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Du consentement .... à l'isolement

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Dr. M WINDISCH

Le thème de la chambre d'isolement nous concerne tous, c'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles 450 personnes se trouvent aujourd'hui réunies pour travailler ensemble.

C'est une journée clinique pluridisciplinaire, les identités professionnelles sont nombreuses et variées, mais nous avons des points communs : la pratique du soin, la clinique soignante, la relation soignant soigné.

Le Docteur Simon BEGIN du Centre Hospitalier Régional de RIMOUSKI au Québec, décrit cette chambre : " idéalement, il s'agit d'une pièce sécuritaire définie par un plafond haut, vide de tout objet, tant sur les murs qu'au sol avec possibilité d'observation à travers une vitre incassable. Elle est faite de matériaux ignifuge, avec des murs lisses ou capitonnés. Elle doit avoir une bonne ventilation et un système d'éclairage qui n'est pas accessible au patient. La porte y donnant accès ne se verrouille que de l'extérieur." Pourquoi cette description ?

Dans d'autres pays, en particulier Outre Atlantique et en Grande Bretagne, on a vu apparaître des textes de loi qui légifèrent sur l'utilisation de la chambre d'isolement. Nos collègues ont été contraints d'écrire, de décrire, de définir l'environnement du soin et la qualité du soin parce qu'ils se trouvaient confrontés à des situations médico-légales.

Notre démarche a-t-elle été différente ?

Nous avons été confrontés à des situations auto-agressives de patients mis en chambres fermables ou chambres ouvrables.

....Ou chambres d'isolement, uniquement la nuit.

Nous avons été concernés par des passages à l'acte suicidaires.

C'est donc la clinique qui nous a poussé à penser, à rêver, à écrire, et peut-être à légiférer.

Pourquoi décidons-nous d'envoyer de transférer, ou d'installer le patient en chambre d'isolement ?

A la suite d'un passage à l'acte agressif, à l'égard d'un malade, à l'égard d'un membre du personnel, ou encore à la suite d'un passage à l'acte auto-agressif.(l'automutilation, par exemple)

La décision de la mise en chambre d'isolement dans ces cas se fait le plus souvent à l'unanimité de l'équipe soignante présente lors de l'épisode de violence.

Mais pour combien de temps et dans quelles conditions le patient devrait-il rester dans cette chambre ?

Doit-il y être en pyjama, sans cordon de pyjama, sans chaussures avec des souliers en papier, avec un casque protecteur, des ceintures avec poignetières, des ceintures de sécurité, des côtés de lit, des couches avec lanières, des chevillères en cuir, peut-il fumer, peut-il avoir un poste de radio ?

Les avis sont partagés, l'équipe soignante à son fonctionnement, équipe du matin,... de l'après-midi, de nuit et malgré le travail inter-équipes l'unanimité s'effritera.

De toute évidence les contre-attitudes sont diverses.

C'est donc que chacun d'entre nous vit difficilement l'enfermement de l'autre : le malade.

En accord ou en désaccord avec la décision du médecin responsable de l'unité de soins, chacun, je dirais :"se débrouille "pour y penser ou y rêver, et s'il existe un moi professionnel il permet de se défendre.

J'illustrerai ce point en évoquant une vignette clinique relative à la formation du soignant :

Dans un groupe BALINT- dont j'étais l'animateur-, l'infirmière d'un service de chirurgie évoquait une situation qui la rendait mal à l'aise : "je n'aime pas préparer la peau avant l'intervention chirurgicale quand il s'agit des hommes, alors je demande toujours à ma collègue de le faire à ma place, moi je m'occupe des femmes."

Une autre nous dit : "moi, je n'aime pas cela, mais quand j'y suis obligée je ne regarde pas ce que je fais." ( et le groupe éclatait de rire).

Une autre dit encore : " Moi, je parle en permanence au malade, comme ça je ne pense pas à ce que je fais."

J'ai essayé de montrer, comment le soignant se défend, et c'est normal de se défendre.

En psychiatrie, dans les situations difficiles, nous sommes d'abord abattus sous le poids des circonstances parfois dramatiques, puis nous sommes tous très animés et concernés, et nous prenons la décision de nous occuper de notre patient, mis alors dans la chambre d'isolement.

Qui décide, qui accepte, qui consent ?

C'est là que je veux en venir, qu'en est-il du consentement ?

Au risque de vous surprendre, c'est du consentement du soignant dont je voudrais vous entretenir :

Curieuse position que celle du soignant en France en 1996 :

Les textes de loi ont changé, il n'y a plus d'aliéné, il n'y a plus de placement ; le patient, le malade est hospitalisé d'office ou sur demande d'un tiers et les instances légales nous contraignent à le soigner.

C'est donc par délégation de la société, que l'Etat, par l'intermédiaire du préfet de police, nous oblige à assurer les soins au patient, dangereux pour lui même, et pour la sécurité des personnes et l'ordre public.

Dans d'autres circonstances, nous même soignant nous décidons cette mise en chambre d'isolement et nous portons atteinte à la liberté du malade.

Nous sommes les seuls avec le juge à posséder de tels pouvoirs.

Mais si nous agissons ainsi c'est parce que nous pensons que la contrainte est thérapeutique.

Et elle est thérapeutique, parce qu'elle se situe au sein d'un contrat de soins. Il existe un contrat entre le malade et nous-mêmes, le contrat c'est l'échange de consentement.

Ce consentement, pour être valable doit répondre à 4 conditions de l'article 1108 du Code Civil, je citerai 2 d'entre-elles

Le consentement ne doit pas être atteint par un vice :

w L'erreur qui est la représentation inexacte de la vérité.

w La violence exercée en vue d'obtenir un consentement forcé.

Or, l'objet du contrat de soins est le corps du patient, et la maladie est une cause licite d'intervention sur le corps humain.

Existe-t-il des contrats à consentement variable ?

Je dois ici évoquer, le travail du Professeur Kress, de Brest, présenté lors de l'Euro-Conférence de Berlin en septembre 1995, à propos du consentement informé en psychiatrie.

Dans le rapport français, à propos de maladie mentale et de volonté autonome, il est dit que "le refus peut être dans certains cas, la conséquence du trouble mental ou de la volonté de la personne"....A qui, à quoi imputer le consentement ou le refus ? Est-il la conséquence du trouble ?

La psychopathologie nous enseigne néanmoins comment le sujet participe à son trouble, y est partie prenante aussi bien par le consentement que par le refus.

Le rapport anglais évoque clairement la participation de l'inconscient du patient et cite cette formule "Ne me donnez pas ce que je demande, mais ce que je veux" pour évoquer le clivage du psychisme dont la réflexion éthique doit tenir compte.

Si cette contrainte est thérapeutique, énonçons des règles de son utilisation :

1 - La contrainte ne peut être qu'une indication clinique et individuelle.

2 - "Libérer" le malade ou le laisser libre de ses actes et de mouvements, au nom de la liberté serait peut-être pour lui-même une contrainte considérable, et pour nous une négation de la maladie, une telle position clinique serait pathogène et pourrait être taxée "d'externement arbitraire".

3 - L'isolement ne peut être utilisé comme une sanction, quoique les canadiens ajoutent, sauf dans le cadre d'un programme thérapeutique où le patient ou son représentant doit donner son consentement libre et éclairé.

Mais qu'advient-il du consentement du malade ou encore du consentement éclairé du malade lorsqu'il est agité, ivre, délirant ou paranoïaque ?

Soyons honnête, dans l'urgence, il n'y a pas plus de consentement éclairé du malade qu'il n'y a d'information qui parviennent au patient avec clarté et intelligence.

L'obligation de soins s'applique à une situation où le contrat au sens juridique ne peut exister.

La charte des Droits du malade nous conduit, quelque soit le soin, à informer le patient.

Cependant, il ne s'agit pas là de " COMMUNICATION" : la communication, ou les techniques de communication ne sont-elles pas les meilleurs outils contra-phobiques de la relation à l'autre.?..et peut-être à soi même ?

Les autoroutes de l'information, de quoi s'agit-il ?

Quand on prend l'autoroute c'est que l'on ne veut pas s'arrêter dans un village, regarder le ruisseau qui coule ou le pêcheur sur la berge, on part d'un point A pour aller à un point B. Le rêve, la pensée, sont absents.

Le travail psychique n'a pas sa place : Pour soigner le malade, il est nécessaire de penser.

Je poursuivrai donc, sur la notion de consentement du soignant.

Patrick PHARO, Directeur de recherche au CNRS écrit : " consentir, c'est vouloir ce que veut l'autre. Vouloir ce que je veux moi-même, ce n'est pas consentir. C'est simplement vouloir. Vouloir ce que personne ne veut, même pas moi-même ce n'est pas vouloir. Or consentir sans vouloir, ce n'est pas consentir. "

Le soignant participe au consentement - contraint - et ce consentement n'est-il pas dépendant du jugement moral de l'appréciation de ce qui est bien ou de ce qui est mal ?

Mais écartons cette idée qui nous dérange, pour affirmer que le consentement du soignant est fonction du projet de soin et de son élaboration.

J'insiste sur le mot SOIN qui doit figurer constamment à côté des termes projet ou protocole ou procédure.

Et si le ton de ma voix devient plus ferme et peut être coléreux, c'est parce que trop souvent, ce mot de soin vient à tomber, à disparaître : le travail nous conduit à remplir des feuilles, des tableaux qui garantissent que procédures ou protocoles ont bien été accomplis... C'est à dire que nous remplissons des cases.

Personnellement, je pense que ce travail est nécessaire, il 'est une garantie et' également nous le savons, il nous protège parce que, correctement rempli, le dossier de soins prouve l'acte effectué au regard de la Loi lorsque la Justice se met au travail.

Il faut que nous sachions que le nouveau Code pénal, entré en vigueur le 1er mars 1994, contient l'article 22.31 initialement créé à l'intention des chauffards.

Mais aujourd'hui, il peut s'appliquer aux médecins dans le cadre de l'exercice professionnel.

Cet article introduit en droit pénal, un véritable bouleversement comme l'écrit, Maître Dorsner-Dolivet, car il sanctionne la simple virtualité d'une atteinte à l'intégrité corporelle.

Ainsi nous mettons le malade en chambre d'isolement, mais nous n'avons pas le droit de le mettre en danger.

Pour être en chambre d'isolement, l'état clinique du malade devrait donc réunir un certain nombre de conditions.

Avec humour, je dirais que le malade doit pouvoir entrer dans une case.

Et je rappellerai ce que disait le Professeur Lucien Israël, qui vient de disparaître et dont je souhaite rappeler la mémoire :" les psychiatres cherchent à classer la maladie et si on ne lui trouve pas de place, c'est donc qu'il y a une case vide.

Mais chez qui se trouve cette case vide ? Chez le malade ou... chez le psychiatre ?

Il nous faut donc pouvoir parler, un groupe de réflexion, un lieu tiers doit exister pour permettre aux soignants d'échanger entre eux, mais viendra aussi un temps où il sera nécessaire de dire au patient ce qu'il nous a fait éprouver.

Bien sûr lui aussi nous dira ce qu'il a senti, ressenti, vécu, dans cette chambre.

Aujourd'hui, les soignants comme les patients ont des droits et des devoirs.

Nous avons émis des hypothèses de règles d'utilisation, il nous paraît nécessaire d'en ajouter une : La mise en chambre d'isolement ne peut servir à un travail expérimental quel qu'il soit.

Rappelons l'existence du code de NUREMBERG et l'ensemble des lois sur la bioéthique, et la loi Huriet.

Je glisserai insensiblement vers la qualité des relations affectives.

Ce que je cherche à dire à présent, c'est que si nous aimons nos patients parce que nous nous occupons bien d'eux, c'est qu'il existe une place pour la HAINE.

Encore imprégné du travail que j'ai accompli avec Madame Jeanine Kalmanovitch sur les textes de Winnicott qu'elle traduisait, je suis conduit à articuler mon propos sur la question "de la haine dans le contre transfert."

Winnicott a précisé que cette question ne concernait pas uniquement le psychanalyste mais aussi l'ensemble des soignants qui travaillent en psychiatrie.

Je cite :

"Les malades mentaux représentent forcement une lourde charge affective pour ceux qui les soignent, c'est pourquoi, ce qui suit tout en concernant la psychanalyse, a réellement de valeur pour le psychiatre ( Permettons-nous d'ajouter : "et pour tout soignant en psychiatrie "). Même si son travail ne le fait entrer d'aucune façon, dans une relation de type analytique avec les patients. Quelle que soit son amour pour ces malades, il ne peut éviter de les haïr et de les craindre, et mieux il le sait - moins il laissera la haine et la crainte déterminer ce qu'il leur fait. Avant tout il ne faut pas qu'il nie la haine qui existe réellement en lui. La haine qui est justifiée dans la situation présente, doit être dégager et mise de côté en quelque sorte pour une interprétation éventuelle."

Et Winnicott utilise l'expression " haïr objectivement son malade ".

" Il y a six semaines environ, je suis appelé dans l'unité de soins Falret parce que Madame M, vient d'agresser une infirmière. A mon arrivée elle m'injurie , elle est légalement prête à me frapper, elle veut arracher mes lunettes, m'envoyer un coup de pied "bien placé!" dit-elle. C'est une jeune infirmière, plus frêle, qui avec douceur s'approche d'elle et lui permet d'accepter avec la fermeté nécessaire le passage vers la chambre d'isolement. Je suis resté en retrait parce que ma présence, ma stature, ma fonction, et mon rôle étaient trop en écho avec les propos paranoïaques et délirants de la patiente. Je sortais du pavillon sous le poids de ce que je venais de vivre. Les injures que m'avaient envoyées la patiente m'étaient revenues dans la tête lorsque j'étais dans ma voiture, en retournant chez moi.

La nuit qui suivit, je fis un rêve :

" J'entrais dans l'unité en courant à grandes enjambées pour offrir des bonbons à Madame M (je ne dirai pas le nom de la patiente mais comprenez que le mot M se trouve en quelque sorte inscrit dans son nom). Mais les bonbons que je lui offrais était dans mon rêve des MNM.

Le lendemain matin, je me rendais bien compte que j'avais déformé quelque chose de la langue anglaise "M and M" : j'en avais fait le sigle MNM. J'avais donc mêlé, si vous permettez cette interprétation le M de ma patiente et la lettre N, et par là, la Haine que j'éprouvais à son encontre. "

Le soin en chambre d'isolement nous place dans une situation paradoxale et difficile à vivre.

Lorsqu'un père dit à sa fille " jusqu'à la fin de ta vie je t'aiderai à être indépendante... "

Je suis certain que vous avez pensé au travail de Searles : "L'effort pour rendre d'autre fou"; cela signifie que la fille disparaîtra avant le père et bien entendu qu'elle ne sera jamais indépendante...

Pour nous soignants, jusqu'au terme de notre activité, paradoxalement, les textes de loi nous obligeront à être indépendants, c'est avec cela que nous devons accomplir notre activité professionnelle dans l'intérêt des malades en respectant les protocoles de soins que nous établirons avec la réflexion et le temps nécessaire, dans la quiétude grâce au consentement éclairé des équipes soignantes pluridisciplinaires.

La mise en chambre d'isolement pose la question du consentement du soignant et de sa réalité subjective : comment travailler lorsque la situation clinique nous confronte au sentiment de la haine objective ?

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