Cynothérapie :
Une activité de thérapie à médiation
au Centre Hospitalier de Mulhouse.
Résumé :
Des patients hospitalisés en unité fermée de
Psychiatrie bénéficient, sur prescription médicale, de la Cynothérapie, une
activité de thérapie qui utilise le chien comme médiateur relationnel, au même
titre, par exemple, que le cheval dans l’Equithérapie qui, elle, se pratique
ailleurs. Même si cette activité est réservée, pour l’instant, aux personnes
adultes, il est tout à fait possible d’extrapoler ce que nous faisons pour une
application avec des enfants ou dans tout autre service d’un hôpital.
o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o-o
« Quoi ?
Des chiens en Psychiatrie ? Seraient-ils à ce point tombés malades qu’il a
fallu les interner ?!… » Mais non, rassurez-vous !… C’est
justement parce qu’ils sont bien dans leur tête, dans leurs poils et dans leurs
pattes qu’ils interviennent régulièrement, au Centre Hospitalier de Mulhouse,
en secteur fermé de Psychiatrie adulte.
L’idée
de réaliser un tel projet est venue de la rencontre de deux membres de l’équipe
soignante :
Le
03 février 2006 l’activité commença à raison d’une journée par semaine. A
partir du mois de mai, au vu des résultats observés, celle-ci est devenue
bi-hebdomadaire. Les chiens et leurs « maîtres-infirmiers »
travaillent donc ensemble, de journée, le mardi et le vendredi. C’est ainsi
qu’interviennent, à tour de rôle, U2 et/ou Arbois, deux femelles Sarplaninac
avec Prisca et/ou Dharma, deux femelles Berger des Shetland, qui
m’appartiennent. Pitchoune, la sœur de Prisca qui participait aussi à
l’activité est décédée en novembre dernier. Téquila, un mâle Golden Retriever,
appartenant à
Cette
activité s’adresse principalement aux patients déstructurés, essentiellement
psychotiques, nécessitant des activités sociothérapeutiques ouvrant sur
l’extérieur et pour lesquels les sorties « seul » sont déconseillées
ou contre-indiquées. Le soignant peut réfuter la participation d’un patient
s’il juge son état incompatible avec l’activité. Celle-ci n’est d’ailleurs
jamais imposée aux patients d’autant plus si certains ont peur des chiens.
Cependant, certains patients cynophobiques ont réussi à surmonter leurs peurs
et sont même devenus amis avec les chiens…
Pour le Psychiatre Marco Heinis, « …l’animal de compagnie est médiateur, substitut et aussi
« co-thérapeute » … ». Il n’est donc ni un médicament, ni un
thérapeute à part entière. On peut ainsi dire qu’il est thérapeute malgré-lui.
Même si la Cynothérapie, vue de l’extérieur, peut paraître
ludique, elle est réalisée dans un but thérapeutique. En effet, le patient
s’occupe du chien, le promène, le caresse, le toilette, joue avec lui, lui
parle, l’embrasse, se confie à lui, lui donne de petites récompenses, etc.,
mais ce, toujours en présence de son « maître infirmier ». Ce
faisant, le chien contribue, à sa manière, à l’amélioration de l’état d’un
patient. C’est donc en ce sens qu’il a un rôle de co-thérapeute dans la prise
en charge des patients.
Grâce
aux chiens les soignants sont aussi perçus différemment. C’est là qu’intervient
pleinement leur rôle de médiateur thérapeutique dans la relation entre les
patients et les soignants. C’est un autre regard sur le soin. Il n’y a plus de
blouse blanche ce qui fait que « l’infirmier » se fait oublier et que
les patients changent d’attitude. Ils sont ainsi plus aptes à se livrer, à se
confier, à parler de leurs problèmes, de leurs angoisses. De ce fait, une
relation un peu « privilégiée » se crée entre les soignants animant
l’activité et les patients et ce, grâce à la présence du chien. Celui-ci
devient « tiers », ce qui évite une relation « duelle »
patient - soignant. Un effet rémanent existe aussi puisqu’il est fréquent que
les patients les questionnent d’un
« …comment vont les chiens ?… » ou « …
vous n’êtes pas venu avec les chiens aujourd’hui ?... », les
jours où ceux-ci ne sont pas dans le service.
Pour
les patients, les objectifs recherchés sont multiples, ils sont d’ordre :
Educatifs
et intellectuels :
-
Prendre
conscience de l’importance des soins de base pour les animaux avec le renvoi
sur soi que cela apporte.
-
Découvrir
le comportement du chien, observer ses réactions.
-
Eveiller
la curiosité, l’intérêt, élargir ses connaissances.
-
Respecter
le chien.
-
Exprimer
un ressenti par rapport au chien et aux animaux en général.
-
Connaître
l’institution où il est hospitalisé.
-
Adapter
sa tenue vestimentaire en fonction de l’activité et de la saison.
-
Etc…
Sociaux
et relationnels :
-
Faciliter
l’intégration dans un groupe, celle-ci l’étant par la présence du ou des
chiens.
-
Favoriser
le sentiment d’appartenance à un groupe.
-
Répartir
et partager les tâches.
-
Enrayer
le processus d’isolement, de repli sur soi.
-
Nouer
des contacts.
-
Rencontrer
et côtoyer d’autres personnes.
-
S’adapter
à la vie sociale.
-
Pouvoir
donner son avis.
-
Effectuer
un choix.
-
Etc…
Physiques :
-
Améliorer
la dextérité, la rapidité.
-
Développer
le sens du toucher.
-
Développer
la mobilité de la personne.
-
S’oxygéner.
-
Combattre
la sédentarité, le surpoids, le déficit musculaire et articulaire.
-
S‘entraîner
à l’effort.
-
Etc…
Thérapeutiques :
-
Rôle
de médiateur, du chien, entre les patients et les soignants.
-
Valoriser
le patient car le chien obéit aux ordres simples.
-
Permettre
au patient de se projeter dans un avenir proche en programmant la prochaine
sortie avec le chien.
-
Investir
un espace autre que l’environnement du service en tenant compte de la présence
de l’animal.
-
Apprendre
ou réapprendre le comportement adapté face à la circulation des véhicules, face
à la présence du ou des chiens.
-
Permettre
un type de relation sensorielle avec l’animal.
-
Responsabiliser
le patient car tenir le chien en laisse, c’est être « responsable »
du chien.
-
Se
détendre par le jeu avec l’animal.
-
Diminuer
le stress.
-
Evacuer
l’angoisse car le chien est facteur d’apaisement.
-
Eliminer
une énergie pouvant se transformer en agressivité par l’effet modérateur du
chien.
-
Effet
« antidépresseur » naturel du chien.
-
Faire
travailler la mémoire par les souvenirs que le chien réveille.
-
Permettre
au patient de le ramener à la réalité.
-
Etc…
L’on
voit ainsi que l’éventail des bénéfices est très vaste et non limitatif.
Une
évaluation individuelle et groupale est effectuée après chaque séance et
retranscrite dans le dossier de soin du patient. Les collègues de l’équipe sont
aussi informés oralement du déroulement et des résultats des séances. Des
évaluations périodiques sont aussi régulièrement effectuées lors de réunions pluridisciplinaires.
L’activité
se pratique soit dans l’enceinte du grand parc arboré de l’hôpital, soit en
sortie nature, à l’extérieur de celui-ci. La proche région est en effet propice
au dépaysement de par la diversité de ce qu’elle propose : étangs, lacs,
rivières, forêts et montagnes. Les sorties en ville ne sont pas oubliées,
surtout lors des marchés de Noël.
Les
patients ne pouvant pas quitter l’unité de soins peuvent, eux aussi, bénéficier
des bienfaits de la Cynothérapie, puisque les chiens accèdent au service et y
ont même leur « salle de repos ».
Tous
les chiens ont passés une série de tests afin de vérifier leur caractère et
leur comportement par rapport à l’activité. Ils ont ainsi été soumis à la
présence de personnes étrangères les manipulant, partant avec eux en laisse,
leur donnant des ordres simples. Les jeux et le brossage ont fait partie des
tests, tout comme la réaction face à du matériel hospitalier inconnu ou encore
à une agression… Ces tests n’ont pas été faits à la légère, puisque je suis, en
plus de mon travail d’infirmier, moniteur en éducation canine et formateur
auprès de
Une
visite vétérinaire individuelle de chaque chien fut aussi faite afin de
vérifier le bon état sanitaire et comportemental de l’animal. Celle ci est
renouvelée une fois par an, lors de leurs revaccinations. Cela assure un suivi
officiel et continu des chiens.
Du
fait de leur emploi « d’outils thérapeutiques », les chiens sont
assurés par l’hôpital au cas où un incident viendrait à survenir. Pour
l’instant, nous n’en avons pas eu de notables à signaler.
Concernant l’hygiène, le fait d’introduire des animaux
dans un hôpital ne pose pas de réels problèmes, à partir du moment où certaines
précautions sont prises. Une concertation avec le Comité de Lutte contre les
Infections Nosocomiales reste néanmoins nécessaire.
Il
est indispensable que les chiens puissent régulièrement se reposer. Leur effet
d’« éponge affective » étant bien réel, il est nécessaire d’alterner
temps de travail et temps de repos afin de les préserver. Toute utilisation
« intensive » d’un chien dans ce type d’activité est à proscrire sous
peine de voir celui-ci refuser un jour de revenir travailler car il aura
dépassé son seuil de tolérance. Le « burn-out » syndrome n’existe
pas que pour les humains…. Qu’on se le dise !
Ce
qui plaît le plus aux patients, c’est que le chien, lui, ne les juge pas. Il va
vers eux, spontanément, sans a priori, quelque soit leur état. Ce qui n’est de
loin pas le cas de certains de leurs semblables « humains »… Il est
toujours agréable d’entendre dire d’un patient que « … quand je suis avec les chiens, j’oublie que je suis
malade… » ou de voir le visage d’un autre patient, incapable de
s’exprimer, s’illuminer au contact du chien…
En
deux ans et demi de pratique, ce sont plus de 200 journées de Cynothérapie qui
se sont déroulées sans encombre. A ce jour, il y a eu plus de 1200
participations avec près de 250 patients différents.
Depuis
peu je m’aventure aussi en Géronto-psychiatrie avec des résultats probants. Et
pourquoi pas, dans un futur que j’espère proche, intégrer la Cynothérapie aux
autres activités thérapeutiques déjà proposées au « Pavillon des
activités » ou alors intervenir dans d’autres services de l’hôpital comme
la Pédopsychiatrie ? L’avenir me le dira car les demandes existent et une
kinésithérapeute, lors d’une intervention dans le service, semblait très
intéressée après m’avoir « empruntée » une de mes chiennes pour faire
réaliser des exercices à une patiente. Celle-ci était opposante et refusait de
faire les mouvements demandés. Le fait d’intégrer Arbois aux exercices a permis
leur réalisation…
C’est bien la preuve, pour ceux qui en douterait
encore, que les animaux peuvent grandement faciliter la relation
soignant-soigné. De plus, les bénéfices apportés par la présence animale
n’étant plus à démontrer, il est tout a fait souhaitable que cette activité se
développe.
J’aurai
de nombreux autres exemples à vous citer mais je vais me limiter à ceux-ci :
Un matin, dans le parc, alors que
j’accompagnais deux patients promenant U2 et Prisca, un patient d’une autre
unité, qui devait mesurer 1m90 pour
Un
après-midi, lors d’une sortie dans le parc, un patient promenait U2 en ma
compagnie. Un petit groupe de personnes se dirigeant vers la maternité nous a
croisés. Ces personnes se sont étonnées de la présence de ce grand chien dans
l’enceinte de l’hôpital et nous ont donc apostrophés à ce sujet… Que
croyez-vous qu’il se passa ?… C’est le patient, lui-même, qui expliqua aux
visiteurs, tout en leur faisant caresser le chien, que c’était une activité
thérapeutique mise en place pour des patients, hospitalisés en psychiatrie,
afin de renouer un contact avec l’extérieur. Il leur donna des explications
cohérentes et pertinentes alors que moi je ne manifestais rien. Le plus intéressant
dans l’histoire fût alors de regarder l’expression de ces gens qui cherchaient
à savoir, sans oser le demander, qui était le patient et qui était le
soignant…. Et bien, ils ne l’ont jamais su, même si je pense, à juste titre,
qu’ils ont crûs que c’était moi !
J’ai
aussi été confronté plusieurs fois au fait de devoir annoncer le décès de
Pitchoune à des patients ré-hospitalisés et qui me demandaient, dès leur
arrivée, comment allaient les chiens. Il était touchant, d’autant plus que ces
personnes n’allaient pas très bien, d’en voir certaines se mettre à pleurer ou à
bredouiller quelques mots de condoléances… Comme quoi, même une petite boule de
poils de 6 kilos avait réussi à les marquer et à rester gravée dans leur
mémoire.
L’activité
connaît un nouvel essor avec Bianca, une jeune femelle Huskie appartenant à
Jessica, une collègue infirmière, qui intervient dans une autre unité fermée
d’un autre secteur de psychiatrie adulte
du même hôpital. Et Marine, une femelle Labrador appartenant à Nathalie,
collègue infirmière elle aussi, aurait prochainement dû aller rendre visite à
domicile aux patients dans le cadre de leur suivi. Malheureusement, même si
elle a passé avec succès tous les tests, elle risque fort de ne jamais démarrer
l’activité puisque sa « patronne d’infirmière » vient d’être promue
comme Faisant Fonction Cadre dans une autre unité… Peut-être l’accompagnera
t’elle dans ses nouvelles fonctions ? Qui sait ? C’est une affaire à
suivre…
Eric TRIVELLIN,
http://sites.estvideo.net/cynotherapie/