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LES "FIXATIONS" :
UNE ALTERNATIVE A L'ISOLEMENT ?

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Docteur V. BOUVILLE

Docteur BECKER

Comme le titre de mon exposé le laisse entendre, je vais vous entretenir d'un type de contrainte physique utilisé habituellement dans les services psychiatriques allemands et qui consiste à attacher un patient sur son lit à l'aide de lanières de cuir.

I - LE TEXTE DE LOI

L'attachement d'un patient est réglementé par la loi concernant les malades mentaux du 20 mars 1985. Le paragraphe 29a considère les mesures dites " de sécurité particulière" : elles ne sont à mettre en pratique que s'il existe dans l'immédiat un risque considérable que le patient placé ne se tue ou se blesse sérieusement, ou qu'il devienne violent ou bien encore qu'il quitte sans autorisation l'établissement de soins, et si ce risque ne peut être réduit d'une autre manière.

Ces mesures de sécurité particulières sont :

1 w la réduction de liberté de déplacement,

2 w la confiscation d'objets,

3 w la séparation dans une chambre spéciale : la chambre d'isolement,

4 w l'attachement.

Chacune de ces mesures de sécurité doit être ordonnée et limitée dans le temps par un médecin et doit être immédiatement levée dès que les conditions de sa mise en vigueur ont disparu.

La mise en place d'une telle mesure, ainsi que sa levée sont à documenter.

L'avocat du patient doit être prévenu sans délai.

II - DANS LA PRATIQUE

On décide d'attacher un patient lorsqu'il est dans un état d'agressivité ou de démence tel que son comportement devient dans l'immédiat dangereux pour lui-même ou pour les personnes l'environnant sans qu'il soit possible de le calmer d'une autre manière.

Par exemple, s'il frappe une autre personne ou jette autour de lui, des objets qui pourraient blesser une autre personne, tente de se blesser lui-même sans qu'il soit possible d'entrer en contact verbal avec lui. S'il est en proie à des hallucinations qui l'empêchent de voir la réalité telle qu'elle est comme dans la psychose aiguë ou s'il est dans un tel état de colère qu'il ne peut se résoudre à renoncer à la violence de lui même, comme dans les cas limites.

Exemple Œ :

Madame N., 40 ans, souffre de schizophrénie depuis sa 17ème année. Elle est hospitalisée dans le service pour la 23ème fois en raison d'une recrudescence aiguë d'hallucinations corporelles, auditives et visuelles. Elle entend continuellement des voix qui la dénigrent. Elle sent certains organes de son corps se retourner ou se déformer. Dans la matinée qui précède son attachement elle voit des feux à différents endroits du service, se précipite pour chercher de l'eau qu'elle transporte dans des serviettes et des draps qu'elle a trempés dans un lavabo, inondant ainsi le service en quelques minutes le service. Elle jette un verre d'eau à la figure d'un autre patient qui vient d'allumer une cigarette et crie "au feu !". Elle est très agitée et en proie à une grande angoisse. L'équipe infirmière et le médecin décident de l'isoler dans la chambre d'observation, chambre séparée de la salle de soins par une grande vitre, et de lui administrer un neuroleptique à action rapide et retardée : le Ciatyl Accouphase. Quelques minutes après l'injection,

Madame N. grimpe sur un des lavabos de la chambre dont l'arrivée d'eau a été coupée et hurle que le sol est en flammes, que ses pieds brûlent. Madame N. pèse près de 100 Kg et il est à craindre que le lavabo ne puisse la soutenir et qu'elle se blesse en tombant. Avec l'aide de cinq personnes, elle redescend du lavabo contre son gré, continuant à hurler qu'elle se brûle les pieds sur le sol en flammes. On l'attache avec difficulté sur son lit, une infirmière reste à son chevet et tente de la rassurer en lui parlant. Le médecin fixe la durée de l'attachement à 1 heure 30 minutes en espérant que le neuroleptique injecté fasse son effet d'ici-là. Un des infirmiers doit rester parler avec elle. Au bout d'une heure, Madame N. est toujours en proie aux hallucinations et continue à crier "au feu !". L'heure suivante, Madame N. se calme peu à peu, prend contact avec l'infirmière assise à son chevet, " le feu s'est éteint ", Madame N. est détachée.

Exemple :

Mademoiselle D., 25 ans, souffre d'un trouble de la personnalité de type impulsif. Elle est connue dans le service depuis deux ans où elle est hospitalisée régulièrement en raison de graves tendances destructrices envers elle même et/ou les autres. Depuis janvier 1995, Mademoiselle D. a été attachée 69 fois. J'ai choisi de décrire une situation caractéristique : Mademoiselle D. est depuis son lever de mauvaise humeur, chacun dans le service, patient ou soignant, a noté que c'était un jour ou il valait mieux ne pas se frotter à elle. Tout à coup, sans qu'un événement quelconque puisse expliquer cette réaction, Mademoiselle D. se saisit d'une table qu'elle jette en travers du couloir. Elles se munie ensuite d'une chaise avec laquelle elle tente de briser une vitre sans y parvenir. De rage contre son échec, elle écrase du pied ses lunettes de vue et crie qu'elle "va se foutre en l'air". Lorsqu'un des membres du personnel essaie de s'approcher d'elle, de lui parler, elle se jette sur lui et le frappe. Aussitôt les autres infirmiers la mobilisent et l'emmènent sur son lit où elle est attachée. La durée de l'attachement est fixée par le médecin à une heure. Dès le moment où Mademoiselle D. a été mobilisée, elle s'est calmée, peu après l'attachement, toute trace de colère, de nervosité ou d'agressivité a disparu. Mademoiselle D. ne désire cependant pas être détachée et dit qu'elle ne peut garantir de rester calme. Au bout d'une heure, comme convenu avec le médecin, elle est détachée.

III - LES SOINS PENDANT UN ATTACHEMENT

Le lit sur lequel le patient est attaché est placé soit devant la salle de soins dans l'aire de détente, soit dans la chambre d'observation d'où il peut voir la salle de soins et être vu du personnel. Il est important qu'il puisse à tout moment entrer en contact avec le personnel. L'attachement ainsi que sa durée sont ordonnés par un médecin et consignés sur un protocole standard. Ce même médecin est tenu d'examiner psychiatriquement le patient, il tente par un entretien de le rassurer ou de le calmer, il décide éventuellement de lui administrer un médicament.

L'équipe infirmière est en contact permanent avec le patient durant son attachement. Elle consigne également dans un protocole standard les soins apportés au patient et l'évolution de son état. Elle lui propose à boire, à manger, l'emmène aux toilettes si nécessaire. Elle examine chaque demi-heure si le patient peut-être détaché ou non.

En dehors de ces "soins de base" qui sont les mêmes partout, les conditions d'un attachement diffèrent d'un service à l'autre en fonction de l'optique thérapeutique du service, de son histoire et de l'état du patient. Par exemple, un service favorisant la pharmacothérapie choisira plutôt d'administrer au patient un sédatif et réduira la durée de l'attachement, un service ayant une volonté psychothérapeutique mettra l'accent sur le dialogue avec le patient, avant, pendant et après son attachement.

Dans notre service, le soin d'un patient attaché est décidé par l'équipe infirmiers-psychologue-médecin au cas par cas : Faut-il administrer un neuroleptique, un anxiolytique, un sédatif ou non ? Est-il nécessaire qu'un soignant reste au chevet du patient en permanence ? Dans quelles conditions le patient sera-t-il détaché ? Le patient doit-il être placé dans la chambre d'observation ou devant la salle
de soins ?

Ce dernier point me semble être au sein de la discussion d'aujourd'hui d'une particulière importance et sur lequel je reviendrai tout à l'heure.

Du point de vue juridique, pour chaque attachement deux protocoles sont remplis : un par le médecin, l'autre par l'un des infirmiers.

Dans ces protocoles sont consignées les raisons précises de l'attachement, l'évolution de l'état du patient et l'heure à laquelle le patient a été détaché.

L'avocat, le tuteur ou le curateur du patient sont à prévenir sans délai, ainsi que le chef de service qui contresigne les protocoles.

Lorsqu'un patient ayant été attaché n'est pas en placement, il doit être examiné dans les 24 heures suivant le début de l'attachement par un médecin expert extérieur de l'hôpital qui décide de la nécessité ou non d'un placement.

Par exemple, si le patient accepte cette mesure de contrainte contre lui comme ayant été nécessaire et s'il a recouvré toutes ses capacités de jugement lors de l'examen, un placement peut être évité. Dans le cas contraire, le médecin expert rédige un rapport écrit sur l'état du patient qu'il communique au juge qui décide, après audition du patient, en général au cours de la même journée, du placement et de sa durée.

IV - LES CHIFFRES

Pour vous donner une idée de la fréquence des attachements dans un service de psychiatrie générale, voici quelques chiffres :

Dans notre service comptant 66 lits dits pour malades aigus, depuis janvier 1995, 630 entrées ont été enregistrées et 194 attachements ont été pratiqués sur 59 patients parmi lesquels 35 hommes et 24 femmes. 11 patients ont été attachés plusieurs fois comme Mademoiselle D., citée tout à l'heure, qui a été attachée 69 fois, Madame H., 20 fois, Mademoiselle S., 13 fois, Monsieur Z., 10 fois, etc. ...

La durée des attachements est très variable, allant de quelques minutes à plus de dix heures. 54 % ont une durée inférieure à deux heures, 8 % une durée supérieure à dix heures, ne dépassant cependant pas 20 heures.

Les raisons de l'attachement :

Dans 65 % des cas, l'attachement est décidé en raison de l'agressivité du patient envers l'environnement, dans 30 % des cas pour auto-agression. Cependant, il est important de préciser, même si cela n'est pas toujours clair pour le patient et malheureusement parfois pour les soignants, que l'attachement n'a pas caractère de sanction, qu'il intervient pour parer à un risque.

Dans 5 % des cas l'attachement est utilisé pour administrer un médicament contre le gré du patient, il dure dans ce cas quelques minutes.

V - LE VECU DU PATIENT

Notre service mène depuis mars 1995 une étude sur le vécu du patient lors de son attachement. A l'aide d'un questionnaire nous interviewons chaque patient deux fois, la première fois peu après son attachement, la seconde fois peu avant sa sortie de l'hôpital. Nous essayons au travers du questionnaire de saisir la manière dont le patient a vécu et analysé la situation de l'attachement :

Ø Se sentait-il malade ?

Ø A-t'il eu peur ?

Ø Était-il dans un état qu'il qualifierait lui-même de dément ?

Ø L'attachement était-il selon lui justifié ?

Ø Peut-il accepter d'avoir été fixé ou est-ce pour lui une mesure de contrainte inadmissible ?

Ø S'est-il senti menacé ou maltraité par le personnel soignant ?

Ø L'attachement lui a-t-il apporté un soulagement ?

Ø Comment aurait-il souhaité être traité ?

Bien entendu les réponses diffèrent souvent entre les deux interviews, beaucoup de patients acceptent dans la deuxième interview la nécessité de l'attachement qu'ils trouvaient inadmissible lors de la première interview. En règle générale, les patients acceptent d'avoir été attaché mais sont d'avis que l'attachement n'était pas absolument nécessaire, qu'il aurait pu être évité. Comme alternative, ils proposent le dialogue, rarement l'administration d'un médicament. Pour plus de 60 % des patients l'attachement marque cependant le moment à partir duquel ils se sont sentis en sécurité. Pour certains, l'attachement marque la fin du cauchemar dans le sens ou quelle que soit la quantité de violence auto ou hétéro-agressive qui les habite, par l'attachement plus rien ne peut être détruit.

On peut pour ainsi dire laisser libre cours à la rage sans courir de danger. Pour d'autres, l'attachement reste une humiliation intolérable. Un jeune homme de 25 ans, turc, parti en voyage pathologique par avion vers Istanbul, contraint par son comportement surexcité au bout d'une heure et demie de vol le pilote à faire demi-tour vers Berlin. A l'atterrissage il était attendu par la police qui le conduisit en menottes jusque dans notre service. Sur le conseil du médecin les menottes lui furent alors retirées. Peu après, le jeune prit la tête du médecin dans ses mains, lui donna un coup de tête en expliquant qu'il ne pouvait pas être fou puisqu'il avait la tête aussi dure. Il fut attaché durant une heure, reçut aussitôt un neuroleptique en injection intraveineuse et un sédatif en intramusculaire. Pendant les deux interviews, il m'expliqua qu'on l'avait traité comme un chien, que ce soit la police ou le personnel du service, qu'il n'avait fait de mal à personne et ne méritait pas d'être humilié, bafoué de la sorte.

J'ai cité cet exemple pour aborder brièvement le coté punitif de l'attachement pour certains patients. En particulier pour les patients souffrant de symptômes paranoïaques, l'attachement est vécu comme une sanction contre un acte ou un comportement dont ils sont accusés à tort. L'attachement ne peut être vu que comme une punition injustifiée et ne peut être envisagé comme une aide puisque le patient ne se perçoit pas comme malade. Pour les patients ayant des tendances masochistes, l'attachement peut être l'objet d'auto-agressivité et de manipulation du personnel soignant. Comme c'est le cas pour Mademoiselle D. citée tout à l'heure, certains patients se sentent soulagés par l'attachement et provoquent inconsciemment la situation de danger imminent qui va pousser le personnel soignant à prendre la décision de l'attachement.

Pour le personnel soignant, l'attachement prend également quelquefois des allures de sanction. En particulier avec les patients agressifs et manipulateurs qui dénigrent et critiquent continuellement la qualité des soins, les soignants ont parfois tendance à "oublier" qu'il s'agit d'une personne malade et adoptent un comportement "éducatif" vis-à-vis de lui, dont l'attachement constitue une des armes. Il est important pour un soignant de connaître les possibles blessures narcissiques que notre travail, de par sa nature, peut nous infliger afin d'éviter que l'attachement, ou toute autre mesure de contrainte, ne devienne instrument de représailles.

Pour conclure cet exposé, je voudrais tenter une comparaison entre l'isolement d'un patient et son attachement.

Bien que l'attachement apparaisse comme plus barbare, plus primitif que l'isolement, il est peut-être plus humain dans le sens où le patient est tenu physiquement, où il est l'objet d'une attention accrue et parce qu'il reste, malgré l'état de crise aiguë dans lequel il se trouve, au milieu de la communauté que forment patients et soignants dans un service. Par l'attachement, le patient n'est pas isolé du reste du groupe.

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