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Les joyaux de la tête

 

 

J’ai attendu très longtemps avant de me servir des fascicules élaboré par le laboratoire Lily, plusieurs années en fait. Je me sentais peu à l’aise avec l’idée que j’en étais un des concepteurs. Lorsqu’avec un patient, je cherche de l’information dans un support classique, je suis en recherche avec lui autour d’un outil qui engage un auteur que nous ne connaissons pas. Nous cheminons ensemble, à partir des mots écrits par l’auteur. Il est possible de les critiquer, de regretter que tel ou tel aspect manque ou, au contraire, de nous en inspirer. Le discours informatif vient d’un tiers absent. Lorsque je lis un fascicule Lily avec un patient ou un groupe de patients, le tiers manque. C’est toujours peu ou prou ma vision de la psychiatrie qui s’exprime. D’une certaine façon, je suis à la fois dedans et dehors. Le premier fascicule dont je me suis servi est « Ce que je sais sur ma maladie » écrit par … Serge Rouvière.  Pierre-Ludovic Lavoine, l’autre rédacteur, psychiatre, était confronté à la même difficulté tant pour lui-même que pour les infirmières de son service.

Infirmier à Laragne dans les Hautes-Alpes, c’est-à-dire dans un haut lieu d’une psychothérapie institutionnelle davantage revendiquée qu’agie, il paraissait impensable de mettre en place un groupe d’allure psycho-éducative, autrement dit quasiment comportementaliste. Je me souviens encore de l’avertissement du médecin-chef lorsque la visite médicale amena au dispensaire le premier fascicule : « Attention Friard, vous allez perdre votre âme … » Il n’avait pas tort. Nul, cependant, n’a jamais cherché à empêcher les fascicules de circuler dans le secteur. Ne pas perdre son âme …Ne pas se prendre pour ce qu’on n’est pas.

Mes collègues du CMP étaient réticents. Créer un groupe pour informer les patients sur la maladie, encore une de mes lubies ! Si mes collègues, même à l’époque, n’hésitaient pas à expliquer leur traitement aux patients qu’ils suivaient, cette information était individuelle, ciblée en quelque sorte, liée aux nécessités du suivi, de la prise en charge. Créer un groupe, c’était généraliser une pratique qui ne leur semblait devoir être qu’individualisée.

Il fallut donc adopter une stratégie de contournement. Je n’affirme pas que cette stratégie fût consciente, que tout ce qui a été fait le fût délibérément. Les patients furent tout autant à l’origine du Groupe de réflexion et d’échange sur les maladies des boyaux de la tête que les soignants. 

 

Genèse du Groupe de Réflexion et d’Echanges sur les Maladies des Boyaux de la Tête.

 

Arrivant de la région parisienne, j’ai essayé de mettre en place des activités qui fonctionnaient bien à Paris intra-muros. Ainsi, l’activité cinéma drainait en moyenne une quinzaine de patients qui étaient devenus, au fil des années des cinéphiles assidus. Les films suscitaient débats et commentaires. A Gap, les patients semblaient fuir le cinéma. La collègue qui co-animait l’activité, avait également fait l’essentiel de sa carrière en région parisienne, elle ne comprenait pas plus que moi cette désaffection. Nous arrivions péniblement à mobiliser un ou deux patients pour une toile. Après plusieurs tentatives infructueuses avec des films de genres différents, il nous fallut nous rendre à l’évidence : les salles obscures effrayaient des patients, par ailleurs susceptibles de s’intéresser à un livre, à des poèmes. Ces mêmes patients qui fuyaient le cinéma pouvaient assister à un concert, ce qu’ils faisaient chaque été. La mort dans l’âme, nous passâmes par la vidéo et décidâmes de proposer aux patients de choisir des films que nous visionnerions le mercredi dans la salle de musique avant d’en parler ensemble au salon. Le premier film choisi fut « Sixième sens »... La première question fut posée par Alexandra : « Est-ce que les hallucinations se présentent toujours de cette façon ? » Le temps de reformuler et le groupe avait oublié le film lui-même pour parler hallucinations auditives et visuelles. Nous nous rendîmes vite compte que le groupe ne proposait que des films traitant d’une façon ou d’une autre de psychiatrie, comme s’ils s’appuyaient sur les films pour questionner la maladie. Ainsi virent-nous « Orange mécanique », « Vol au-dessus d’un nid de coucous », « Birdy », etc. Si la psychiatrie sert de toile de fond ou inspire de nombreux films, leur nombre n’en est pas infini. Heureusement, la psychiatrie et la folie depuis Daniel Karlin et Tony Lainé, sont considérées comme très porteuses et s’avèrent très télégéniques. Les patients commencèrent à parler des émissions grand public qui en traitaient. Avec des questions pour savoir si ce qui était montré était juste, avec un fort sentiment de révolte quand on présentait les fous comme des délinquants. Certains commencèrent à enregistrer les émissions pour les visionner en groupe le mercredi. Jamais émissions de Delarue ne furent regardées, scrutées, critiquées avec autant d’attention. Une séquence pouvait emplir les deux heures que duraient une séance. Les participants partaient d’une remarque de psychiatre pour parler de leur rapport avec leur propre psychiatre, d’un geste d’infirmier pour se souvenir à haute voix d’une hospitalisation ; ils s’appuyaient sur une série d’images pour évoquer à mots couverts leur propre violence.

Un groupe psycho-éducatif, encore sans nom, s’était créé à notre insu. Il attirait entre quatre et huit patients, soit beaucoup plus que les passionnés de cinéma. Nous fonctionnâmes ainsi près d’un an. Le salon du CATTP était une sorte de foire où on s’interpelait, s’apostrophait ou somnolait. Notre présence, la discussion post-film donnait un contenu à ces échanges informels assurant à l’activité une clientèle d’habitués.

Etait-il possible d’abandonner la vidéo pour aborder d’autres supports ? Nous testâmes le fascicule : « Ce que je sais sur ma maladie ». Une quinzaine de patients participèrent à cette séance conçue comme une sorte de « Qui veut gagner des millions ? ». Chacun eut à cœur de montrer ce qu’il savait sur son traitement, sur ses symptômes. Peu importe quel groupe remporta la finale. Le succès fut tel qu’il nous parut possible d’imaginer un groupe régulier qui ne traiterait que de la maladie et de ses symptômes.

Nazo le skizo, la poupée schizophréno-maniaque illustre un peu l’esprit du groupe. Pour mémoire, la société Ouaps avait créé une poupée qui singeait quelques-uns des troubles de la schizophrénie, tous ramenés au modèle du dédoublement de la personnalité. Yves Lecoq, l’imitateur bien connu prêtait ses voix aux personnalités multiples. Les associations d’usagers portèrent plainte et obtinrent la condamnation de la société. Le jouet dut être retiré de la vente. Nous récupérâmes un de ces jouets qui devient la mascotte du futur groupe des Boyaux de la tête. « Nous sommes tous des Nazo le Schizo » tel aurait pu être le slogan du groupe.  L’information n’est que la partie immergée de l’iceberg, il s’agit d’abord et avant tout de combattre la discrimination liée à la maladie mentale. On ne peut la combattre qu’en étant le mieux informé possible, qu’en répondant à ceux qui agressent, méprisent, utilisent la folie à des fins sécuritaires. Un groupe composé de militants en quelque sorte, militants soignants et militants soignés.

Le projet de groupe qui germait dans nos têtes se concrétisa lors du déménagement du CMP-CATTP vers un magnifique Centre de Santé Mentale, véritable maison de verre qui allait devenir la Maison de la Psychiatrie des Hautes-Alpes.

 

Une Conseillère en économie sociale et familiale pour informer les patients sur leur maladie.

 

Conseillère en économie sociale et familiale, j’entre en fonction au CHS de Laragne, en novembre 1998. J’y remplace, dans ses fonctions éducatives, une éducatrice qui faisait office de cadre infirmier. En raison d’un bricolage financier dont j’ignore évidemment les ficelles, j’intègre à 70 % le CATTP de Gap- à 70 % de mon temps de travail mais pas de ma personne, ni de mon engagement professionnel, bien sûr. L’idée du temps partiel est inscrite au lieu même de mon embauche : Centre d’Accueil Thérapeutique à Temps Partiel. Je dois donc trouver ma place au sein d’une équipe soignante (le terme thérapeutique oblige), en faisant officiellement partie du personnel non-soignant d’un centre hospitalier, alors que dans mon ignorance je pense que toute personne qui intervient dans un hôpital peut contribuer au soin, si ce n’est directement, c’est au moins en en améliorant la qualité.

La discussion avec le chef de service quant aux tenants et aux aboutissants de ma future mission ne m’éclaire pas davantage sur la façon dont je pourrais intervenir auprès des patients mais me donne quelques idées : « Faites ce que vous avez envie de faire » me dit-il d’un ton grave du haut de son autorité médicale. De la psychiatrie, je ne connais pas grand-chose si ce n’est d’avoir visité un jour un hôpital psychiatrique et d’avoir croisé sur mon chemin, comme tout un chacun quelques personnes bizarres, peut-être folles, qui me donnaient parfois envie de les connaître davantage pour essayer de comprendre ce qui leur arrive.

De mes études lointaines dans un pays lointain je garde quelques petites notions de psychologie « populaire ». De mon expérience de l’enseignement du français langue étrangère, je retiens quelques connaissances de la dynamique de groupe.

Pleine d’incertitudes et d’interrogations, mais aussi du désir de connaître pour contribuer, malgré mon étiquette de non-soignante, au soin, je me lance et je vais à la rencontre de ceux qui, à mon sens, doivent être les acteurs principaux non seulement de leur soins, mais aussi de la vie de tous les jours.

Je propose donc de créer un atelier qu’on nommera « Atelier de Vie quotidienne » qui aura lieu tous les vendredis. Comme les choses ne sont jamais simples en psychiatrie, l’atelier de vie quotidienne est hebdomadaire. Il regroupe autour d’un repas préparé ensemble huit à dix patients qui s’affairent à cuisiner des plats de tous les parfums, saveurs et couleurs qu’on partagera ensuite autour d’une table et qui je l’espère donnera chaud pour le week-end si difficile et permettra d’adoucir un peu le quotidien des autres jours de la semaine.

Car, je découvre rapidement à quel point les maladies des Boyaux de la tête (le nom qu’on donnera plus tard à notre laboratoire de réflexion et d’échanges sur les maladies mentales) rendent difficiles à nos patients, pour la plupart psychotiques, la nécessité d’affronter la réalité dans le quotidien de leur maladie.

J’assure aussi dans l’exercice de ma fonction l’accompagnement des patients en appartement thérapeutiques ou logés chez eux. Il m’appartient de les rassurer quant à leurs possibilités d’accomplir les tâches présumées simples : courses, gestion du budget, entretien d’un logement, hygiène corporelle. J’essaie à travers ces accompagnements, de même que dans l’atelier, de recueillir et d’accueillir tous les symptômes qui s’expriment dans la maladie mentale dont vous connaissez tous la longue liste, je n’en cite que quelques-uns : angoisse, peur de l’autre, hallucinations, délires, sentiment d’étrangeté, apragmatisme, isolement, repli sur soi. Termes que je commence à apprivoiser petit à petit car je participe aussi à des réunions cliniques.

Au détour de quelques patates épluchées ensemble, d’un balai passé dans la moitié d’une chambre parce que balayer tout serait trop insupportable, vient pour moi non seulement la connaissance des symptômes mais la rencontre d’un être humain, d’un sujet aux prises avec sa maladie.

De cette rencontre, de la disponibilité de ma présence auprès de quelques patients du CATTP dans la simplicité apparente d’accomplir avec eux des gestes quotidiens, naît un jour un petit espace qui ajoutés à d’autres espaces créés par d’autres collègues participera plus tard à la possibilité de ce qu’on appelle (je progresse) une alliance thérapeutique.

Lorsqu’en 2004, Dominique, éminent co-auteur des fascicules « Schiz’ose dire » propose à l’équipe de créer un groupe de patients qui travailleraient sur les maladies des Boyaux de la tête en s’appuyant sur ces fascicules, je décide de m’y investir. Les volontaires parmi les membres de l’équipe ne sont pas franchement nombreux. L’animation de groupe n’est pas vraiment inscrite à l’époque dans la culture d’une équipe centrée sur les entretiens individuels, plus à l’aise dans un face à face appelé à mon grand étonnement une relation duelle.

Riche de l’expérience de l’atelier vie quotidienne que j’anime déjà depuis quelques années, éclairée par mes rencontres au jour le jour, avec les patients, je m’autorise à proposer ma candidature au poste de co-animateur malgré les réticences « de couloir » de certaines de nos collègues. Elles ressortent alors mon étiquette légale de non-soignante. Je m’en saisis bien volontiers, car, vue de ma fonction, la maladie n’est pas posée d’emblée au cœur de ma relation avec un patient. Je fais moins peur, on mange bien dans l’atelier de vie quotidienne dont je suis référente, Mme Casserole, surnom que me donne un jour gentiment (ou non) un des psychologues du service. Il me revient à l’esprit qu’il faut absolument que je me conforme à la première consigne de mon chef de service : « Faites ce que vous avez envie de faire ». Ouf ! Je sauve même mon honneur de bonne employée. Le troisième membre du trio est Annie, une infirmière chevronnée, à quelques deux années de son départ en retraite.   

 

Le cadre du groupe

 

Le laboratoire de réflexion et d’échange sur les maladies des boyaux de la tête porte un nom interminable qui se moque autant qu’il proclame une volonté. Il ne s’agit pas d’opposer des soignants qui sauraient tout ce qu’il y a à savoir sur la maladie et les médicaments et des patients qui ne sauraient rien ou si peu de chose. L’objectif est de chercher ensemble, de cheminer, de réfléchir autour non pas du malade qu’on est mais de la maladie qu’on a. Les uns amènent des connaissances scientifiques et empiriques qu’ils ont acquises auprès d’autres patients, les autres amènent leur vécu, leurs réflexion, ce qu’ils ont compris de leur parcours et de leur maladie en se la coltinant au quotidien. Le mot laboratoire est aussi un joke qui renvoie à l’âme que nous risquerions de perdre en cédant aux sirènes pharmaceutiques. Nous avons choisi de parler des maladies des boyaux de la tête pour nous décentrer des représentations habituelles de la maladie mentale. Nous revenons ainsi au sens premier de folie qui renvoie à un boyau rempli de vent. Les boyaux de la tête qui n’existent pas nous permettent de ne privilégier aucune théorie relative à la maladie mentale, nous sommes ouverts, en recherche, en travail. Enfin, l’expression atténue le côté un peu prétentieux, sérieux, mortel presque de ce laboratoire. Il nous arrive aussi de nous boyauter. Tout dernièrement un patient a reformulé tout ça en parlant des « Joyaux de la tête », que nous avons adoptés illico.

Le groupe a d’abord été structuré sur un mode classique, comme un groupe psycho-éducatif. N’y venaient que des patients souffrant de schizophrénie. Pas de prescription médicale parce cela serait impensable à Gap et, du point de vue des psychiatres, lèserait gravement la relation infirmier-médecin. Le groupe a donc lieu tous les mercredis après-midi dans la salle Nazo le Skizo, en présence de Nazo lui-même, qu’il est possible de faire parler, d’invoquer, de caresser, de supplier. Certains ne s’en priveront pas. Un nazo transitionnel en quelque sorte. Un psychiatre parraine le groupe. Il viendra quelquefois jouer au psychiatre en fin de séance. Un silence à couper au couteau l’accueille. Il aura beau se démener, il finira par ne plus venir. Les participants ne sont pas en recherche de parole médicale mais d’échanges et de réflexion avec des soignants. L’espace ouvert est plus important que les informations à traiter. Une sorte d’espace transitionnel où se construit un savoir impossible à partager ailleurs.

Nous avons repris l’idée de modules ou de grands thèmes choisis par les patients. Si nous commençons par aborder le délire et les hallucinations à partir des fascicules Lilly, d’autres supports seront utilisés : articles de vulgarisation, romans, témoignages d’usagers, de chercheurs, films, dictionnaires, les seules limites sont celles de notre imagination. Nous passons en général de trois à six mois sur une thématique. Ainsi ont été abordées : hallucinations et délire, angoisse, violence, dépression, schizophrénie.

Le support utilisé nous donne la possibilité d’aborder le thème de manière « extérieure »,  objective ou subjective voire scientifique sans entrer d’emblée dans la référence à la pathologie comme cela peut être le cas dans une relation dite duelle lors d’un entretien infirmier ou médical. Ce n’est pas le soignant qui reconnaît un symptôme et le transforme en signe mais le patient qui l’identifie comme tel. « Moi mes voix me disent … »

Lorsque le document informatif est un écrit, chacun à tour de rôle, soignants comme soignés, lit le texte en s’arrêtant souvent, quasiment à chaque paragraphe, pour le reprendre,  réfléchir ensemble, l’illustrer d’un exemple personnel quasiment comme des chercheurs réunis autour d’une même quête.

La parole des patients ne vient pas toujours spontanément. Certains se hasardent en enchaînant quelques mots, quelques phrases rapides d’un commentaire, d’un témoignage timide, d’autres essaient de prendre toute la place, s’éloignent du sujet, d’autres encore restent dans un silence attentif. Ils n’en reviendront pas moins la semaine suivante. Chaque séance est ponctuée individuellement par les patients, chacun est invité à synthétiser à minima le contenu à la séance et énonce ce qui lui a semblé important.

Chaque séance est ponctuée par un post-groupe où les soignants se retrouvent pour faire le point sur les thématiques travaillées, le vécu du groupe et les réactions individuelles. L’inter-transfert entre soignants n’est pas oublié. Nous assumons nos éventuels désaccords, nos différences de perception, tout cela contribue à enrichir notre fonctionnement. Nous rendons compte à nos collègues de ce qui se vit dans le groupe en réunion de régulation quand le patient dont il est question participe au groupe. Nous en parlons également dans nos flashs quotidiens lorsque cela est pertinent. Le fonctionnement du groupe est évalué comme tous les autres lors de la réunion trimestrielle consacrée aux activités menées au CATTP. Enfin l’évolution annuelle des boyaux apparaît dans le bilan d’activité remis à l’administration.

Depuis juin 2004, quelques quarante patients ont participé à l’activité, la moitié d’entre eux y sont présents avec régularité.

 

Le regard de Catherine

 

En tant que co-animatrice de la séance et n’ayant pour tâche ni souci principal l’introduction du texte abordé, je sers occasionnellement de secrétaire mais surtout j’observe attentivement les interactions entre les participants et j’interviens, si nécessaire, pour veiller au respect de la place de chacun, de son temps de parole et/ou de son silence –pour que les deux- dans leur libre expression individuelle- servent à constituer les valeurs de base du groupe.

Ces valeurs de base : le respect de chacun invité à participer selon ses possibilités d’expression du moment, l’absence de jugement, la conviction que chacun a quelque chose à partager et que personne, y compris l’animateur n’est détenteur d’un savoir absolu, instaurerons au fil du temps la confiance nécessaire non seulement pour la cohésion du groupe mais aussi pour l’expression individuelle de chacun.

C’est ainsi que chaque patient participant pourra désormais s’appuyer sur l’entité particulière d groupe qui est non seulement un laboratoire de recherche mais également un groupe d’entraide dans lequel le symptôme n’appartient plus uniquement à une personne mais se partage dans la recherche des solutions individuelles, mais exprimées dans une relation à l’autre, ou plutôt à plusieurs autres vivant une expérience similaire. Le symptôme n’est plus ce qui sépare des autres mais ce qui le temps d’un groupe rassemble.

Le témoignage individuel ne sert plus à stigmatiser un patient particulier mais à enrichir le groupe qui devient dépositaire du savoir « vécu » de ce dernier.

La lourdeur et la gravité des thèmes abordés renvoient parfois certains à des vécus douloureux  qu’il faudra reprendre en entretien individuel. L’aspect contenant du groupe attaché à ces valeurs de base, garanties par les animateurs reste étonnamment opérant.

Petit à petit, les participants s’approprient à leur façon les différentes notions liées à la maladie mentale, ces symptômes qu’ils reconnaissent chez eux plus facilement et cherchent ensemble comment vivre avec, plus sereinement pour eux-mêmes et ceux qui les entourent.

Une à deux fois par trimestre se rend au cinéma. Pas pour voir un film mais pour répondre à une consigne particulière : repérer chez les personnages du film choisi en fonction du thème abordé comment ils font face à l’angoisse, comment ils régulent leur agressivité.

Le film est repris d’abord à la sortie autour d’un petit café et ensuite une semaine plus tard, en groupe. On profite souvent des absences de Dominique pour aller au cinéma. Il faut donc la semaine suivante lui raconter le film, le lui synthétiser avant de voir ensemble comment le personnage fait face à l’angoisse.  Il est plus facile d’aller au cinéma avec une consigne. Nous pouvons noter au fil des séances une meilleure qualité de synthèse chez les participants.

A la fin de la première année scolaire, nous avons abordé, pour faire plus léger, sous la forme humoristique du livre « Je vais t’apprendre la politesse petit con » les règles du savoir-vivre avant de passer à la rentrée au thème plus grave des relations avec les autres qui sera traité sous la forme de jeux de rôle.

Nous décidons autour de cette utilisation des jeux de rôle de changer de cadre. Nous quittons la salle Naso, notre petit laboratoire fermé aux non-psychotiques et sa petite pièce pour nous installer dans la plus grande pièce du CATTP, lieu de passage et d’échanges.

Malgré les réticences justifiées de nos collègues quant au manque de confidentialité nous maintenons notre décision d’ouvrir le groupe à tous ceux qui le souhaitent et qui veulent s’y poser.

Le pari est gagné : le groupe initial est suffisamment solide pour accueillir d’autres patients, d’autres témoignages et d’autres références pathologiques. Le cercle s’agrandit, la parole circule plus aisément. Certains ne nous rejoignent pas mais restent à l’arrière-plan, à la périphérie du groupe, tendent néanmoins une oreille attentive et interviennent de temps en temps. Si l’esprit du groupe est respecté, nous laissons à chacun la liberté de parole et une relative liberté de circulation : il est possible de s’y asseoir un temps, de partir et de revenir.

Je vois dans cette ouverture l’une des grandes réussites des boyaux de la tête, le début de la restauration du lien social.

Sous cette nouvelle forme, notre laboratoire s’occupera successivement de la violence, des émotions que nous mimerons à tour de rôle après avoir étudié une petite brochure d’inspiration PNL consacrée à ce thème. Ensuite nous parlerons très longuement des médicaments, de leurs effets thérapeutiques et indésirables. Ce thème nous occupera plusieurs semaines et permettra de reprendre tous les sujets traités auparavant. Les questions sur les symptômes, le diagnostic, l’évolution de la maladie, ses effets sur la vie quotidienne reviendront. Les « anciens » du groupe y amèneront souvent les savoirs acquis antérieurement mais choisiront également de s’interroger sur ce qui leur arrive, encore et toujours, sont-ils vraiment malades, faut-il prendre un traitement toute sa vie, leur place est-elle vraiment en psychiatrie, peut-on guérir de la maladie mentale, etc.

Pour enrichir nos échanges, nous sommes appuyés sur l’un des fascicules : « je prends un neuroleptique ». A la fin de la session, la pharmacienne de l’hôpital sera invitée. Elle répondra aux questions plus précises des uns et des autres. Quinze patients seront présents à cette séance. Record battu !

Pour les animateurs que nous sommes, il ne s’agit jamais d’apporter une réponse toute faite, ayant valeur de vérité absolue ou d’une injonction quelconque à prendre son traitement même si nous nous appuyons sur nos connaissances théoriques.      

Le texte utilisé sera explicité si nécessaire par Dominique et soumis à la discussion. Chaque participant, encouragé par l’attitude bienveillante que nous adopterons immanquablement pourra s’exprimer ou se taire en fonction de ce qu’il peut ou a envie de dire. Ainsi pourra-t-il par moments, si le sujet lui pèse trop, s’en éloigner un peu et n’en retenir que ce qui lui est possible d’entendre et d’accueillir sur le moment.

Les autres membres du groupe, animateurs et co-animateurs se chargeront de rappeler le thème de la séance, de ramener les valeurs communes en cas d’entorse importante au cadre établi.

Après avoir abordé les questions liées au traitement, nous sommes retournés ces derniers temps sur les hallucinations auditives, à partir d’un ouvrage écrit par un infirmier et un patient psychologue suisse. Le discours, les témoignages, les analyses même des patients étonnent par leur franchise et leur finesse. Au bout de quelques semaines, le groupe décide d’abandonner les voix (« On en a marre » disent-ils et puis « On peut les mettre de côté ou bien choisir celles qui font du bien » nous confie l’un des participants).

Le groupe aborde ensuite les rives de la dépression à partir d’un ouvrage grand public. Le terme « fourre-tout », plus neutre et plus médiatisé positivement que la folie permet de réaborder la place de chaque patient face à cette maladie ou à ce symptôme dans le contexte d’autres symptômes le concernant.

Ainsi l’un des patients  s’interrogera sur les rapports existant entre ses états dépressifs et ses voix : « Est-ce la dépression qui engendre les voix ou bien les voix qui engendrent la dépression ? Certaines voix seraient peut-être indispensables pour me préserver de la dépression ? »

Au fil des nombreuses séances, les mêmes questions et les mêmes notions reviennent sous forme différente –peut-être davantage consciente et mieux éclairée- comme s’il était nécessaire à nos patients de vérifier, de se rassurer, de confronter aux autres leur vécu et leurs interrogations.

C’est dans cette volonté de partager avec le groupe que réside le plus grand succès du laboratoire des boyaux de la tête car pouvoir faire appel et inclure l’autre dans son rapport au monde et à la maladie est un pas essentiel vers une prise en charge correcte et d’une possible alliance thérapeutique.

 

Synopsis des deux premières séances

 

Lorsque nous évaluons les effets des boyaux de la tête, nous ne manquons jamais de parler des étudiants. L’apprenti-infirmier a un rapport singulier avec les troubles psychiatriques qu’il découvre en cours. Il en entend parler par les psychiatres qui dissèquent pour lui et ses condisciples les principaux symptômes. Il est évalué sur ses connaissances en ce domaine. Confronté aux patients lors de ses stages, il les voit agi par leurs symptômes. La Laboratoire est un des seuls lieux où il peut les entendre expliquer, à distance, comment de leur point de vue, tout ça se fabrique. Les étudiants sont souvent bouleversés par ces témoignages. Au Centre de Santé Mentale, c’est un temps important de l’apprentissage et l’étudiant est convié à y participer. Il peut même être amené à expliquer au groupe ce qu’il apprend à l’école à propos de ces symptômes.

Nous apprenons autant des patients qu’ils apprennent de nous. Annie, notre collègue infirmière de la première heure s’en émerveillait à la fin de chaque séance.

Cinq patients participèrent donc à la première séance. Le thème en était les hallucinations à partir du fascicule : « C’est étrange autour de moi ». Je reprends nos notes de post-groupe. « Le groupe prend le contenu à son compte. Chacun décrit ce qu'il en est pour lui. Très concret, très perso. En ce qui concerne les interactions soignés/soignants y'a un vous, y'a un nous. On essaie d'expliquer aux soignants le plus précisément possible ce qu'il en est des hallus. Quel type, comment çà se manifeste. Réactions par rapport à la présence du psychiatre. Entre eux, très bonne écoute, chacun reprend ce que disent les autres, ils se stimulent, se soutiennent, se positionnent en tant que groupe.

Bernard est relativement le plus silencieux mais des regards qui en disent long, des opinements de la tête et puis reconnaît voir des couleurs. Utilise la musique pour s’endormir.

Jacques : Très présent avec plein de questions. Evoque les hallucinations auditives. Les vraies voix et les fausses. Les fausses sortes de prières, et les vraies qui disent : « Non Jacques ! » Raconte que la nuit passée il était le Dieu Soleil. Evoque sa difficulté à se récupérer après le travail. Sollicite le groupe à la recherche de solution. La musique mais ça fait pas, pas tout le temps. Le match de tennis non plus. La musique classique peut-être. C’est pas du rêve. Ca apparaît vrai, c’est comme si c’était vrai. Eléments d’hallucinations cénesthésique (Araignée sur le front). On lui a expliqué que c’était sa propre pensée mais doute quand même.

Zora : Va plus loin dans l’évocation de ses hallus que la semaine dernière. Dit c’est de la shamanerie puis il faut avoir l’esprit ouvert aux autres. Entendre esprit ouvert comme poreux, pénétrable à quelqu’un d’autre. Décrit ses hallus visuelles. « Je les vois depuis l’enfance, c’est donc depuis longtemps que je suis malade. » Les médicaments c’est moins efficace peut-être mais depuis qu’elle les prend en voit moins c’est dommage parce que finalement les aimait bien.

Remarque que Chantal et elle, parlent davantage que Bernard et Serge.

Serge : 1ère participation à ce groupe. Evoque son épisode princeps. Les voix qu’il évoquait comme une souffrance qu’il nomme la « douleur morale ». C’est pire qu’une souffrance physique. Il ne les entend plus depuis l’hospitalisation et la prise de traitement. C’est venu dans un contexte de solitude, d’isolement affectif. Reprend l’histoire de la musique classique comme moyen de faire disparaître les bruits extérieurs.

Chantal : un peu leader du groupe. Raconte ses hallus auditives et visuelles. S’acharne à les décrire pour que les soignants puissent bien comprendre. Interroge les uns et les autres, relance. Dit qu’elle n’a jamais parlé de ça dans un groupe. Repère bien le changement de position vis-à-vis de la situation d’entretien.  Dit que ça demande beaucoup d’efforts de parler de ça.

Une semaine plus tard, nous abordons le délire. Récits de délire, de leur propre expérience du délire. Beaucoup moins de souffrance évoquée que lors de la séance sur les hallucinations même si la densité du travail se lit sur les visages. Les corps indiquent davantage la souffrance que les paroles (crispations des visages, sourires, mains qui se tordent, etc.). Côte soignant, Annie se trouve bavarde. Les soignants viennent en aide à ceux qui leur semblent en difficulté, ce qui diminue peut-être les capacités du groupe. Travailler durée des séances : une heure pas plus, psychiatre compris.

Possible vécu persécutif de Jacques par rapport à nous. Chantal interroge Bernard, lui fait remarquer qu’il s’exprime peu. Respect du silence de l’autre. Moins d’aide des uns et des autres. On sent que c’est plus complexe.

Bernard : Toujours aussi présent, toujours aussi silencieux. Sourictus.

Serge : un peu en deçà par rapport à la séance dernière. Evoque les ciels, l’absence de limite céleste. Ce serait pour lui du délire. Evoque la persécution des gens en lien avec les bruits de l’extérieur. S’interroge sur Jeanne D’Arc. Plus dans la banalisation, dans la normalisation. Dit bien avoir vécu quelque chose de délirant.

Marin : Arrive en retard. N’assiste qu’à la fin de la séance. Rebondit sur Jeanne D’Arc. Comment savoir que l’idée délirante n’est pas vraie à la base ?

Jacques : Très présent. Raconte deux de ses délires. Etait convaincu d’être le dieu des galaxies. Ca ne le choquait pas plus que ça. Evoque sa certitude que la fin du monde était imminente. N’a pas éprouvé le besoin d’en parler. Craignait que le fait d’en parler ne la déclenche. Avec le traitement au fond c’est supportable. Tout cela raconté dans une atmosphère de tension psychique, de voix possibles, de parasitage où il semble chercher parfois l’autorisation d’un interlocuteur imaginaire. Raconte le début d’une séquence qui va l’amener à être hospitalisé. Boit son lait et y trouve une aiguille. Les voix lui disent qu’il en a avalé deux, et ça ça l’effraie au point qu’il va chercher de l’aide (il s’appuie sur le ventre pour vérifier qu’elles y sont bien). Sa tante le fait hospitaliser. Le traitement là n’est plus efficace. Jeanne D’Arc c’est lui.

Chantal : C’est dur, mais elle est là. Revient sur ses comportements inadaptés : chercher sa voiture pendant quatre jours. Ramenée à  l’hôpital par sa sœur, décrit un monde qui se délite, les montagnes qui se morcellent, le paysage qui se magritte. Raconte une séquence des voix d’enfants qui s’avèrent ne pas être délirante.

Trucs donnés pour contrôler ses voix :

-         Vérifier auprès de ses proches s’il entend les voix

-         Retour aux actes quotidiens (vaisselle, ménage, musique, fumer une cigarette)

-         Mantra (en tibétain pour Chantal très tôt liés à ses troubles du sommeil), les prières pour les uns et les autres

-         Ecouter de la musique plutôt classique.

Prochaine séance : cinéma

Mission pour le groupe : ramener des scénarios de délire.

 

Evaluation

 

En raison de ma fonction, en dehors du temps passé au laboratoire, je partage souvent le quotidien des patients dans d’autres activités ou bien dans l’intimité de leur domicile. Je sais à quel point ce qui semble acquis, et l’est sans doute,  dans une certaine mesure, peut basculer d’un coup dans un moment de crise ou en cas d’aggravation de la maladie. Peu de choses seront donc acquises pour toujours.

Dans mes interrogations quant à l’utilité d’un outil support des soins quant à ce que nous pouvons apporter aux patients je trouve quelquefois quelques petites satisfactions et un peu de réconfort.

Daphné, l’une des patientes régulières au groupe, arrive désormais à reconnaître les voix qui lui disent de tuer son chat et de mettre le feu à son appartement. Au lieu de passer à l’acte comme par le passé, elle demande une hospitalisation. Quelques jours suffisent pour qu’elle puisse reprendre tranquillement son train-train.

Jacques-Pierre me demande plus de cent fois par jour si son appartement est correct, ce que remet constamment en doute sa mère. Après nous avoir entendu parler d’un mécanisme de défense du nom d’immersion, il a évolué. On peut noter qu’en plein milieu du mot immersion, se trouve le mot mère. Toujours est-il que Jacques Pierre, depuis, ose prendre sa voiture qu’il n’utilisait plus, établir quelques relations amicales, faire ses courses à l’hyper-marché. Il parle librement de sa maladie dans le cadre du groupe. Il est à l’écoute et ne coupe plus la parole au sein du groupe. « Je fais de l’immersion Catherine. » dit-il. Il est convaincu d’avoir progressé au point d’avoir su éviter ces dernières années quelques rechutes même si certains matins restent encore difficiles.  

Paul qui a la réputation d’être violent et dangereux, mime un jour, dans le cadre d’un jeu de rôle, une grande colère. C’est d’ailleurs parce qu’il était présent que nous avons imaginé un jeu de ce type. Paul se débouille très bien. Il se contrôle même tellement bien que lorsque son bras se dirige avec violence contre une vitre, il s’arrête à quelques millimètres de celle-ci. Paul va apprendre de cette façon à se contrôler de mieux en mieux. Ces épisodes de violence sont maintenant exceptionnels et n’ont pas défrayé la chronique depuis deux ans. Il nous a confié mercredi dernier, lors d’une séance particulièrement intellectuelle, où l’un des participants nous parlait très brillamment de Foucault et du pouvoir disciplinaire : « Je n’ai pas tout compris, mais c’était intéressant, ça fait du bien de parler. »

Deux-trois patients se lancent dans les recherches scientifiques sur Internet et dévalisent la bibliothèque municipale pour approfondir leurs connaissances sur la maladie mentale. Chacun cherche selon son modèle. Sébastien veut du sérieux, du biologique pas ces fumisteries psychanalytique. Serge, lui, ne croit guère à ces histoires de neurones, de médiateur chimique. Pour lui ce qui compte c’est l’inconscient. D’ailleurs nous dit-il : « C’est l’inconscient qui nous gouverne. ».Ils retiennent de leur recherche, comme de celles effectuées collectivement, un mot, un signifiant qui pendant un certain temps sera bien opérant pour donner un sens à leur pathologie et suturer une plaie qui bée trop facilement.

L’un d’eux, après avoir fait une tentative d’arrêt de traitement et repris une vie sociale intense en ville, revient au soin et au groupe auquel il confie sa difficulté à soutenir le lien social en dehors de la psychiatrie dont il se sent prisonnier tout en reconnaissant l’indispensable utilité de cette situation.

Bernard, ne fréquente plus l’atelier. Il est devenu gestionnaire du Groupe d’Entraide Mutuelle Le Passe Muraille, l’association des patients-usagers de la psychiatrie haut-alpine où il passe beaucoup de son  temps libre –Bernard travaille. A ma question : qu’est-ce qu’il a retenu de sa participation aux Boyaux de la tête, il m’a répondu : « Si j’avais su tout ça auparavant j’aurais pu éviter quelques rechutes. »  

Ces quelques exemples qu’il serait facile de multiplier démontre que le laboratoire de réflexion et d’échange sur les maladies des boyaux de la tête constitue une modalité de prise en charge très intéressante. Pour une personne qui souffre de psychose, il n’est évidemment pas le seul lieu où se travaille la connaissance de la maladie et les stratégies qu’il peut mettre en place pour vivre avec.

Les différents outils qu’une équipe soignante utilise ne peuvent être efficaces que s’ils gardent leur dimension d’outils. Ils ne devraient en aucun cas se transformer en instrument idéologique.

La relation de confiance avec la personne qui souffre de psychose est le préalable indispensable à toute alliance thérapeutique. Elle s’élabore au jour le jour dans la multiplicité des fragments de transfert qui s’établissent grâce à la diversité de nos présences disponibles, prudentes et respectueuses.

Nous sommes profondément convaincus que le patient est un être humain à part entière et non seulement un ensemble de symptômes répondant plus ou moins au traitement. Il est capable lui-même si nous y prêtons vraiment attention et réflexion au quotidien, de nous guider dans la façon dont nous nous engageons afin que le soin ait pour lui un sens réel.

L’alliance thérapeutique, comme toute vraie relation me semble rester un processus dynamique dans une constante négociation.

Si ces considérations vous font sourire par la naïveté de leur évidence, souvenez-vous qu’elles viennent juste des observations d’une non-soignante. Vous vous demanderez encore comment elle peut intervenir en co-animation d’un véritable Laboratoire d’échanges et de réflexion sur les maladies des boyaux de la tête ? En y apportant un regard différent mais attentif et respectueux, une bonne humeur, sa capacité à réguler les interactions de groupe, à rassurer, encourager, apaiser, donner confiance.

Quant aux apports théoriques, concernant les maladies mentales, elle les trouve dans les différents supports utilisés, tout comme les patients.

Les connaissances que nous essayons de transmettre sont évidemment importantes, mais il s’agit avant tout d’installer un espace de confiance dans lequel la parole peut apparaître et circuler.

 

Pour conclure

 

Marie et Claire habitent le même immeuble, l’une au premier et l’autre au second. Je les suis toutes les deux. Marie a participé régulièrement aux Joyaux de la tête, Claire non. L’une souffre d’une psychose parfois envahissante, l’autre peut-être pas. Peu importe. Il y a trois mois, un nouveau voisin a emménagé. L’une et l’autre, très sociable, ont sympathisé avec le nouvel arrivant. Marie a particulièrement investi ce sexagénaire portant beau qui a le même âge qu’elle. Jusqu’au jour où un chien du quartier a attaqué le chien de … Christian. Celui-ci a commencé à aller moins bien suite à cette agression. Il a fini par déménager dans une autre ville. Il est resté en contact avec Marie et Claire. Claire l’héberge pendant ces séjours. En tout bien toute amitié, elle travaille comme dame de compagnie pour arrondir ses fins de mois. J’ai suivi les menues péripéties de cette co-habitation avec Claire que je vois une fois par semaine.  Elle arrive un lundi midi : « Dominique, il est schizophrène, si, si j’en suis sûre. »

Le temps de lui demander de se poser, elle me raconte ce qui suit.

« Marie m’a prêté le livre que tu as écrit, le mauve. Elle l’a relu et pense que Christian est schizophrène. Elle m’a demandé de le lire et de lui donner mon avis. J’ai tout bien lu, Dominique je t’assure il est schizophrène. » Et Claire de me décrire des troubles du comportement qui font effectivement penser à de la schizophrénie. L’homme très persécuté, est convaincu que leurs voisins lui envoient du gaz. Il s’est acheté des armes pour leur faire la peau. Marie, très inquiète m’a demandé de passer chez elle pour disait-elle à Claire, « une réunion au sommet ». Quand j’y suis allé Christian était là. Parfaitement calme et adapté. Nous avons fait connaissance. Marie et Claire ont fait en sorte que je puisse lui présenter le centre de Santé Mentale. Il ne laisse aucune prise. A croire que lui aussi a lu le fascicule. Le soir après mon départ, il est plus mal, plus délirant. Claire m’appelle et demande à l’équipe d’intervenir. Elle me donne son numéro de portable. Je l’appelle. Il ne se contient plus. Nous ne réussissons pas à l’amener aux soins mais il quitte le département cherchant un autre endroit où se protéger du gaz.

Un effet inattendu des fascicules et des Boyaux de la tête.

 

 

Dominique Friard, ISP, Catherine Polak, Conseillère en économie sociale et familiale, Centre de Santé Mentale Hélène Chaigneau, Gap (05).

  

 

Texte présenté à Privat, le 21 novembre 2007.


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