Retour à l'accueil

ETHIQUE ET ISOLEMENT
Retour sommaire Isolement


Monsieur J.M. JAMET

Monsieur A. LASSON

Ne pouvant être présent à cette journée, je prie l'assistance de m'en excuser. Je sais toutefois qu'un porte-parole saura faire "passer" cet exposé et je l'en remercie.

La chambre d'isolement en elle-même ne constitue qu'un lieu, un espace géographique dans l'enceinte d'une unité. Mais ce qui prime, c'est la manière dont les infirmiers et les médecins l'utilisent. En effet, la particularité du Centre Hospitalier Paul Guiraud, et d'ailleurs comme beaucoup d'hôpitaux français, se traduit par des unités où, pour y entrer, une clef est nécessaire. Aussi, le fait d'isoler une personne représente un enfermement dans l'enfermement.

A partir de cette idée, il devient nécessaire d'interroger l'éthique. On ne négligera pas que le Conseil de l'Europe, lors de son assemblée parlementaire de la session de 1994, avait émis des recommandations. Elle énonçaient déjà que les placements volontaires devraient être exceptionnels et que cette décision devrait être prise par un juge. Egalement, le malade serait informé de son traitement dans un consentement libre et éclairé. Ce terme recouvre une notion juridique mais aussi éthique. Dans le sens éthique, elle implique le respect de l'autonomie du malade et pour les soignants l'obligation de favoriser le maintien de sa santé sans lui nuire. Les valeurs juridiques, quant à elles, induisent deux principes fondamentaux. Le premier se développe dans l'inviolabilité du corps humain dont les sources sont le respect de la vie humaine et la dignité de la personne. L'autre se fonde sur l'aliénation de la personne, c'est-à-dire lorsque la personne ne peut plus disposer de son corps.

Le droit des pays anglo-saxons ajoute pour la personne malade le droit à l'autodétermination.

Dans nos pratiques professionnelles, lorsque nous n'avons plus aucun argument thérapeutique, la seule solution à laquelle nous nous référons est la fiche de traitement. Bien souvent, à la demande des infirmiers, le médecin prescrit des injections, ou la chambre d'isolement, ou les deux en précisant : "en cas d'agitation". Au regard des personnes extérieures à la psychiatrie, l'isolement peut leur apparaître comme une atteinte aux libertés du malade. Elles pourraient revendiquer la recommandation 1235 du Conseil de l'Europe qui préconise d'éviter des traitements inhumains et dégradants, induisant ainsi la destruction de la personnalité.

Dans cette réflexion, il ne s'agit pas de critiquer cette pratique de l'isolement mais de l'interroger. Notre simple observation met en avant cette impuissance que les équipes éprouvent devant certains états de turbulence de certains patients. Désarmés, les soignants optent pour la solution de l'isolement en avançant les arguments comme : "Il faut le contenir" - "Ca lui donne des repères". L'acte se justifie à la parole. A mon sens, ces pratiques sont rarement interpellées et les infirmiers reprennent un discours véhiculé depuis des générations d'infirmiers d'avant eux.

En effet, comme tous les groupes sociaux, une pratique se transmet de génération en génération et, chacun des individus du même groupe social vit ce conformisme. Dans ce contexte, les infirmiers qui travaillent en psychiatrie reproduisent cette pratique "ancestrale" de l'isolement. Si à toutes les époques le "fou" fut enfermé, à l'aube du XXIème siècle, cette pratique perdure. A partir de ce constat, que représente-t-elle ? En interrogeant l'éthique des réponses s'énonceront.

I - QU'EST-CE QUE L'ETHIQUE ?

Pour Michel FOUCAULT l'éthique représente avant tout un travail sur soi. Il ne s'agit pas nécessairement de s'adapter et de rendre conforme son comportement à une règle donnée mais plutôt d'essayer de se transformer soi-même en un sujet moral de sa conduite. Manquant de temps pour cet exposé, nous retiendrons la définition suivante du Sujet ethnique. Etre un Sujet éthique, ne repose nullement sur l'ethos d'un groupe qui appartient à une même société. Certes, il s'agit bien d'une pratique qui s'appuie sur des valeurs mais qui, en même temps les interroge. L'éthique se rapportera dès lors à une réflexion sur des fondements théoriques. Elle essayera de renverser les règles de conduite qui forment la morale et les jugements de "bien" et de "mal". Il ne s'agira pas de s'appuyer sur une morale qui repose sur des règles propres à une culture mais en quelque sorte de construire une "méta-morale" qui se situe au-delà de la morale. Elle implique donc de déconstruire les règles de conduite, de démanteler leur structure afin de déceler leur fondement caché.

II - LE SUJET ETHIQUE FACE A LA CHAMBRE D'ISOLEMENT

2.1 - Au cours de l'histoire

Le Professeur AMADO affirme que dans son service, il n'existe pas de contention, ni d'enfermement. Pour lui, le fait d'enfermer un malade engendre une montée d'agressivité qui, au bout d'un moment redescend. de ce fait, le patient centré sur lui-même n'a plus beaucoup de capacité d'action. Par ce moyen on institutionnalise la folie. Le point de départ historique de la chambre d'isolement fut le siècle des lumières. Dans cette volonté de la pratique de la norme et de la moralisation, dans un esprit d'humanisation, Philippe PINEL déchaîne les aliénés. Il écrit dans le "Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou la manie" comment s'y prendre pour les sortir de la déraison. Pour lui, l'hygiène, le travail, l'isolation mais aussi la distribution dans un espace délimité par catégorie de malades dominent son enseignement. D'autre part, la surveillance paternelle évitera aux aliénés tout mécontentement et toute révolte. Aussi, Michel FOUCAULT affirme que PINEL n'a pas introduit une science mais un personnage aux facettes du Père, du Juge, de la Loi et de la Famille et dont les buts seront d'enseigner les normes aux aliénés. Malgré cette humanisation, les aliénistes déçus par si peu de résultats demanderont eux-mêmes la mise en place de la loi du 30 juin 1838. Ils verront dans l'asile une "machine à socialiser" en contraignant les aliénés à se plier à la règle de la vie communautaire sans s'apercevoir du reste qu'ils engendraient une institution totalitaire. Est entendue comme totalitaire une institution qui ne relève que de la seule autorité d'une personne comme guide et dont les sujets doivent se conformer aux règles prescrites par lui. Le guide représenté par l'aliéniste doit s'incarner chez tous les aliénés qui subiront le pouvoir prescripteur. De plus, cette institution totalitaire leur impose de se détacher de leur culture, de rejeter leur groupe et leur classe au non d'une reconstitution de leur esprit à la seule volonté du Maître. Il ne s'agira plus de traiter individuellement la personne atteinte de troubles mentaux mais de la traiter collectivement dans les règles qui l'aideront à conquérir la norme établie. Son objectif visera la socialisation.

Les principes de la socialisation s'appuieront sur l'architecture où les dortoirs seront abolis mais il existera la cellule comme principe de construction psychologique mais aussi de discipline. Egalement la préparation et la distribution des aliments se feront collectivement pour qu'ils mangent proprement et qu'ils entretiennent rapports de sociabilité. De plus les repas collectifs encouragent ceux qui se privent de nourriture. Le travail, comme principe, permet de leur changer les idées en mettant leur corps en mouvement.

C'est bien à partir de la fin du XVIIIème siècle et tout au long du XIXème siècle que la chambre d'isolement est apparue. Elle appartient aux techniques disciplinaires mis en place au XVIIIème siècle. Pour FOUCAULT elles permettent un contrôle minutieux des entreprises du corps qui consolident l'assujettissement permanent de ses forces. Elle impose en même temps un rapport de docilité-utilité. Ce sont des techniques de domination qui ne se confondent pas avec l'esclavage (pas d'appropriation du corps), ni de la domesticité (rapport constant de domination), ni de la vassalité (porte sur le travail et les marques rituelles de l'allégeance), ni de l'ascétisme (renoncement et maîtrise de chacun sur son propre corps). Les techniques disciplinaires auront comme objectif de rendre les corps utiles et forts dans une production économique tout en les rendant obéissants dans leur sens politique. Par la répartition des individus dans un espace fonctionnel (architecture) mais aussi par les places hiérarchiques, elles induisent dans chaque individu une individualité dans des réseaux de relations, leur indiquent des valeurs dans un souci du temps et des gestes. Le pouvoir disciplinaire produit de la norme et s'en donne les moyens par l'instauration d'un enseignement standardisé, par l'organisation d'un corps médical et d'établissements nationaux.

Dès lors, il apparaît évident que le traitement moral préconisé par PINEL s'appuie sur cette même logique. Ainsi, la chambre d'isolement est devenue un principe en tant que règle et norme qui perdure de nos jours. Ne sommes-nous pas assujettis encore à ce principe historique énoncé par nos discours et nos attitudes de soignants ?

III - LES DIFFERENTS SENS D'ISOLER

Comme nous le discernons, une première manière d'isoler un malade se constitue. Cette pratique nous induit l'utilité de faire valoir la règle et la norme du discours dominant. Le malade doit accéder à ce qui est demandé à chacun c'est-à-dire à ce que son corps deviennent docile et voire productif lorsqu'il sera réinséré. Mais existe-t-il d'autres sens plus insidieux qui nous engage dans cette pratique ?

Pour NIETZSCHE, l'homme est un animal dont sa nature est paradoxale. Ce qui le différencie c'est sa capacité à promettre. Ce qui le met au même niveau c'est sa capacité d'oubli. Certes cette capacité d'oubli nous est nécessaire, car elle est utile à notre santé psychologique et physique. Si nous devions supporter le poids de l'histoire, le nouveau s'ouvrirait plus vers l'avenir. Mais, d'un autre coté, la parole se lie aux souvenirs, car pour parler il est nécessaire de se souvenir de ce qu'on veut dire. Ainsi, la pensée intègre des contradictions. Quelles sont-elles dans nos pratiques de l'isolement ?

FREUD nous montre comment les pulsions elles-mêmes sont antagonistes. Si, pour le pouvoir pastoral, l'amour du prochain représente le "bien", la réalité humaine se présente différemment.

Elle engage un double mouvement entre amour et haine. Il ne s'agit pas de faire la psychanalyse des infirmiers mais bien de comprendre de manière théorique les différentes actions qui les conduisent à enfermer le malade. Aussi, pour le père de la psychanalyse, l'agressivité existe en chacun.

Cette affirmation ne doit pas nous effrayer mais le fait même de la reconnaître permet une distanciation nécessaire et salutaire. Le prochain n'est pas un auxiliaire mais aussi un objet de tentation. De ce fait, l'homme satisfait son besoin d'agression en exploitant le travail de l'autre sans compensations, en l'humiliant, en lui infligeant des souffrances, etc. En cela, cette agression perturbe les rapports que nous pouvons exercer avec autrui. Or, ce que nous dit FREUD, c'est qu'un groupe maintient sa cohésion par des liens qui les engagent à refouler cette agressivité, mais toujours aux dépens d'autres communautés. Ainsi, cet autre devient un étranger qui mérite le châtiment. Le malade mental, ne nous renvoie-t-il pas à ce tiers qui mérite cette pénalité ? En effet, les attitudes que nous prenons vis-à-vis de lui sont des réactions que l'humanité sociale nous demande.

Elles doivent améliorer leur comportement, car au fond chacun pense qu'ils ne sont pas tout à fait humain. Sans doute les représentations sociale du moyen-âge qui dépeignaient cet être déraisonné comme un lycantrope subsistent encore de nos jours.

Il y a mille causes pour exercer le châtiment. En ce qui nous concerne nous retiendrons qu'il met hors d'état de nuire et qu'il prévient des dommages qu'une personne produit. D'ailleurs quel sens aurait la loi du 27 juin 1990 ? Ce châtiment permet de créer une mémoire chez celui qui le subit. On espère qu'elle admettra la norme et les valeurs dominantes. Isoler un malade peut représenter cette volonté. Il aurait la propriété d'éveiller le sentiment de culpabilité chez lui c'est-à-dire de réveiller sa mauvaise conscience d'être ce qu'il est devenu. Or, ce que nous dit NIETZSCHE ce moyen produit l'effet inverse. Pour celui qui le subit, il accroît son sentiment d'être étranger et il augmente sa force de résistance. Que remarque-t-il ? Et bien, il découvre que ceux qui enferment et châtient font sous des couverts légaux la même chose. Ils espionnent, corrompent, violentent, incarcèrent, déshonorent au nom d'une bonne conscience. En fait, l'action thérapeutique souhaitée induit un effet néfaste pour le malade. Alors que recouvre le châtiment ?

C'est sans doute Paul RICOEUR qui nous dévoile le sens caché de cette pratique. Ce philosophe se questionne sur la souillure qui est à l'origine de la crainte de l'impur et des rites de purifications. Elle opère comme une force dans le champ de notre existence psychique et corporelle. Elle induit en chacun la notion de faute qui mérite la punition et le châtiment par peur. Cette punition s'applique à tout homme en mal d'être c'est-à-dire à tout homme qui souffre, qui est malade ou qui se met en échec. Ces différents mal d'être incarnent la souillure. Comme la souillure, le malade mental devient une offense à la réciprocité du lien social, car il représente un "quelque chose" matériel qui se transmet par contact et contagion. Denise JODELET au cours d'une recherche à Ainay-le-Château met ce phénomène en évidence. Les infirmiers et la population de ce village pensaient que la folie se transmettait par l'eau. Aussi, les malades placés dans les familles n'avaient pas la possibilité d'utiliser les douches et les W-C communs. Pour Paul RICOEUR, la souillure comme une chose qui infecte se vit subjectivement dans un sentiment de la crainte. Cette crainte est non seulement physique mais aussi psychique comme étant le danger de ne plus pouvoir aimer. D'ailleurs la crainte réside dans toute les formes de l'éducation familiale, scolaire, civique. Et si l'homme n'aime plus, c'est qu'il est mort. Comment retrouver ce sentiment d'amour ? Par la souffrance nous dit ce philosophe. Elle est le prix à payer. Aussi, la punition, le châtiment découlent de la souillure. Elle implique la vengeance de l'ordre violé parce que l'homme en mal d'être a "péché". Pour le purifier, le rite intervient. Il anéantit symboliquement la souillure. Elle se signifie dans des signes fragmentaires, de remplacements, et laconiques comme brûler, chasser, enfermer. La mise en chambre d'isolement ne représente-t-elle pas ces gestes rituels ? Enfin, pour ce philosophe, ces rituels permettent d'obtenir un dédommagement qui se traduit par la souffrance de cet homme en mal d'être. En requérant qu'il souffre, il est attendu que cette tristesse ait un sens. Ce dédommagement ne serait plus une punition mais une pénitence en vue de l'ordre et la tristesse lui permet ainsi d'accéder au bonheur. La vengeance vise l'expiation, c'est-à-dire la punition qui ôte la souillure et réaffirme l'ordre.

A travers la juste punition, l'homme en mal d'être restaure ses valeurs personnelles. Les termes de souillure, crainte, punition, châtiment, pénitence ne représentent-ils pas les intentions cachées de notre conscience obscure lorsque nous mettons un malade en chambre d'isolement ?

Aussi, le sujet éthique sera l'infirmier qui, avant de pratiquer cet acte de la mise en chambre d'isolement, observera ses propres réactions en rapport avec ses connaissances théoriques. Il agira une praxis où le malade est reconnu comme une personne autonome et comme étant l'agent essentiel de sa propre autonomie. Les moyens techniques (démarche de soins) seront les outils qui lui, permettront d'aider le patient à acquérir son autonomie. Ce dernier ne sera pas perçu comme un homme ou une femme en mal d'être portant "la souillure" mais comme sujet porteur de potentiels qui ne demandent qu'à se libérer.

BIBLIOGRAPHIE

š š š š

v BENASAYAD (M), CHARTON (E), Cette douce certitude du pire, Paris, La découverte, 1991.

v CASTEL (R), L'ordre psychiatrique, Paris, Editions de minuit, 1978.

v FOUCAULT (M), Histoire de la sexualité, Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984.

v FOUCAULT (M), Histoire de la folie à l'âge classique, Paris, Gallimard Tell, 1972.

v FOUCAULT (M), Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.

v FREUD (S), Malaise dans la civilisation, 10ème édition, Paris, PUF, 1989.

v JODELET (D), Folies et représentations sociales, Paris, PUF, 1989.

v NIETZSCHE (F), La généalogie de la morale, Paris, Folio Essais, 1994.

v PINEL (Ph), Traité médico-philosophique sur l'aliénation mentale ou la manie, Paris, Libraires Richard, Caillé et Ravier, An IX.

v RICOEUR (P), Philosophie de la volonté 2, finitude et culpabilité, Paris, AUBIER, 1992.

Retour
compte rendus
congrés
Retour
Sommaire
congrés isolement

nous contacter:serpsy@serpsy.org