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PAVILLON 11 - PROCES DE LA FOLIE
A propos de la fermeture du Pavillon de force
Armentières 1984

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Docteur G. ROELANDT

Madame S. SELOD

Le Pavillon 11 de l'asile d'aliéné d'ARMENTIERES fut construit sur le modèle de la croix inversée. Son plan ne fait aucun doute, il s'agit du plus terrible châtiment infligé aux chrétiens : la crucifixion à l'envers. Sur le martyr, sur ces sacrifiés se bâtit l'histoire d'une religion victorieuse, et intimiste : celle de la rédemption des péchés du pardon au bourreau, du rachat des fautes.

Se définit aussi deux types de justice : la justice divine, en rapport à sa propre conscience, et la justice humaine, correctrice des excès des semblables mais toujours inférieure à la divine, car imparfaite.

Regardons le plan de plus prés : en bas de la croix à l'entrée, doubles porte, boutons des sirènes à appel immédiat. Quand cela sonnait, tous les infirmiers de l'hôpital courraient vers le Pavillon 11. Puis les 3 ailes, faites de cellules toutes identiques. Par la suite, on y mit les ergothérapies et les salles communes, sur les ailes latérales. Du point central de convergence des trois ailes, tout est visible. Le panoptisme est total. La visibilité est transparente. Aucun être humain ne doit être perceptible; tous en cellule.

Des cellules pour des fous. Pour les malades difficiles et dangereux; pour ces psychopathes, jeunes que la société, la famille, l'instruction n'ont pas su calmer. Pour ces passeurs à l'acte qui font la majorité, de ceux qui gênent, qui embêtent, qui troublent la quiétude de l'asile autrement que par la souffrance, ses cris, et son inconscience. La prison de l'asile, sorte de cité phalanstérienne, conçue comme un modèle idéal de société pour ces hommes que l'on dit fous, et que la mission civilisatrice et hygiéniste des hussard noirs de la psychiatrie consistait à rendre plus humain que les normaux, dans un lieu meilleur que la société.

Ceci en théorie.

En pratique, c'est la préservation qui compte, et l'emmuraillement de ceux qui font le plus peur. D'autant, qu'il était impossible de les faire sortir durant toute une période, le préfet discutant les certificats de guérison, que les aliénistes avaient du mal à effectuer, ce mot même de guérison devenant pour eux rébarbatif.

Mais peut-on être guéri un jour, quand on commet des fautes imaginaires?

Il y a aussi les persécutés délirants. Jules Henri Achille LECLERCQ en est un. Il reste dans sa cellule, avec sa coquille pour le protéger -sa séminalité- contre les ondes qui lui viennent encore de ce Benoît, d'infirmier général; Sur la casquette de Jules Henri Achille LECLERCQ est brodé : "mort à Benoit". Il brodera durant toute sa détention de fantastique tapisseries, dans ce 11, ce pavillon de force où il a mis au pas les malades dans le sens de la récupération des fils de toutes couleurs de l'hôpital, et plus précisément à la lingerie. L'armée des fourmis, dealeuse de laine en place du pavillon de force, lieu de création.

Il y a aussi les criminels fous; il y a la cage, ou l'on enferme celui-là qui pense que sa femme le trompe, qui a voulu la tuer avec un couteau. Qui a arraché les testicules à un de ses cocellulés, pensant que c'était lui le coupable. Il aura trois mois de cage, en continue, dans un lieu ou l'on jetait les épileptiques furieux en attendant que la crise passât. Et il y avait toutes les cellules, identiques le chauffage central tout en haut au plafond, prés de la fenêtre, le lit scellé dans le sol, la fenêtre grillagée, les WC à la turque et dans la cellule. Quand il y arrive, il est bien entendu à poil, la couverture grise sur le dos. Et quand il vient de la prison, suivant le délit effectué, et l'appréciation des gardiens, c'est le passage à tabac avec plus ou moins de mal, suivant la faute. Idée de la juger un peu comme des hommes, que ce ne soit pas uniquement le divin qui s'en occupe.

Drôle d'asile donc, pour ces criminels par imprudence. Drôle de peine. Drôle de pavillon, avec ses internés et leur hiérarchie. Car à l'époque, ça ne peut que fonctionner que s'il y a des petits chefs, un peu sadique que les autres ou tout simplement des collabos; avec une bonne dose d'homosexualité imposée, dans un pavillon interdit aux femmes.

Et puis, il y a le personnel. Le chef de service, le médecin chef qui va d'un bout à l'autre du pavillon en ligne droite, rapidement, le calot blanc, le tablier et la cape lors de la visite, où il est entouré de 4 infirmiers en blouses blanches. Cri du chef : tous assis sur les tables, bancs scellés, les mains sur la table, à plat. Tous sont en bleus, ou à poil, en cellule. Trois fois par jour, le cri : "aux cachets" et en rang on prend le traitement en gouttes, ou l'on vous le donne. Aux cachets ! Aux cachets ! En rang à droite ! Tous debout, sur la partie droite du pavillon pour qu'on lave la partie gauche. Aux douches ! Au tabac ! La production générale des pavillons de force, c'est de la fumée. Dans l'asile, de la fumée. Partout de la fumée. Rideau de fumée. Passage du médecin chef dans la prison dans l'asile : Pavillon 11 entouré toujours de ses quatre gaillards. L'embauche au 11 : on allait les chercher à la prison de LOOS, à leur sortie. Ils dormaient avec les malades, partageaient leur vie. Repris de justice, justiciable chez les non punissables par le droit, mais punis à vie ! Pas de limites, pas de condamnation l'asile étant conçu comme une condamnation faute d'une guérison incertaine.

Les infirmiers, les gardiens recrutés à la carrure, à la taille, dés l'arrivée. Pas des crapules, mais des solides. Mains derrière le dos, contre le mur toujours, la cravate élastique, pour éviter de se faire étrangler. Les premiers gestes appris, sont ceux qui maintiennent l'individus : les clefs, pour frapper éventuellement ou se défendre, la serviette tordue et mouillée. La vérification du matériel : camisoles, poignets, bracelets. Quelques histoires salaces, qui font peur tout de suite. Puis il y a ceux qui sont venus de la prison pour jouer l'article 64, se dire et être irresponsable, surtout quand on est truand. Ca s'est soldé par deux infirmiers grièvement blessés, une évasion de 13 personnes reprises par ordre de Q.I dans l'ordre chronologique du plus bas au plus élevé. Sauf quelques truands partis en Belgique, attendus par une voiture et non retrouvés.

Après cela, il y eu le surveillant qui venait d'Indochine, et qui forma les gardiens aux méthodes de commandos et de survie.

Dien Ben Fou sur ARMENTIERES. Reste la méfiance sans limite. Et les notes de service de l'administration qui essaient de mettre un peu d'ordre, de faire en sorte qu'on arrête de maltraiter ce qui faut bien considérer quand même comme des patients, ou du moins comme des hommes. Quelques timides tentatives d'occupation, peu à peu l'ergothérapie, puis du sport dans la cour. Ces patients sont jeunes, dynamiques; Il se fait plus de chose, il est plus bougeant qu'ailleurs, le pavillon de force 11, était toujours plein et les sorties se faisaient par échange avec les entrées devenues nécessaires, pour cause de troubles dans les autres pavillons, et pour tous ceux que les experts disaient non montrables dans le grand théâtre du palais de justice, pour ceux qui ne jouaient pas bien le rôle qu'on attendait d'eux. Et puis au fur et à mesure des années, on est entré au 11 pour des motifs très futiles, des que la tête ne plaisait pas, ou dés que l'on se rebellait contre cette ordre asilaire.

Et il y eut les neuroleptiques. Tous eurent des électrochocs et des cures de Sakel. Tous eurent des accès de fixation, la cage, le maintien. Tous eurent donc des neuroleptiques. Du jour au lendemain, le pavillon des agités, devient le pavillon des baveux. Ce n'est pas pour cela que les personnes sortirent du 11, et que l'on ferma le pavillon. Il avait pris au fur et à mesure une place dans l'imaginaire collectif qu'il n'était pas possible de gommer. Gommer de cet imaginaire, tant des soignants que des soignés, que de la population en général. Le 11, c'était le mal absolu, le démon, la marque de l'imperfection de l'homme. C'était la chair dans les murs, la folie furieuse représentifiée, justifiée, concentrée. Le temple ultime de l'innommable, l'indicible en action.

Les premières tentatives d'introduction de psychothérapie date de 1975; bien difficilement. On faisait crier les malades quand on essayait de les écouter. Un futur psychanalyste s'est fait enfermer dans une cellule, pour se battre à main nu avec un patient. Il était boxeur lui-même. Commencer par toucher ces pestiférés, commencer par leur parler, leur donner un nom.

J'arrivai dans cette ambiance en 1977, et une action de sept ans, nous amène à devoir fermer ce pavillon, seul moyen d'humaniser la psychiatrie, soit signifier que cela ne pouvait plus exister. Avec une conception de départ : la responsabilité de toute façon du citoyen, qu'il soit malade mental ou non. Avec une conviction : la violence en réponse à la violence est encore plus dévastatrice que cette dernière. Je passe sur tout ce que nous avons essayé dans ce pavillon : introduction des premiers couteaux, avant on arrachait la viande avec les dents, vouvoiement des patients, les recevoir à chaque fois qu'ils le souhaitaient. Introduire la télévision. Drôle d'impression de voir de la violence regardée par ces "violents". Le malade qui a fauté, qui a commis une exaction ne peut qu'être surveillé doublement : parce qu'il est délinquant et parce qu'il est fou. Jamais il n'a été question de la violence qu'on leur affligeait. Et le remontage "systématique des patients lorsque je passais, pour essayer de les délivrer, de les soigner même, de les faire sortir de là. Et le calme du pavillon bien surveillé lorsque je passais à l'improviste, et que je n'arrivais pas à trouver les infirmiers, enfermés dans une salle, à discuter, à passer le temps.

Grâce à la réinscription dans la ville des patients du secteur, nous avons vidé le pavillon ; nous avons échangé les dangereux calmes avec des patients de notre secteur, avec les autres sections ; nous avons commencé à ne plus mettre la collection de violents et de criminels ensemble. Commencer à traiter humainement. Et un jour, il n'y eut plus personne. On m'avait promis qu'ils seraient tous à SARREGUEMINES. Deux seulement ont été envoyés d'ARMENTIERES vers l'U.M.D. en 12 ans. Et avant on y allait aussi.

Depuis lors, nous n'avons plus de cellule, mais beaucoup d'espace dans le nouveau Pavillon 11 rebaptisé Clinique Jérôme BOSCH, Armentières a refusé qu'on l'appelle Pavillon Marquis de Sade, un de nos plus grand écrivain contemporain, qui n'a pas eu son nom inscrit sur quelqu'édifice public en France, ni école, ni lycée, ni institution. nous avons appris à gérer la distance. De temps en temps, les anciens infirmiers du 11, devenu l'élite de la psychiatrie de secteur, leur repassent les bracelets, à ces agités, à l'entrée, 2 à 3 heures pas plus? Ca rappelle un peu le bon vieux temps - le temps que les neuroleptiques agissent et qu'on discute avec eux. De toutes façons, les dangereux, on les fait sortir rapidement, dans la ville. La psychiatrie ne peut plus rien pour eux, c'est du social et l'affaire des forces de police. Les psychopathes sont en prison. Les experts en avaient assez de les voir débouler dans leurs services et troubler leurs séances d'expertise ou de psychothérapie.

Et puis, le regard a changé - Regard de la société sur la folie qui devient maladie à soigner, regard des comptables : à soigner rapidement. 12 ans que le 11 est fermé. Nous ne voulions pas de nouvelle clinique sur lieux et place d'ARMENTIERES. Nous ne voulions pas que le pavillon soit humanisé. Nous voulions dès 1985 récupérer les fonds (16 000 000 Frs) et nous en aller tout de suite, illico sur le secteur.

Nous avons donc fait venir tout ce que la région comptait d'artistes pour la semaine culturelle "pavillon 11, procès de la folie". Cette dernière s'en est bien tirée, dans le procès public qui a ponctué les manifestations scientifiques et artistiques, elle a bénéficié d'un non lieu voté à la majorité des spectateurs présents. Le procès a été rouvert et continue. Le pavillon de force fut durant cette semaine culturelle, par la magie de l'art, une machine à parler, à faire parler les murs, faire parler les hommes, faire parler les premières femmes à entrer dans ce pavillon, essayer et tenter un débat dans l'hôpital et dans la région. Ce sont 5000 personnes qui y défilèrent et s'arrêtent là, pour causer de la folie, de la peur, des fantasmes. C'est la psychiatrie en changement. c'est une page de tournée. Pour des raisons de maintien de l'emploi local, le pavillon 11 devient la clinique Jérôme BOSCH, remarquable équipement de l'inutile. La contention s'est déplacée, dans ces hôpitaux généraux et dans les prisons, qu'il faudrait dorénavant humaniser et fermer, comme on l'a fait pour le pavillon 11.

A GRONINGHEN, pourtant, en Hollande, dans une clinique ultra moderne de la psychiatrie de cette fin de siècle, toute transparence, dans son architecture, de verre, là bas, derrière des cellules, où des gens sur ordre du juge et du psychiatre, restent une à trois semaines isolés. Pour leur bien, Pavillon de traitement de force. Bien compréhensible, quand les murs remplacent les hommes. Il n'y a bien sûr qu'un personnel limité dans des beaux quartiers et toujours dans ces cas là, les actes plus que la parole. Il faut parfois maintenir mais ne jamais enfermer, ni reléguer. Encore des histoires d'images, de manque d'imagination, que nous trimbalons dans nos têtes. Changer notre vision, notre perception du monde : accepter de n'être que soignant, que l'on détruise enfin ces quatre U.M.D. qui restent en France. Et que l'on y construise sur lieux et places les cathédrales de l'apocalypse. Le soin ne peut être l'avatar de la punition faute de quoi nous ne serions que les bourreaux des âmes.

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