Retour à l'accueil

Et pourquoi demander à Danton
s'il faut changer Le nom de la guillotine ?

Retour sommaire Isolement

Monsieur D. FRIARD

Mesdames D. GOURVES, A.M. LEYRELOUP

"Les traitements étaient peu efficaces, existaient encore à cette époque, les bains prolongés - une toile solide fixée par des agrafes sur les bords des baignoires. Les attaches de cuir fixées aux poignets et au lit par un cadenas spécial dont la clé était portée dans le trousseau de la ceinture. La camisole de force, la ceinture de force, les entraves de pieds ; les moyens de contention ne manquaient pas. Il va sans dire que les malades maintenus de cette façon étaient forcément incontinents".

Ces quelques lignes, extraites des mémoires d'Edgar Beaufils, infirmier à l'asile de Charenton dans les années 30 décrivent le pavillon des Agités. Chacun sait qu'il y avait alors peu de différences entre un séjour en prison et un séjour à l'asile. C'est même autour de ce constat qu'est née la psychothérapie institutionnelle. Si la seconde guerre mondiale, et l'internement de nombreux soignants dans des camps de prisonniers ont suscité un choc salutaire et une remise en cause en profondeur des pratiques. Qu'en est-il aujourd'hui ?

L'opposition, le déni radical de toute pathologie, les limites des structures de soins classiques situent souvent l'équipe de secteur psychiatrique comme le dernier rempart susceptible de contenir la destructivité d'un patient.

Comment répondre à certaines situations critiques et faire en sorte que nos réponses n'engendrent pas ségrégation et rejet ? Et comment à partir d'une situation de contrainte physique nécessaire créer un espace thérapeutique ? Se poser ces questions c'est également s'interroger sur les droits des patients.

L'effort thérapeutique ayant comme principal but la sédation de cette agitation, l'isolement fait partie des mesures thérapeutiques utilisées dans la prise en charge des malades mentaux. Mais il a été souvent perverti et transformé sous la pression de nécessités sociales ou administratives, en une véritable exclusion ou un simple enfermement.

Nous considérons que soin et mise à l'index s'excluent mutuellement, que ce n'est qu'en rompant l'isolement, qu'en établissant un dialogue avec la patient qu'on peut le soigner.

Que le lieu d'isolement soit baptisé cachot, geôle, cellule, chambre d'isolement ou chambre en soins intensifs peu nous importe, l'essentiel est la réalité qu'il recouvre. L'isolement implique des prisonniers, des gardiens ; le soin se définit par la rencontre entre un sujet désigné comme malade et un soignant.

L'isolement n'est pas une mesure thérapeutique anodine, il concerne non seulement le patient mais également toute la dynamique de l'unité fonctionnelle.

Les sujets des études sur l'isolement gardent en général un souvenir négatif de leur expérience à l'exception de ceux qui ont eu un encadrement de bonne qualité et/ou qui ont pu faire avec les soignants un retour sur leur vécu et sur les raisons motivant l'isolement.

Selon Vignat, l'isolement a un effet protecteur, "en offrant au patient un écran vis-à-vis des interactions maléfiques liées à la persécution délirante. L'effet contenant réduit la dispersion des contenus psychiques et le morcellement paranoïde". Dans ce cas de figure les soignants assureraient un rôle de par-excitation en s'interposant entre le sujet et un environnement perçu comme destructeur.

Droits du patient ou droits du citoyen ? Il nous semble qu'avant d'être un soin à un malade, le soin en psychiatrie est et doit être soin à un citoyen.

C'est en tant que citoyen malade que le patient arrive dans l'unité de soins, selon les lois d'un pays qui est le notre, selon un mode de placement qui prévoit la contrainte sous certaines conditions et pas dans d'autres, qui stipule que le patient a en tant que citoyen des devoirs mais aussi et surtout des droits.

C'est au nom de ces lois que l'infirmier occupe la place qu'il occupe, et qu'il peut être conduit à rendre compte de ce qu'il a fait.

Etre malade c'est prendre place, être soumis à un certain mode de gestion de la santé, de la folie, à un moment particulier.

Se souvenir de cela, c'est éviter qu'au nom de la maladie on privilégie des constructions théoriques qui évitent de penser le patient en tant que client (qui finance le soin d'une façon ou d'une autre), que citoyen (qui vote), que plombier, chômeur, électricien, ou enseignant, que père ou mère de famille, etc. Se souvenir de cela c'est affirmer que l'homme et donc le patient est un être composite, sous l'emprise de plusieurs groupes d'affiliation dont aucun ne suffit à le définir de façon exclusive. Comment le citoyen malade mental ou le cantonne pour reprendre le néologisme forgé par Philippe Dupât vit-il sa mise en chambre d'isolement ?

Nous tenterons de répondre à cette question en laissant la parole au patient lui-même, nous avons pour ce faire élaboré un questionnaire en 14 points que nous avons soumis à 10 patients suivis par le XIV secteur de Paris.

1 - DEROULEMENT DE L'ENQUETE

Le recueil de données était exclusivement composé de questions ouvertes, ce qui nous a permis lorsque cela a été possible de mener un entretien semi-directif.

Seul 10 patients ont accepté de répondre à ces questions : neuf patients en cours d'hospitalisation, et un sorti depuis six mois.

Les questionnaires ont été recueilli par un infirmier étranger à la structure de soin, qui ne partageait en aucune façon le quotidien des patients. L'infirmier s'est engagé à respecter strictement l'anonymat des patients, il serait le seul à connaître leurs réponses et ne les divulgueraient en aucune façon à l'équipe soignante.

Il s'est par ailleurs engagé à faire remonter leurs réponses, après dépouillement, vers les soignants, la direction du Service de Soins Infirmiers et la direction du C.H. Esquirol, afin d'éviter que ces réponses ne soient lettres mortes.

Toutes les réponses ont été relues aux patients, qui ont pu modifier ce qu'ils souhaitaient modifier et approuver la retranscription de leurs paroles.

A une exception près, aucun patient sorti de l'hôpital n'a voulu se replonger dans cette expérience douloureuse. Tous ont répondu qu'ils préféraient oublier ce qu'ils avaient vécu en C.I.

Pour ceux qui ont accepté de répondre, l'expérience semble avoir été très douloureuse, chacun a accompli un réel effort pour faire resurgir des souvenirs parfois très proches. Un temps de récupération leur a tous été nécessaire, l'infirmier référent de cette recherche a du cadrer, redonner du sens, restituer les trajets accomplis depuis ces séjours.

Ne considérant pas à cette étape les patients comme des schizophrènes, des paranoïaques ou des psychopathes, nous ne nous sommes pas du tout intéressés à leur pathologie Nous nous sommes bornés à recueillir le plus fidèlement possible ce qu'ils exprimaient de leur vécu.

2 - RESULTATS

Les durées d'isolement sont assez inégales : de deux jours pour la durée minimum à trois mois pour la durée la plus importante, avec une moyenne de 15 jours - 3 semaines. Cette durée est à apprécier avec prudence, les points de repères temporels n'étant pas forcément très fiables.

Nous n'avons pas observé de rapports évidents entre durée de l'isolement et souffrance du patient.

Parmi ces dix patients, aucun n'a dit que cette M.C.I. était justifiée.

Certains ont expliqué leur séjour par des passages à l'acte : une bagarre, un refus de médicament, "J'ai mis mon verre de médicament à la figure d'une infirmière qui avait été mesquine avec moi". D'autres ont donné des raisons davantage reliées à leur pathologie : "J'entendais des voix", "Je délirais", "J'avais des mouvements d'humeur, des troubles émotionnels. J'avais tendance à fusionner dans tous les sens".

Le vécu des patients ne s'exprime pas d'une façon uniforme. Il est possible de repérer des différences selon l'unité de soins, la qualité de relation établie avec les soignants et les conditions matérielles d'isolement.

Si un patient a vécu facilement un séjour en chambre d'isolement qui n'était finalement pas si long (15 jours - 3 semaines tout de même), si un autre "endormi par des piqûres ne s'est rendu compte de rien", le ressenti est la plupart du temps extrêmement sombre.

Les patients évoquent les limitations : "Je ne pouvais pas sortir", "Je ne pouvais pas fumer". "Les soignants t'imposent tout, te mettent en position de mendiant...mendier une cigarette, une discussion".

La plupart d'entre eux dénoncent les conditions matérielles d'isolement :

w "La lumière est constamment allumée".

w "Lorsqu'on veut aller aux toilettes, ils disent dans une demi-heure mais on n'a aucun moyen d'apprécier le temps qui passe".

w "Les fenêtres sont trop vieilles".

w "Les vitres sont en Plexiglas, on voit des ombres passer devant la porte, mais on ne sait pas qui c'est".

w "Les murs sont sales, chacun fait ses graffitis. On finit par ne plus percevoir que ces graffitis qui finissent par nous rendre fous. Le moindre dessin devient un diable cornu qui veut nous attirer dans le néant".

L'isolement est le plus souvent comparé avec la prison.

"Je me suis senti enfermé en prison". "J'ai appris que même en prison, je ne deviendrais pas complètement fou". "C'était pire que la prison... En prison ils ont des promenades obligatoires, des sorties, nous non ; en prison il y a des sanitaires, des W-C. à la turque, ici on n'a droit qu'au seau hygiénique dans la chambre". "J'ai fait six ans de prison, à côté d'ici la prison c'est le paradis. En prison on sait combien de temps ça dure, ici non. En prison on a la télé dans la chambre, on a droit aux sorties obligatoires, à la radio encastrée dans le mur, ici rien. On peut même recevoir des visiteurs de prison, on peut apprendre un métier".

Il est certes possible d'atténuer ce contact en évoquant la fascination exercée par la prison sur certains patients psychopathes ; les patients se référant aux éléments réels et matériels de la prison, il nous semble difficile de ne lire leur parole qu'avec une grille de lecture se référant à la psychopathologie.

Concernant l'attitude des soignants au moment de la M.C.I., les réponses ne sont pas unanimes. Notons d'abord qu'un patient n'a pas souhaité répondre à cette question.

w "J'espère qu'ils ont fait tout ce qui fallait pour me remettre sur les rails".

w "On ne peut pas leur faire confiance, ils disent des paroles gentilles pour apaiser et ils appellent leurs copains pour te faire la piqûre, pour te maintenir".

w "Non le soignant, c'est le gardien des clés, le geoaillier".

w "Certains furent amenés à faire bien pire, tout en faisant leur travail".

w "Ils savent qu'ils peuvent nous acheter avec des cigarettes. Si vous n'êtes pas sages pas de cigarettes".

w "Ils agissent comme des sauvages, comme des gens inhumains... Dépêchez-vous de finir, on n'a pas que ça à faire. On a du travail ! Est-ce que leur travail ça n'est pas aussi s'occuper de moi ?".

Dans une telle atmosphère les patients n'arrivent pas à se représenter les soins, notamment au niveau relationnel, ils ne les perçoivent tout simplement pas.

Alfred évoque un soin de pied. Les autres, tous les autres n'estiment pas avoir eu de soins à l'exception des piqûres et des médicaments distribués.

w "Ils donnent des médicaments que toi tu refuses".

w "A Villejuif, ils me donnaient des médicaments pour que je puisse mieux supporter l'isolement, pour que je puisse dormir, dormir, dormir".

Ce séjour leur-a-t'il apporté quelque chose ?

Si Alfred estime avoir retrouvé la réalité des choses, si Pierre pense que ce séjour a remis les choses en place, Bernard affirme qu'on aurait pu obtenir les mêmes choses sans le faire souffrir autant.

w "On tire expérience des pires choses qui nous sont arrivés, ici c'est le cas".

w "La psychiatrie oui, mais pas d'isolement. Ca m'a appris à réfléchir, à me contenir".

Et dans cet aveu, le premier qui ne soit pas déni de la pathologie, il y a tout un espoir, un monde à reconstruire.

On pourrait se dire parvenu à ce point que l'expérience est douloureuse mais qu'au moins elle soigne, à la façon d'un électrochoc certes, mais elle soigne.

Le vécu des patients nous renvoie tout à fait le contraire.

Contrairement à ce qu'écrit Vignat, l'isolement n'a pas pour les patients interrogés un effet protecteur, au contraire. Le morcellement paranoïde devient non plus un délire mais la réalité.

w "Les ombres qui passent devant la vitre en Plexiglas deviennent des persécuteurs". "Je vivais ça comme une punition, comme un viol, comme une sorte de torture muette. Je ne comprenais pas".

w "Les murs sont sales, chacun fait ses graffitis, ça prend d'autant plus de forces qu'on ne perçoit plus que ces graffitis qui finissent par nous rendre fous".

w "Ils mettent des limites à ta liberté, ils t'imposent tout, te mettent en position de mendiant. Les demandes que tu fais ne sont pas des demandes de charité, mais un dû. Tu demandes le minimum légitime que tu n'arrives pas à avoir".

Alors, les patients ne comprennent pas.

w "Ca m'a frustré, je suis resté bloqué, comme un p'tit loup bébé qui voit son père en colère. Je savais pas ce qui allait me tomber dessus".

w "C'est vraiment angoissant, on n'a plus de point de repère, la lumière est tout le temps allumée. Lorsqu'on veut aller aux toilettes, ils disent dans une demi-heure mais on n'a aucun moyen d'apprécier le temps qui passe".

Ca provoque la colère, la révolte.

w "On a l'impression de retourner à un état animal... Ca permet de tout faire sortir physiquement. On peut se laisser aller à sa violence".

w "Quand on est en manque de cigarettes, on casserait tout, on a l'impression d'être dans un labyrinthe".

w "Je me servais du lit en ferraille pour défoncer la porte. Du cou, ils ont enlevé le lit. Tu perds ta dignité d'être humain".

On pourrait penser que de telles exactions modifient la relation soignant/soigné, que ces geoailliers. D'une façon paradoxale, il semble bien que non. Si Daniel n'a toujours pas digéré sa M.C.I., si Bernard ne peut plus saquer son médecin, les autres patients nuancent.

w "T'oublies assez vite le comportement des infirmiers, surtout quand tu les connais mieux. Emile, par exemple, je pouvais pas le saquer, mais en le connaissant mieux, ça a changé. Quand tu sais comment il fonctionne dans sa tête , tu te dis c'est un type bien".

On voit même des différences s'opérer, des patients investir le soignant qui a atténué les règles strictes d'isolement.

w "J'avais envie d'avoir des contacts, de la chaleur humaine... Il y a un infirmier que je trouve merveilleux, c'est Claude : quand il me voyait en colère, avec un mot il me calmait. Je jouais au gros dur, lui il était tendre".

w "Certains infirmiers avaient l'air embêté, ils suivaient le règlement, c'était pas leur faute, ils essayaient de me réconforter, ils me laissaient un quart d'heure de sortie, me donnait deux cigarettes au lieu d'une".

Quels conseils donneraient-ils à un autre patient isolé ?

Le conseil paradoxal par excellence, celui qu'il est impossible de tenir : "Restez calme" à l'unanimité. "Essayer de cacher sa haine, avoir le sourire quand ils vous enferment, avoir le sourire quand on lui ouvre, cela lui épargnera peut-être quatre jours d'enfermement".

Tout cela ne signifie certainement pas qu'il ne faille pas recourir à la chambre d'isolement en cas de nécessité. Les patients eux-mêmes ne le demandent pas : "Dans certains cas de violence je peux admettre que l'on consigne quelqu'un dans sa chambre, qu'on le calme par injection, mais qu'on le laisse enfermé 15 jours dans une chambre pour des sornettes est une pure folie".

Que demandent-ils ?

Qu'on prenne en compte leurs besoins, même en chambre d'isolement, que l'on prenne soin d'eux, même en chambre d'isolement, qu'on se soucie d'eux même en chambre d'isolement, qu'on les considère comme des individus responsables, même en chambre d'isolement.

Le petit nombre des patients interrogés ne nous permet pas d'aller plus loin pour l'instant, rappelons qu'en 1994 et 1995, il y a eu 15 patients isolés dans notre secteur.

La dernière question proposait de substituer au terme chambre d'isolement un autre terme plus descriptif, le mot prison est apparu 6 fois, François nous a répliqué :

w "Et pourquoi ne pas demander à Danton s'il faut changer le nom de la guillotine ?".

Retour
compte rendus
congrés
Retour
Sommaire
congrés isolement

nous contacter:serpsy@serpsy.org