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La Difficulté d'Evaluer les Pratiques.

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M.J.Y. AUDIGOUT

Mon intervention va nous amener à aborder des sujets extrêmement concrets.

Je vais, en effet, vous entretenir de la manière dont nous avons conduit dans notre établissement, en réponse à l'appel d'offre de l'A.N.D.E.M. , une étude sur la mise en chambre d'isolement.

Par cet exposé, je vais essayer de vous faire partager les difficultés que nous avons rencontrés et, je l'espère, nous conduire à échanger sur ces questions, bien qu'il ne soit pas facile d'entrer dans la culture ou dans le champ de l'évaluation, et c'est d'ailleurs ce à quoi nous nous sommes confronté. C'est de cela dont je souhaite témoigner aujourd'hui.

Je commencerai par essayer d'expliquer le pourquoi de cette évaluation.

Au préalable je tenais à vous rappeler que l'évaluation est une prise de risques, puisqu'on accepte de se confronter à ses insuffisances, à ses manques et à ses limites.

Mon intervention fera écho à la méthode de l'audit clinique proposé par l'A.N.D.E.M. ainsi que les points de difficulté qui apparaissent quand on met cette méthode en oeuvre.

Revenons tout d'abord au cadre du travail : L'hôpital des Murets est un hôpital psychiatrique de moyenne importance qui se trouve à La Queue en Brie. En 1990, il a décidé de s'intéresser à l'évaluation. Nous avons donc organisé un premier colloque : "L'Institution Psychiatrique face à son Evaluation" ; colloque auquel prirent part des spécialistes de cette question, il y eut d'ailleurs quelques échanges " musclés " entre les représentant de l'évaluation et des médecins.

En 1992 fut organisé un second colloque sur la recherche et l'évaluation en santé mentale, terrain sur lequel nous emmènent les modifications des pratiques.

Parallèlement à cette lente maturation des esprits et des concepts, l'évolution des dispositifs de soin, tant au plan des structures ( avaient cours, alors les grands projets de modification des établissements, c'est à dire diminution du nombre de lits, évolution des moyens : en particulier les difficultés liées au recrutement de personnel paramédical, et la féminisation du personnel infirmier;) aura pour conséquence l'augmentation de la pression aux soins dans les services hospitaliers qui sont devenus des services à court séjour pour malades aigus.

- Je fais là référence à la loi hospitalière de juillet 1991. -

L'évaluation, ainsi que nous le rappelle Viviane Kovess, spécialiste en la question, part souvent d'une question incidente, ce qu'on appelle un évènement-sentinelle, qui a été pour nous la difficulté plus ou moins durable et plus ou moins réelle d'accueillir des malades agités difficiles, pour lesquels les solutions classiques de prise en charge sont inefficaces. Soit que ces patients mettent en scène un rapport de force tel qu'il est difficile, voire impossible à certains moments d'y faire face, soit qu'ils focalisent un passif tel, qu'ils génèrent de la violence du fait même de leur présence dans l'unité de soins.

Cette question posée à l'institution bien que très largement occultée, a été relayée à deux niveaux :

Le premier écho à cette question fut posée par un infirmier de manière forte dans un article du journal de l'institution : "Comment doit-on accueillir aujourd'hui des malades agités-difficiles ? Comment peut on faire face à cette violence, à cette agressivité ? Et comment peut on y répondre ? "

En second plan, la Commission de Soin des Services Infirmiers a pris ce problème à bras le corps. Un groupe de travail sur ce sujet a fait un certain nombre de propositions, a donné des indications, et l'aboutissement de cette réflexion a été que, dans le travail sur le projet d'établissement actuel, ( de 1995 à 2000, ) un groupe spécifique a travaillé sur cette question et a fait des propositions sur lesquelles je reviendrai dans ma conclusion.

C'est dans cette lignée que s'est inscrite notre réponse à l'appel d'offre de l'A.N.D.E.M. , étude dont je vais rapidement vous énoncer le développement en mettant l'accent sur les difficultés et les points positifs que nous avons rencontrés :

L'étude commence par la signature, la réponse à l'appel d'offre, qui arrive dans l'institution via un individu, une personne.

Ensuite est signée une convention entre l'A.N.D.E.M. et l'établissement, cette signature est tripartite puisqu'elle engage le directeur général de l'établissement, l'infirmière générale, (c'est à dire les représentant des soignants) ainsi que le représentant du corps médical, chef de service ou président de C.M.E. .

Une difficulté que nous avons rencontrée à ce niveau est que nous ne savions pas sur quel budget payer l'A.N.D.E.M. puisque l'engagement de l'institution n'avait pas été clairement identifié par rapport à l'A.N.D.E.M.

Autre difficulté que nous avons rencontrée, l'étude inclut trois évaluateurs, qui étaient un médecin, une psychologue et un infirmier, j'étais le correspondant institutionnel de par ma position transversale dans l'institution et j'ai été vécu pendant tout ce travail comme l'oeil de la direction des soins, quelque chose inscrit dans une hiérarchie, ce qui n'avait rien de facilitant dans le travail de terrain.

Cette étude fut trop courte, selon moi, et difficile pour tous ceux qui à aucun moment de leur vie professionnelle ou de leurs études n'avaient pratiqué d'évaluation qui ont eu beaucoup de mal à mettre en place les protocoles sur lesquels je reviendrai un peu plus tard.

Aussi : la venue très rapide dans l'institution de Monsieur le Professeur Terra et la mauvaise diffusion des informations sur ces processus d'évaluation parmi les membres du corps médical - en raison de la brève durée de sa présence.

La durée de l'étude modifie-t-elle les comportements des soignants ?

Deux choses me paraissent essentielles :

- Les évaluateurs font partie des services qu'ils évaluent, par conséquent, ils sont directement impliqués dans leur évaluation, or, nous avons constaté que cela pouvait influer sur la durée d'isolement de leurs patients. Le fait qu'ils s'évaluent pouvait d'un côté faciliter leur connaissance des structures hospitalières et autres réseaux et processus, mais dans un même temps cela introduit un biais.

J'ai indiqué la question de la mise en chambre d'isolement parce qu'en demandant tout à l'heure à mon collègue combien de temps en moyenne on isolait un malade et il apparaît qu'on isole parfois des patients plusieurs jours, ce qui dénature l'isolement.

Le soignant interfère dans le déroulement de l'étude;

Le défaut de la préparation du travail qui a été mentionné ci-dessus a fait que le praticien hospitalier responsable de l'unité dans laquelle se trouvait cette chambre d'isolement a répondu et a commencé à remplir des dossiers d'évaluation, par conséquent je suis intervenu lui demandant de ne pas le faire, comme c'était aux évaluateurs de le faire ; ce qui fut la source d'un conflit entre nous.

Après maints constats de cette sorte j'ai demandé aux évaluateurs, par peur de la disparition de toute objectivité du travail, de mettre en place des questionnaires fermés.

Un jour, j'arrive dans le service, et je demande à une infirmière s'il y avait un patient en chambre d'isolement, suite à son acquiescement je la questionne sur sa dernière visite faite au patient, et sur la prochaine, ce à quoi elle me répond "on lui rend visite toutes les deux heures, la première fois que je devais y aller, je n'ai pas pu alors c'est ma collègue qui l'a fait, et l'autre fois non plus, j'avais autre chose à faire."

Quand je suis allé questionner la collègue en question à ce propos, elle m'a simplement dit qu'elle n'y était pas allée pensant que c'était sa collègue qui devait le faire.

Donc ce patient n'avait pas été vu depuis 4 heures.

Pour en revenir à ces grilles que je souhaitais faire instituer, nous voulions qu'elles questionnent sur la date et l'heure d'admission en chambre d'isolement, et aussi, une fois que le patient était isolé, sur le nombre de visites du psychiatre, ce qui, d'après ce que l'on a pu voir sur le terrain, ne dépassait que rarement deux visites par jour.

Quant aux visites infirmière nous avions noté qu'il fallait qu'il y en ait au moins une toutes les deux heures dans notre protocole de mise en chambre d'isolement.

Cette grille n'a pas pu être utilisée, nous nous sommes retrouvés face à un vêto des soignants tous confondus, médical, paramédical et cadres infirmiers.

Enfin, dernier échec auquel nous nous sommes trouvés confrontés, dans le rapport fait par les trois évaluateurs, seules les signatures de deux des évaluateurs apparaissaient, et aussi, il n'a pas circulé comme il aurait dû le faire.

Il ne m'a pas été présenté malgré mon rôle dans cette recherche, ni même aux trois signataires déjà cités plus avant.

Tout cela témoigne du manque de précautions préalables à ce travail et de la jeunesse de ce protocole.

En conclusion, aujourd'hui comment tirer bénéfice de cet audit, pour notre institution .

Nous sommes entrés dans une sorte de culture de l'évaluation, un expert de l'A.N.D.E.M. pour travailler sur l'évaluation du dossier de soin.

La question de l'isolement lu à travers de l'accueil des malades agités difficiles a été traité dans le cadre du projet d'établissement et des propositions ont été faites et un groupe travaille sur cette question.

Un dernier point que je souhaitais évoquer, c'est l'information des patients, hospitalisés sous contrainte, en chambre d'isolement.

Le futur règlement intérieur des hôpitaux qui a été débattu à la Réunion Consultative des Maladies Mentales, contient toute une réflexion à ce sujet.

La question que je me pose et que je vous poserai alors pour clore mon intervention est la suivante :

Avons-nous le droit de maintenir en chambre d'isolement un patient hospitalisé en hospitalisation libre ?

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