Colloque de Lyon Voile et psychiatrie " BRETONS A BABORD, EN AVANT COALA ! "
Certains savent qu’il est possible de faire de la psychiatrie sans voiles, d’autres savent qu’on peut faire de la voile sans psychiatrie mais tout le monde vous dira qu’il est inconcevable de faire de la voile sans vent et nous vous diront qu’il est fort souhaitable de se poser quelques questions pour accorder Voile et Psychiatrie.
De la voile sans vent, ça ne ressemble à rien, qu’à de la fichue calmasse, de la désespérante pétole.
De la psychiatrie sans questions, c’est la même chose, ça tourne en rond.
Oui il nous faut du vent, car c’est le souffle qui nous fait avancer le bateau.
Oui, nous avons besoin de questionnement car ce sont les échanges qui font avancer la pratique en psychiatrie.
Le souffle c’est bien là l’essentiel tout simplement, c’est à dire le Sens que nous mettons ensemble dans les activités nautiques que nous partageons avec les personnes souffrant de troubles psychopathologiques.
Autrement dit, il s’agit pour un marin de savoir qu’elle est sa destination, c’est à dire ce qu’il y a derrière l’horizon.
Ne nous leurrons pas, la mer, la voile, ne sont pas thérapeutiques en eux-mêmes, ils ne sont que des outils, des médias dans une relation précise qui permet l’élaboration éventuelle d’un travail thérapeutique ou d’un travail d’accompagnement.
Et comme pour tous les outils ce qui importe c’est la façon de s’en servir : ainsi un marteau, c’est un très bon outil pour enfoncer des clous, mais si vous vous tapez sur la tête avec, ce n’est sûrement pas le marteau qu’il faut remettre en cause.
Il en est de même pour une manivelle de Winch, c’est efficace pour régler une voile, mais l’usage peut être très discutable, si celle-ci est utilisée pour houspiller les équipiers d’un bord à l’autre pour virer vent debout et tenter de gagner une place de régate (ça c’est vu, vous en êtes juges).
Voilà pourquoi il est, je crois, important de se mettre d’accord sur le sens des mots : la voile c’est comme un marteau, ça n’est qu’un outil.
Au passage, soulignons qu’il faut sans doute être un peu marteau pour s’engager dans une telle galère et faire naviguer la nef des fous.
Quand " Sports en Tête " nous a proposé d’organiser " Voile en Tête 1998 " avant d’embraquer sur les écoutes, nous avons pris notre respiration pour mettre en perspective ce que signifiait l’organisation d’un tel événement dans notre pratique professionnelle auprès de malades mentaux.
Ce temps de réflexion était d’autant plus nécessaire que nous devions définir à 4 établissements très différents un projet commun qui tienne la marée.
D’emblée, il faut souligner que nos directions respectives nous ont accordées une totale confiance et données carte blanche pour assurer la responsabilité de la réalisation du projet.
Dans le monde de l’entreprise on parle de management par projet lorsque les acteurs doivent répondre de la réalisation d’objectifs préalablement définis.
Nous leur sommes gré d’avoir posé ainsi les règles du jeu.
Mais qu’est ce qui nous fait courir ?
Question simple en apparence, mais ce ne fut pas si facile de se mettre au diapason sur ce qui peut sembler des évidences, une fois formulées.
Comme dirait l’autre, cherchons l’implicite de nos pratiques pour rendre explicite notre projet ou, si vous préférez, il faut toujours mettre en place le gouvernail avant les voiles (vieux proverbes bretons du VIIIe siècle).
Petit à petit, ce qui s’est dégagé de ce travail préliminaire, c’est que, par delà les différences de nos quatre établissements nous avions en commun un état d’esprit COALA, et que nous avions envie de faire passer ce message qui n’est pas seulement professionnel mais essentiellement citoyen et solidaire.
" Nous sommes tous sur le même bateau "
Nous étions également convaincus que si nous voulions faire passer ce message, il fallait que la forme soit aussi soignée que le fond. En effet, depuis Marshall Macluhan nous sommes persuadés que le message c’est le média et même que le média c’est le massage…….
C’est à dire que chaque détail compte et que la forme, la façon de faire, dévoile parfois beaucoup plus de choses que ce qu’on a voulu explicitement y mettre.
Et c’est la force des choses qui nous a insufflé cette façon de voir.
" Small is beautiful " pourrait-on s’écrier, car c’est comme ça que tout à commencé.
Il était une fois de tout petits C.A.T. (de trente ouvriers) si petits qu’ils leur étaient difficile de proposer des loisirs ou des activités d’un peu d’envergure.
Quand on n’est pas fort, il faut être malin disait le marin assis au bout du port et c’est ce qui nous a motivé.
Quand on est trop petit pour faire tout seul, il faut, question de survie, trouver des partenaires, créer des synergies, et faire fonctionner des réseaux.
C’est donc initialement de la faiblesse de nos moyens qu’est née l’idée de COALA, que nous nous sommes mis à " reseauner " (comme dit Y. MORVAN) et paradoxalement c’est ce qui fait la force de COALA.
COALA c’est aussi une pratique de l’accompagnement.
En d’autres mots, c’est un rôle bien modeste ou l’art est celui de s’effacer, pour laisser l’autre agir, surtout ne pas faire à sa place.
Pour cela, il faut mettre en place des situations, il faut baliser, donner des repères pour que l’autre se sente en confiance et qu’il réussisse. Voilà… Voilà….
Aussi ce qui nous importe quand nous organisons " Voile en Tête " c’est que toutes les personnes embarquées puissent participer à leur mesure et être actrices tout au long de l’expérience.
Cette idée force sera notre leitmotiv pour construire notre version de Voiles en Tête.
Après trois participations successives à Voiles en Tête, il nous est apparu de plus en plus clairement que la régate pure était une formule où les personnes que nous accompagnons n’y trouvaient pas entièrement leur compte.
Autant nous apprécions la régate dans le cadre des entraînements d’hiver ou lors des régates locales ou des courses ouvertes à tous, autant nous avons des doutes lorsque la confrontation concerne des équipages avec des pathologies très différentes et surtout des niveaux de pratiques de la voile trop éloignés.
Le sport spectacle, la compétition comme modèle de société on a déjà donné, et il faudrait peut être pas nous refaire le coup des Goldens Boys, toujours prêts à monter sur le dos des autres pour se faire une place sur le podium et nous présenter le tableau peu réjouissant des gagnants contre les perdants.
Car en chacun de nous la bête sommeille et reviens vite au galop, nous avons ainsi vu en tant qu’organisateur :
Qu’on ne se raconte donc pas d’histoire, il y a des versions compétitions qui ne méritent pas vraiment qu’on s’y attarde.
Il faut souligner aussi que les gens que nous accompagnons sont tous quelque part des gens qui ont perdus ou refusés de courir dans la compétition sociale, c’est n’est peut être pas le moment de leur refaire le coup du " pousse toi de là que je m’y mette ".
L’esprit de jeu d’abord, c’est toujours d’avoir à l’esprit que ce n’est qu’un jeu, et un jeu qu’on joue ensemble.
Ensemble, ce mot est capital, car c’est l’esprit d’équipe qui nous intéresse.
Car il ne faut pas oublier qu’un bateau moderne avec Winch et Enrouleurs, se manie aisément à deux, voire tout seul.
Aussi si nous voulons que tous participent à la manœuvre, il faut le vouloir ou que cela soit institué dans la règle du jeu, c’est le sens de la formule rallye que nous avons imaginé cette année.
Car, que n’a t’on pas vu de " soignant ne lâchant jamais la barre, car c’est une chose trop sérieuse monsieur, pour être laissé à des mains moins expertes "
Ben voyons !
Il est à noter que beaucoup de skippers pros ont au contraire entièrement compris l’enjeu et d’emblée confié la barre aux soignés en faisant tout pour les rassurer et les encourager même dans les situations délicates.
Nous tirons notre chapeau aux skippers qui ont tout particulièrement su associer au maximum leur équipage à la marche du bateau. Les valeurs de partage, d’attention aux autres sont sûrement quelque part aux antipodes de l’univers macho du sport à médailles.
Du Nous pour dire " je " : l’accompagnement social…
Les personnes que nous accueillons, à cause et par delà leur pathologie, et donc souffrance particulière, sont toutes en panne de relations sociales ou pour le moins en difficultés dans leur rapport avec les autres.
Or, de façon classique, nos représentations font que l’on met d’un côté l’individu et de l’autre la société.
La division des soins a d’ailleurs été fondée sur ce partage simpliste : l’individu dans son unicité, dans ses souffrances singulières relève de la psychologie ou de la médecine et la personne, elle, vue comme membre d’une famille, comme partie d’un groupe de travail, comme membre d’une communauté, relève de la sociologie ou à défaut de l’assistante sociale.
Dans notre pratique, tout nous montre que c’est bien plus complexe que cela, et que contrairement à l’idée communément admise le " je " (ou le " moi " si vous préférez) n’existe pas dans sa singularité, comme ça en tombant des étoiles, mais se construit par rapport à un " nous ".
C’est l’expérience de ce " nous " par le groupe ou la famille, le groupe de travail, le groupe de sport et aussi la Bretagne, l’Europe, le Monde qui fait l’individu.
Chacun de nous peut éprouver cela, quand, même sans aimer le foot, quelques ballons dans le filet, redonne du cœur à tout un peuple et nous montre qu’il y a du lien social en œuvre et qu’avec Zidane ou Khaled vous fredonnez Aïcha.
C’est aussi ce genre d’émotion que nous pouvons partager quand un gros ballon Suisse, piloté par un psychiatre qui ne manque pas d’air, fait le tour de la terre pour nous montrer que nous vivons sur une petite planète, et que solidaires, on peut aller très loin ensemble.
Notre travail d’accompagnement repose sur cette nécessité qu’à tout individu de participer à une collectivité qui le dépasse.
Quiconque sachant danser dans un fest-noz comprendra que c’est de l’énergie collective que chacun peut trouver sa place, et ressentira profondément le sens de ce travail d’accompagnement qui vise d’abord à créer du " nous " pour faire éclore du " je " et pourquoi " Voiles en Tête " est un jeu pour dire nous.
" Voiles en Tête " est donc un moyen parmi d’autres, pour faire vivre aux personnes que nous accompagnons une expérience de solidarité humaine dans une situation qui appelle un engagement émotionnel fort.
C’est par cette participation affective fondamentale au groupe communautaire que l’individu va vibrer, ressentir du désir et peut être exister en tant que personne. (sujet acteur).
Ce que nous mettons en œuvre, c’est la création d’émotions et de vécus communs partagés.
En tant qu’organisateur nous avons essayé de mettre dans le coup le maximum des personnes que nous accompagnons pour participer activement à cette mise en commun d’énergie, et à cette connexion sur de multiples réseaux sociaux.
C’est cette dimension de rencontres entre différents milieux sociaux qui nous a passionné en organisant " Voiles en Têtes ".
Faire se rencontrer les grandes Toques de la presqu’île pour goûter les Fars cuits au four du bord, c’est tout un poème, faire se rencontrer les enfants des écoles locales avec les ouvriers du C.A.T. pour leur présenter l’exposition de " l’art salé ", faire se rencontrer les messieurs du yachting local avec les patients des grands hôpitaux, faire se rencontrer des ouvriers de C.A.T. avec des Suisses, des trisos avec des skizos, des paranos avec des régatos, des bateaux avec des bateaux, et des zazas avec des zozos.
C’est tout ce brassage d’horizons et de temps différents, qui nous a ravi le cœur. Que de moments de bonheur !
Voir Thierry Dubois à la barre du Sinagot, voir ce mélange de voiles rouges de nos grands parents et les voiles blanches d’aujourd’hui, voir les marins de la S.N.S.M. danser avec un papillon blanc sur les rythmes endiablés des djembès, voir Monsieur le Maire enfiler le tee shirt " bouge de là ", et voir les larmes de bonheur de l’équipe d’Esquirol chérissant le trophée brillamment remporté.
C’est tout cela, j’en passe et des meilleurs, qui nous a fait chavirer le cœur et qui nous fait dire avec les jeunes beurs, que la vie, la société c’est comme une mobylette, il lui faut du mélange pour avancer.
Et nous reprendrons en chœur avec Thierry Dubois, Solidaire ça c’est clair.
Nous y retournerons, ça c’est sûr.
Serge Cottin
Le 19 novembre 1999