'action d'agresser mais celui qui commet l'agression.
La racine se rattache au bas latin agressor d'après le participe passé aggressus du verbe aggredi (attaquer), il décrit celui qui attaque. C'est ainsi que le Petit dictionnaire Universel de Littré (1879) définira l'agresseur comme celui qui attaque le premier, et l'agression comme l'action de celui qui attaque. Le Petit Robert définit l'agressivité comme le caractère agressif (qui marque la volonté d'attaquer sans ménagement) et comme la manifestation de l'instinct d'agression (psychologie).
Le dictionnaire encyclopédique Larousse la définit comme une tendance à attaquer, une tendance à se livrer à des actes hostiles à l'égard d'autrui. Il est à noter que le mot générique n'est plus le mot agresseur, ni celui d'agression, mais le verbe agresser rapporté au latin aggreddi.
Pourquoi faire un tel détour ? Pour bien montrer que l'agression n'est pas une attaque simple (tout au moins pour la langue). Si l'agresseur est celui qui attaque le premier, qui provoque, c'est bien qu'il va y avoir un deuxième, une réponse et c'est l'existence de cette réponse qui justifie l'utilisation des termes de la série. Le terme n'a pas été forgé pour décrire une action particulière mais pour justifier la réponse opposée à cette action, dans un souci de sanction de l'acte. Dans le cas inverse le verbe agresser n'aurait pas été abandonné du XVIème au XXème siècle. L'agressivité serait alors une tendance à attaquer l'autre , à provoquer une réaction en retour que l'autre justifierait par la nécessité de se défendre face à l'agression primitive.
Cette lecture est confirmée par le Dictionnaire illustré Latin Français de Gaffiot. Toute cette série de mots viendrait d'aggredior, qui fait gressus sum, gredi qui signifiait lorsqu'il était intransitif aller vers, s'approcher et entreprendre; et aborder, entreprendre quelqu'un, attaquer lorsqu'il était transitif. Ce qui nous paraît signifier que l'attaque, l'agressivité est une manière d'aller vers l'autre, de l'aborder. Nous retrouvons ainsi la définition proposée par le dictionnaire de psychologie Larousse : " Tendance à attaquer l'intégrité physique ou psychique d'un autre être vivant ".
1-B-Généralités sur l'agressivité
Chacun peut se rendre compte dans la vie de tous les jours, dans ses rapports avec ses proches, avec ses voisins, ses collègues, en lisant les journaux que l'agressivité est un comportement très général. Il s'agit probablement d'un des constituants les plus constants des relations humaines.
Ainsi que l'écrivent Paul Bernard et Simone Trouvé un comportement agressif " vise consciemment ou non, à nuire, à détruire, à dégrader, à humilier, à contraindre. Il se traduit de façon très variée, soit par des paroles blessantes, soit par des attitudes menaçantes, soit par des actes de violence.(3) "
Un comportement agressif est avant tout un comportement que l'on ressent comme agressif. C'est ainsi que nous pourrons cataloguer " agressive " une injure proférée par un malade alors qu'elle ne comporte aucun sens vraiment hostile à notre égard.
L'agressivité se manifeste sous des formes très variées; camouflées détournées et masquées. C'est ainsi par exemple que l'opposition active ou passive, l'évitement, l'indifférence, l'ironie, le refus d'aide etc. peuvent être des manifestations d'agressivité. Il paraît difficile d'évoquer les manifestations d'agressivité des patients sans s'interroger sur notre éventuelle propension à être ironique, à les éviter, à refuser de les entendre, de les aider.
Le mot agressivité peut qualifier aussi bien une conduite, un comportement, un sentiment, une pulsion ou un instinct.
Le comportement est un concept complexe qui comprend plusieurs aspects. On pourrait le définir comme " l'ensemble des réactions objectivement observables qu'une personne ou un groupe de personnes exécute en réponse aux stimulations du milieu, elles-mêmes directement observables ". Cette définition, inspirée du comportementalisme présente un certain nombre de difficultés : qu'entend-on par une définition objective d'un milieu, de réactions ? Suffit-il de décrire les caractères physiques de la stimulation et les réponses du patient pour appréhender le comportement ? On peut aussi définir le comportement dans une perspective plus systémique en le considérant comme l'expression des interactions entre la personne et le milieu ou groupe. Nous reprendrons la définition proposée dans le dictionnaire Larousse : " le comportement est une réalité appréhendable sous la forme d'unités d'observation, les actes, dont la fréquence et les enchaînements sont susceptibles de se modifier ; il traduit en action l'image de la situation telle qu'elle est élaborée, avec ses outils propres, par l'être que l'on étudie : le comportement exprime une forme de représentation et de construction d'un monde particulier.(4) "
Les infirmiers dans leurs écrits relèvent essentiellement des troubles du comportement. Que le comportement soit une réalité observable n'implique pas qu'il soit légitime de ne le décrire que comme un acte.
La notion de conduite, parfois utilisée comme synonyme de comportement, renvoie généralement à un comportement plus élaboré. On considère que la conduite est une réponse à une motivation qui fait intervenir des composantes psychologiques, motrices et physiologiques. Pour caricaturer, on pourrait dire que le patient a un comportement plus ou moins adapté, et que les soignants ont des " conduites à tenir " face à ces comportements. C'est ce que tendrait à donner à penser une certaine conception de l'enseignement des soins infirmiers. Lorsque l'on aborde la violence par exemple, on explique aux étudiants les caractéristiques observables du comportement agressif ou violent du patient et on propose aux étudiants une conduite à tenir face au patient agressif, agité ou violent. Inutile de préciser que cette conception est dépassée car ne tenant pas compte de l'aspect interactif du comportement agressif.
La pulsion est une notion, développée par la psychanalyse. Elle est une poussée interne qui fait tendre l'organisme moins vers un but, ce qui supposerait une organisation consciente que dans une direction. La poussée prend sa source dans une excitation organique qui s'accompagne d'un état de tension, l'atteinte du but par un objet soulage l'état de tension. Les pulsions sont toujours à la recherche du plaisir mais rencontrent souvent le déplaisir, elles se nuancent en une infinité d'émotions. Selon le Grand Dictionnaire de Psychologie Larousse, l'agressivité se définit comme l'ensemble des manifestations réelles ou fantasmatiques de la pulsion d'agression.
Le sentiment est un terme vague dont le sens a beaucoup varié, il est souvent confondu avec l'émotion, la sensibilité, l'affectivité et même la sensation. Il peut désigner aussi bien le fait de sentir, que la faculté de sentir ou le résultat de l'acte de sentir. Il désigne un état affectif ou une tendance affective qui s'applique au plaisir et à la douleur, à l'émotion, à la joie, à la sympathie et à l'antipathie.
L'instinct est l'ensemble des comportements animaux et humains, caractéristiques d'une espèce, transmis par voie génétique et qui s'exprime en l'absence d'apprentissage. On le caractérise aujourd'hui comme une connaissance qui n'a pas besoin d'être définie individuellement. K. Lorenz énonce ainsi que l'agressivité constitue une des tendances fondamentales et innées que l'on retrouve chez chaque espèce.
Comportement, conduite, sentiment, pulsion, instinct, il n'est pas simple de penser l'agressivité et la violence.
Les réactions agressives peuvent se produire à la suite des stimuli les plus divers : faim, sexualité, peur, etc. frustrations aux besoins le plus souvent venant de sources très diverses : environnement extérieur, organisme, vie inconsciente.
Il existerait une étroite relation entre les conduites de survie et celles de destruction. La réaction agressive se résume à trois comportements principaux : l'attaque, la fuite ou l'inhibition. Chez l'homme, elle peut se manifester sans violence au plan du langage ou au plan des fantasmes et de l'imaginaire, ou directement dans la perturbation d'une fonction organique ce que chacun peut observer dans la vie de tous les jours.
L'agressivité entraîne bien évidemment une contre-agressivité qui demande à être réfléchie et repérée par le soignant qui répond à un patient agressif.
L'agressivité, à différentier de la violence, pas nécessairement opposée à un autre, peut se manifester par de nombreux comportements. Les actes agressifs retiennent plus souvent l'attention ne serait ce que par leur aspect spectaculaire et par la crainte qu'ils suscitent en raison de leur caractère potentiellement dangereux. Ils vont des gestes menaçants au meurtre, utilisent la force de l'agresseur ou un médiateur (arme), peuvent s'exercer directement ou indirectement (envers un objet lié à la personne que l'on veut agresser).
De la tolérance plus ou moins grande de la société à leur égard dépend le seuil à partir duquel ils deviennent des délits, voire des crimes.
1-C-Approche éthologique
Si nous nous référons à Konrad Lorenz (5) nous énoncerons que l'agressivité constitue une des tendances fondamentales et innées que l'on retrouve dans chaque espèce.
Nous n'étudierons pas les combats entre espèces différentes, pour la bonne raison que le phénomène qui nous intéresse ne concerne pas une espèce différente mais la nôtre. Notons également avec K. Lorenz que " ce qui menace dans l'immédiat l'existence d'une espèce, ce n'est pas l'adversaire qui s'en nourrit, mais toujours ... le concurrent. (6)"
" Dans tous les combats entre espèces différentes la fonction conservatrice de l'espèce est bien plus évidente que dans les combats intra-espèces. L'influence réciproque de l'évolution d'une bête de proie et de celle de sa proie nous fournit même les meilleurs exemples d'adaptations dues à la pression sélective de telle ou telle fonction. Ainsi la rapidité des ongulés développe chez les grands félins qui les chassent une grande force de saut et des pattes puissamment armées. Réciproquement, ces acquisitions provoquent chez leurs proies des sens de plus en plus aigus et des pattes de plus en plus rapides. ... Jamais cette espèce de " combat " entre celui qui mange et celui qui est mangé ne finit par l'extermination de la proie par l'animal chasseur. Il s'établit toujours un état d'équilibre parfaitement supportable pour chacun d'eux considéré en tant qu'espèce. Sans quoi les derniers lions seraient morts de faim longtemps avant d'avoir tué le dernier couple d'antilopes ou de zèbres en état de procréer ! (7)"
Si nous partons de l'idée que dans la société humaine existent des prédateurs humains qui chassent des proies humaines, force est de reconnaître en s'inspirant de Lorenz que la course aux armements, la lutte sécuritaire utilisées par les supposées-proies ne feraient que renforcer les moyens d'attaque des dits-prédateurs sans réellement modifier l'équilibre entre le prédateur et ses proies. Il ne s'agit évidemment que d'une hypothèse.
Deux phénomènes décrits par Lorenz peuvent nous intéresser : le mobbing et la réaction critique ou fighting like a cornered rat (lutter comme un rat acculé).
Le mobbing est une guerre de harcèlement menée par la proie (essentiellement des animaux vivant en société) contre " l'ennemi consommateur ". Il rend la vie impossible au prédateur solitaire qui harcelé par le groupe, est constamment découvert par la proie qu'il pourchasse et ne peut ainsi se nourrir. Il permet aux jeunes d'apprendre à connaître le consommateur qui les menace et qu'ils ne connaissent pas instinctivement à la naissance. C'est le cas quasiment unique chez les oiseaux d'un savoir transmis par la tradition d'une génération à l'autre. Il permet aux oies de découvrir le collectif et les émotions qui accompagnent la lutte pour la vie. Certains oiseaux et poissons ont développé, au service de ce phénomène, des couleurs criardes dites " aposématiques " ou " d'avertissement ". La bête féroce en garde le souvenir et les associe aux expériences désagréables faites avec les espèces en question. Les bêtes venimeuses qui se protègent par leur goût désagréable ou par d'autres moyens " choisissent souvent ", comme signaux avertisseurs, une combinaison des couleurs rouge, blanche et noire. Le tadorne et le barbeau de Sumatra ont ces couleurs et sont connus pour harceler leurs prédateurs qui dégoûtés, finissent par les laisser tranquilles.
Le fighting like a cornered rat ou réaction critique est une lutte désespérée où le combattant met tout en jeu, parce qu'il ne peut plus s'échapper ni s'attendre à aucune grâce. Cette forme de comportement combatif, la plus violente de toutes, est motivée par la peur. Le désir de fuite ne peut cette fois se réaliser comme à l'ordinaire parce que le danger est trop proche. L'animal n'ose plus tourner le dos à l'adversaire et l'attaque avec l'énergie du désespoir. Beaucoup d'animaux qui auraient détalé devant un ennemi aperçu de loin, l'attaquent furieusement en dessous d'une certaine distance critique. C'est pour cette raison que les dompteurs font travailler leurs fauves dans un endroit déterminé de la piste, en jouant sur le " seuil " entre la distance critique et la distance de fuite.
Chez la plupart des espèces animales, des comportements agressifs apparaissent à l'époque de la reproduction, en liaison avec une modification des équilibres hormonaux. L'agressivité a une valeur sélective pour les individus et les espèces; le combat sexuel aboutit à la sélection des mâles : seuls les individus bien conformés et vigoureux peuvent se reproduire.
Chez les animaux qui vivent isolément, les comportements agressifs s'expriment à l'intérieur de certaines zones de l'environnement (territoire). La défense du territoire permet à chaque individu de s'assurer les conditions indispensables à sa reproduction. Le propriétaire du territoire attaque tout animal reconnu à certains stimuli-signes comme un rival possible. Le territoire existe seulement du fait que la combativité de l'animal propriétaire atteint son maximum dans le lieu qui lui est le plus familier, c'est-à-dire au centre de son territoire. Le seuil des stimuli qui déclenchent le combat sont les plus bas là où l'animal se sent le plus en sécurité, et où son agressivité est le moins contrarié par une tendance à la fuite. Plus il s'éloigne de ce quartier général, plus le milieu devient étranger et menaçant pour l'animal, et dans la même mesure sa combativité diminue. L'augmentation de la combativité atteint des niveaux tels, que dans le cas d'animaux adultes, sexuellement mûrs, toutes les différences de taille ou de force s'en trouvent compensées. Le vainqueur d'un combat est toujours celui qui se trouve le plus proche de sa demeure.
Les stimuli qui déclenchant l'agression sont de nature variée : visuelle (couleur rouge du ventre, forme et mouvements chez l'épinoche mâle) ou sonore (chant des passereaux, vibrations des plumes chez certains oiseaux). Ces mêmes stimuli sont, au contraire, inhibiteurs de l'agression si le mâle se trouve hors de son territoire.
Chez les espèces animales qui vivent en groupe, les relations agressives permettent l'établissement d'une hiérarchie où chaque animal occupe un rang déterminé et cède le pas en toutes circonstances aux individus de rang supérieur. Les rapports de dominance s'établissent à la suite de combats plus ou moins poussés.
L'existence d'une hiérarchie, ou celle d'un territoire, entraîne une limitation du nombre des combats effectifs entre membres d'une même société et profite ainsi à celle-ci toute entière.
Cependant, il est rare que se déroulent de véritables combats; on assiste le plus souvent à des simulacres ou à des mouvements ritualisés. Certaines espèces présentent des comportements d'apaisement qui ont pour résultat de faire baisser l'agressivité chez le partenaire. Chez le loup, par exemple, l'animal dominé offre sa gorge aux crocs de l'adversaire.
Les rites d'apaisement apparaissent souvent à l'origine des sociétés animales. Un mode de comportement sert d'abord à une espèce pour composer avec l'environnement, puis acquiert ensuite une fonction entièrement nouvelle, celle de la communication ou de l'information à l'intérieur de la communauté. La fonction primaire subsiste encore, mais elle est de plus en plus reléguée à l'arrière-plan et pourra disparaître complètement, le résultat est un changement de fonction caractéristique. A partir de la communication peuvent naître deux nouvelles fonctions d'égale importance qui toutes deux conservent encore un certain nombres d'éléments de communication. La première est la canalisation de l'agression vers des issues inoffensives, la seconde, la création de liens entre deux ou plusieurs individus. Ainsi par exemple, chez les mouches dansantes, le mâle capture et présente à la dame de son choix, immédiatement avant l'accouplement un insecte de taille conséquente. Pendant qu'elle est occupée à le déguster, il peut s'accoupler avec elle sans être en danger d'être dévoré lui-même. Chez ce type de mouches existent de nombreuses variantes de cadeaux rituels destinés à abaisser le seuil d'agressivité chez la femelle.
En dehors des rituels d'apaisement existent des rites de soumission et de salutation, qui nés de mouvements agressifs, ont reçu une nouvelle direction. Ces comportements ne freinent pas l'agression, mais la détournent de certains congénères pour la canaliser vers une autre direction (ainsi le ciclide mâle attaque la femelle et s'en détourne au dernier moment pour fondre sur le poisson voisin). Ces rituels d'apaisement, présents chez les espèces les plus agressives, impliquent la création d'une sorte de lien personnel entre deux animaux. A tel point que l'on peut dire que chez les animaux, le lien naît d'une agression détournée sur un autre objet. Lorenz en énonce qu'il n'existe pas d'amour sans agression. Pas de relation sans possibilité d'agresser l'autre (ce qui rejoint ce que nous avions repéré lors de l'étude étymologique). Ces liens personnels vont dans un second temps faire partie des mécanismes de comportement qui apaisent et freinent l'agression. " S'habituer, par sélection, à tous les stimuli qu'émet un congénère individuellement connu, est probablement la condition nécessaire pour que puisse se constituer un quelconque lien personnel.(8) "
Les manifestations agressives opposent en général des mâles d'une même espèce : il arrive parfois qu'un mâle s'en prenne à d'autres espèces susceptibles d'entrer en compétition avec lui. Chez de nombreuses espèces, il est impossible pour un mâle d'agresser une femelle (et réciproquement) ou un enfant. L'inhibition est systématique. C'est un fait à savoir. Parfois appeler des hommes en renfort est la meilleure façon de déclencher l'agression.
S'il faut réprimer l'agressivité excessive, c'est bien parce que la ritualisation, l'intimidation, les mécanismes de blocage utilisés dans le monde animal ne sont pas suffisamment efficaces dans l'environnement socio-culturel humain.
A la fin de son ouvrage, Lorenz fait quelques suggestions pour limiter l'agression.
" Ma première recommandation, la plus évidente et la plus importante, sera le vieil adage : " Connais-toi toi-même ". Il est de notre devoir d'approfondir la connaissance de notre propre comportement et des enchaînements causals qui le gouvernent. Plusieurs lignes d'orientation se dessinent déjà selon lesquelles une science du comportement pourrait se développer. L'une d'elle est l'étude physiologique objective des possibilités de décharger sur des objets de remplacement l'agression en sa forme primitive : nous savons déjà qu'il en existe de meilleures que de donner des coups de pied dans un bidon vide. La deuxième est l'étude psychanalytique de ce qu'on appelle la sublimation. ... Mentionnons toujours, bien que cela soit évident, que le troisième moyen d'éviter l'agression est d'encourager la connaissance personnelle et, si possible, l'amitié entre les membres individuels de nations ou d'idéologies différentes. ... La quatrième et la plus importante mesure est de canaliser l'enthousiasme militant d'une manière intelligente et responsable, ce qui revient à aider les jeunes générations à trouver dans le monde moderne des causes authentiques et dignes d'être servies. (9)"
1-D- Approches biologiques
Dans l'état actuel des recherches, il n'existe pas de marqueur biologique de l'agressivité. L'existence du fameux " chromosome du crime " retrouvé chez les criminels et les malades mentaux dangereux serait à replacer dans le contexte de personnalités marquée par d'autres anomalies (retard mental notamment).
Il est tout aussi farfelu de faire de la testostérone l'hormone de l'agression même si celle-ci jouerait un rôle dans la sensibilité à la menace et à la frustration.
Il n'existe pas davantage de centre de l'agressivité mais certaines structures cérébrales joueraient un rôle important.
Dans la modération de la réactivité aux stimulus " agressogène " interviendraient en particulier l'hypothalamus ventromédian, le septum et les noyaux du raphé. C'est dans ces noyaux que se situent la plupart des neurones à sérotonine, ce qui corroborerait la notion d'un déficit sérotoninergique lors des manifestations d'agressivité excessive. L'amygdale, sur laquelle se projette une partie de ces neurones sérotoninergiques, semble être une structure centrale dans l'élaboration d'un comportement agressif : ce serait à ce niveau que le stimulus, par référence aux traces mnésiques acquiert sa signification affective. Le cortex préfrontal aurait également un rôle essentiel de modulation et de contrôle.
D-1 : L'agressivité selon Pierre Karli (10)
L'agressivité ainsi mise en perspective serait non pas la simple projection d'une énergie interne mais une tentative plus ou moins réussie d'adaptation à l'environnement. Ce qui conduit Pierre Karli , un neurobiologiste à dénoncer le glissement sémantique qui s'opère lorsque l'on passe des manifestations d'agressivité (notion purement descriptive) aux manifestations de l'agressivité, celle-ci devenant une entité naturelle universelle, la source interne dont viendraient les comportements d'agression. Or, ainsi que tendrait à le montrer l'étymologie, voire l'éthologie, un comportement agressif est toujours le résultat d'une rencontre entre deux êtres vivants dans une situation donnée. Ainsi, le comportement agressif est-il défini comme " un moyen d'action susceptible d'être mis en œuvre en vue des fins les plus diverses, et non pas la simple projection vers l'extérieur d'une quelconque " agressivité " qui serait inéluctablement générée par le cerveau.(11) "
Afin de penser le comportement agressif, Karli distingue deux approches distinctes et deux variantes dans chacune des approches.
La première approche dite dispositionnelle met l'accent sur la personnalité, sur un ensemble de facteurs dispositionnels. Les tenants de cette approche étudiant la façon dont ces dispositions s'expriment dans le comportement et la façon dont elles permettent de la prévoir. Ils visent à définir différentes structures ou configurations de traits de personnalité. On caractérise ainsi différents types de personnalités, avec leurs aptitudes et leurs limites.
On peut distinguer deux variantes.
La première met l'accent sur l'individualisation des traits ainsi que sur la mesure des phénomènes qui en sont l'expression. Cette démarche conduit souvent à mettre en avant le rôle joué par la génétique. La seconde variante privilégie plutôt les corrélations entre les traits, la dynamique de leurs interactions, la " psychodynamique " de la personne. La psychanalyse, avec la construction théorique qui lui est propre, s'inscrit dans cette variante. La version neurobiologique de cette variante consiste en la recherche -au sein du cerveau- des différents générateurs de ces dispositions, sous la forme de système de neurones caractérisés par une topographie anatomique et/ou des propriétés neurochimiques différentes. On décrira ainsi des systèmes motivationnels, en considérant que le degré d'activation d'un tel système détermine la propension de l'individu à émettre le comportement correspondant. En clair, " tout phénomène comportemental observable est en quelque sorte ramené à la " substance " même du cerveau.(12) "
Une deuxième école insiste sur le rôle des facteurs situationnels, sur les interactions avec l'environnement. Les comportements sont considérés surtout en relation avec le vécu, avec les expériences acquises dans un contexte socioculturel défini, qui ont largement contribué à forger une mentalité, des attitudes et des objectifs. On s'intéresse plus à la fonction qu'un comportement assure dans le dialogue avec l'environnement qu'à la façon dont il constitue l'expression d'un trait de personnalité.
Selon que l'on se soucie de l'analyse ou de la synthèse, on définira deux variantes.
La démarche behavioriste ou comportementaliste considère l'être vivant comme une machine à répondre aux sollicitations de l'environnement. Dans la mesure où ces sollicitations surviennent de façon aléatoire et sans qu'il y ait entre elles de relations bien évidentes, l'individu va construire, par simple addition, un répertoire de réponses, et son comportement fera donc l'objet d'une investigation de nature analytique et mécaniste.
Une deuxième variante met l'accent sur la personne, conçue non plus comme un ensemble de dispositions, mais en tant qu'être social dont les objectifs -ainsi que les comportements qui visent à les réaliser- sont largement forgés par l'expérience acquise dans un contexte socioculturel donné. Les investigations porteront plus particulièrement sur les représentations sociales, structures cognitives qui permettent d'appréhender et d'interpréter les situations tout en subissant -du fait même du dialogue avec l'environnement- une " mise à jour " appropriée ; car ces structures tendent à une cohérence interne, nécessaire à la genèse et à la reconnaissance d'une " identité ".
Selon l'approche et la variante à laquelle on adhère, on comprendra différemment le comportement agressif et on y apportera des réponses dans la logique de son système explicatif.
" Il importe de souligner -et de la façon la plus nette- qu'il n'y a nullement lieu de choisir entre une prédominance des facteurs dispositionnels et une prédominance des facteurs situationnels. Bien au contraire, ces deux catégories de facteurs interagissent de façon tellement étroite et tellement complexe qu'il est vain -parce que parfaitement artificiel- de vouloir déterminer, de façon globale et générale, le poids revenant respectivement à l'une et à l'autre d'entre elles.(13) "
J.L. Senninger, psychiatre en UMD le confirme à sa façon : " La violence est toujours situationnelle. Pour agresser, il faut être au moins deux : celui qui agresse et celui qui est agressé. Bien plus, ces deux protagonistes, engagés dans une situation de violence, sont dans un environnement donné, à un moment donné. Dès lors, il est trop réducteur de dégager seulement une psychopathologie de l'agressivité. A quoi sert-il d'affirmer que tel meurtre d'un persécuteur est en concordance totale avec le diagnostic de paranoïa dans une logique délirante persécutive ? Pourquoi, alors, le crime n'a-t-il pas été commis à un autre moment, dans un autre contexte etc.. Pourquoi, surtout, la plupart des paranoïaques persécutés ne tuent-ils jamais ceux qui les harcèlent pendant des années ? (14)"
Karli, en tant que neurobiologiste considère qu'à l'évidence, c'est au sein du cerveau que se rencontrent et dialoguent mutuellement l'individu, la personne et l'être social. Les structures cognitives dont la personne est dotée et qui appréhendent les situations rencontrées par l'être social sont intimement liées au cerveau et ne sauraient donc être indépendantes de la façon dont fonctionne cet organe de l'individu biologique. De plus, le dialogue que l'être social conduit avec son environnement ne saurait être adapté et efficace - pour la satisfaction des besoins de l'individu et des désirs de la personne- que dans la mesure où le cerveau peut recueillir et utiliser les fruits de l'expérience. Mais en retour, le cerveau change sans cesse du fait même qu'il assure ce rôle de " médiateur " dans un dialogue sans cesse changeant. Le neurobiologiste est donc conduit, dans son essai de synthèse, à envisager le cerveau humain comme un lieu de convergence, d'interaction et de structuration réciproque de systèmes biologiques, de systèmes psychologiques et de systèmes sociologiques. Ces interactions et cette structuration réciproques sont une hypothèse de travail que Karli soumet à l'épreuve des faits. Les processus envisagés impliquent nécessairement une certaine dynamique que l'on ne peut décrire qu'en l'appréhendant au cours du temps. Un moment important de ce temps est bien évidemment la constitution au moment de la fécondation, du pool de gènes qui apporte l'information nécessaire, mais non suffisante, au développement d'un cerveau humain digne de ce nom. Mais la reproduction génétique des structures et des fonctions du cerveau ne vise qu'à assurer -de façon rigide, mais de ce fait fiable- l'appartenance d'un individu à une espèce, en le dotant de potentialités qui correspondent aux moyens d'action propres à cette espèce. C'est donc à la fois en amont de cette reproduction génétique (c'est-à-dire tout au long de l'histoire phylogénétique de l'espèce humaine) et en aval (c'est-à-dire tout au long de l'ontogenèse de l'individu) qu'il convient de rechercher l'existence d'une dynamique d'auto-organisation et d'autorégulation et d'en décrire, le cas échéant, les traits essentiels.
Deux questions étroitement complémentaires se posent à propos de l'histoire évolutive (phylogenèse) et de l'histoire individuelle (ontogenèse) du cerveau humain. Les contraintes changeantes du dialogue avec l'environnement ont-elles provoqué, au cours de l'histoire biologique de l'espèce, des modifications de nature adaptative au niveau du cerveau ? La " plasticité " du cerveau humain est-elle de nature à lui permettre de s'adapter, au cours de l'ontogenèse, aux interactions sociales qui se sont singulièrement enrichies du fait qu'une histoire culturelle est venue se greffer sur l'histoire biologique de l'espèce ? Ces deux questions en contiennent implicitement une troisième : y a-t-il entre le cerveau de l'animal et celui de l'homme, une nette discontinuité d'ordre qualitatif ? Et si oui, en quoi consiste-t-elle ?
Il s'interroge donc sur la nature des informations pertinentes que reçoit et traite le cerveau, ainsi que sur la nature des réponses qu'il programme et qu'il fait réaliser par ses agents d'exécution que sont les muscles. Il envisage surtout les processus d'intégration qui se situent entre les " entrées " et les " sorties " du cerveau. Il met ainsi l'accent non sur les modalités de programmation des réponses comportementales (les sorties), mais sur le type d'élaboration dont les informations sensitivo-sensorielles (les entrées) font l'objet et sur le type de référentiel (de système de référence) qui est utilisé et qui permet de donner à ces informations tout leur sens.
Il distingue ainsi deux niveaux d'intégration dans la structuration de l'espace extra-personnel, au double plan perceptif et moteur.
Dans le mésencéphale, c'est-à-dire dans la partie haute du tronc cérébral, le colliculus supérieur (ou tubercule quadrijumeau antérieur) est un lieu de convergence d'informations visuelles, auditives et tactiles provenant de telle ou telle région de l'espace, et cette topographie sensorielle se recoupe avec une topographie motrice, c'est-à-dire une topographie du contrôle exercé sur des mouvements dirigés vers ces mêmes régions de l'espace. Ce chevauchement des représentations motrices et visuelles a une valeur adaptative évidente.
Au niveau du cortex cérébral, un réseau nerveux fort complexe intègre non seulement les caractéristiques perceptives et motrices des différents secteurs de l'espace extra-personnel, mais encore la répartition -dans cet espace- des " valences motivationnelles " et des attentes correspondantes.
Le deuxième niveau concerne l'association d'une connotation affective aux données objectives de l'information sensorielle. On retrouve ici une " hiérarchie " tout à fait analogue à la précédente. Au niveau du mésencéphale, la substance grise péri-acqueducale (située juste en dessous du colliculus supérieur) intervient dans des processus qui déterminent l'attitude " d'appétence " ou au contraire " d'aversion " à l'égard de certaines incitations, sans qu'il soit fait référence à ce niveau aux traces laissées par l'expérience passée. A un niveau supérieur, des structures corticales (en particulier le cortex cingulaire) et sous-corticales (en particulier l'amygdale) interviennent dans la genèse des connotations affectives, dès lors qu'il s'agit d'intégrer à l'information sensorielle une signification de nature affective en référence au vécu. Le niveau d'intégration et d'organisation le plus élaboré est mis en jeu dans l'intersubjectivité des échanges socio-affectifs de l'homme, dans les relations que nouent -au sein des représentations sociales qui lui appartiennent en propre -les cognitions et les émotions, la " raison " et le " désir ".
Le passage du singe à l'homme décrit une très proche parenté entre homme et chimpanzé mais également une séparation consommée. Le langage qui serait apparu dès l'homo habilis joue un rôle majeur dans cette différenciation. Si la communication sociale des primates repose sur des signaux sonores et des signaux visuels, elle montre des capacités d'apprentissage et de symbolisation qu'il faut lui inculquer avec beaucoup d'insistance et de patience.
L'ontogenèse montre que dans le processus de socialisation, un rôle important et complémentaire est joué par le développement de la conscience de soi, par l'établissement de liens affectifs et par l'acquisition et l'utilisation du langage. La notion de conscience de soi, en raison de son caractère subjectif peut difficilement être définie d'une façon directe, immédiate. Si l'on considère que le comportement observable constitue l'expression d'un ensemble de relations au monde que le vécu a progressivement forgées, on peut définir la conscience de soi comme la faculté de créer des représentations internes des relations de soi au monde, de les enrichir par la pensée réfléchie et par la communication avec l'environnement, et de les exprimer par le langage et par des comportements non verbaux.
Les données neuropsychologiques démontrent que cet état mental n'est pas localisable en un endroit déterminé du cerveau, car il semble comporter diverses facettes dont chacune pourrait correspondre à l'émergence de propriétés dynamiques particulières venant asservir des mécanismes élémentaires au sein d'un réseau nerveux relativement dispersé.
La liberté est pour Karli, le fruit de la phylogenèse et de l'ontogenèse. Tant l'une que l'autre sont caractérisées par une double prise de distance, dans l'espace et dans le temps. Dans l'histoire évolutive des mammifères, les contacts immédiats avec l'environnement par les sens du toucher et de l'olfaction ont progressivement cédé la place à la détection et à la reconnaissance à distance de signaux sociaux plus élaborés (par la vision et l'audition). Au cours de l'ontogenèse, le nourrisson utilise très largement les sensations tactiles et olfactives (il reconnaît l'odeur de sa mère dès les premiers jours après la naissance) ; chez l'adulte, ce sont les télédétecteurs de l'œil et de l'oreille interne qui captent les messages dont le rôle est essentiel dans les communications verbale et non-verbale. Il se crée ainsi, entre l'individu et son environnement, un espace " privé " qui tout à la fois éloigne du monde et constitue le lieu privilégié du dialogue qui le rapproche. En même temps, les caractéristiques de cet espace privé sont de mieux en mieux intériorisées, c'est-à-dire intégrées dans des représentations internes. La mise en jeu de ces représentations conduit à une reconnaissance et à une emprise moins directes, moins immédiates, des signaux et des situations ; bien au contraire, les opérations cognitives, dont le contenu de ces représentations fait l'objet, permettent d'interpréter le monde extérieur, et cette interprétation est source d'attentes et de projets. Car la prise de distance dans l'espace s'accompagne d'une prise de distance dans le temps. Le développement des capacités de mémorisation et de la faculté de se référer aux traces laissées par le vécu a pour effet de situer l'individu dans une plage de temps qui est à la fois riche d'un passé et porteuse d'avenir. En raison d'une dissociation plus marquée dans le cerveau humain du traitement que subissent respectivement les paramètres objectifs de l'information sensorielle et les connotations affectives qui y sont associées, l'homme peut prendre un certain recul par rapport à l'émotion suscitée par tel ou tel événement ou évocation.
Cette double prise de distance permet le développement, au sein même de l'individu, d'un dialogue quelque peu " distancié " entre un " Je " et un " Moi social ". Cette distanciation est nécessaire, si le Je doit pouvoir réfléchir sur la Moi social, fruit d'une intériorisation du rôle tenu par chacun sur le " théâtre d'ombres " dont la scène est dressée par un contexte socioculturel donné. C'est semble-t-il, dans le cadre de cette dynamique intersubjective et intrasubjective, que naît progressivement et que va ensuite agir la conscience que l'on a de soi-même.
Dans l'espace privé qui s'étend entre le corps biologique, avec ses besoins élémentaires, et le corps social avec ses contraintes inéluctables, un dialogue libre ne peut avoir lieu que si cet espace reste disponible et ouvert. C'est dire qu'il ne doit être envahi ni d'un côté, ni de l'autre.
Il reste à souligner un aspect important. Créer des distances n'a de sens que si l'on dispose, à tout moment, de l'instrument qui permet de le franchir. Cet instrument, c'est le langage. Mais pour construire un dialogue lucide et enrichissant avec les hommes et avec les choses, et d'abord avec soi-même, il est essentiel de disposer d'un langage qui soit nuancé et authentique.
Après avoir posé ces jalons, Karli s'intéresse au comportement et à ses motivations.
Une analyse des comportements, qui se voudrait parfaitement objective, aurait tout naturellement tendance à focaliser l'attention sur les phénomènes, tels qu'ils peuvent être observés et décrits par un observateur extérieur. N'est-ce pas ce que font les soignants lorsqu'ils décrivent tel ou tel trouble du comportement ? A l'évidence, une semblable démarche ne saurait appréhender qu'un aspect partiel, quoique important, d'une réalité beaucoup plus complexe. Car un comportement se laisse rarement réduire au seul phénomène observable qu'il constitue. Ce comportement n'est pas une fin en soi : sa raison d'être n'est pas toute entière contenue dans le comportement lui-même et elle ne s'épuise pas dans son exécution.
Un comportement est, le plus souvent, une action chargée de sens et du fait des conséquences qu'elle produit et qui sont évaluées par le cerveau aussi génératrice de sens. Tout comportement se déploie, en effet, dans un espace et s'inscrit dans une histoire qui sont, l'un comme l'autre, chargés de signification pour l'être vivant qui dialogue avec eux. Car le comportement n'est pas seulement action, mais aussi événement, à la fois fruit d'une histoire et générateur d'histoire, dès lors qu'il contribue à en orienter le cours. Et cette dernière se déroule dans un espace qui n'est pas simplement celui que pourrait décrire tout observateur extérieur, mais celui qui est vécu et modelé par un individu et qui lui appartient en propre. C'est donc une dynamique interactive complexe, avec les forces qu'elle met en œuvre et les informations dont elle assure l'échange, qui donne tout son sens au comportement, à l'espace dans lequel il se déroule et à l'histoire dans laquelle il vient s'inscrire.
Le comportement assure une fonction essentielle pour l'être vivant : non seulement exprimer une relation existante, mais encore créer, préserver, modifier ou abolir une certaine relation à l'environnement. Préserver ou modifier une relation individuelle à l'environnement revient concrètement à agir en vue de préserver ou de modifier la façon dont tel aspect particulier de l'environnement est perçu, évalué, vécu (avec toutes les expériences affectives qui s'y rattachent). Dans la " gestion " de ces relations, de ces transactions qui s'inscrivent dans l'espace et dans le temps, le cerveau assume une triple fonction de médiation :
- face aux incitations du milieu, il ne génère pas seulement des objectifs et des comportements visant à les réaliser, mais il enregistre et évalue les conséquences (" bénéfices " et " coûts ") qui découlent de ces comportements, et il les prendra en compte ultérieurement ;
- il inscrit ces comportements dans une histoire qui lui est propre, car il est le dépositaire de cette histoire et le lieu où elle fait l'objet d'élaborations plus ou moins complexes ;
- il inscrit ces comportements dans un espace qui lui est propre, car il est porteur de représentations de l'environnement physique et social familier, représentations qui se structurent et qui sont mises à jour par et pour les interactions avec l'environnement.
Un comportement ne se laisse pas réduire à un simple " effet " qui aurait l'activation d'un mécanisme cérébral pour " cause ". Le comportement est un moyen d'action, l'agent d'une stratégie qui vise un objectif. Le cerveau met en œuvre une stratégie qui au travers d'un objet de l'environnement, le vise en fait souvent lui-même (plus précisément sa propre relation à cet objet). Il n'y a pas de relations rigides entre stratégies et objectifs. La poursuite d'un objectif donné n'implique pas nécessairement la mise en œuvre d'une stratégie donnée. Bien au contraire, un même objectif peut être atteint par des voies très diverses, et une même stratégie peut être utilisée, dans des contextes différents, à des fins très diverses. En outre, étant donné que, le plus souvent, de nombreux facteurs interviennent dans l'élaboration d'un objectif et dans le choix de la stratégie qui paraît appropriée, on conçoit aisément qu'un comportement puisse rarement être imputé à une cause simple. Face à une situation donnée, la probabilité de mise en œuvre d'un certain comportement sera déterminée par la configuration d'un " champ causal " plus ou moins complexe. Rechercher le " motif " ou la " raison " de la mise en œuvre de ce comportement revient à examiner l'ensemble des facteurs qui contribuent à en déterminer la probabilité. Ces facteurs ne correspondent de façon exclusive ni à des mécanismes cérébraux ni à des incitations émanant de l'environnement mais aux modalités complexes du traitement des secondes par les premiers. Nuttin insiste sur le fait que " l'individu se définit comme un " sujet en situation " et l'environnement comme une situation construite par le sujet " et que " plutôt que d'être simplement interdépendant ou en interaction, le sujet agissant et le monde de l'action n'existent que l'une en fonction de l'autre. (15)"
Ces éléments de réflexion ne valent pas simplement pour le comportement agressif, ils se vérifient quel que soit le comportement observé. Qui veut décrire ou simplement penser un comportement doit prendre en compte non pas l'ensemble des facteurs qui le constituent mais le plus grand nombre possible. Il est clair que des façons de décrire les comportements tels que la transmission ciblée appauvrissent considérablement la description et les réflexions que l'on devrait mener.
Un comportement d'agression, qu'il soit de nature offensive ou défensive ne se laisse donc aucunement réduire à une motivation univoque. Bien au contraire il est un moyen d'expression et d'action qui est " asservi " aux fins les plus diverses, ce qui explique le nombre considérable des facteurs (d'ordre biologique, psychologique, sociologique)) qui par le jeu de leurs interactions constituent le " champ causal " responsable de sa manifestation observable.
Dans le cas de l'homéostasie du milieu intérieur, les points de consigne (niveau glycémique, osmolarité, température centrale ...) correspondent à des nécessité vitales, et ils sont reproduits de façon invariante grâce à la transmission des programmes génétiques caractéristiques de l'espèce. Les comportements mis en œuvre (ingestion d'aliments ou d'eau, comportement thermorégulateur ...) font partie intégrante des régulations biologiques fondamentales qui assurent la constance du milieu intérieur. Considérés dans cette perspective comme des éléments d'un système régulé, ces comportements peuvent être décrits et expliqués à l'aide des concepts et méthodes de l'analyse des systèmes. Dans le cas de l'homéostasie relationnelle et affective, dans la recherche des équilibres et des cohérences dans les échanges socio-affectifs, les choses deviennent beaucoup plus complexes, pour au moins trois raisons.
- Tout d'abord, la référence n'est plus un " point d'équilibre ", mais une " structure d'équilibre ". De même que, dans l'alternance veille-sommeil l'équilibre ne se situe pas quelque part entre les deux états, mais dans la rapport équilibré qu'ils entretiennent l'un avec l'autre, on peut concevoir toute une série d'équilibres entre des états mentaux contraires, successifs ou synchrones.
- Ensuite, puisque le comportement s'inscrit dans une histoire, il ne s'agit plus nécessairement de réaliser un équilibre ou une cohérence dans l'immédiat. Le cerveau peut " intégrer " des expériences sur un temps plus ou moins long, variable d'un individu à l'autre et chez un même individu d'une période à l'autre de la vie.
- Enfin les représentations internes (à la fois structurées par le vécu et fournissant les références pour les actions à venir) évoluent dans le temps. Cette évolution peut se faire de façon progressive ou au contraire présenter une " crise ", en particulier lorsque l'adolescent rejette son statut d'enfant et recherche un statut d'adulte, avec une nouvelle identité sociale.
Les émotions participent très largement aux fonctions de médiation qu'assure le cerveau dans la gestion des relations de l'individu avec son environnement. L'émotion suscitée par la perception d'un objet ou d'une situation est inséparable de la façon dont le cerveau appréhende cet aspect de la réalité extérieure, de la " lecture " qu'il en fait. Elle contribue par conséquent à définir le champ causal qui va déterminer le choix de la réponse comportementale appropriée. De même, l'émotion suscitée par l'évaluation des conséquences qui auront découlé de cette réponse fera partie intégrante des traces que l'expérience ainsi vécue laissera au sein du cerveau. Dès lors que des émotions naissent de la confrontation de l'information sensorielle présente avec les traces laissées par le vécu et que d'autres, qui naissent de l'action, ont pour effet d'enrichir ces traces, il est clair que le comportement s'inscrit dans une histoire, puisqu'à la fois il se nourrit du passé et contribue à modeler l'avenir.
La configuration du champ causal qui sous-tend l'action change continuellement. Une émotion peut être vécue de deux façons très différentes : ou bien comme partie intégrante de l'action, comme une force qui y pousse et qui permet de s'y affirmer, ou bien comme une " passion " que l'on subit. Pour l'individu qui dialogue avec son environnement, la relation entre une émotion et un comportement observable est rarement celle entre un état mental et sa seule projection vers l'extérieur. Bien plus souvent, le comportement vise à créer, à entretenir, à modifier ou à abolir une expérience affective chez l'individu qui le met en œuvre !
Les émotions jouent également un rôle social important dont la nature précise dépend du contexte socioculturel. Présenter tous les signes d'une vive colère permet d'accomplir un acte non conforme aux règles de la société, sans en être tenu pour entièrement responsable (de plus, c'est en référence aux normes sociales qu'on jugera s'il s'agit ou non d'une " juste " colère). Au sein d'une communauté humaine, la probabilité de mise en œuvre d'un comportement comme moyen d'expression et/ou d'action est assez largement influencé par l'attitude générale (de réprobation ou au contraire de complaisance) à son égard ; or, cette attitude et l'influence qu'elle exerce ont, l'une comme l'autre, une forte composante émotionnelle. De façon générale, les émotions peuvent servir de " bouc émissaire ", grâce à une allusion à une régression transitoire à l'état de " bête ", dès lors qu'il s'agit de préserver l'image que nous nous faisons de l'homme, être normalement libéré de ses " vils instincts " et gouverné par la " pure raison ".
L'émotion est interprétée grâce au langage, lui-même reflet du contexte socioculturel. D'abord relativement diffuse aussi longtemps qu'elle reste innommée, l'émotion prend toute sa signification dès lors qu'elle est prise en charge par le discours intérieur. La façon dont l'expérience est vécue dépend donc de la façon dont elle est interprétée par le langage, sur la base d'un ensemble de normes sociales. En retour, en nommant un objet d'une certaine façon de manière répétée, on va créer une expérience de nature émotionnelle à l'égard de cet objet (ainsi en va-t-il de la violence, de l'insécurité).
Après avoir dressé un cadre général que nous n'avons qu'esquissé notamment sur le plan neurobiologique, Karli reprend pour l'examiner en détail la notion fondamentale qu'il dégage : " un comportement d'agression est un moyen d'action que le cerveau individuel met en œuvre en vue d'atteindre un certain objectif. ". Les conséquences de ce comportement consistent essentiellement en un changement apporté à l'une ou l'autre des relations que le sujet entretient avec son environnement. Ce qui importe dans le déclenchement d'une agression, ce n'est donc pas l'événement ou la situation décrite objectivement mais l'interprétation qui en est faite et les états affectifs qui accompagnent les processus de perception et d'interprétation. Dans ces conditions, " un comportement d'agression ne doit pas être considéré simplement comme une réponse isolée à un aspect isolé de l'environnement, mais comme un " révélateur " d'une façon individuelle et historiquement constituée d'appréhender les situations et les événements et d'y faire face afin de les maîtriser. "
Le premier rôle revient aux émotions, aux expériences affectives. Lorsqu'une situation suscite un comportement agressif, cette agression vise souvent à mettre un terme à (ou à atténuer) une émotion de nature aversive (inquiétude, peur, contrariété, colère) générée par la situation et par l'interprétation dont elle est l'objet. D'autres situations, fortuitement rencontrées ou carrément recherchées, fournissent l'occasion de vivre des émotions plaisantes, car elles permettent grâce à une conduite agressive, de s'approprier tel objet convoité ou de conforter l'estime de soi et la confiance en soi. Même dans les cas, où l'agression paraît être " spontanée ", dans la mesure où elle se manifeste en l'absence d'un événement ou d'une situation susceptible de l'avoir provoquée, elle peut exprimer un sentiment d'incertitude et d'insatisfaction, tout en visant à l'atténuer ; elle peut être également le moyen mis en œuvre pour rechercher des stimulations, un certain état d'excitation, des " émotions fortes ". Si les émotions jouent un rôle primordial, elles le partagent largement avec le vécu individuel. Car, en dehors de celles qui accompagnent la satisfaction des besoins biologiques élémentaires et qui comportent une large composante innée, les émotions qui naissent à un moment donné de la vie dépendent étroitement de plusieurs aspects d'une personnalité forgée par un vécu. Et ce vécu individuel s'enrichit constamment des expériences affectives qui résultent des comportements pour la mise en œuvre desquels il a fourni des déterminants essentiels.
Face à une situation donnée, la probabilité de mise en œuvre d'un comportement d'agression est grande, si :
1. La situation est perçue, interprétée et vécue de façon telle que l'agression paraît être la stratégie appropriée ;
2. L'expérience acquise dans cette même situation ou dans des situations analogues a démontré qu'il s'agit là effectivement d'une stratégie qui a toutes les chances d'être efficace ;
3. Rien ne vient vraiment retenir l'agresseur potentiel.
Il importe donc d'envisager successivement chacun de ces trois points, avec les facteurs susceptibles d'intervenir. Un deuxième critère doit être utilisé dans l'analyse de ces facteurs, car il convient de faire une distinction entre des facteurs biologiques, des facteurs qui font partie intégrante de la personnalité des sujets et des facteurs qui tiennent à la situation et, plus généralement, au contexte socioculturel dans lequel elle s'inscrit.
Sur un plan biologique, les émotions aversives auraient un rôle de premier plan. Chez l'homme comme chez l'animal, l'émotion aversive comporte non seulement une composante affective déplaisante, mais encore une activation globale du cerveau qui se traduit par des modifications physiologiques (affectant les fonctions végétatives, l'activité sécrétoire des glandes endocrines, le tonus musculaire) et qui prépare l'organisme à l'action. Cette émotion, générée par toute situation perçue comme une menace pour l'intégrité physique et/ou psychique de l'individu, suscite un comportement qui vise à mettre un terme à l'expérience affective déplaisante et à abaisser le niveau d'activation cérébrale. Car cette activation fait l'objet d'une autorégulation qui la maintient (ou la fait revenir) à un niveau optimal. Ce double objectif sera atteint grâce à la mise en œuvre d'un comportement d'agression (susceptible d'écarter la menace) ou d'un comportement de fuite (qui éloigne l'individu de cette menace).
L'émotion aversive assure une fonction de médiation vitale pour l'être humain. " Cette fonction s'est développée lorsque, au cours de l'évolution, les liaisons entre les " entrées " et les " sorties " du cerveau ont progressivement perdu leur rigidité et qu'une " plasticité " accrue a permis la diversification des comportements adaptatifs. L'émotion est alors devenue le médiateur nécessaire entre les circonstances changeantes de l'environnement et des réponses adaptatives qui reflètent une interprétation de ces circonstances sur la base des traces laissées dans le cerveau par l'histoire individuelle. On ferait mieux de réfléchir au rôle ainsi joué par les émotions avant d'user -et d'abuser- des substances psychotropes censées nous en débarrasser ! "
En résumé, pour Karli, l'agressivité interviendrait comme une stratégie dont les buts sont soit l'affirmation de soi et la satisfaction des besoins et des désirs, soit la défense contre tout ce qui menace l'intégrité de soi ou du groupe. Cette stratégie comprendrait trois niveaux :
- un comportement réflexe préprogrammé,
- une association avec le stimulus dans une connotation affective positive, enfin
- un niveau d'élaboration cognitive où sont pris en compte les acquis culturels de l'individu agressif et le contexte socio-culturel.
D-2 : La gestion des modes mentaux (GMM)
Karli aborde dans son ouvrage les travaux de Mac Lean (16) qui pose l'hypothèse d'une superposition progressive de niveaux fonctionnels de plus en plus élaborés. Dans sa conception du " triune brain " (trois cerveaux en un, à savoir : cerveau reptilien, cerveau paléomammalien et cerveau néomammalien) de l'homme, Mac Lean assimile le système limbique au cerveau paléomammalien, en lui assignant pour fonction majeure la genèse des émotions (emotional mind), et considère que le développement des fonctions cognitives (ratinal mind) a été rendu possible par celui du cerveau mammalien. Ces éléments théoriques ont été repris par J et F Fradin, de l'Institut de Médecine Environnementale qui ont développé une approche originale de la genèse de la violence et de l'agressivité chez l'être humain.
L'agressivité trouverait ses racines premières dans la partie la plus primitive du cerveau humain, appelée cerveau reptilien. Nous pouvons voir que les points de vue des Fradin et celui de Karli divergent en partie.
Les théories avancées dans cette réflexion sur l'agressivité et la violence impliquent des précautions d'emploi. Elles sont présentées via le filtre d'une subjectivité (la mienne), d'une lecture particulière (celle d'un soignant qui exerce en psychiatrie). Elles sont là pour nourrir votre réflexion. Les synthèses proposées n'interdisent en rien d'aller à la source en se coltinant aux œuvres originales et en faisant votre propre lecture. Au contraire. Elles sont des outils pour penser. A vous d'en faire votre synthèse, d'autant plus que notre souci n'est pas de présenter une théorie qui tienne debout mais d'appréhender les situations concrètes qui s'imposent à nous et de pouvoir y réagir sans trop de préjudices pour les personnes que nous accompagnons.
C'est donc dans le cerveau reptilien, dans l'hypothalamus que prendraient naissance les circuits de la Fuite et de la Lutte, qui sous-tendent l'action de ces deux instincts de la survie en cas de menace ou d'agression. " Mieux comprendre et reconnaître les signes caractéristiques de ces états nous semble permettre de clarifier quelque peu la part d'impulsion plus ou moins contrôlable de ces états et celle de leur fonction, de leurs objectifs et des troubles qui en découlent.(17) "
Ces états, poursuivent les auteurs, ne sont pas d'abord le fait de notre volonté consciente, de l'intelligence spécifiquement humaine à laquelle nous aimons nous identifier ou que nous nous sentons coupable de ne pas incarner pleinement. " Ils sont le résultat d'une impulsion d'origine instinctive et inconsciente donc largement biologique, dont il convient d'abord d'admettre la réalité.(18) "
L'agressivité est un processus interactif : l'état de Fuite ou de Lutte s'emballent involontairement chez chaque protagoniste, attisé par les faux pas de comportement, de communication et par la condamnation réciproque que, souvent, chacun inflige à l'autre. " Pourtant, rien n'étant simple, cette agressivité partagée permet paradoxalement d'éviter pire : le passage en état d'inhibition de l'action. Décrit par Henri Laborit (19), cet état est le troisième de la lignée des instincts de survie face à la menace, réelle ou subjective. Sa fonction primaire chez l'animal, est de sa faire oublier lorsque l'on a perdu le combat ou que l'on ne pense pas être en état de danger. Mais cet état " d'attente en tension ", adaptatif s'il est bref, est fortement pathogène s'il se prolonge.
En clair, se battre ou avoir le sentiment de le faire évite le stress anxieux, ou l'état dépressif. (20)"
On a longtemps considéré et on considère encore aujourd'hui que le stress vient principalement du fait que le système instinctif permettant la fuite ou la lutte est devenu inefficace dans les circonstances de la vie moderne. Cependant, dans les années 70, Laborit a démontré que les désordres somatiques reliés à l'agression psychosociale ne dérivent pas directement de ce système mais plutôt d'un système qu'il appelé " système inhibiteur de l'action ". Quand un organisme se trouve dans l'incapacité de contrôler son environnement, il est en déséquilibre. Pour sauver son équilibre et se préparer à une éventuelle action, il mobilise divers centres nerveux qui inhibent l'individu dans un état d'attente en tension. Cette attente est positive pour la survie à court terme. Mais, si l'agression persiste, le maintien en état d'inhibition engendre une large fraction de la pathologie générale en mobilisant l'axe hypothalamo-hypophyso-surrénal, responsable notamment de la sécrétion de la cortisone, située au niveau du cœur du caractère pathogène du stress. On peut l'imager avec le coureur prêt à prendre le départ d'un cent mètres : " A vos marques ! Prêts ! ... " et le signal du départ ne serait jamais donné. Le coureur resterait tendu dans les starting block prêt à donner l'impulsion de départ.
En 1974, Laborit a également mis en évidence le rôle de la mémoire dans les désordres de l'inhibition de l'action. Le stress résulterait d'une mémorisation de l'inefficacité de son action face à une situation donnée. Diverses expériences ont suggéré que des processus de mémorisation sont nécessaires à l'acquisition d'un comportement d'inhibition alors que les réactions de fuite et de lutte sont immédiates et instinctives. On peut ainsi mieux comprendre pourquoi les réactions de stress et de dépression liées à cette inhibition sont éminemment personnelles : elles résulteraient de l'expérience préalable et répétée d'une inhibition de l'action, dans un contexte plus ou moins large.
On peut ainsi penser qu'un individu violent loin avant tout d'être un sujet fort et " supérieur " comme notre réaction épidermique pourrait souvent nous le faire croire, est en premier lieu un être en équilibre psychobiologique instable, arc-bouté sur le dernier rempart (la lutte) avant la dépression et la pathologie (l'inhibition).
Si la première fonction du système nerveux est de permettre à l'organisme d'agir et de contrôler son environnement afin de maintenir ou de rétablir son homéostasie, il doit constamment évaluer l'état de bien-être ou d'inconfort de l'organisme afin d'en satisfaire les besoins.
Le cerveau reptilien, ainsi dénommé par Mac Lean contient un groupe de neurones sensibles aux variations physicochimiques du milieu intérieur et en retour à l'expression globale de l'organisme. Il exprime à l'usage des cerveaux supérieurs les besoins basiques sous la forme de " pulsion " telles que boire, manger, copuler (excuse-moi Chantal, ce n'était pas le mot que nous avions dit) ou préserver l'intégrité corporelle. Essentielle et fiable quant à l'information sur l'état interne des besoins de l'organisme, cette région est par contre incapable de stratégies d'action complexes pour contrôler le milieu et l'appropriation des objets de la consommation : elle ne propose que des trames de comportements stéréotypés.
Chez les mammifères apparaît le système limbique, centre de ce que l'on appelle communément l'affectivité. En réalité, cette région du cerveau est d'abord au centre du processus de mémoire. Or, il ne semble pas pouvoir exister d'affectivité sans mémoire, celle de l'expérience plaisante que nous tentons de reproduire (désir, motivation, évocation agréable) et celle du désagrément que nous essayons d'éviter par la fuite ou par la lutte (appréhension, peur, mauvaise humeur).
Le néocortex enfin est dit associatif en ce sens qu'il réalise la synthèse des différentes informations qui pénètrent le système nerveux par les diverses voies sensorielles.
Ces trois étages sont interconnectés par un ensemble de circuits nerveux verticaux. Olds et Milner (21) ont décrit en 1954 le " Faisceau médian du Cerveau antérieur " (" Median Forebain Bundle ou MFB) ou encore " Faisceau de la Récompense " ( Reward Bundle). Si l'on implante une électrode dans le MFB d'un animal qui peut fermer un circuit électrique en pressant un levier, il le fera des milliers de fois par 24 heures. Le système périventriculaire décrit par Molina et Husperger en 1962, est encore appelé " Système de la Punition " (Punishment Bundle). Sa stimulation par une électrode entraîne une agitation, des cris aigus suivis d'une tentative de fuite qui lorsqu'elle est impossible, fait place à la lutte. Si la récompense, la fuite ou la lutte sont impossibles, le " système d'inhibition de l'action " entre en jeu.
Dès le stade évolutif des reptiles, on voit apparaître au cours de la lutte un comportement instinctif de gonflement de la partie antérieure de l'animal (torse et cou), un hérissement des écailles dorsales et un mouvement rapide de la langue. Chez les mammifères, et dans le même ordre de finalité (faire peur), on constate un hérissement des poils du dos, un découvrement des dents, un ronflement ou l'émission d'autres bruits agressifs. A l'inverse, l'animal inhibé s'aplatit, rentre sa queue entre ses pattes arrière, baisse les yeux, s'immobilise, se tait. Chez les mammifères supérieurs, primates en particulier, se constitue un ordre stable de dominance, là aussi sous-tendu par une codification comportementale précise. Ainsi chez les singes trouve-t-on diverses postures à signification hiérarchique, simulant une dominance ou une soumission sexuelle.
La finalité de tels rituels est semble-t-il d'éviter une incessante répétition d'affrontements entre individus. Il existerait ainsi une série de rituels Fuite/Lutte/Inhibition génétiquement codés, transmis et complexifiés depuis les vertébrés primitifs jusqu'à nous, et destinés à limiter les conflits de prise de dominance. Ils consistent primitivement en un effacement du plus petit devant le plus gros.
Chez l'homme, il existe probablement une préprogrammation génétique comparable sous-tendant les multiples variantes culturelles des rituels de la dominance. Cette trame code le caractère spontanément signifiant (gratifiant ou aversif) ou non signifiant des divers stimuli primaires. Le stimulus plaisant devient déplaisant en fonction de la satisfaction du besoin biologique. Ce phénomène se nomme l'alliesthésie. Il oriente, guide et limite notre action. Les instincts d'exploration et de consommation créent notre motivation à agir. Ceux de la Fuite et de la Lutte créent notre motivation à fuir ou à lutter en cas de menace. Celui d'inhibition crée un comportement d'évitement passif, avec démotivation totale pour l'action et induction d'un comportement de soumission en cas d'échec de la fuite ou de la lutte.
L'instinct de la lutte semble être à l'origine du caractère relativement stéréotypé des états d'agressivité, elle en expliquerait le caractère impulsif et susceptible sous-tendu le plus souvent par l'amour-propre ou l'orgueil. Cette réactivité intense à l'égard de simples problèmes formels peut surprendre quant à un comportement instinctif que l'on aurait pu croire plus archaïque et matérialiste. Si l'on comprend que sa fonction est de réguler sans combats la hiérarchie des individus dans les groupes sociaux, cette susceptibilité peut être comprise comme un " marqueur " de la dominance et le respect rituel de la forme, celui de la soumission mais aussi d'un message amical, de non-agression.
Même si cette stéréotypie n'est évidemment pas aussi rigide que celle observée chez les animaux primitifs et porte plus sur un contenant émotionnel que sur un contenu précis, la description des états de stress FLI (Fuite, Lutte, Inhibition) semble pouvoir expliquer des pans entiers des comportements humains. Cette " coloration " engloberait ainsi la quasi-totalité du vécu de l'instant : ce seraient toutes les cognitions et tous les comportements qui seraient déformés (distorsion cognitive et comportementale) par la présence du stress. On peut dire que ces états constituent de véritables " méta-instincts " en ce sens qu'ils régulent l'ensemble des autres centres nerveux. Les motivations de lutte peuvent par exemple prendre le pas sur toutes les autres. Ainsi en est-il par exemple du besoin d'avoir raison lorsque l'on est en colère qui supplante l'amitié, l'amour, la faim, la fatigue, l'intérêt et même la peur. En contrepoint, on observe que le respect d'un rituel de forme adapté à la stéréotypie de la réactivité instinctive (reconnaître ou ne pas nier les capacités d'intelligence et d'action, c'est-à-dire de dominance) permet d'éviter ou de désamorcer l'emballement des processus d'agressivité ou de violence induit par l'état de lutte.
Les auteurs ont donc cherché à définir et standardiser ce qu'ils ont nommé les caractéristiques diagnostiques et stratégico-thérapeutiques des états de stress FLI chez l'humain et de la lutte en particulier. Cette façon de procéder implique que l'on considère au moins en partie ces phénomènes comme pathologiques, ce qui demande à être discuté.
Dans un contexte aussi basique que la communication, le diagnostic de lutte doit se faire de façon simple (1 à 3 signes toujours observables), quasi instantanée, à partir de critères fiables. C'est pourquoi les auteurs ont choisi ceux qui sont directement issus des centres les plus primitifs (reptiliens et limbiques) et produisent donc les comportements les moins contrôlables : ce sont les signes physiologiques (les variations de la vasomotricité comme par exemple l'empourprement du visage que l'on observe lors de la colère) ou les signes microcomportementaux comme les mouvements du regard. Ces signes sont par ailleurs particulièrement signifiants lors des baisses de vigilance, comme lors des moments d'articulation de la communication (entre le moment où l'on parle et celui où on l'écoute) ou lors des moments de conflit ou de contrariété, où la préoccupation par le fond du conflit et l'intensité de l'état l'emportent sur toute tentative de contrôle conscient. Ils attachent beaucoup moins d'importance aux signes macrocomportementaux, plus contrôlables et sujets à l'apprentissage, comme les grands mouvements ou les attitudes, plus influencés par la culture, la conscience ... voire l'apprentissage des méthodes de communication qui les ont souvent utilisés.
Ces différents éléments sont à la base de ce que les auteurs ont nommé la gestion des modes mentaux (GMM).
Les neurosciences ont montré que le fonctionnement cérébral supérieur était régi par une règle simple : ce qui est simple et/ou connu recrute des réponses automatiques, c'est-à-dire des réflexes conditionnés. Comme tout réflexe, ceux-ci se reconnaissent à leur rapidité (de l'ordre du 1/100ème de seconde) parce que les circuits neuronaux mis en place sont courts. Par contre, ce qui est complexe et/ou inconnu recrute des réponses plus complexes, intelligentes, c'est-à-dire de type logique (soit la capacité d'établir des relations de cause à effets). Cette fonction est remplie par le néo-cortex, partie la plus évoluée du cerveau humain, qui intervient de façon plus ou moins globale. Ses temps de réaction sont au minimum du 1/10ème de seconde mais peuvent aller jusqu'à une seconde voire beaucoup plus.
Les cognitivistes ont montré qu'il existe une relation statistique étroite entre les pensées automatiques (de l'ordre des évidences, des croyances irrationnelles) et la survenue du stress. En contrepoint, le passage sur le mode logique et la prise de recul détendent.
Comment peut-on passer de telles observations à une application simple en communication, face à l'agressivité ou en gestion du stress relationnel ?
Face au caractère automatique, c'est-à-dire peu contrôlable des pensées, actes, ou émotions qui sous-tendent les troubles psychologiques visibles, l'approche psychologique (cognitivisme, psychophysio-analyse) consiste à aller explorer point par point chaque malaise et à y apporter suivant les cas :
- des réponses psychologiques,
- des réponses comportementales en faisant faire des exercices ou jeux de rôles incompatibles avec le blocage,
- des réponses émotionnelles en explorant l'expression du ressenti ou la stimulation d'émotions interdites.
L'approche de gestions des modes mentaux considère quant à elle les problèmes psychologiques certes comme infinis en termes de contenu mais n'appartenant qu'à une seule et même catégorie de contenant : le Mode Mental Automatique ou Mode Mental Limbique. Sous une angle générique, on peut considérer que les ennuis psychologiques et relationnels commencent lorsque ce mode mental est recruté de façon inappropriée. A l'opposé, le recrutement du Mode Mental Néocortical ne génère pas de troubles psychologiques, il est au contraire capable de les apaiser presque immédiatement, à condition toutefois que l'exercice porte effectivement sur la pensée génératrice sur le FLI de l'instant.
" Ceci différencie le travail cognitif ou GMM de toute post-rationalisation au sens freudien du terme, qui sert à habiller un comportement irrationnel en le banalisant et justifiant, et constitue de ce fait un évitement. "(22)
Ont été ainsi retenu six items qui déclinent sous différents angles la même opposition entre le simple et le connu d'une part et le complexe et l'inconnu de l'autre, pour différencier le Mode Mental Limbique (MML) du Mode Mental Néocortical (MMN)
1. Rigidité : c'est la crainte du dérangement, de l'imprévu, de ce qui nous sollicite (MML)
- Fluidité : c'est au contraire la capacité d'adaptation, l'ouverture d'esprit, la réceptivité (MM N)
2. Néophobie : c'est la peur d'aller explorer, rechercher activement la nouveauté (MML)
Curiosité : à l'inverse c'est la recherche active de la nouveauté, l'esprit d'exploration.(MMN)
3. Dichotomie : c'est une vision tranchée, dualiste (blanc/noir, bien/mal, vrai/faux) (MML)
Nuanciation/Complexification : c'est une perception du caractère infiniment complexe des relations entre les choses, qui se situe au-delà de la capacité humaine d'appréhension et dont le discours nuancé n'est qu'une pâle représentation. (MMN)
4. Sensation de réalité : c'est la sensation que nos perceptions sensorielles sont " toute " la réalité. (MML)
Sensation de relativité :c'est au contraire la perception spontanée que chacun a " son regard " sur les choses et que toutes ces visions sont très relatives, superficielles et limitées, par rapport au réel infini de l'espace et du temps (MMN)
5. Empirisme/Irrationalité : c'est l'esprit de concret, l'attrait pour les seuls résultats, l'aversion pour la réflexion (MML)
Rationalité : c'est le plaisir qu'il y a à comprendre, le sentiment que tout pourrait se comprendre, que la logique est un regard, comme les autres sens, qui peut se porter sur tout mais n'est aussi à ce titre qu'un sens parmi d'autres. (MMN)
6. Grégarité : c'est le positionnement hiérarchique dans le groupe, perçu comme un tout qui juge (" ils peuvent penser ce qu'ils veulent ... ") avec comme corollaire : les vécus de honte, de ridicule, de fierté (MML)
Individualisation : c'est à l'inverse, la conscience de l'autre comme d'un autre soi-même, d'un groupe comme un ensemble d'individus, la peur a disparu et on cherche l'opinion ou les sentiments de l'autre plus qu'on ne craint son jugement (MMN)
Il s'agit donc de s'entraîner pour s'habituer à passer de l'un à l'autre, de telle sorte que le fonctionnement en mode mental néocortical deviennent prépondérant.
On pense aujourd'hui à demi-mots en cognitivisme et plus encore en psychophysio analyse que la principale cause des troubles de l'humeur et de pathologies mentales est en quelque sorte le refoulement de l'intelligence plus que de celui des pulsions primaires (la libido) comme le pensait Freud. En effet, les troubles de l'humeur et les pathologies somatisantes touchent plus les psychopathes impulsifs que les " sages ", pourtant plus " refoulés ", plus " secondaires " sur le plan des pulsions primaires.
Cette théorie est évidemment très discutée et très discutable. Nous l'avons largement développée en suivant les auteurs in extenso, nous déconseillons à nos lecteurs de l'appliquer telle quelle, elle n'en est pas moins une référence intéressante à discuter et à penser, précisément grâce à certains de ses excès ou de ses raccourcis.
Nous nous proposons maintenant de faire un petit retour à la pratique en essayant de voir ce que nous apportent ces premiers repères théoriques.
Les boites à miel de Mme Lavande
" L'Aujour " est un atelier thérapeutique situé à Gap, à une quarantaine de kilomètres du Centre Hospitalier de Laragne. On y fait de la menuiserie, de la reliure, de la peinture. Une ancienne ferme l'abrite pour quelques mois encore. Nous devons déménager car son propriétaire récupère les locaux. Infirmier de secteur psychiatrique, j'ai acquis par des stages des compétences en menuiserie et ébénisterie, je co-anime avec un collègue infirmier la partie " bois " de l'atelier. Au rez-de-chaussée, une infirmière est responsable de la reliure. Nous accueillons dans ce cadre une dizaine de patients, cinq jours par semaine. Ils sont invités à se servir de nombreuses machines : dégau-rabot, toupie-scie, défonceuse, scie à ruban, mortaiseuse, etc. La menuiserie à L'Aujour, ce n'est pas du semblant. Nous leur proposons de réaliser des travaux qui peuvent être dangereux, ils risquent d'y perdre les doigts. Nous devons donc être très proches d'eux. C'est un véritable accompagnement autour des machines, du façonnage, des manipulations que nous faisons. Tout objet ou meuble est fabriquable à l'atelier, mais il faut qu'il soit investi par un patient susceptible d'avoir la compétence pour mener cette tâche à bien. Toute personne membre de l'AEPSHA (Association d'Entraide Psychosociale des Hautes-Alpes) peut passer une commande : escalier, table, meubles, crédences, bibliothèques, baby foot, boîtes à miel et autres menus objets. Dès la commande, on réalise une étude de faisabilité, on fait un devis qui est accepté ou non. Ensuite, nous allons acheter le bois. Une équipe se constitue qui élabore le plan et met l'objet en fabrication. Si un patient est réhospitalisé avant que la tâche soit réalisée, l'objet attend son retour. Nos délais peuvent donc être longs et les commanditaires que nous nommons partenaires en sont prévenus. Les patients participent à toutes ces étapes. Notre but principal est que les patients participent au travail de l'objet, de l'élaboration mentale jusqu'à la finition, qu'ils se sentent responsables de ce qu'ils font de A à Z. Toutes les étapes de la fabrication peuvent être photographiées. Chacun a ainsi une trace des différents moments de la réalisation de l'objet. Photographies sur lesquelles la plupart des patients souhaitent figurer. L'idée est qu'ils se reconstruisent, eux, en même temps qu'ils façonnent l'objet. Le bois, l'activité ne sont que des supports à la relation. Les patients sont adressés à L'Aujour par leur psychiatre référent, après élaboration d'un projet, qu'ils soient hospitalisés ou non. Le mercredi, l'atelier thérapeutique est ainsi ouvert aux patients hospitalisés. Deux infirmiers qui exercent dans les unités d'accueil se relaient pour les accompagner. On peut donc être hospitalisé dans la semaine et y travailler le mercredi. Le but est bien sûr d'éviter une certaine chronicité, de maintenir le lien social chez un maximum de patients. Dans les unités d'accueil, ces patients apportent une bouffée d'air frais. Ils sont à leur retour un peu du monde du travail qui percute la maladie .
La violence dans un tel lieu, au milieu de toutes ces petites attentions, apparaît impensable. Ne viennent que ceux qui le désirent. Il n'y a de contraintes que celles librement consenties.
Maryse
Maryse est une femme d'une quarantaine d'années qui vit seule en ville. Elle est issue d'une famille de onze frères et sœurs. Ses parents sont décédés il y a une dizaine d'années. Elle n'a pratiquement pas fréquenté l'école. Elle lit les Contes pour enfants parce qu'ils sont écrits gros. Elle collectionne les cartes Pokemon. Son dossier évoque un léger retard mental et la décrit comme une personnalité dépendante marquée par la crainte d'être abandonnée. Je la vois souvent la bouche pleine avec un sac à dos rempli de victuailles. Il faut qu'elle se remplisse, d'une façon ou d'une autre. Ainsi par exemple, pour tenter de gérer ses angoisses, elle collectionne des pièces jaunes dans des bocaux en verre, et les fait passer constamment d'un bocal à l'autre. Le son, le toucher, le plein, le vide, l'argent. Le rituel semble apaisant. Elle est hospitalisée, autour de l'adolescence pour troubles caractériels. Elle fréquente le foyer de post-cure puis sort en appartement thérapeutique à Gap, car son psychiatre est convaincu, contre vents et marées de ses possibilités d'y trouver une place. Il a bien du mérite car Maryse ne supporte pas d'être mise en présence d'autres femmes. Elle les vit comme des rivales qui cherchent à capter l'attention et l'affection des soignants. Elle ne supporte que des relations exclusives. Les affrontements verbaux sont fréquents. Les équipes croient peu à ses possibilités d'insertion. Elle participe alors aux activités proposées au CATTP et à sa demande intègre L'Aujour, à la menuiserie. Elle est d'ailleurs la première femme à avoir participé à cet atelier. Elle a certes une apparence physique un peu masculine mais sait se maquiller, aller chez le coiffeur, se pomponner. Lorsqu'elle vient à l'atelier, avant d'enfiler son bleu de travail, elle arrive fréquemment avec des paillettes, du fard, et du rouge à lèvres. Le projet était de l'aider à sortir de chez elle, à respecter des consignes, à nouer des relations les moins conflictuelles possibles avec les autres et d'apprendre à connaître les divers bois employés pour éventuellement intégrer un CAT. La fabrication des boîtes à miel Maryse commence par venir un lundi par semaine. Il a fallu d'abord lui trouver une place. Les autres patients qui connaissaient ses troubles du caractère fuyaient ses jours de présence. Et puis, c'était une femme dans un monde d'hommes. Elle débute par des exercices de rabotage, de dégauchissage. Dégauchir, c'est rendre plane et régulière une planche brute. Elle n'est pas très compétente au début. Elle ne supporte pas de travailler seule. Nous devons l'accompagner, la guider, lui donner la main. Quand elle se sent en difficulté, chaque matin, elle vient se coller contre nous et demande un câlin. Au fur et à mesure, elle acquiert une certaine compétence en même temps que se renforce le lien avec les soignants et progressivement certains patients avec lesquels elle aura même des relations affectives.
C'est à ce moment que Mme Lavande nous demande si nous pouvons lui fabriquer un centaine de boîtes à miel destinées à être vendues sur les marchés de la région. Nous pensons que Maryse est apte à accomplir cette tâche. Nous en parlons avec elle. Elle est d'accord. Elle a appris à scier le bois pour en faire des planchettes régulières, elle sait les couper à la dimension prédéfinie et les assembler avec des petites pointes. Comme elle ne sait pas mesurer, nous lui avons fabriqué un gabarit, c'est-à-dire une sorte de butée qui lui permet de scier à la bonne dimension. Le résultat de toutes ces opérations, ce sont ces boites dans lesquelles on met les petits pots de miel.
A partir de ce jour, Maryse arrive tous les lundis, pile à l'heure, choisit un poste de travail. Elle préfère travailler assise pour assembler ses boîtes. Donc, on lui a donné un tabouret, son tabouret. Elle prend un plaisir manifeste à ce travail. Elle ne se dispute plus avec personne. Elle est absorbée par sa tâche. Chaque fois qu'une boîte est terminée, elle nous appelle pour nous la montrer. Nous devons la féliciter. Elle en fait une dizaine par jours. Il y a huit clous à enfoncer par boîte. Quand elle a fini, elle les range d'une façon très appliquée pour qu'elles ne soient pas abîmées et mélangées aux objets réalisés par d'autres. Ce sont ses boîtes, c'est elle qui les a sciées, clouées et assemblées. La tâche est relativement répétitive, mais nous avons le CAT en point de mire.
Mais tout a une fin, et au bout de dix lundis, les cent boites sont achevées.
Mme Lavande vient chercher sa commande
Nous contactons donc Mme Lavande pour convenir d'une date de réception. Un jour où évidemment Maryse sera présente à l'atelier. Ce lundi là, de bon matin, notre commanditaire partenaire nous salue et demande à voir ses boîtes déjà soigneusement emballées dans trois cartons. Que se passe-t-il alors dans la tête de Maryse ? En tout cas, elle déchire l'emballage, plutôt que de l'ouvrir au cutter et lui montre les boîtes sans les sortir du carton :
" C'est moi qui les ai toutes faites. Et si elles sont pas bien faites, vous n'avez qu'à les laisser. De toute façon, vu le prix que vous les payez ... " Le ton est vif, menaçant. Mme Lavande fait trois pas en arrière. Maryse brandit le carton. Je me mets entre elles deux pour protéger la cliente. J'essaie de calmer Maryse qui parle, parle, parle et brandit toujours le carton. Mme Lavande se tait. De toute façon, elle n'a pas d'espace pour répondre. Maryse s'excite toute seule. Le ton monte. Elle jette le carton dans notre direction. Les boîtes s'éparpillent par terre. Maryse donne un coup de pied pour les disperser encore davantage. Je vais vers Maryse pour essayer de l'écarter. Elle renverse l'établi et propulse les outils qui sont dessus, vers moi. Les ciseaux à bois volent. J'en évite un de justesse. Elle attrape un panneau accroché au mur, l'arrache, se dirige vers le fond de l'atelier, s'en prend au tour à bois qu'elle tente de déraciner mais il résiste. Elle s'empare de tréteaux, les balance. Elle continue son parcours en projetant tout ce qui passe à sa portée. Elle s'attaque aux objets toute à sa colère mais s'éloigne de Mme Lavande qu'elle ne semble pas avoir cherché à frapper. Je la suis pour tenter de la contenir et éviter qu'elle ne tombe dans les escaliers très raides. Elle arrive à la reliure où elle claque les portes. Je rassure rapidement la cliente et je redescends à la reliure. Je demande à ma collègue de monter à la menuiserie pendant que je tente de calmer Maryse. Les autres patients arrivent. Il faut les rassurer. C'est la première fois qu'une telle chose arrive à l'atelier.
Je rentre à la reliure et découvre Maryse recroquevillée sous une table dans un angle obscur du local. Elle trépigne, donne des coups de pieds partout et me hurle de ne pas approcher, de ne pas la frapper. Je m'approche tout de même. Mais avec précaution. Je ne la reconnais plus. On dirait un animal traqué qui attend d'être abattu. Je m'agrippe à ses jambes pour contenir ses coups. Je ne pouvais pas ne pas intervenir. L'atelier reliure est tout aussi dangereux que la menuiserie : massicots, ciseaux, cutters. De nombreux objets coupants auraient pu la tenter si elle avait voulu retourner sa violence contre elle. Et puis, je suis là pour ça. Je ne peux pas la laisser comme ça. Je me retrouve sous la table pour tenter de la maîtriser. Je n'avais qu'un truc à l'esprit : lui faire cesser ses mouvements pour l'apaiser. L'entourer pour la calmer. J'essayais de lui tenir les bras. Elle gesticulait beaucoup. Bref, cela a été un corps à corps où chacun tenait l'autre. Elle me tenait le bras, je lui tenais une jambe. Nous étions toujours sous la table. Il ne semblait y avoir qu'un seul corps. Cela m'a semblé duré un temps infini. Elle avait du mal à respirer. Elle haletait. Elle bavait. Sa pression, son excitation sont progressivement tombées. Elle a cessé de m'agresser. On a repris notre souffle. Je l'ai pris par la main et l'ai emmené à la salle de repos. Elle s'est mise à pleurer. Des sanglots saccadés. Elle se cachait le visage dans les mains. Je l'ai installée sur le canapé, je l'ai fait boire, un verre de sirop car je sais qu'elle aime bien ça. Je ne pouvais pas parler. C'était trop. Je ne me souviens pas lui avoir parlé tout au long de ce déchaînement. J'ai demandé à ma collègue d'appeler son éducateur référent au CMP. Je suis restée avec Maryse. Je ne pouvais pas ... toujours pas lui parler. J'ai pu enfin lui dire que son éducateur allait nous rejoindre pour parler de tout ça si elle le souhaitait.
Arrivé, Dominique, l'éducateur, lui a parlé seul. J'ai laissé mon collègue avec Maryse. Je suis allé me rafraîchir le visage. J'avais des griffures de partout. Nous avons rassuré les patients présents à la menuiserie et à la reliure. Je suis retourné essayer de discuter avec Maryse et Dominique. C'est à partir de ce moment qu'elle a commencé à formuler des regrets. Elle m'a demandé de l'excuser. " Vous ne voudrez plus de moi à l'atelier ! " Elle ne parlait plus ni des boîtes, ni de la cliente. Elle se souciait de moi, du mal qu'elle m'avait fait. Elle craignait d'être punie et renvoyée de L'Aujour. Au cours de la discussion à trois, elle a énoncé que c'était une partie d'elle que l'on prenait. " Je ne supporte pas. C'est ça qui m'a fait mal. " C'était comme si quelque chose s'arrachait de son corps, comme une partie d'elle qui partait. Elle parla en fait peu. Elle était exténuée.
Ce jour là, elle n'en dit pas beaucoup plus. Dominique la raccompagna chez elle.
Nous avons décidé d'en parler en réunion clinique du jeudi matin. C'était, il y a six ans. Je ne me souviens plus que nous en ayons parlé. Je n'ai pas retrouvé de traces de cette discussion. Moi-même, lorsque j'ai relaté tout cela dans le dossier de soin, j'ai écrit : " Réfugiée à l'atelier reliure, Maryse pleure et paraît avoir peur d'être battue. Nous parvenons à la raisonner et la calmer ma collègue et moi. " Etonnant oubli. Tout se passe comme si j'avais voulu annuler ce qui s'est passé. C'est probablement pour cela que nous n'en avons pas davantage parlé en réunion clinique. J'ai tellement minimisé l'incident quand je l'ai relaté qu'il n'était pas la peine d'en parler.
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17- FRADIN (J), FRADIN (F), Les mécanismes de la genèse de la violence et de l'agressivité chez l'être humain : les apports de la neurophysiologie, in La violence dans les soins, Journée ISIS, Mai 1996.
18- Ibid.
19- LABORIT (H), L'inhibition de l'action, Maloine Ed., 2ème édition, Paris, 1986.
20- FRADIN (J), FRADIN (F), Les mécanismes de la genèse de la violence et de l'agressivité chez l'être humain : les apports de la neurophysiologie, op.cit.
21- OLDS (J), MILNER (P), Positive reinforcement produced by electrical stimulation of septal area and other regions of rat brain, J. Comp. Physiol. Psychol., 1954, 47, pp. 419-427.
22- FRADIN (J), FRADIN (F), Les mécanismes de la genèse de la violence et de l'agressivité chez l'être humain : les apports de la neurophysiologie, op.cit.