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La chambre d'isolement,
de la culpabilité au soin

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Dr. Richon

De la loi de 1938 sont issus les asiles : l'expression individuelle y était abrasée, la personne niée, toute tentative pour se démarquer, exister était violence contre l'ordre totalitaire ; la répression, le renfermement, les réponses automatiques voire systématiques assuraient l'homéostasie institutionnelle.

Fécondés par les circulaires de 1960 puis 1972, les inter-secteurs et les secteurs adultes, souvent rattachés à l'hôpital général, se sont constitués en rupture, voire même en opposition avec l'héritage asilaire, "abattons les murs de l'asile et sur les ruines, construisons ... le contraire" - BONNAFE

Sur ses bases, ouvraient au C.I.J.G. de Thouars en 1974, deux secteurs adultes, avec deux services d'hospitalisation à temps complet de 40 lits chacun :

w ces services ouverts accueillaient les hospitalisations libres ou sous contrainte,

w il n'y avait pas de chambre d'isolement.

L'infirmier de secteur psychiatrique se cherchait également en contrepoint du gardien de l'asile : soucieux d'affirmer la bonne image de son identité soignante, l'infirmier cultivait à l'extrême la tolérance, le refus de toute exigence, de toute illustration imposée au malade.

L'affrontement soignant/soigné était soigneusement évité, le malade renvoyé à lui même, " à son problème ", où externé parfois d'office afin de ne pas entamer le narcissisme soignant.

Ce narcissisme était largement entretenu par moultes réunions sur et à propos des malades, réduisant proportionnellement toute confrontation directe soignant/soigné, trop souvent source de déception ou d'impuissance thérapeutique, difficile à métaboliser.

Ainsi, se développait pour les malades un laisser faire rarement borné par une limite sinon celle de son inhibition ou de sa lassitude, pour les infirmiers une lune de miel réconfortante d'être enfin bon objet, puisqu'ils n'avaient plus à interdire.

La naissance, les maladies infantiles constitutives des premiers développements de cette relation quasi fusionnelle soignant/soigné ont généré une pratique angélique excluant tout rapport au principe de réalité, à l'extérieur persécuteur.

Cette illusion groupale se maintenait en rejetant vers l'extérieur le mauvais objet perturbateur ou porteur d'une menace contre la cohésion interne.

Les avatars qui ne manquaient pas d'émailler ça et là la vie institutionnelle était recherchés en dehors du malade, vers sa famille, la société, en dehors du collectif soignant, monolithique et infaillible.

La chambre d'isolement n'avait pas sa place dans un univers idyllique en opposition radicale avec la réalité asilaire et son renfermement, en opposition avec une société opprimante et négative de la souffrance humaine.

C'est à partir d'une intervention extérieure, à la demande du Procureur de la République, que fut aménagée une chambre, dite d'isolement (1983).

L'intrusion d'une réalité externe pour imposer en son sein l'existence d'un mauvais objet allait bouleverser la pratique institutionnelle ; cette chambre d'isolement allait se révéler un excellent analyseur institutionnel. Le rapport au soin se trouvait ainsi questionné par le mode d'utilisation de cette chambre.

Résultat d'une confrontation au principe de réalité, le mauvais objet externalisé se trouvait incorporé.

Sa présence même ne permettait plus la séparation paranoïde entre bon et mauvais objet, elle inaugurait la position dépressive qui marque la retombée de toute illusion, la prise en compte de la réalité.

Un malade était placé en chambre d'isolement pour des violences manifestes ou potentielles.

Constat établi, à partir du comportement du malade, indépendamment de toute référence à son histoire, à sa pathologie mais aussi et surtout au contexte ayant fait éclore ce passage à l'acte.

Il s'agit bien d'une réaction d'un groupe, qui à un moment donné, se sent menacé contre une personne, contre un malade. En effet, le fonctionnement soignant est alors indifférencié, "on a parlé de collusion de l'anonymat", bardé de certitudes, de son bon droit. Toute mise en cause engageait une responsabilité extérieure à lui-même.

La mise à l'écart des fauteurs de troubles est rationalisée par la nécessité d'une protection de l'institution et de la personne. Elle génère une culpabilité sous-jacente, qui peut s'analyser par de multiples stigmates.

Un premier niveau de culpabilité, primaire pourrait-on dire, marque la confrontation au passé que l'on voulait révolu, honni, celui du renfermement. Ainsi du passé voulait-on faire table rase et il revient en force s'imposer à nous.

Avoir fondé son identité soignante sur un anti-modèle et voir resurgir des traits que l'on espérait à jamais gommés, ne va pas sans une crise identitaire...

Un deuxième niveau de culpabilité nécessitait une analyse plus fine des processus engagés. Mettre le malade en chambre d'isolement n'allait pas de soi, signant par là, plus que le doute ou l'interrogation, la culpabilité accompagnant ce passage à l'acte réactionnel. Décision souvent retardée, voire reportée avec l'espoir secret de pouvoir l'éviter, comme si l'institution était confrontée là à ses limites, les soignants à leur échec.

La difficulté à utiliser la chambre d'isolement, le retard mis avant d'arriver là ; les rationalisations qui accompagnent la décision trahissent le malaise, la culpabilité sous-jacente. Cette culpabilité résulte du sentiment de ne pas avoir fait tout ce qui était possible pour le malade. La nécessaire adhésion à une illusion de toute puissance soignante devant, elle, être préservée. Toute tentative d'analyse du processus interactif qui conduit le patient à l'isolement se heurte à des mécanismes défensifs massifs de la part des soignants. Tout effort pour dégager un sens qui pourrait les concerner, les impliquer, est refusé. Seul est retenu le comportement du malade détaché de l'histoire propre du sujet, comme de son rapport aux relations instituées au moment du passage à l'acte.

Personne n'accepte sans réagir de voir ébranler ses certitudes profondes, celles qu'il partage pour ne faire qu'un avec le groupe des soignants. Travailler à changer l'autre fonde une légitimité qui s'impose à autrui non pas tant au nom d'une justification, fut-elle morale, qu'au nom de sa propre faille que le soignant doit combler, de son propre système défensif dont son métier participe : "le vrai moteur de son engagement professionnel, c'est le refus de son propre destin irréductible d'être séparé et mortel... tant qu'il n'a pas pris conscience de cette équivalence, sa rencontre avec le patient risque de n'être que l'affrontement stérile de deux systèmes défensifs", conduisant à neutraliser le mauvais objet en l'éloignant.

Sortir de cette logique d'affrontement de deux toutes puissances, celle des soignants contre celle des soignés, ne pouvait se circonscrire aux seules modalités d'utilisation de la chambre dite d'isolement, c'est tout le processus de soin concernant l'hospitalisation temps plein qui se trouvait posé.

L'évolution des conditions pratiques du recours à la chambre d'isolement est indissociable de l'évolution concrète de l'exercice des soins dans les unités d'hospitalisation à temps complet.

Cette évolution ne fut ni spontanée, ni indolore. Elle généra des oppositions, des conflits violents à la mesure des peurs, des inhibitions qui prévalaient alors. Sentir ses mécanismes défensifs mis en cause ne va pas sans réactions brutales pour se protéger de la menace.

Ce processus engagé dans les années 85-86 par la modification des horaires de travail se poursuit et s'approfondit encore aujourd'hui. L'acmé de ce conflit peut être daté (janvier 91). Depuis, un consensus large accompagne cette évolution des pratiques soignantes.

La modification des horaires peut être pointée comme l'acte fondateur d'une pratique différente. Les nouveaux horaires permettaient une organisation du travail fondée sur le respect des engagements individuels et collectifs pris avec le malade. Chaque infirmier se doit d'intégrer son rapport au fonctionnement d'ensemble de l'unité de soin, afin d'aménager le temps qu'il va partager avec un ou plusieurs patients et cela avec régularité.

Effort individuel pour chaque infirmier, et collectif à travers l'organisation de la grille de travaille et des horaires. Cet effort permet le respect de la parole donnée et fonde le malade comme sujet.

C'est dans le moment partagé, borné dans le temps et l'espace, qu'une véritable rencontre de sujet à sujet peut advenir. Le support permettant cette rencontre en constitue la matrice sur laquelle s'inscrivent les émotions, les peurs, les plaisirs, les désirs vécus ensemble et analysés par le soignant à partir de son propre éprouvé. La disponibilité du soignant au vécu de ce moment partagé exige le renoncement à toute ambition transformatrice sur la personne du malade. Accepter le malade pour lui même constitue le préalable à toute offre de soin. Cela stipule pour l'infirmier le deuil d'une quelconque illusion de puissance thérapeutique. C'est parce que le soignant se perçoit lui même avec ses limites mais aussi son respect de l'autre, qu'un accompagnement thérapeutique peut s'amorcer.

Accepter le patient pour ce qu'il est, pas tout accepter du patient, c'est même le contraire. C'est l'implication du soignant qui légitime ce qu'il peut restituer, à partir de son ressenti, de son vécu, comme sens au patient. C'est également à partir du contenu de ce qui a été partagé que le malade peut émerger comme sujet. C'est parce qu'il a été reconnu sujet, à partir des efforts personnels et institutionnels engagés, qu'une exigence peut lui être signifiée, qu'un refus peut lui être opposé sans qu'il puisse alors, le vivre comme rejet ou négation de lui même.

w le passage à l'acte met bien en évidence cette dimension relationnelle du soin psychiatrique. Par le fait même qu'il l'attaque et la compromet, il en souligne l'importance et montre clairement que c'est elle qui est visée et qui constitue le véritable moteur du passage à l'acte.

w il exprime avant tout une violence et c'est bien ainsi qu'il est ressenti par les équipes. Il prend un caractère d'effraction de l'espace privé d'autrui, de rupture des limites, véritable tentative de maîtrise d'autrui, révélation dérisoire de sa propre impuissance à se maîtriser.

w il est transgression : du contrat de soin, des règles de la vie sociale, de la liberté individuelle.

w il est décharge pulsionnelle et traduit l'externalisation brutale d'une tension interne.

La chambre dite d'isolement, à laquelle il conviendrait de trouver un autre nom, a pris sa place comme partie d'un dispositif de soins plus global dont la finalité vise à restituer au sujet souffrant sa possibilité d'être. " On ne guérit pas de soi même, on négocie son être face à l'opacité du réel " - BINSWANGER, la chambre d'isolement peut participer à cette négociation.

Liberticides, les psychiatres ? Henry EY postulait la maladie mentale comme pathologie de la liberté.

Le quotidien du psychiatre est fait de décisions qui aliènent la liberté d'autrui, la mise en chambre d'isolement en est l'expression la plus manifeste. La finalité du soin reste pour le psychiatre, l'accès à une liberté possible pour le malade.

Non pas liberté de l'illusion ou du délire sans entrave et sans limite, mais liberté au sens de Spinoza : expression pour le sujet de sa capacité à agir sur le réel.

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