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SOINS INFIRMIERS OU
ACCOMPAGNEMENT INFIRMIER
DU PATIENT ISOLE

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Madame M. APT

Madame N. DOLBEAU

La position d'infirmière développe chez le profane une certaine admiration, n'hésitons pas à le dire, une forme souvent inavouée de fantasme. Le mythe de la belle infirmière au chevet du malade, soulageant sa souffrance, n'a pas perdu une ride. Mais lorsque l'on précise que l'on travaille en milieu psychiatrique, là, le visage du profane change de physionomie. Car aucune théorie, n'évince ce que chacun soupçonne de la pratique en ce milieu, contact avec les fous, les dépressifs, les moments de violences verbales et physiques. Bref, le profane assombrit son visage, ne sachant s'il s'agit d'admirer l'infirmière, ou de la plaindre. Une notion de mystère demeure, en ce qui concerne la psychiatrie. Car, la psychiatrie reste bien malgré tout un univers de mystère. Et, aucune théorie n'évitera au soignant "étudiant" ou au soignant de longue date les confrontations du mystère de l'autre, l'autre le fou, l'autre différent dans son abord psychique, l'autre qui n'est surtout pas un peu de soi-même. C'est en ce point qu'il s'agit pour l'infirmier de secteur psychiatrique de franchir un pas.

Car, plus que dans n'importe quel secteur de soin, il est impératif de ne pas créer un fossé entre la théorie et la pratique. L'expérience du soignant, lorsqu'il se questionne, ne cesse de démontrer que ce questionnement est tout un cheminement individuel et collectif. Parce que cela implique l'infirmier et l'éventail de relations humaines auquel il se confronte. Professionnellement, nous dirons que cela implique, le cortège de symptômes avec lequel il lui faut travailler. Autant dire, que l'expérience elle-même n'a pas de fin, puisque le questionnement qui s'y rallie ne s'épuise quasiment jamais.

Alors prenons ce questionnement par un bout, et abordons un cas clinique qui implique cette fameuse relation soignant-soigné. Il s'agit d'une expérience, disons-le, ratée en ce qui concerne l'effet thérapeutique souhaité. Mais en contre partie, c'est une expérience réussie, en ceci, qu'elle soulève les points fondamentaux d'une pratique vivante, toujours en mouvement. Elle écarte l'idéal soignant, si lourd à porter, difficile à concevoir si ce n'est en théorie. Être infirmier de secteur psychiatrique est une pratique qui se révèle incessamment enseignante.

Cas clinique :

Christine est hospitalisée pour sevrage éthylique. L'hospitalisation se déroule sans fait particulier, le sevrage donne satisfaction, nous n'observons plus de symptômes liés au manque d'alcool, l'état somatique s'améliore.

A la veille de passer une scintigraphie artérielle dans un service spécialisé, Christine obtient une autorisation pour aller en ville pour y effectuer quelques achats. Notons qu'elle aussi à la veille de sa sorite définitive du service de psychiatrie, la scintigraphie étant un dernier examen avant sa sortie.

Elle revient de la permission comme prévue, à 18 heures, malheureusement, en état d'ivresse.

Nous ne pouvons que lui conseiller le repos, afin qu'elle puisse, le lendemain passer son examen; mais Christine ne l'entend pas de cette oreille, désinhibée, elle préfère s'affronter à l'équipe soignante, faisant valoir son droit de rester parmi les autres patients.

A 20 heures, lorsque je prends mon service, je la trouve au fumoir, logorrhéique, euphorique, en compagnie des autres patients. Il est tôt pour se coucher, c'est vrai, et, nous décidons, mon collègue, et moi, de lui accorder une petite heure supplémentaire avant de lui ordonner de se coucher. Naturellement Christine s'y oppose. Le pouvoir dont elle nous accuse gagne notre culpabilité. D'ultimatum en ultimatum, nous finissons par appeler l'interne de garde pour prescrire un sédatif. Il est, minuit. Malgré le sédatif, Christine continue ses revendications : rester éveillée, discuter avec les soignants, fumer une dernière cigarette. Nous nous demandions si son acte ne reflétait pas l'angoisse de quitter ce milieu protégé, c'est-à-dire le service de psychiatrie. Mais la question du bon moment ne peut être développée ici. Ajoutons que, dans l'état dans lequel elle se trouve, toute discussion serait stérile, et ne serait qu'une manière supplémentaire pour amplifier un duel inutile.

Nous décidons alors de la mettre dans sa chambre fermée à clef, jusqu'au matin. Ceci afin de protéger le sommeil des autres patients, et de tenter d'obliger Christine à abdiquer dans son duel avec les soignants, et de s'endormir. Mais, jusqu'au matin, Christine tambourine contre sa porte, se cogne la tête contre celle-ci, hurle, et ne s'endort que vers 6 heures.

Le résultat de cette nuit d'agitation est immédiat. Pas de scintigraphie possible, la patiente épuisée affiche un visage fatigué, et des yeux cernés. Ajoutons à ce lamentable tableau, un énorme hématome au front, lié à ses coups de tête contre la porte. Pour noircir ce tableau déjà bien chargé, Christine déclarera aux médecins "les infirmiers m'ont tabassée toute la nuit".

Bien entendu, aujourd'hui, avec le recul et les années de pratique, je me demande comment cela a-t-il pu se produire. Livré à notre solitude, car nous avions épuisé tous les moyens d'accalmie, tel que l'appel à l'interne de garde, l'injection de sédatif, nous avions comme unique objectif d'éviter toute contention, c'est-à-dire, chambre d'isolement, maintien de la patiente par des sangles sur son lit. C'est pourtant cette solution qui aurait permis à la patiente de se désenivrer, et de passer sa scintigraphie en temps voulu, afin de quitter le service dans les meilleurs conditions.

Volontairement, j'ai présenté ce cas, qui associe le patient et le soignant.

L'appréhension de mettre un patient en isolement part d'une culpabilité liée à un doute qui peut remettre en cause la notion de soin, car, il est vrai qu'en matière d'enseignement, les soins infirmiers parlent de l'amabilité de l'infirmier, de soulager une souffrance, de facilité une hospitalisation. Il n'en demeure pas moins que la pratique est parfois difficile à soutenir, surtout lorsqu'on est touché au coeur de sa conscience de soignant.

Nous sommes souvent obligés d'associer acte thérapeutique, et l'horreur individuelle que cela nous inspire, et particulièrement en ce qui concerne la nécessité d'une mise en isolement. Cela de nos jours, est encore un tabou.

En psychiatrie, c'est une pratique, disons-le, souvent difficile à écrire, particulièrement lorsqu'il s'agit d'aborder une forme de répression telle la chambre d'isolement.

Au fond, s'il faut que "jeunesse se passe" comme le disait Maupassant, aucun soignant n'en fait l'impasse.

1 - Les principales indications de l'isolement

w méconnaissance du sujet face à son état de dangerosité pour lui et pour les autres (délire, prise excessive de toxique entraînant une agressivité),

w transfert d'un milieu carcéral pour des raisons d'expertise ou de troubles du comportement,

w crise aiguë d'agitation,

w nécessité d'une injection contre l'avis du patient,

w refus du patient face à son hospitalisation (dans les mesures d'urgence de placement contraignant),

w apaiser l'angoisse, particulièrement pour les autistes. Elle représente un univers clos et protecteur. Certaines de leurs conduites en témoignent.

2 - Rôle infirmier

Afin de ne pas sombrer dans la morale en dressant une liste de "il faut, il ne faut pas", nous allons dégager des conduites infirmières trois pistes, dont les éléments restent toujours soumis à la singularité de chaque situation.

Premier point : la surveillance et l'observation

l Surveillance et maintien de l'état général du patient :

w celle-ci se fait au décours des nombreux passages auprès du patient. Elle implique l'observation des signes vitaux, de la vigilance toutes les heures, une hydratation régulière,

w rester vigilant lors des passages infirmiers car il n'est pas rare que certains patients profitent de ces moments pour provoquer l'affolement de l'infirmier et de ce fait de l'entraîner dans l'erreur. Certains signes ne doivent pas passer inaperçus : simulacre d'hypo-vigilance, acceptation facile du patient de la mesure d'isolement. Par exemple les patients qui viennent des maisons d'incarcérations ont une imagination vaste en ce qui concerne l'évasion.

Deuxième point : maintenir la sécurité du patient et des autres

w éviter les dangers : veiller à ce qu'il n'y ait pas d'objets dangereux dans la chambre d'isolement, vérifier les fermetures extérieures (portes, fenêtres : un patient en crise peut impulsivement se défenestrer ou démonter les sécurités mises en place, barreaux, serrures). Vérifier que le patient n'ait pas sur lui-même d'objets susceptibles de permettre un suicide (lacet, ceinture),

w être toujours deux soignants au minimum, lors des visites, afin que le patient ne se sente pas persécuté par l'un ou l'autre infirmier en particulier,

w après le repas, vérifier que le patient rende ses couverts et qu'il ne garde ni couteau ni fourchette pour des raisons de suicide, d'agression ou d'évasion,

w la contention se révèle nécessaire lorsque l'état de dangerosité du patient pour lui-même (hallucination entraînant l'automutilation) ou pour les autres (agressivité physique) n'est plus gérable. Dans ces cas la contention et l'isolement temporaire font suite à une injection sédative dont il faut attendre les effets pour observer une accalmie et un possible dialogue,

Ø vérifier l'efficacité des points de contention : ni trop serrés, ni trop larges,

Ø vérifier que la literie soit disposée de manière à ce que le malade ne puisse ni s'étouffer, ni attenter à ces jours par des sangles trop longues,,

Ø dès l'effet du sédatif obtenu, lever la contention.

Troisième point : la relation

w rassurer le patient en venant lui parler fréquemment, expliquer la mesure de l'isolement dès que la communication est de nouveau possible,

w expliquer au patient qu'il ne s'agit pas d'une mesure punitive, mais d'une sécurité envers l'équipe et les autres patients. De plus c'est son comportement seul qui induit l'attitude infirmière. L'accalmie retrouvée, il pourra réintégrer sa chambre et la libre circulation dans le service,

w garder une attitude et des propos fermes qui, néanmoins, restent ouverts, à l'écoute de la souffrance,

w amener le patient à la verbalisation de la souffrance provoquée par l'isolement : face à l'isolement phonique, souffrance face à la notion de temps.

Dans tous les cas, il faut rappeler qu'isoler pour des raisons punitives relève de la faute morale, éthique et professionnelle. Seules des urgences liées aux crises aiguës d'agitation impliquent la nécessité de telles mesures.

En guise de conclusion, j'aimerais ouvrir une question qui, je le crois, est au centre de la réflexion sur l'isolement, et ébauche au-delà une réflexion sur l'avenir de la psychiatrie.

En effet la circulaire Veil du 19 juillet 1993 préconise l'ouverture plus large des services hospitaliers afin de réduire peu à peu les services fermés. Cela me conduit à plusieurs réflexions et notamment à me demander ce qu'entraîneront ces nouvelles mesures. Nous verrons s'y profiler la question de l'isolement.

Travaillant dans un des rares services dits ouverts de l'hôpital de Rouffach dans le Haut-Rhin, je relaterai donc l'expérience de ma pratique quotidienne. Pour décrire rapidement la situation, le secteur comprend cinq unités réparties en fonction du type de crise en charge proposée : un service de géronto-psychiatrie, un pour les psychotiques dits chroniques, un pour les patients autistes ou présentant des retards mentaux, une unité d'admission fermée et enfin une unité d'admission ouverte. A noter que ce dernier service ne dispose d'aucune chambre d'isolement.

Alors que se passe-t-il lors d'une admission ? Dans le meilleur des cas, l'hospitalisation fait suite à un entretien dans le cadre d'un suivi psychiatrique de secteur et c'est alors le psychiatre qui propose le lieu de celle-ci (que ce soit une primo-admission ou non). Quand c'est une personne inconnue du dispositif de secteur, elle est toujours adressée à l'unité fermée ou le praticien estimera en fonction de certains critères du lieu de l'hospitalisation.

Les critères d'admission en service ouvert répondent à deux impératifs :

w Comportementaux : en effet ne sont pas admis les patients en crise aiguë car le service ouvert dans sa structure ne peut prendre en charge la violence physique qui met le patient et son entourage en danger.

w Légaux, car nous ne pouvons admettre un patient hospitalisé sur un mode contraignant. Cette dernière disposition est dictée par la pratique : étant ouvert nous ne pourrions retenir un patient contre son gré et l'empêcher de fuir.

Voici le contexte dans lequel s'inscrit ma question :

un service peut-il fonctionner sans la possibilité d'isolement ?

La pratique me démontre que oui mais seulement sous certaines conditions :

Tout d'abord grâce à une sélection des patients à leur admission et, paradoxalement, grâce à l'existence d'un service fermé.

Le service ouvert inscrit dans la démarche du secteur fonctionne bien et les états d'agitations restent peu fréquents. Mais certains cas nous ont quand même replacés devant nos limites :

* par exemple, nous avions une patiente qui sous un mode de chantage au suicide avait déjà effectué deux fugues pour nous mettre à l'épreuve. En fait de fugue elle s'était cachée dans l'obscurité derrière un bâtiment proche de l'unité pour observer le dispositif mis en place pour la retrouver. Peu après son retour elle poursuivit son chantage, s'enfermant dans la salle de bain. Rien n'y fit, aucune parole ne la calmait, les mots, la relation soignant/soigné n'avait plus d'impact sur elle et l'échange s'est rompu. De fil en aiguille la situation s'est dégradée : hurlant, refusant tout médicament elle devint agressive envers le personnel et les autres patients.

Notre impuissance grandissante nous retranchait dans nos limites évidentes : et maintenant que fait-on ? Que faire de cette patiente ? Chaque pièce de l'unité était pourvue d'une multitude d'objets pouvant servir son agressivité, du téléphone au cordon de la lumière. Sans possibilité d'isolement, le dialogue étant rompu et ne laissant aucun espoir d'endiguer la crise et la maintenir, nous n'avons eu d'autre choix que d'appeler du renfort et de décider d'un transfert d'urgence vers l'unité fermée et d'une mise en place d'une H.D.S.T. d'urgence (rapidement signée par les parents du patient).

Que retenir de ce cas certes particulier ? Aurions nous pu calmer le jeu ou éviter cette situation de crise ?

La circulaire préconise l'ouverture plus large des services psychiatriques et le maintien en tout des droits du patient. C'est une bonne chose mais il faut lier la question avec les mesures d'isolement qui deviennent ainsi au coeur de la question car il est illusoire à mon avis de penser une psychiatrie sans urgence et sans agressivité. A moins que la psychiatrie change de visage pour se faire plus aseptiser mais à quel prix ? Augmentation des neuroleptiques pour contenir la violence ? Car quand le dialogue est rompu et que la parole n'apaise plus et qu'il faut agir d'abord pour la sauvegarde de tous, et parler après. Sinon, on risque de s'enliser dans un idéal de toute puissance de la parole qui malheureusement n'est pas toujours adapté à la réalité d'un service psychiatrique.

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