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Voyage Intemporel

au pays d’un atelier d’écriture

 

 

…  «  et si on écrivait ! On pourrait se laisser aller à écrire dans le spontané ce qui nous passe par la tête ! »

Oui mais voilà, autant ça paraît simple à énoncer comme ça, autant l’exercice n’est pas si aisé à mettre en pratique. Ce n’est pas temps l’angoisse de la page blanche que le blocage qui s’installe à l’idée de laisser venir. C’est comme si les pensées restaient sur le seuil de la porte de l’expression et se ramassaient tel un escargot, à l’intérieur de sa coquille, jusqu’à même parfois, totalement disparaître dans les tréfonds d’un inconscient, décidément bien mystérieux.  Le lâcher prise ne se décrète pas et devient même un obstacle lorsqu’il est imposé. C’est pourtant ce à quoi sont confrontés de nombreux participants des ateliers d’écriture, qui sont de plus en plus souvent initiés dans les structures de soins. C’est comme si la volonté raisonnable pouvait sur ordre, conduire directement à l’inspiration et c’est bien évidemment une hérésie. L’animateur et spectateur de l’atelier s’installe, distribue quelques bouts de papiers où griffonner, autour d’un sujet choisit par lui pour la séance. Les adocrivains en herbe sèchent devant leurs pages blanches qui leur rappellent les exigences répétitives de l’école, qui attend d’eux. Au nom de la neutralité, mais est-elle bienveillante, l’animateur qui a déjà malaxé en son esprit le sujet du jour, attend lui aussi, sans prêter ses pensées. «  Qu’attend-il de nous. Que veut-il savoir et peut-être décrypter. Son regard soudain, paraît bien inquisiteur ! Est-ce que nous devons combler le vide de son propre esprit, dont l’imaginaire est peut-être pauvre ? ». « L’atelier n’a rien de marrant et on dirait une salle de classe. Est-il décidément impossible de sortir d’un contexte où la mise en examen est permanente ?

Un atelier d’expression par l’écriture, initié pour des adolescents en souffrance, se doit de mon point de vue, d’être d’abord et avant tout, un espace de jeu qui fait appel au principe de plaisir. C’est un endroit à part et une parenthèse dans la vie quotidienne et ses mouvements répétitifs. C’est un lieu offrant la possibilité de mettre à distance et en perspective pour un temps, d’abord le vécu de la vie de tous les jours, puis celui de l’histoire personnelle de l’individu. Un atelier d’écriture est une bulle dans laquelle on vient se régénérer et oublier pour mieux se rappeler, se détendre, s’amuser, prendre plaisir à l’abstraction. C’est un lieu où on réinvente sa propre histoire pour mieux encore, mettre en perspective sa réalité. C’est un cadre rassurant dans un état d’esprit de non jugement, où les émotions peuvent s’exprimer. C’est un espace dans lequel le plaisir qui fait lien, est partagé tant par les participants que par l’animateur. C’est un moment qui sollicite autant l’imaginaire de l’animateur, que celui des participants. C’est la rencontre de plusieurs individus libres de contraintes orthographiques et locutions grammaticales en tous genres. C’est un espace vivant susceptible d’être régulièrement interrogé, réinventé pour s’adapter à la réalité de chaque participant.

En tout cela, l’idée de faire une distribution de petits papiers où inscrire ce qui passe par la tête, n’a rien de très ludique. En tout cela, il convient de penser l’aspect ludique d’un atelier d’écriture. En cela, il convient d’apprendre à faire avec les défenses des adolescents qui n’ont pas envie de se confier à monsieur n’importe qui. En cela, parce que les adolescents n’ont pas tous un imaginaire débridé, il convient de s’adapter et de concevoir l’activité de manière évolutive. En cela, le laisser aller à penser et à écrire, se découvre au fil d’un cheminement tranquille et ne peut être, un préambule imposé. En tout cela, il convient de créer les conditions pratiques de la détente, par des sujets qui autorisent dans un premier temps l’oubli des soucis et des exigences. En cela, il convient de laisser de côté la recherche d’une quelconque production. Il convient de laisser choir pour mieux y revenir, une observation des comportements forcément intéressante et riche à retransmettre ensuite. La liberté dans un cadre défini se doit d’être inscrite dans les pensées de l’animateur qui lui aussi, oublie pour un moment, les contraintes de la vie institutionnelle.

Faire avec les défenses d’adolescents qui se méfient comme de la teigne des adultes qui s’intéressent à leur intimité psychique, c’est apprendre à respecter leur enveloppe protectrice, parfois affublée de piquants. Etre avec les adolescents en atelier d’écriture, consiste à ne pas vouloir s’intéresser de trop près, à leur histoire personnelle, tout en leur faisant découvrir le plaisir à se remémorer. Partager un moment avec des adocrivains en herbe, consiste à voyager dans le temps par le biais de l’imaginaire, tant vers le passé que l’avenir, pour revenir au vécu du présent. C’est s’intéresser au vécu d’êtres du passé ou celui de contemporains, pour tranquillement approcher, en douceur, le vécu personnel des participants. C’est savoir, dans les sujets proposés, s’éloigner des préoccupations premières des participants, pour y revenir à d’autres moments, dans des mouvements permanents d’éloignement et de rapprochement qui finissent par indiquer, une bonne distance sans cesse à réévaluer. C’est être présent et attentif, c’est savoir renoncer et rebrousser chemin, c’est savoir attendre en oubliant le temps qui passe. C’est être là et parfois indiquer une route. C’est être là et oser proposer sans imposer. C’est savoir être un guide et en même temps, savoir se retirer sur la pointe des pieds. C’est être à la fois présent et absent.

De part son organisation et le climat qui y règne, un atelier d’écriture est un espace tendant à favoriser l’expression, mais n’est pas un lieu de psychothérapie où pratiquer l’interprétation. C’est au contraire un terreau de pensées qui peut éventuellement favoriser en d’autres lieux, le travail sur soi. Confondre les espaces, c’est prendre le risque de bloquer le processus imaginaire et la labilité des pensées que l’atelier d’écriture a vocation à favoriser. Il me semble en cela important, que l’animateur se doive de garder à l’esprit les limites prédéfinies de son atelier, inscrit dans une complémentarité multidisciplinaire.

Entrer dans la bulle d’un atelier d’écriture, c’est entrer ensemble dans des bulles de bandes dessinées où apparaissent tout à coup, comme venus d’ailleurs, des êtres d’un autre temps. C’est aller visiter les hommes de Cro-Magnons tout autant qu’un combat de chevaliers au coin d’une forêt et leur prêter des intentions. C’est tout à coup, passer à vitesse vertigineuse d’un temps à un autre et rencontrer en imaginaire un être venu d’une autre planète. C’est bientôt découvrir en une image, une maman penchée sur le berceau où son bébé gazouille de plaisir ou assister à une scène de ménage familiale qui en rappelle peut-être, plus d’une. C’est aider un ami ou une amie dans un scénario à faire évoluer, à retrouver sa mémoire perdue. C’est redécouvrir, quelque part dans une vieille malle au fond d’un grenier poussiéreux, le journal intime d’un personnage, un temps oublié. Ce peut être se prendre, le temps d’une séance, pour le sieur Pinocchio et prendre plaisir à mentir à propos de sa propre histoire. Ce peut-être de discuter à bâtons rompus avec soi même ou les petits êtres qui habitent l’esprit, les rêves.  Tout, d’histoires qui paraissent pourtant éloignées, ramène quelque part à soi et sans en avoir l’air, parle de soi. L’imaginaire des participants flottent d’un personnage à l’autre en lui prêtant des propos, des humeurs et des désirs en s’approchant progressivement de lui même. Le dialogue de soi avec soi est plus intime, susceptible d’éveiller des résistances bien compréhensibles et ne peut donc être suggéré que lorsqu’une réelle confiance s’est établie.  Puis il faut à nouveau s’éloigner du dialogue en soi même, pour aller visiter un lieu de vacances magique ou des grottes où vivent des personnages féériques avant de mener une petite enquête policière. En spectateur venu d’une autre planète, il s’agit ensuite de s’asseoir au cœur d’une famille où tous les membres sont très affairés. Ils sont tous tellement occupés, qu’ils s’adressent entre eux sur des post-its, des messages vite oubliés. Mais que se racontent-ils donc ? L’imaginaire du participant de l’atelier d’écriture se greffe sur l’esprit des personnages, en se demandant s’il n’y a qu’un modèle de famille.

Un atelier d’écriture vivant, se doit de mon point de vue, d’être lui-même inscrit dans un scénario qui entraîne la pensée, dans lequel chaque séance est un épisode d’un feuilleton qui au fil du temps se dessine, de part l’implication des participants.

Evidemment et cependant, un atelier un tant soit peu organisé, au-delà d’un cheminement psychologique balisé, va utiliser quelques techniques après tout, assez secondaires. Des exercices peuvent favoriser la spontanéité des écrits et d’autres, autoriser des libertés de langage. Certains vont quelque peu forcer la concentration et d’autres, entraîner à une gymnastique intellectuelle. Certains vont solliciter la mémoire pendant que d’autres encore, vont amener à se projeter dans l’avenir et solliciter une mobilité du processus des pensées.

On peut considérer qu’il y a plusieurs manières de mener un atelier d’écriture, en fonction des objectifs recherchés et des scénarios envisagés, en excluant ici et à priori les ateliers à vocation littéraire peu adaptés aux soins, sauf à prendre en compte la situation particulière d’un patient. Il y aussi plusieurs manières de mener un atelier d’écriture en fonction du contexte où il se déroule. La rédaction d’un journal est peut-être mieux adaptée lorsqu’il s’agit d’animer cette activité dans une structure de soins en internat. Pour sa part, un atelier inscrit dans un scénario, correspond sans doute mieux aux prises en charge ambulatoires. Les suivis réguliers en groupe ou en individuel sont tout autant possibles. La conception de l’animation va aussi variée en fonction de la conception de l’animateur, initiateur de l’activité. Celui-ci, de mon point de vue, ne peut s’arrêter au simple fait, qu’il s’agit de proposer un mode d’expression. Le contenu se doit d’être élaboré dans une prise en compte de la fragilité psychique des patients, en omettant pas le cousinage de ce type d’activité avec le cursus scolaire. Le contenu peut s’apparenter à un feuilleton à épisodes mais peut aussi s’inscrire dans l’élaboration en commun d’une histoire continue sur le long terme, dans lequel chaque participant est en responsabilité d’un des personnages, en relation avec les autres. La gestion de ce type de pratique demande une certaine vigilance quant à la gestion des relations dans le groupe, afin que chacun, au-delà du leader qui s’impose, puisse prendre sa part de l’histoire qui se construit.

 

Il ressort de tout cela, qu’un animateur d’atelier d’écriture dans un lieu de soins, ne peut se contenter de totalement improviser ce type d’activité qui mal conçu, est susceptible de fabriquer des souffrances supplémentaires, chez des patients déjà en situation de fragilité. On peut aussi considérer, que la libre association d’idées, qui est au demeurant un concept intéressant mais peut devenir un dictat, ne peut en soi suffire à résumer ce genre d’activité. Il est sans doute important de se rappeler que l’imaginaire de l’animateur se doit d’être tout autant impliqué, que celui des participants.

 

                                                                                                                    Jean.Héno (infirmier psychiatrique)

 

 



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