Retour à l'accueil

Retour Piste de recherche


"Panser à la régate: voiles en tête"

C'est une belle journée de juin presque trop belle pour une régate. C'est "pétole". Pas un brin d'air, un soleil de plomb, le voilier est comme posé sur un immense miroir. C'est l'attente; l'équipage attend un changement de météo et de marée. Tout est calme, même les voiles, et pourtant dans l'équipage, un des coéquipiers sent monter en lui une angoisse immense, une de ces angoisses inattendues, indescriptibles qui vient sans prévenir, sans repères réels, tellement profonde qu'elle semble insurmontable sur le moment, et qui fait énormément souffrir.

Paul: -J'en ai assez, je veux quitter le bateau immédiatement, je n'en peux plus de rester ici, je repars à Paris! dit-il de façon très violente. Son visage est fermé, tendu, figé. Il est prêt à sauter, voire tenter de repartir à la nage.

Anne: -Écoute Paul, ce n'est pas possible actuellement, nous sommes tous là avec toi, nous allons t'aider à faire baisser cette angoisse qui t'envahis subitement, mais pour l'instant, c'est la météo qui décide. Il faut patienter, comme les quinze autres voiliers. Paul, il va falloir gérer ton angoisse et accepter de décaler tes demandes subites. Impossible de retourner au port.

Paul: -Je m'en fiche, je veux rentrer! dit-il en tapant violemment ses doigts sur le winch ensuite en déambulant sur le bateau, s'éloignant puis se rapprochant, comme pour chercher à trouver la bonne distance acceptable pour ne pas se mettre en danger, dans cette difficile relation à l'autre.

Coéquipière et soignante, il me faudra plus de deux heures d'écoute, d'échanges, de paroles rassurantes pour pouvoir faire baisser l'angoisse de Paul, éviter d'avoir peur face à lui et éviter les risques d'un possible passage à l'acte, le rassurer, le cadrer, lui expliquer et lui pointer que c'est sa pathologie qui le fait souffrir (cette maladie qu'il refuse de toutes ses forces). Dans un premier temps il refuse toute aide puis arrive enfin à parler de lui, raconte sa longue et difficile histoire, pleure. Paul se détend enfin, pose des questions sur sa maladie et dit avoir arrêté de prendre son traitement. Il arrive à exprimer aussi que le fait de prendre du plaisir l'angoisse énormément.

Après ces deux heures passées auprès de lui je me dis qu'elles ont été longues et éprouvantes, mais que j'ai pu prendre le temps, ce temps qui nous manque si souvent et qui nous culpabilise tant, nous, professionnels de santé. Sur un si petit espace qu'est le voilier, le reste de l'équipage a trouvé le moyen de laisser l'espace suffisant et rassurant pour Paul. Après la tempête, la notion d'équipage reprend tout son sens. Sur le voilier, nous sommes chacun "seul" à notre poste, quoique tous ensemble en équipage.

Ce récit est un moment vécu parmi tant d'autres lors d'un séjour thérapeutique voile. Ce n'est pas le bateau qui est thérapeutique, il est un outil, un médiateur du travail thérapeutique. Ce travail est présent à bord et à bâbord. L'équipage est composé de quatre patients, deux soignants et un skipper. Sur le voilier, "les notions de distance et de proximité" sont très particulières mais finalement assez faciles et différentes à trouver pour chacun. Parce que sortis des murs, le voilier fait penser à l'espace liberté, nous nous trouvons dans des situations nouvelles et passionnantes. Par exemple: le patient se retrouve seul à la barre responsable du bateau et tout l'équipage lui donne sa confiance. N'est-ce pas narcissiquement réparateur? (quoique nous avons à nous poser la question) Nous sommes bien hors les murs, car pareille expérience à l'hôpital est difficilement envisageable. Le projet de séjour thérapeutique est l'aboutissement d'une longue période de préparation, la continuité de l'activité voile, et permet une grande autonomie (approvisionnement, réalisation de repas, gestion d'un budget, des traitements médicamenteux, des temps libres, etc.). Pour qu'il ait un réel sens, le séjour ne saurait se réduire au seul temps de son déroulement un "avant" et un "après" structurés constituent les pendants nécessaires à sa réussite.

Je reviens de suite sur la notion de plaisir, car nous sommes amenés, nous, soignants, à nous demander pourquoi il semble si difficile d'accepter de prendre du plaisir sur notre lieu de travail, sans y être jugé ou s'y sentir jugé et comment percevons-nous le fait que le patient puisse s'amuser et rire alors qu'il est hospitalisé et malade? Le monde des soignants n'est pas très clair quant à la notion de plaisir. Travailler, soigner seraient incompatible avec jouer, se divertir? Ceci est posé à chaque départ de séjour thérapeutique lorsque des collègues souhaitent "Bonnes vacances" au moment du départ, ou encore d'entendre dire, lorsqu'on réfléchit aux indications thérapeutiques pour tel ou tel patient, que celui-ci ne "mérite pas" d'aller au séjour. Le séjour thérapeutique ne doit jamais être présenté comme une récompense. Nous avons besoin pourtant de cette cohésion au sein d'une équipe qui est le facteur immédiat de changement pour une meilleure qualité de soins; ce que l'on peut proposer de plus sécurisant aux patients pour qu'ils puissent accéder à cette notion de plaisir, au combien bouleversé chez les patients psychotiques.

J'ai donc choisi l'eau et le bateau comme supports pour une dynamique de soins différente et originale. Les objectifs d'une telle expérience peuvent être simples mais aussi très ambitieux. C'est somme toute prouver qu'une activité à caractère ludique à tout autant de valeur qu'une activité axée sur le travail pour aider à la réadaptation, à la réalité, à la réinsertion. Elle est donc proposée comme un vécu "extra" "ordinaire" et il faut la considérer intéressante et soignante que si le projet et l'aprés-projet sont pensés en équipe pluridisciplinaire. La voile, c'est d'abord une activité thérapeutique qui est incluse dans un projet thérapeutique global de l'hôpital. C'est une semaine sur un voilier qui traduit la notion d'échanges, de challenge, elle engendre la prise d'initiatives, de responsabilités, l'esprit d'équipe "d'abord et à bord". Cette course a pour objet d'amener les patients à renouer avec la notion de plaisir et les aider à reprendre confiance en eux. L'aide que cette activité peut apporter, et c'est le plus important du travail thérapeutique, c'est la revalorisation de l'estime de soi. Il est clair que l'on touche là au problème central de la restauration du narcissisme, qui est souvent "touché coulé" chez beaucoup de patients psychotiques.

Annick Le Boudec.
CHS Esquirol.

N.B.:C'est pas l'homme qui prend la mère,
C'est la mère qui prend l'homme, tatata!

C'était la pensée du jour.


nous contacter:serpsy@serpsy.org