L’atelier: un îlot de Provence à Montréal.
Un îlot de Provence au sein de la
Fondation Québécoise du Cancer à Montréal dans un sous-sol privé de toute
lumière naturelle. Cela vous paraît utopique voire même impossible! C’était sans compter sur l’ingéniosité et
la créativité de Maurice Brault, doyen
des art-thérapeutes au Québec et instigateur de l’atelier d’art-thérapie à l’hôtellerie.
Lorsqu’on se rend à l’atelier, on est confronté à un personnage haut en couleur, une figure de
renom, un créateur, un artiste, une « institution », qualification
plus familière, porteur d’un savoir
incommensurable, d’une expérience
de vie et professionnelle riche qu’il partage aisément et de bon cœur. Cet échange
bénéficie autant aux participants qu’au stagiaire,
novice en matière d’art-thérapie et
à l’affût d’informations. L’atelier a pris
vie sous l’impulsion de
Monsieur Brault, il lui a donné une âme, un souffle. Il s’agit d’une pièce de
taille moyenne, aux proportions harmonieuses, rectangulaire, deux portes
donnent sur l’atelier ainsi
qu’une petite fenêtre étroite. Ces
ouvertures ne donnent pas sur l’extérieur mais
sur un couloir d’un côté et sur
la salle de massothérapie, elle-même en communication avec le bureau de
Madeleine Bonin, coordonnatrice des bénévoles. Durant le temps d’accueil les portes restent ouvertes, permettant ainsi une meilleure
circulation, lorsque toutefois des massages sont offerts ou que les bénévoles
au travers de leurs joyeux bavardages sont trop bruyants la porte communicante
peut être fermée.
Les murs ont été peints en jaune,
rappelant des champs de tournesol, une longue table de cuisine recouverte de
peinture bleue outremer ainsi que des chaises en pin avec nouées à l’assise des galettes en tissu à carreaux bleus et beiges. Au sol un
damier bleu et jaune fait écho au mur. Des pots de verre, pots de confiture ou
à conserve, ont été recouverts de tissu soit à carreaux bleus beiges soit en
toile de Jouy bleue. Dans un coin un lavabo ainsi que des rangements en bois
blanc occupe l’espace permettant
de laver le matériel ou de se laver les mains facilement. Juste à côté, un pan
de mur laissé libre, offre une large surface pour créer des œuvres murales de format plus important.
Souvent une feuille est accrochée, vierge, prête à accueillir les idées d’un participant ou encore cette surface créée par les thérapeutes avec
des papiers journaux encollés sur des formats raisin et qui invite elle aussi à
la création. Myriam l’a investie à l’aide d’un pinceau
chinois et d’encre de Chine,
puis livrée aux autres participants, nous l’avons
finalement décrochée devant les
différents commentaires. L’œuvre semblant
se suffire à elle-même, peut-être la peur de détruire ou de gâcher? Plus loin
encore une armoire ancienne en pin offre son contenu aux bénéficiaires, ouvertes
durant l’atelier et
refermée hors atelier pour mieux protéger ses trésors : un panel étendu de
matériel d’art fourni
gratuitement par un marchand de couleur. Les bénéficiaires n’ont en effet aucun frais à débourser pour l’atelier. Un autre plan, longue table de bois, bleu outremer elle aussi
sert de bureau à Maurice, agrémenté de cadres à photographies qui
personnalisent ce lieu déjà très original. A leur disposition de nombreux
livres d’art essaiment
çà et là dans l’atelier, livres
appartenant à Maurice et qu’il met à
disposition, on en trouve dans et sur l’armoire, sur le
bureau. Des vieux papiers journaux et des revues de décoration sont aussi mis à
disposition pour des collages ou du papier mâché, dons généreux ou apport des
bénéficiaires eux-mêmes, Maurice à une prédilection pour des magazines français
de décoration Cô… dont je me
garderai bien de dévoiler le nom (vous pourrez comprendre ici que la recette du
succès repose entièrement sur cet ingrédient!!!).
Un petit chien, nommé Félix,
adorable boule de poils blancs, petite coupe au bol, cheveux tombant devant ses
yeux, détenteur d’un trousseau
assez élégant : imperméable, lainage, veste ou encore laisse jaune Hermès,
se promène cahin-caha dans l’atelier, un
coussin assorti à l’environnement
lui servant de sofa durant sa sieste. Compagnon de Maurice depuis huit ans,
Félix a aussi un rôle non négligeable de zoothérapie, beaucoup de bénéficiaires
viennent dans le but de le voir, le toucher, le caresser, le gâter, lui parler…Il est un support qui permet de dire des choses, exprimer son ressenti,
sorte d’objet tiers.
Hélas depuis deux mois, pour cause de déménagement, Maurice, dans une terrible
tristesse, a dû se séparer bien malgré lui de Félix, qui a trouvé une nouvelle
maîtresse en la personne de Louise, une résidente de l’hôtellerie et bénéficiaire de l’atelier.
Récemment Félix a écrit une carte à son ancien maître afin de le rassurer sur
son sort actuel.
Là j’aimerais
expliquer le sens de mon paragraphe précédent qui peut paraître bien
surréaliste, en fait cela démontre d’une certaine
manière le lien très ténu entre Maurice et les participants, un lien d’affection se crée de manière fort naturelle, dans un respect commun et
une grande empathie du thérapeute envers le bénéficiaire. Je pense que Monsieur
Brault, même si son atelier peut sembler loin d’une
art-thérapie conventionnelle, offre une certaine art-thérapie, sa vision est
proche de l’humanisme,
démontrant une grande empathie pour la personne accueillie, instaurant une
relation d’aide, présent
lors des crises, soutenant, accompagnant, outil en cas de « panne
technique » aussi. Par sa présence discrète, toujours souriant, d’humeur égale, joyeux, il instaure une atmosphère conviviale, calme,
sereine, paisible. Il accueille sans jugement vis-à-vis de la maladie, il s’agit d’une personne
comme une autre, la personne peut ainsi oublier le temps de l’atelier le cancer, son environnement aussi : la famille, les amis,
le travail qui bien souvent projettent leurs peurs sur le patient. Cela permet
de s‘évader, de rêver, de
s’échapper tel un oiseau qui prend son
envol, libre comme l’air, y trouvant
du plaisir, un certain bonheur. Maurice leur offre la possibilité d’expérimenter, de tâtonner, de créer sans contrainte. Une bénéficiaire
évoquait la notion de « broder autour », faire un lien avec ce que l’on vit, voir au-delà, penser à l’avenir, s’autoriser à. Il s’agit d’un moyen d’expression
privilégié, un outil pour exprimer sa première préoccupation : la maladie,
plus particulièrement ici le cancer. Souvent elle suscite chez la personne une
interrogation sur le pourquoi de la maladie, le but de la vie, moment des
bilans, le temps des remords regrets, des rêves non réalisés et le passage à l’atelier entraîne des changements, des prises de conscience, des modifications,
des priorités différentes. Plusieurs témoignages m’ont amené à voir les résultats, les impacts sur la personne, ainsi des
projets personnels ont émergé : un récital au profit de l’atelier pour Sylvie, un court-métrage pour Myriam F., un voyage à la
découverte de l’art-thérapie en
France pour Suzanne et Carole…Maurice Brault
chaque mois invite un artiste à venir déjeuner à l’atelier dans le cadre d’une conférence
rencontre. Ainsi ai-je eu l’occasion avec
les bénéficiaires de rencontrer Jean Rey, photographe et grand reporter d’origine française qui nous a montré ses travaux ou encore Janine
Sutteau, comédienne de renom. Ces rencontres ont divers objectifs, ils
permettent d’une part la
socialisation, les échanges, de considérer la personne atteinte de cancer comme
une personne à part entière, la revaloriser, lui redonner confiance mais aussi
faire rêver, favoriser l’évasion, s’échapper.
Une réelle vie de groupe s’instaure, on évoque d’anciens
participants, ils reviennent à l’atelier pour
déjeuner, on échange sur la maladie, les traitements, les effets secondaires,
la perte des cheveux, la repousse, les perruques, l’alimentation mais aussi les expositions, les films ou les livres lus et
vus, les recettes de cuisine, les projets de voyage, les enfants, le travail… Venir à l’atelier signifie unir, il existe une continuité, un lien, on échange sur
les expériences vécues, les étapes différentes, les changements, les
évolutions, cela engendre de l’espoir, peu d’explications sont nécessaires, chacun ayant la même connaissance de la
maladie. Cette vie de l’atelier peut
même se prolonger au-delà à l’extérieur :
on s’invite chez soi pour un thé, on se
rencontre lors de projections de films, dans des groupes de support, souvent un
lieu de passage et une transition vers l’atelier, un
participant permettant à un autre de découvrir l’atelier,
dédramatisant ainsi la venue à l’atelier. Cette
venue peut être difficile car souvent on a peur de la feuille blanche, on ne
« sait pas dessiner », combien de nouveaux arrivants n’a-t-on pas entendu dire cette phrase? Lorsqu’il le désire, le bénéficiaire peut accrocher sa production, la montrer
aux autres, la soumettre aux autres, avoir leur opinion, leur ressenti, leur
sentiment, se confronter à l’autre mais
aussi se valoriser, prendre confiance en soi. Façon de reprendre confiance,
espoir et le transposer face à la maladie pour la vaincre, lutter contre.
Chaque année une œuvre réalisée par un participant est choisie pour figurer sur
l’affiche de l’atelier. Celle-ci est destinée à tous les lieux de soin accueillant des
personnes souffrant du cancer, offerte à la vue de tous, elle met à l’honneur un participant qui, lors de la cérémonie expose son parcours de
création, tente d’expliquer sa
démarche, le choix de son titre, l’impact sur
lui-même. En résumé, je dirais que l’atelier c’est beaucoup de douceur, de calme, de sérénité, lieu de passage pour
quelques mois voire des années, lieu de transition, lieu d’échange, lieu dédié à l’art qui par son
accessibilité s’offre au
bénéficiaire, cette facilité encourage la production d’œuvres: témoin les murs de cet atelier qui sont recouverts de peintures,
de dessins, de masques en papier mâché et, suspendus au plafond, des mobiles.
Endroit par excellence de vie, rayonnant, ensoleillé, gai, joyeux, chaleureux,
qui tend à l’optimisme, sans
renier la crise, la difficulté, la tristesse parfois, la mort aussi. Dans l’art, le bénéficiaire peut diluer sa peine, l’exprimer, se débarrasser du morbide pour renaître à lui-même, à la vie,
une seconde naissance; expression qui revient de manière récurrente dans la
bouche des participants au travers de leurs œuvres.
Insuffler la vie peut-être est-ce là
le rôle de Maurice qui se plaît souvent à proposer aux novices de l’encre et une paille, de cette union naît une œuvre, toujours
surprenante, nous laissant ébaubis, ébahis, interloqués, médusés, étourdis par
les productions, leur qualité plastique, humaine, le message qui en ressort.
Quelque fois, justement l’écriture fait son apparition, sous forme typographique ou manuscrite,
découpure de journaux, trace, message, s’adressant ou
non à un interlocuteur, ainsi Ming, jeune chinoise récemment arrivée à
Montréal, apprenant aussi sa maladie, vient-elle pour la première fois à l’atelier et débutant un travail plastique elle s’empare d’un pinceau
chinois, de l’encre et trace
des idéogrammes. Son interprète nous apprendra qu’il s’agit de la phrase « je commence à apprendre à peindre »,
ensuite elle écrira les idéogrammes correspondant à la Chine, ajoutant un
dessin de montagne. On apprend ainsi que la calligraphie traditionnelle avec
pinceau et encre n’est apprise aux
enfants chinois que durant les deux premières années d’école ensuite ils utilisent le stylo. Nicole, elle, intègre des
découpures de journaux, souvent un mot voire plusieurs qui expliquent, donnent
un sens, celui de la personne qui a créé quand elle part de la production
plastique et met des mots. Elle explique que les mots des autres inspirent,
suscitent des émotions, des sentiments, comme si elle s’en emparait. Pour elle la typographie est moins personnelle, moins
engageante, tandis que l’écriture
manuscrite est plus personnelle, elle se livre plus, « je livre mon
âme ». Souvent Maurice demande au participant de mettre un titre, une
façon d’expliquer, de
cibler, c’est réduire les
possibles, l’interprétation
est entravée d’une certaine
manière. Bien souvent les bénéficiaires sont récalcitrants!
L’atelier est
ouvert en continu de 9 heure à 15 heure les mercredis et jeudis, les
participants peuvent y passer une heure comme sept heures, y venir, repartir
pour un traitement ou un rendez-vous avec leur psychologue et y revenir, se
reposer dans un petit salon non loin au sous-sol. La personne n’est pas astreinte à y participer toutes les semaines, elle peut s’octroyer des repos, des vacances, elle peut aussi y venir deux jours par
semaine. La pièce peut accueillir six bénéficiaires autour de la table et un
pan de mur ainsi qu’un chevalet
sont aussi à disposition. La circulation au sein de l’atelier n’est pas rare,
les bénéficiaires eux-mêmes, les
résidents de l’hôtellerie ou
encore des personnes de passage (psychologue, administrateur, bénévole…) : ainsi, chaque matin, Madeleine, alias Madame Bingo, vient
saluer les participants et Maurice, il n’est pas rare de
l’entendre avec sa gouaille habituelle
lors du bingo du mercredi!
L’atelier est
ainsi offert à toute personne souffrant de cancer, de localisations diverses,
de Montréal mais aussi des régions et qui résiderait le temps de ses
traitements à l’hôtellerie. Cela
permet un mélange et une diversité intéressante, une découverte du Québec,
voyager le temps d’un atelier ou
plus. Chacun apporte aussi sa relation à l’art, ses
souvenirs, sa vie, son histoire, triste et tragique parfois ou belle aussi,
encore un moyen de s’échapper.
Maurice souvent évoque sa vie, l’Europe ou il a
vécu, les personnes rencontrées, ses créations de joaillier, la musique, les
films, il nous apporte le savoir d’un homme de
quatre-vingts ans, sa joie de vivre, ses projets; le tout très humblement, avec
sagesse, respect.
Delphine
Ohl, Art-thérapeute. 2009