Passages
« Transformer les compositions d’ordre en composantes de passages ».
Introduction,
Sans revenir sur les stigmatisations, parfois justifiées, de l’hôpital de Cery prenant acte des mesures de contention qui s’y pratiquaient encore, l’ensemble des équipes soignantes ont mis à l’ordre du jour le passage d’une tradition de prescription à une pratique de partenariat avec les patients. La transition fut difficile, embourbés que nous étions dans des représentations de la dangerosité des patients qui nous empêchaient de penser d’autres façons de nous situer dans ces contextes éminemment traumatiques. Nous avons dû apprendre à la partager avec des patients, habitués du cadre ancien, qui ne comprenaient plus ce que nous voulions faire et qui s’angoissaient de ce manque de compréhension des nouveaux repères qui ne se dessinaient encore qu’en filigrane. C’est dans ce cadre que la section «E. Minkowski», dont l’activité est dirigée vers les soins à donner aux patients souffrant de troubles du spectre de la schizophrénie, a mis sur pied un outil de négociation avec le client décompensé et qui justifie, dès son admission, d’un cadre de soins adaptés, la chambre de soins intensifs. C’est l’évaluation que nous en avons faite que nous vous présentons après six mois de pratique.
Du Protocole au Contrat
Il existe pour l’ensemble des sections hospitalières du département universitaire de psychiatrie adulte un protocole de contention et d’isolement qui permet de faire face dans l’urgence et pour un temps le plus limité possible à toute agressivité débordante d’un patient. Après ce moment nous n’avions pas d’outils pour en sortir et donc nous ne savions comment passer d’une phase où le rapport de force est prédominant à une autre dans laquelle le patient pourrait collaborer à sa prise en soins. Un des postulats qui nous guidait était que cet outil, en installant un espace contrôlé de négociation, pouvait permettre d’éviter au maximum les montées en symétrie, source de tous les affrontements d’antan.
Nous nous sommes donc attelés à cette tâche qui a duré presque une année; le changement de paradigmes ne se métabolise pas par un claquement de doigt et il était nécessaire que chaque soignant de la pluridisciplinarité en porte, à sa façon, le projet. D’abord l’écriture d’un protocole, non plus dans le sens du passage obligé dans nos rapports avec les patients, mais dans celui des raisons cliniques d’adopter cette nouvelle stratégie. Notre déclaration de principe était claire:«Notre choix de privilégier, dans le cadre nouveau d’ouverture des divisions, la dimension contractuelle, même à minima pour des patients fortement décompensés, réoriente la prise en charge plus du côté de l’alliance et du soin avec le patient que du côté de l’isolement contentif. Cela ouvre à la nécessité de définir un cadre précis et riche d’éléments favorisant l’accompagnement rapproché et structurant du patient, différent d’un strict cadre de gestion et de réponse à la violence». Les indications et contre-indications étaient clairement énoncées, les espaces et les temps clairement circonscrits, les conditions de négociations élucidées. Puis l’élaboration d’un contrat dont chaque point, - objectifs du soin en chambre de soins intensifs, information de la famille, médication, temps postulé, confort hôtelier, prestations médicale, infirmière et sociale, approches corporelles, condition de réussite ou de rupture du contrat, appel à un cadre médical hors de la section en cas de séjour dépassant 7 jours -, pouvait faire l’objet d’une négociation avec le patient. Cela supposait de construire un outil commun que chaque négociation pouvait rendre singulier, contrairement à la tradition qui dictait des conditions identiques pour chaque patient (cure de neuroleptiques en injections intra-musculaires pendant 7 jours matin midi et soir, par exemple).
Nous avons ajouté à ce contrat et pour en valider la dimension partenariale, la possibilité pour le patient de le signer ainsi que l’opportunité de remplir, après cette prise en charge, sa propre évaluation de son séjour en chambre de soins intensifs. L’introduction du terme "contrat" en lieu et place de celui de "protocole" n’était pas encore une évidence, de même que l’évaluation par le patient de la qualité du soin. Remarquons le simplement, nous avons tenté de changer de paradigme, la présente évaluation a pour fonction de nous montrer en quoi nous y avons réussi et en quoi il nous reste un chemin à parcourir. Ajoutons pour être tout à fait complet qu’elle a été réalisée par l’équipe infirmière (signe d’un souci particulier des infirmiers à cette prise en soins complexe) et que nous en avons discuté avec l’ensemble de la pluridisciplinarité lors d’un colloque prévu à cet effet.
Evaluation
Elle porte sur 24 contrats concernant 16 patients des divisions Aster et Azur. 9 patients sont concernés par un contrat, 6 patients par deux contrats et un patient par trois contrats. Pour les multi-contrats, ils ont été passés les uns à la suite du premier.
Elle couvre la période qui va de décembre 99 à avril 2000. Si pour avoir une idée approximative de l’importance de ce dispositif dans l’ensemble des soins, nous le comparons, pour les mois concernés, au nombre d’admissions pour les deux divisions hospitalières, nous arrivons à une proportion de 13,3% de patients admis concernés par les chambres de soins intensifs.
Nous ne savons évidemment pas si nous disposons pour ce faire de l’ensemble des contrats passés (l’archivage systématique n’est pas encore entrer dans nos moeurs). Nous n’avons pas dépouillé ces données selon l’axe du temps, des premiers contrats au derniers, l’hétérogénéité des partenaires (médicaux et infirmiers) étant telle que ce facteur n’aurait pu être significatif qu’à la condition que quelques membres de l’équipe pluridisciplinaire soient seuls partie prenante de la mise en place de ce setting pendant les six mois choisis. Le nombre relativement faible de contrats rendait, de surcroît, peu crédible toute tentative de dessiner des tendances (contrat plus clair, objectifs plus adéquats, etc.) dans quelques directions que ce soit.
Nous n’avons pas non plus de point de comparaison puisque nous inaugurons cet exercice.
Enfin le nombre des réponses par item ne correspond pas au nombre des contrats car tous les items ne sont pas remplis. Là encore cela renforce l’aspect hypothétique des résultats; de plus on peut postuler que ce qui est écrit n’est pas toujours fait et que ce qui est fait n’est pas toujours écrit.
Analyse
Si nous reprenons le contrat point par point afin de nous faire une idée plus précise de ce qui a pu se passer pour l’ensemble des acteurs.
Pour les objectifs, ils correspondent de façon adéquate aux fonctions d’un tel soin dans le protocole en ce qui concerne la recherche d’une bonne compliance médicamenteuse et d’un cadre hypostimulant (54%); ils intègrent de façon significative (37,5%) les dimensions de l’agressivité (hétéro et auto) sans en faire la dimension principale; ils signalent le risque de fugues (20%), indication qui nous pose la question de notre rôle soit comme gardien (voir la tradition de contrôle social que l’hôpital psychiatrique joue dans nos sociétés) soit de garant de la compliance médicamenteuse pour des patients opposés au traitement pharmacologique.
Pour l’information faite à la famille et au réseau (tuteur par exemple), il semble au vu du pourcentage (58%) qu’il nous reste un effort à faire pour valoriser cet interface qui est une condition importante d’une meilleure lisibilité de nos pratiques soignantes envers l’extérieur.
La médication devait à l’origine se calquer sur l’idée simple de la cure par injections intramusculaires. Il apparaît que les prescriptions sont beaucoup plus nuancées tant dans la durée (séjours courts), que dans le mode de prise (52% injectable, 25% per os et 19% mixte). Signe très positif que ce setting permet à chaque fois de valoriser des solutions alternatives adaptées à chaque patient.
La durée du séjour en chambre n’est pas systématiquement précisée mais majoritairement les contrats sont de trois jours et moins (66%). Nous savons qu’ils sont utilisés pour des admissions avant le week-end (du vendredi au lundi) pour prévenir tout risque de dérapage en l’absence de personnel suffisant. Le problème semble plus compliqué pour les patients qui ont bénéficié de plusieurs contrats puisqu’il semble que nous ayons eu, alors pour eux, de la difficulté à prévoir un temps de séjour adapté aux objectifs fixés.
Les conditions d’aménagement du cadre quotidien répondent à des habitudes claires puisque la chambre est fermée (95%), les repas sont pris en chambre (90%), la radio, baladeur et natel sont proscrits (95%). Par contre les conditions de confort sont plus discutées, 36% des contrats maintiennent les conditions optimales (lit normal, table de nuit), contre 64% qui retirent les objets jugés dangereux. Les visites des familles, sans que les raisons d’une position ou de l’autre soient explicitées vont de l’acceptation (42%) au refus (56%). Enfin les sorties de la chambre indiquent une plus grande ouverture (54% contre 46%).
Les entretiens médicaux se font le plus souvent une fois par jour (77%), les entretiens infirmiers plutôt deux fois (61%), sans que pour les infirmiers encore nous puissions analyser la fonction des entretiens par rapport à la présence importante au côté des patients (60%, une visite toutes les heures).
L’absence (une seule prescription de packs et deux massages) des approches corporelles est le prix que nous payons à la tradition de la clinique qui réservait cette prestation au service de physiothérapie.
Les deux paragraphes sur la fin et la rupture du contrat sont très peu remplis (21%). Notre capacité d’anticiper sur des possibilités de réussites rapides (fin) ou au contraire sur des problèmes importants (rupture) serait un gage de bonne information et de meilleure compréhension du patient.
La signature du patient est absente (62%) le plus souvent. Une rubrique "refus"aurait l’avantage de nous indiquer si la question de son paraphe lui a été posée ou non.
Même si l’appel à un cadre extérieur pour les séjours dépassant les 7 jours a mis en évidence la difficulté à s’adresser à quelqu’un hors section, il s’est fait systématiquement chaque fois que la situation l’imposait.
La fiche d’évaluation, remplie par treize patients sur seize, est un outil statistique tout à fait intéressant. Si l’on regroupe chaque item selon deux estimations, plutôt oui et plutôt non, il est possible de dire que l’information préalable du patient sur les conditions de son séjour en chambre de soins intensifs (69% de plutôt oui) est déjà relativement bonne; le sentiment d’être bien entouré domine (76%), l’utilité du soin reçoit une approbation nette (91%), le sentiment du confort (66% plutôt positif) est contrebalancé par le sentiment que cette situation reste le plus souvent insupportable (53%). L’hypothèse d’un renouvellement de cette situation en cas de rechute future rencontre un accord net pour (50%) et à condition (33%).
Enfin douze patients interrogés ont pu associer trois noms à l’expérience vécue, selon des registres très divers qu’il nous semble difficile de sérier. Nous pouvons toutefois en donner quelques axes, celui de la révolte (injustice, colère, rage), celui de l’insécurité (honte, peur, compromis), celui de la satisfaction (réussite, tranquillité, confortable, repos, calme) Un seul patient n’a pu associer trois mots.
Conclusion
Il s’agit bien d’une évaluation qui constitue pour nous une première tant au niveau de l’objet traité que de la méthode. Nous acceptons d’en améliorer sensiblement la pertinence au fur et à mesure de la multiplication de nos expériences. Toutefois et sans nous masquer le chemin encore à tracer, il semble que cette contractualisation du soin intègre mieux les attentes de la clientèle et présente à ses yeux une efficacité réelle. Il semble que nous ayons eu relativement peu d’échecs patents (rupture violente du cadre fixé, fugue). Ainsi nous avons retrouver un certain plaisir à prendre en soins ces patients puisque ne s’engage plus avec eux d’emblée une épreuve de force que nous étions, des deux côtés, incapable de valoriser. Quand nous les écoutons maintenant, dans les groupes de paroles, ils témoignent des changements de leurs conditions d’hospitalisation et s’en disent plutôt mieux, même si leurs nouvelles responsabilités leur font parfois un peu peur. Le soignant qui décidait de tout est passé de mode. Les pourcentages faibles de certains items mettent en évidence les points sur lesquels nous devons porter notre attention. L’ensemble des équipes ne relâche pas ses efforts.
L’équipe infirmière de la section «E. Minkowski»