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De l'obligation de soins

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Dr GAUSSARES

Improvisons un débat autour de l'obligation de soins.

Je viens de lire un article de Pelé très intéressant sur le traitement institutionnel des paranoïaques, il propose cinq règles pour l'isolement des patients:

1/ Ne pas essayer de convaincre le patient qu'on va être gentil ou que l'on est gentil ;

2/ Ne pas essayer de convaincre le patient que le traitement qu'on va lui donner est bon, parce qu'à ce moment là, en paraphrasant Watslawick, on pourrait se dire: "ils ne chercheraient pas à se donner autant de mal, s'ils n'allaient pas justement m'en faire."

3/ Ne pas essayer soi-même de se convaincre et ne pas essayer non plus de rationaliser, c'est à dire essayer d'expliquer tout un tas de choses au patient qui est dans cette situation de crise;

4/ Ne pas essayer de faire des interprétations, même si on a compris pourquoi l'isolement est nécessaire et pourquoi l'agitation est survenue;

5/ Nous sommes des ambassadeurs de la réalité, c'est ce que disaient Racamier et Guyautin, et en tant qu'ambassadeurs de la réalité, nous devons être dans une attitude de rupture, et cela implique obligatoirement l'intervention de tiers institutionnalisés c'est à dire, ne jamais être seul pour isoler quelqu'un et ce tiers institutionnalisé peut être le Juge des enfants, n'importe qui, y compris le magistrat qui demande une hospitalisation d'office judiciaire.

Tout cela mérite, cependant d'être nuancé et je citerai M. Lantéri-Laura, lors d'un colloque en Ardèche: "dans cette dimension sadomasochiste, il fut éviter, d'un côté la mise en scène qui, par essence même d'un protocole un peu sophistiqué rentre dans cette perspective sadomasochiste, et de la mise en acte qui est celle de la dangerosité. La mise en acte, qui se rapprocherait justement de la notion d'isolement, alors je vous propose quelques sujets de réflexion sur la situation d'obligation de soins.

Il faut savoir que c'est la notion de dangerosité qui a créée la psychiatrie. En 1810, lorsqu'on promule l'article 64, il faut attendre 28 ans avant que l'on sache quoi faire des anormaux mentaux, des déséquilibrés.

Et si l'on se penche sur les débats qui ont eu lieu en 1872, au Sénat, pour la réforme de l'article 64, à la virgule prêt, on a affaire au débat qui a eu lieu en France pour l'institution de l'article 122.1 du Nouveau Code Pénal.

A la virgule prêt, les sénateurs reposent la même question.

Et si l'on réfléchit à cette notion de dangerosité, il faut savoir que la loi de 1838 a introduit une véritable révolution, pour la première fois elle a annulé le droit romain, bâtit sur la notion d'acte, c'est à dire qu'il faut qu'un acte soit imputable, et en justice, on prouve la culpabilité par rapport à un acte, et c'est à ce niveau que la loi de 1838 a inauguré pour la psychiatrie avec la notion d'état, état dangereux pour soi-même et pour autrui; et c'est en cela que sont associée la folie et le danger.

Expert auprès de la Cour d'Appel de Bordeaux, je dois parfois répondre à cette question de dangerosité, or il est impossible de prédire scientifiquement la dangerosité, tout psychiatre sait qu'un patient peut surprendre par sa gentillesse, la régularité avec laquelle il vient à ses rendez-vous alors qu'un jour il a pu commettre un acte éminemment grave. Et en revanche, certains patients qui présentent tous les signes cardinaux de la dangerosité, ne passeront jamais à l'acte.

Alors pourquoi dans les services de psychiatrie, y a-t-il tant de sorties d'essai ?

Je viens d'effectuer une expertise dans un service d'un secteur difficile de la région bordelaise, service où il y avait 25 sorties d'essai ! Est-ce bien dans l'optique de l'obligation de soins ?

Je vous livrerai alors la réflexion d'un de nos collègues qui siégeait lors des réunions pour une réforme de la loi de 1838, pour la loi de 1890,: "Si le droit dit la Loi, cela donne enfin un repère aux juges, le psychiatre lui, doit gérer la fourchette des tolérances entre ce qui est, ce qui pourrait être, et ce qui devrait être. Et nous n'avons pas à fuir devant cette culpabilité, et nous ne devons pas fuir devant cette subjectivité et il y va forcément dans l'isolement de la réactualisation d'un savoir dans le 'ici et maintenant' d'expériences que nous avons déjà vécues, de patients pour lesquels nous avons demandé des sorties d'essai, et dans mon service, puisque je suis un "ex-responsable" d'une U.M.D. (maintenant je suis dans une unité pour "malades faciles") , alors dans ce service je demande aussi des sorties d'essai parce que je souhaite la continuité du traitement et en particulier pour les patients paranoïaques, prenons un exemple :

John B. était un patient qui avait été placé à l'hôpital général de New York : il avait été condamné à une peine judiciaire parce qu'il avait commis un homicide, c'était un paranoïaque dangereux.

Il a attaqué l'état de New York, dans les années 70 et la jurisprudence américaine a fait qu'effectivement il est sorti, et comme il est sorti, 927 autres patients sont sortis dans l'état de New York.

Ces 927 patients ont été une cohorte sociologique tout à fait remarquable, et je citerai surtout l'étude de Harding en 1985 : Sur ces 927 individus, 3% ont été remis en hôpital de haute sécurité, 40% ont été de nouveau arrêtés et replacés à l'hôpital, essentiellement pour délit de vagabondage et à cause de leur désinsertion.

Et Harding, en 1985 disait : " Il est évident que ces patients se vivaient plus comme détenus que comme patients, et qu'en fait ils avaient fonctionné après, aussi comme des détenus.", ce qui est une condamnation directe des hospitalisations longues et c'est pour ça que l'on fait des sorties d'essai.

Mais à ce moment-là, où sont les patients ?

Dans les premiers numéros de V.S.T. , le Dr Roelandt écrivait " Dans un univers post-psychiatrique, la liberté du fou se paiera au pris de l'exclusion de quelques uns. ". Le plus grand hôpital psychiatrique de Paris est le métro et à Bordeaux c'est notre rue piétonne du Centre, et quand on voit la Loi du 27 juin 1990, tout est fait pour prévenir l'internement arbitraire, mais rien n'est fait pour mieux soigner; ce qui ressort aussi de cette loi, on va parler de l'hospitalisation d'office : Ne doit-elle pas être réformée ?

Il était prévu en 1990, que la Loi serait réexaminée cinq ans après.

Il faut réévaluer cette loi.

On assiste à Bordeaux à une multiplication des hospitalisation d'office : on attend le casus belli pour hospitaliser.

Alors effectivement, nous mettons notre personnel soignant en difficulté.

Maître Soulez-Larivière, dans un édito de Libération qui titrait sur la génération borderline, se posait la question de la notion de contenant.

Posons nous aussi la question de cette notion de contenant, en 1970, quand le secteur a été créé, on avait de grandes concentrations hospitalières de 200 lits, le psychiatre pouvait tout à fait relire le livre de Goffman, "Asiles", écrit en 1960, aujourd'hui, sur une unité de 40 lits, le même travail sur la contre-culture du soigné me parait impossible. Autrefois, sans parler de système de caïda, les patients s'auto-régulaient et avec les deux ou trois infirmiers en service ne posaient pas de problème de proximité, ce qui a justifié l'isolement thérapeutique c'est cette diminution de nombres de lits et donc modification des prises en charge dans la proximité qui nous force à des obligations de soin et que l'isolement peut être vécu comme tel.

Si on poursuit le raisonnement pourquoi n'y aurait-il pas deux catégories de placement ?

L'une qui serait du côté de l'obligation de soin,

Et l'autre qui serait plutôt un versant judiciaire : l'hospitalisation d'office.

Cependant, attention, car si on confie à la magistrature la sortie des patients, ils ne la permettront jamais.

Il faut savoir qu'aujourd'hui nous avons la chance que ce soit une décision administrative qui nous permette de faire ce que j'appelle des hospitalisations d'office thérapeutiques.

Quand on sait ce qu'un patient, après quatre mois d'arrêt de traitement, va faire, on met en place avec la mairie une hospitalisation d'office, et trois ou quatre jours après le patient ressort son traitement remis en route.

La contrainte n'existe pas en psychiatrie, c'est un terme purement juridique; nous n'avons pas le droit d'être sous la contrainte, et pourtant nous sommes hors-la loi, et là est la subjectivité du patient et se trouve aussi la subjectivité du médecin qui impose l'hospitalisation d'office ou la sortie d'essai, pour maintenir le traitement.

Dans les prisons il y a à peu près 30% de "patients", de personnes présentant d'authentiques symptômes psychiatriques; ce que disait Roelandt dans son article cité plus haut, décrivait un peu ce que nous voyons à la mode anglo-saxonne, c'est à dire faire de l'errance un système soignant, mais quand ces patients arrivant à l'hôpital, génération borderline, je pense que tous nos infirmiers seront exposés, et en particulier aux urgences.

Citons pour exemple le cas des agresseurs sexuels, il existe aujourd'hui toute une littérature sur leurs traitements thérapeutiques.

Un collègue qui travaille dans une Maison Centrale de la région m'a dit : " Moi,, père de famille, citoyen, je ne peux pas laisser sortir ce patient qui vient de faire quatorze années de détention, il faut qu'il soit soigné, il faut qu'il soit pris en charge par une équipe d'experts", et on a accolé à une peine judiciaire, une peine psychiatrique en hospitalisant d'office ce patient.

Le patient a bien évidemment déposé une plainte auprès du Procureur de la République, il m'a été donné de l'expertiser, et effectivement j'ai demandé le maintient en hospitalisation d'office.

Je suis hors-la-loi, et si le Président du Tribunal ne veut pas me suivre il aura tout à fait raison, car la peine est terminée, et nombreux sont mes collègues de l'U.M.D. de Cadillac qui pourront vous dire que bien souvent des malades leur sont arrivés à qui on avait dit qu'ils allaient passer une radiographie! Allez expliquer comment agir à un infirmier, face à un malade qui arrive dans ces conditions, s'il faut systématiquement ou non l'isoler pendant cinq minutes dés son arrivée.

Je voudrais conclure sur simplement ceci, que si autrefois on a eu affaire à un courant freudo-marxiste, après mai 1968, nous avons voulu désinstitutionnaliser les services dont nous avions la garde, et c'est justice, aujourd'hui se pose la question de l'isolement d'un certain nombre de gens, et en particulier des anormaux mentaux déséquilibrés, qu'il est nécessaire d'isoler vue les problèmes qu'ils posent, est-ce l'administratif, ou bien le judiciaire qui va s'occuper de ces gens.

Où va-t-on placer ces gens ? Etant entendu qu'il ne faut pas reprendre le débat mené à la fin du siècle dernier avec en particulier Falret qui s'est battu contre les hopitaux-prisons, mais demeure là un domaine qui échappe à la psychiatrie et qui va nous poser problème.

Et je crois qu'en faisant un peu moins d'internement arbitraire et beaucoup d'externement arbitraire, nous avons perdu de notre subjectivité.

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